Bizarrement, il n'a aucun mal à la croire, Dana, quand elle affirme que dans sa famille, ils finissent les repas en musique — c'est là son interprétation de ce qu'elle avance, en tout cas mais le fait est le même, pour lui : il n'en doute pas. Il arrive même à se le picturer sans soucis, Dana moins floue que le reste de sa famille peut-être même s'il lui suffirait sans doute de regarder la décoration de plus près pour y trouver des photos des parents et de la fratrie. Et, plus que de la croire, il se prend à l'envier un peu, Zeppelin. Il n'est pourtant pas à plaindre et il en reste conscient ; l'absence de Bonnie a pesé, oui, moduler l'ambiance sous le toit des Hemmings et il a toujours senti, Zep, les silences maussades de son père, son regard qui se perdait parfois dans des souvenirs plus heureux, d'une vie qu'il n'a pas connu, lui. Et son frère... Son frère aussi, au final. Un air toujours grave sur le visage, une ombre qui s'assurait que le petit frère puisse avoir un semblant d'équilibre malgré cette figure fantôme. Ce n'était pas sombre, chez eux — c'était autre chose. Comme une fausseté à laquelle il s'est plié par mimétisme, avant de s'interroger mais jamais les interroger, eux. Ils ont partagé des moments, bons moments même, mais rien de semblables avec les sessions jams que mentionne Dana et il se demande à quoi ça ressemble réellement, qu'est-ce que ça fait d'être au sein d'une famille complète, équilibrée et, visiblement, tout aussi heureuse ? Et si quelqu'un avait pu empêcher Bonnie de terminer son geste, est-ce qu'il aurait pu connaître ça, lui aussi ? La joie, non pas effervescente ni passagère mais ancrée au quotidien ? Aurait-il toujours ses élans de mélancolie soudains qui lui enserrent parfois le coeur, s'installent quelque part en lui où il ne parvient pas à les déloger ? Un voile passe devant son regard qu'il baisse une seconde, le sourire un peu grignoté par le rappel de ce tableau noir qui s'impose parfois à ses pensées et vient entâcher son appréciation de tout ce qui l'entoure. Il voudrait lui dire qu'elle a de la chance, Dana. Lui faire promettre de savourer ces instants qui pourraient être amenés à disparaître si brutalement. Il voudrait lui glisser qu'il est curieux de savoir comment ça se compose, si c'est aussi spontané et déjanté qu'il se l'imagine — ou plus encore. Exprimer un ça a l'air chouette qui serait sincère tout en étant teinté de cette douleur qui pique son coeur, qui lui rappelle qu'il n'a pas eu ça, lui, qu'il n'aura jamais ça, lui. Sauf qu'il ne veut pas avoir l'air jaloux, Zeppelin, une autre émotion qu'il n'est pas censé ni ressentir encore moins manifester, parce qu'elle est loin d'être bonne, qu'elle dérange. Alors il ne répond pas, n'offre à Dana qu'un maigre sourire qu'il veut convainquant et s'intéresser plutôt aux métiers de la soeur et du frère de la brune. Le rire qui revient est plus franc, déjà, les épaules secouées d'une légère secousse avant qu'il ne fasse signe que non de la tête, les lèvres étirées en une grimace. « Alors, le titre ne me parle pas du tout. Et oui, je pardonnerai l'absence de Ryan Gosling, évidemment. » Principalement parce qu'il n'a pas la moindre idée de qui est ce Ryan Gosling — dont il aura oublié le nom dès qu'il aura retrouvé son van. Hollywood s'arrête à Winona Ryder, pour lui. Il accepte Catherine Zeta-Jones, éventuellement — et peut-être que si on lui agite les photos d'autres stars de l'époque, il se rappellera, en effet, avoir vu un ou deux films avec eux, mais pas assez pour qu'il s'amuse à retenir les noms. « Et être prod ou ouvrir son propre label, ça l'intéresserait ? » Curieux, Zeppelin, parce que c'est un domaine qui le passionne plus qu'il ne se l'admet, sans doute. « Je suis assistant de rédaction pour le Redwood Echo. Ca fait classe comme ça mais au final, je me contente de passer derrière pour corriger. » Avec la possibilité d'évoluer mais ce n'est pas ce qu'il recherche, Zep — sauf si ça lui permet d'approcher la vérité à propos de sa mère. Il aurait bien aimé être celui qui interview Selene même si le job aurait été moins professionnel que ce qui a été rendu et publié, au final. Haussement d'épaules équivoque. Pas la carrière qu'il aurait choisit si Bonnie avait été là toute son enfance — s'il n'avait pas traversé l'océan pour s'installer en Amérique. Il ne sait même pas ce qu'il aurait choisi, Zep, d'ailleurs. Aurait-il poussé les études ?
