Dégringolade abyssale. La chute est rude. Elijah ne parvient pas à se relever. Au contraire, il ne cesse de s’enfoncer dans sa torpeur. But de sa vie annihilé, que lui reste-t-il ? Depuis le fameux coup de fil qui a mis un terme à sa carrière militaire, ruinant au passage la dernière once de stabilité psychologique qu’il lui restait, le fils Prescott est en plein désarroi. Et encore, le mot est bien faible. Véritable spirale infernale. Parce que l’armée, c’est toute sa vie. Le seul domaine dans lequel il est bon, malgré les nombreux traumatismes que sa carrière a amené dans son sillage. Equilibre précaire devenu inexistant. Brisé. Alors il s’effondre, Elijah. Plus rien n’a de sens. Plus rien ne vaut le coup. Plus rien n’a d’importance et surtout, plus rien ne compte désormais. Sa fille le déteste et le provoque sans cesse. Son ex le supporte à peine. Celle qui fait battre son cœur n’est plus dans le paysage depuis leur nuit passée ensemble, la veille du coup de téléphone fatidique. Et maintenant, son travail est terminé. L’ancien militaire n’est pas un optimiste et malgré le soutien inébranlable de sa sœur, son monde s’est paré d’obscurité. Plus aucune lumière ne brille. Tout n'est que ténèbres oppressants.

De son point de vue, il n’y a plus rien.
Que te reste-t-il ? Où trouves-tu la force de te lever chaque matin ?

C’est dans l’alcool, encore et toujours, qu’il trouve un minimum de répit. Ce soir, sa réserve est vide alors c’est dans un bar qu’il a passé le plus clair de son temps. La morosité comme compagnie, les verres se sont enchainés à une vitesse folle. Pas d’humeur à partager son temps avec qui que ce soit, son visage fermé et ses lèvres fermement serrées ont suffit à repousser quiconque souhaitait lui tenir compagnie. Parce qu’il n’est pas d’humeur à faire la causette, l’ex militaire. Voilà pourquoi il préfère boire chez lui. Pas de chance pour ce soir. Le barman garde un œil sur lui tout le long de la soirée et peine grandement à le faire partir quand l’heure de la fermeture survient. Il lui faut près d’une heure pour parvenir à se débarrasser de lui non sans une pointe d’inquiétude. Le temps qu’il appelle un taxi pour le raccompagner chez lui, Elijah a déjà disparu, emportant avec lui une bouteille pour lui tenir compagnie. Il est tard et le voilà qui déambule dans les rues, incapable de marcher droit et l’esprit bien trop embrumé pour se rappeler où il habite. Les cheveux en pagaille, l'oeil hagard, le look débrayé, Eli fait peine à voir. Qu’importe, c’est bien là le cadet de ses soucis.

Perdu, avançant aléatoirement, il ne remarque pas vraiment la voiture qui s’arrête à proximité ni son prénom qui résonne à peine dans la demi-obscurité de la nuit. Il stoppe sa marche titubante pour tourner la tête vers cette voix qu’il ne reconnait pas immédiatement. La vision rendue floue, il ne parvient pas à reconnaitre la jeune femme qui s’approche de lui. Il lui faut une bonne poignée de secondes pour la resituer. « Rosa. » Répète-t-il en plissant les yeux comme si ça pouvait changer quoi que ce soit à sa tentative de concentration. L’information peine à atteindre le cerveau noyé sous les effluves de l’alcool et l’infirmière a le temps de lui prendre la bouteille et de le guider vers sa voiture avant qu’il ne réagisse réellement. Docile, il n’émet aucune résistance. « Euh, oui ? » Personne ne l’accompagne, effectivement. « Qu’est-ce tu fais là ? » Bien sûr, elle a le droit de se trouver où elle souhaite mais on ne peut pas dire qu’il dispose de la totalité de ses capacités de réflexion. « T’as soif toi aussi ? J’peux partager si tu veux. » Si elle lui a pris la bouteille, c’est qu’elle a forcément soif. N’est-ce pas logique ? En chemin vers le véhicule à l’arrêt, des gouttes de pluie commencent à tomber. Comme un gamin, Elijah lève sa main pour tenter d’en attraper et ouvre la bouche en direction du ciel. « Ooooh, pourquoi la pluie a le gout de l’eau ? » Les questions existentielles des gens alcoolisés, un véritable fléau. L’avantage de son état, c’est qu’il est facilement manipulable, dans tous les sens du terme.