Quelques années plus tôt...
Son retour à Redwood Hills avait nécessité une période d’adaptation. Lorsqu’il était encore dans les Marines, c’était pourtant le pied-à-terre vers lequel il se tournait quand il rentrait : la ferme des Fitzgerald, sa mère, sa sœur qui vivait à New York mais qui revenait pour ses permissions, et Lizzie. Lizzie. Un prénom qui lui laissait un goût amer. Il ne l’avait pas encore revue depuis son retour à RH, et il devait bien admettre s’arranger pour ne pas passer près des lieux qu’elle fréquentait habituellement. Cependant, peut-être avait-elle déménagé depuis. Après tout, peut-être s’était-elle trouvée quelqu’un avec qui elle allait passer le restant de sa vie, et ça ne serait pas lui. Il se souvenait encore de la douleur qu’il avait ressentie quand elle l’avait rejeté et bien vite il chassa la jeune femme de son esprit, dans l’espoir que la douleur s’évanouisse aussitôt.

Depuis qu’il avait appris la maladie de sa mère, l’idée avait été de revenir à RH. Dans un premier temps, le seul poste de pompier qu’il avait trouvé avait été à Burlington. C’était une grande caserne, et les collègues qu’il y avait trouvés l’avaient accueilli chaleureusement. Il n’était jamais très doué pour les nouveaux départs, pour les nouvelles étapes de sa vie, même s’il accueillait le changement comme une nouvelle chance. Quitter les Marines avait été une bonne décision. Revenir à Rh en était probablement une autre, bien que c’était surtout sa mère qui l’avait motivé à revenir, sans même le lui demander. Seulement, il ne pouvait pas se résoudre à être loin d’elle quand elle allait devoir se battre contre la maladie. Alors, il avait demandé son transfert à la caserne de RH. Il savait que cela pouvait prendre des mois voire des années et ce fut une véritable surprise qu’après neuf mois seulement, on acceptait son transfert à RH car un poste venait de se libérer.

Son sac à la main, le Fitzgerald se tenait devant la caserne de la ville. Elle était moins grande que celle de Burlington mais elle avait son charme. Il voyait au loin deux de ses futurs collègues ranger le camion qui venait de rentrer d’intervention, et d’autres se chamaillaient en rentrant dans ce qui semblait être le vestiaire. Cela sonnait la fin de la journée pour cette équipe, tandis que c’était celle qu’il allait intégrer qui prendrait le relais. Il s’approcha d’une silhouette qui saluait justement ceux qui partaient et il s’approcha d’abord timidement, puis, il prit son courage à deux mains. « Bonjour ! » le salua-t-il en pressant le pas pour arriver à sa hauteur. « Je suis Simon. » se présenta-t-il avant de préciser aussitôt : « Le nouveau. » Il esquissa un mince sourire à l’adresse de celui qui allait devenir son collègue et ami.

Quelques années plus tôt...
Simon avait toujours eu l’esprit d’équipe. Il l’avait appris très tôt chez les Marines, parfois même à ses dépens. Le mot équipe prenait un tout autre sens. Au-delà de collègues, c'étaient de véritables amis, parfois même frères et soeurs, qu’il avait vus s’éteindre douloureusement sous ses yeux. Il chassait toujours ces images qui se ramenaient à lui lorsqu’il pensait à son temps dans les Marines. il tentait de ne garder que les jours heureux, durant lesquels il se revoyait avec ces derniers autour d’une caisse en bois faisant office de table basse improvisée. Ils en avaient passé des bons moments, et c’étaient à ces derniers qu’il tentait de se raccrocher. Lorsqu’il avait pris la décision de quitter les Marines, il avait cherché un travail où il serait toujours aussi utile à la société. Il avait besoin de faire un métier qui avait du sens pour lui, une utilité publique, différemment de celle qu’il avait eue chez les Marines mais tout de même.

Devant cette caserne, il fit un temps d’arrêt, la regardant comme il l’avait fait quand il avait intégré celle de Burlington. Celle-ci n’avait pas changé et demeurait la même que celle de ses souvenirs. Combien de fois avec son père ils étaient passés en voiture devant celle-ci. pas un instant à l’époque il s’était dit qu’il l’intégrerait. Les camions étaient certes plus modernes que ceux de l’époque mais les couleurs extérieures n’avaient guère changé. Elle avait la même allure, mais avait désormais une signification différente à ses yeux. Il allait en faire partie. Alors, l’ancien Marine s’était mis en marche vers sa nouvelle caserne, guettant la moindre personne qui pourrait faire partie de son équipe. Il était arrivé un peu en avance, habitude du soldat qu’il avait été où on lui avait de nombreuses fois répété qu’être à l’heure, c’était être déjà en retard. Il accéléra le pas en repérant une personne qui avait également son sac à la main, prête à embaucher. Simon se présenta avec son prénom, même si très vite il savait qu’on ne l'appellerait plus que par son nom de famille. « Enchanté Justin ! » fit le brun en lui tendant la main. « Merci ! Justement, est-ce que ça te dérangerait de me faire faire le tour de la caserne ? Quand je suis venu la dernière fois, je n’ai vu que le bureau du chef. » dit-il simplement.