Doubtful.
La complicité musicale prend fin pour dériver vers ce sujet qui l'empoisonne quotidienne. Ce qui le nourrit et l'achève chaque jour un peu davantage. Il opine, Zeppelin, ayant parcouru quelques articles faisant le parallèle entre la Rose et d'autres sectes qui l'ont précédées. « Et toi, tu t'intéresses à ce genre d'histoire, en général ? Je sais qu'il y en a qui écoute des podcast de serial killers pour s'endormir. Beaucoup de femmes, d'ailleurs. » Il ouvre la question pour ne pas soulever les suspicions, Zeppelin, mais il a bien noté l'admission de Dana au passage. Est titillé par l'envie de l'interroger directement, de laisser parler sa curiosité maladive. « Oh, tu tires profit des drames. Je prends note, au prochain crime commis, tu seras en tête de ma liste de suspects. » Encore une fois, il parle au sens large, Zep, tourne un peu sur lui-même pour étendre ses jambes devant lui, boire la boisson. « Mais je te rejoins sur le fait que c'est étrange que la police n'ait jamais mis fin à tout ça. Est-ce qu'il y a seulement eu de véritables arrestations de faites, est-ce qu'il y a toujours une enquête en cours ? » La voix qui porte un peu davantage et attire l'attention des animaux, lui rappelant qu'il n'est pas supposé être aussi pris par ses émotions et il fronce les sourcils. « Jamais eu d'ennuis pendant ton enquête ? » Préfère plutôt légèrement dévier le sujet, alors. Il n'a jamais caché son intérêt pour la secte, pourtant, mais devant Dana, il préfère rester plus discret — au moins pour l'instant. Même si elle semble n'avoir aucune difficulté à aborder le sujet, il choisit de ne pas prendre de risque. C'est que la conversation lui est naturelle, avec elle. Cette facilité à vagabonder d'un sujet à l'autre, à s'intéresser pour de vrai à ce qu'elle a à raconter. Pas besoin de venir gâcher ça avec son obsession pour la secte. Ou plutôt, il le fera plutôt petit à petit, quelques questions ici et là. L'occasion de la recroiser pour pouvoir en apprendre un peu sur les résultats de l'enquête qu'elle a mené. « Oui, on a aussi notre lot en Angleterre. Etrangement, tho, j'entends rarement parler de criminalité canadienne... Auriez-vous un remède miracle ou vous les passez sous silence ? » Autant alléger un peu la conversation d'un trait d'humour. Et puisqu'ils sont sur le sujet du Canada. « Bravo, maintenant j'ai envie de traverser la frontière pour goûter ça. » Et peut-être qu'il le fera, une fois son enquête terminée. Pour fêter la vérité, oui. Pas mal.
« Ma pensée exactement ! Gomez n'est pas Gomez sans Morticia. Donc je me suis dit si jamais je trouve un couple de quelque chose, ce seront les noms que je donnerai. » Sauf si, entre temps, il découvre un autre duo qui l'inspire. « Est-ce qu'il y a une grosse différence entre avoir deux ou trois chats ? Et puis, comme tu dis, si t'es l'Elue, t'es l'Elue, ça ne se négocie pas. Même Harry n'a pas eu d'autres choix que de s'y plier. » Harry, Frodon, tous ces héros qui ont marqué son enfance à travers ses lectures — quoique pour Frodon, il était plutôt adolescent. Le soda est terminé, il se tourne sur le canapé, aperçoit Goldie qui semble ronfler dans un coin de la pièce. « Bon, bah je crois que t'as au moins été adoptée par le monstre. C'est pas un chat mais ça peut faire office de lot de consolation, non ? » Enfin, au moins sur le plan affectif, il préfère ne pas penser au plan financier. Ce chien double son budget personnel.

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