Le dénommé Justin qu’il venait tout juste de rencontrer semblait plutôt enclin à lui faire faire le tour de la caserne. « Merci beaucoup, de prendre le temps de me faire la visite. » le remercia-t-il poliment, car ce dernier prenait le temps de lui faire faire le tour, tandis qu’il avait peut-être autre chose à faire. « Est-ce que tu peux me montrer où on range le matériel et notre équipement quand on est appelé à partir en intervention ? » demanda-t-il car après tout, c’était sans doute l’essentiel : savoir où se trouvaient les manteaux coupe-feu, les casques, et autre matériel dont ils se servaient lors des interventions ; matériel destiné à les protéger. Dans un second temps, ce qui l’intéressait était la salle commune, celle dans laquelle se réunissaient généralement les pompiers et secouristes quand ils n'étaient pas appelés sur une intervention. C’était probablement dans cette salle que les liens se tissaient, au fil des conversations, au gré des humeurs.

Simon suivait son collègue qui lui avoua être curieux et qui lui demanda bien rapidement s’il était chez les pompiers depuis longtemps. Le Fitzgerald se demanda soudainement si c’était son allure militaire qui l’avait trahi, bien qu’il espérait être moins rigide physiquement que ce qu’il avait été. Cependant, il savait aussi qu’après tant d’années dans l’armée, certaines postures avaient la vie dure et quand bien même les pompiers n’étaient pas l’armée, la posture y ressemblait fortement, tout comme la discipline que ce métier imposait. C’était probablement pour cette raison également qu’il s’était tourné vers cette profession, car elle n’était finalement pas si différente de ce dont il avait l’habitude. Et avant même qu’il ne réponde à sa question, son collègue enchaîna avec une autre, lui demandant ce qui l’avait amené à intégrer cette caserne. Le Fitzgerald ne put s’empêcher de rire légèrement. « C’est le test d’entrée ? » dit-il, amusé. « Je faisais partie de la caserne de Burlington depuis neuf mois. J’étais dans les Marines auparavant. Et ce qui m’a amené à demander mon transfert est le rapprochement avec ma famille. Ma mère vivait dans la ferme familiale toute seule. Je suis revenu m’installer ici pour l’aider. » répondit-il, restant évasif à ce sujet. Il n’avait pas envie de parler de la maladie de sa mère qu’il avait encore parfois du mal à accepter.

En entendant Justin évoquait le fait que la caserne était un deuxième “chez-nous”, il réalise que c’était sans doute ce qui l’avait frappé en premier lieu lorsqu’il avait intégré la caserne de Burlington : cet esprit d’équipe, ces liens qui se tissaient parfois fortement. Cela lui rappelait son temps dans les Marines, ceux avec qui il avait partagé bien des moments, et qu'il avait quittés à regrets. Il avait encore des liens avec eux, car même s’ils ne travaillaient plus ensemble, on ne pouvait pas faire fi de ce qui les avait liés durant ces dernières années. Simon ne pensait pas retrouver une telle relation, mais il savait pourtant que lorsqu’on faisait des métiers si risqués, les liens se faisaient naturellement. Ainsi, pour cette première visite de la caserne, l’ancien Marien avait opté dans un premier temps pour la salle du matériel, se demandant bien où il était rang. Après tout, c’était sans doute l’une des pièces les plus importantes de la caserne. Justin semblait être du même avis. « Ce qui n’est peut-être pas tout à fait faux non plus. » se permit-il de dire, un sourire en coin. Simon continua donc à suivre son nouveau collègue qui lui montra la salle où se trouvait leur matériel. Il tâcherait de s’en souvenir. « Super, merci. » dit-il simplement.

Justin s’excusa pour ses questions, et le Fitzgerald secoua légèrement la tête, un sourire aux lèvres. Ce n’était pas vraiment un test d’entrée, mais cela suffisait pour faire rire le Fitzgerald face aux questions qu’il lui posait, sans lui laisser réellement le temps de lui répondre. « Ce n’est pas grave. Après tout, tu veux sans doute savoir avec qui tu bosses. » dit-il et ça faisait sans doute partie du jeu, de savoir s’il pouvait lui faire confiance, d’apprendre à le connaître. « Effectivement, ils ne sont pas loin. Mais c’était mieux pour moi en termes d’organisation familiale de me rapprocher d’ici. » ajouta-t-il simplement. Il ne pouvait qu’approuver la phrase de son nouveau collègue : la famille était importante, et Simon avait toujours fait en sorte de la faire passer avant tout, contrairement à sa sœur qui semblait s’être comme volatilisée de leur vie. Justin enchaîna une nouvelle fois, avec deux questions complètement différentes. Simon appréciait le personnage, qui semblait être à la fois bavard et curieux. « Mes passe-temps ces temps-ci se résument à la ferme. J’essaie d’y aider ma mère. Sinon, en général, je lis beaucoup. » Ce qui n’était probablement pas banal quand on le regardait. On s’attendait probablement à autre chose. « Et toi, quels sont tes passe-temps ? » Après tout, lui aussi aurait droit à son lot de questions. « Et non, je n’ai pas d’enfants. Et toi ? » C’était probablement l’un de ses regrets, de ne pas avoir d’enfants, ne sachant d’ailleurs pas s’il en aurait un jour. Encore faudrait-il laisser une femme approcher son coeur d’un peu plus près, ce qui n’est pas chose facile depuis sa séparation d’avec Lizzie survenue quelques années auparavant.

Le Fitzgerald grimaça quand son nouveau collègue lui indiqua que la cuisine se faisait toujours à tour de rôle. Lorsqu’il travaillait à Burlington, il avait réussi à y échapper, l’un de ses collègues ayant une appétence particulière pour cette activité. Lui, il n’était pas très doué, et il fallait dire qu’il n’y portait également pas plus d’intérêt que cela. Ses compétences en matière de cuisine se résumaient en faire réchauffer un plat surgelé au four. Il se forçait de temps à autre pour faire à manger à sa mère, mais ce n’était pas ce qui l’enchantait le plus. « Je ne suis pas super doué pour la cuisine. » dit-il en se grattant le derrière de la tête, un peu gêné. Son nouveau collègue poursuivit, indiquant que tout était organisé de façon à ce que tout le monde s’y retrouve, bien qu’il semblerait que l’un des novices qu’ils avaient accueillis se soit malgré tout perdu. Simon espérait rapidement s’imprégner des lieux pour ne pas devenir la risée de la caserne. « Pourquoi pas ! J’imagine que tu dois avoir pas mal d’anecdotes à raconter ! ça fait longtemps que tu travailles ici ? » lui demanda-t-il. Il lui donnait l’impression d’être ici depuis déjà longtemps. Le Fitzgerald ne prenait ainsi pas mal les différentes questions que Justin lui posait. Il tentait sans doute de le cerner, d’essayer d’apprendre à connaître la personne avec qui il allait partager son quotidien. « C’est exact. » approuva-t-il. « Je pense que ça permet de tisser des liens de confiance plus sereinement. » Surtout dans ce genre de métier. Il l’avait également vécu chez les Marines : la confiance était la base d’une équipe. Le pompier approuva d’un signe de tête la phrase de Justin. Ils exerçaient en effet un métier qui demandait de la rigueur et de l’organisation.

Ainsi, ils abordaient la question des passe-temps. Il se doutait que son collègue devant lui devait être surpris, même s’il n’en laissait rien paraître. Dans les Marines, on l’avait parfois charié, mais ils avaient vite compris qu’il s’agissait de sa bulle de solitude, ce rare instant de répit qu’il se permettait parfois, rarement. Depuis qu’il était rentré à RH, il avait retrouvé son fauteuil préféré dans lequel il avait toujours eu l’habitude de se lover plus jeune, un bouquin à la main, posé. « Un peu de tout. En ce moment, je suis dans les romans policiers. Et toi ? Tu as un genre préféré ? » Simon avait ses périodes, certaines littératures l’attiraient plus que d’autres à certains moments, et il imaginait qu’il en était ainsi avec tout le monde. « Ah oui. Il m’arrive aussi d’aller courir, mais je suis plus rando. » dit-il avec un sourire. Quant à la question des enfants, c’était sans doute l’un des regrets du Fitzgerald qui devrait sans doute se faire à l’idée qu’il n’en aurait jamais… au grand désespoir de sa mère, sans doute, mais en réalité, il ne s’était jamais remis de sa séparation avec Lizzie. Le peu de femmes qui avaient réussi à se rapprocher de son coeur n’étaient pas restées près de lui très longtemps. Simon répondit par un rire à sa phrase. « J’imagine que ça ne doit pas être de tout repos ! Tu l’élèves seul ? » demanda-t-il.