La vérité a éclaté.
Jackie, elle n’a pu que tordre les lèvres, baisser la tête, lever les yeux. La moue habituelle. Celle qui ravi les coeurs et oblige à lui pardonner — surtout quand il est question de Pauly. Les petits changements ici et là dans la garçonnière de son cousin ont fini par être remarqués ; un cadre accroché dans le salon, une tasse ajoutée dans le placard à vaisselle, quelques plantes aussi et puis, surtout, quelques réaménagements. Paul, il est là, face à elle et Jackie, elle n’a qu’une seule idée (envie, vraiment). « Oh allez Pauly, regarde l’espace qu’on gagne dans le salon maintenant ! » Quelques mètres carrés de surface habitables (ou organisables selon elle, elle imagine déjà tout ce qu’elle pourra entasser dans ce coin de séjour libéré, Jackie), une impression d’agrandissement quand elle n’a fait que changer de place le canapé et le meuble de télévision. « D’ailleurs, parlant de place à gagnée, savais-tu que des murs de couleur claires donnent l’impression qu’il y a encore davantage d’espace ? Du coup, ne fais pas cette tête-là, le salon est safe pour l’instant, mais je pensais repeindre la salle de bain. Et d’ailleurs, faudrait aussi acheter quelques meubles pour la salle de bain et j’ai déjà des idées. » Bien sûr qu’elle en a, des idées. Elle a même un sketch dessiné à la va-vite sur son calepin dans son sac à main — outil qu’elle se garde bien de sortir à la vue de son cousin pour l’heure. Elle attend le moment idéal. Et pour que ce dernier n’arrive, elle doit d’abord le convaincre. « Si on se dépêche, on peut rejoindre le magasin avant la fermeture méridienne. Et, on pourra manger un bout dehors, qu’est-ce que t’en dis ? » Ses mains se joignent devant elle, le regard s’accentue, la moue aussi. Jackie, elle a vaguement conscience qu’elle devrait cesser d’abuser de la sympathie de Paul, que d’autres y verraient une forme de manipulation de sa part — mais elle se dédouane de toute culpabilité en se rappelant qu’à chaque fois, l’inspecteur n’a jamais été blessé ou proche de l’être. L’aider à embellir sa garçonnière (qui n’en est plus une depuis un an et demi), clairement, n’est que du bénévolat pour améliorer sa vie sociale.
« S’il-te-plaît ? Ça fait une éteeeernité qu’on n’a pas passé de temps ensemble. » Elle surjoue un peu, Jackie, mais le fond est véridique — même si elle ne travaille pas et bien qu’ils partagent un toit, ils ne sont pas souvent présents en même temps dans l’appartement. Lui plus souvent occupé par le boulot et elle, généralement en vadrouille ou en train de chercher à s’occuper plus que de raison à la paroisse. Elle sait qu’elle a gagné avant même que l’accord ne soit verbalisé et, la blonde, elle ne dissimule rien de son sourire victorieux.
Rien ne lui résiste.
Presque rien ne lui résiste — ce n’est que temporaire, qu’elle se répète pour se rassurer.

La porte se referme presque juste derrière elle, et Jackie, elle n’a que le temps de se retourner vers son cousin pour lui désigner une aile. « Là c’est la peinture. Là-bas, les meubles. Là-bas la décoration. On devrait peut-être trouver un autre cadre pour le salon, non ? »  L’esprit qui divague d’ores et déjà, fourmillant de mille idées et autant d’envies contradictoires. « Non t’as raison, d’abord la peinture, on verra pour le reste. » S’il reste de l’argent à dépenser sur le compte en banque de Pauly, par exemple. Ses doigts enroulés autour du poignet de l’inspecteur, elle le traîne d’un bon pas, la blonde, déterminée à résoudre ce premier problème avant la pause repas. « Tiens, c’est le nuancier que j’ai pré-sélectionné. Trop blanc va faire mal aux yeux, surtout en pleine nuit ou de bon matin, je verrai plutôt quelque chose tirant vers le crème. Ça aurait aussi l’avantage de bien se marier avec la couleur de tes serviettes mais ça rendrait le choix des meuble un peu plus difficile. A moins de toute reprendre… Ça peut être une idée, prendre un bois tirant davantage sur l’anthracite. Le soucis, c’est que si on fait ton appartement avec ça, ce sera très froid et impersonnel. Non, oublie. Puis là, je suis en train de t’influencer, » qu’elle achève avant de se mordre la lèvre inférieure. Et si elle compte bien donner son veto si Pauly décide d’avoir des goûts plus que suspicieux, elle préfère se montrer plus discrète quand il s’agit d’influencer son opinion au cours de sa réflexion.

Le sourcil se contente de s’arquer, dubitatif — Jackie, elle ne se laissera pas avoir par les arguments de Pauly. D’une, parce qu’ils ne sont pas des arguments valables (selon elle) ; de deux, parce que l’experte en retournement de situation et rebond mental, c’est elle et elle ne compte pas céder sa place de sitôt ; de trois, parce que si elle peut entendre que la disposition précédente du canapé était pratique (en quoi, par contre, ça lui échappe totalement), il faut parfois choisir entre le côté pratique de surface et le côté pratique au réel et, puisque Pauly n’est pas plus décorateur d’intérieur qu’elle n’est inspecteur dans la police, ce choix-là lui revient à elle, en toute logique. Elle lui accorde donc sa moue la moins convaincue possible, la tête légèrement penchée sur le côté et la langue allant gonfler l’intérieur de sa joue en attente d’une meilleure explication. Rien ne suit immédiatement et il lui suffit d’un coup d’oeil sur les traits de son cousin pour savoir qu’il est sur le point d’abdiquer (yes, encore une victoire pour Jackie) ; le visage de l’homme se détend et il admet, Pauly, qu’elle a raison — comme bien souvent se retient-elle de glisser à demi-voix. Elle le lui rappellera plus tard, elle a d’autres priorités en l’instant. Les yeux se lèvent au ciel, c’est à croire qu’il ne s’est jamais intéressé à la décoration (sans doute la réalité mais Jackie, elle ose espérer qu’il a au moins cliquer sur les quelques liens d’agencements qu’elle lui envoyait pendant ses études). « Ta salle de bains est très belle, mais il faudrait lui donner un coup de peinture. Ça la rafraîchirait et ça donnerait une impression de plus grand ce qui serait pas du luxe. » Pas que son cousin ait élu domicile dans un trou à rat mais il fallait reconnaître que l’ensemble était relativement petit pour accueillir deux personnes (enfin, une personne et une Jackie qui ne peut que s’étaler quand autorisée). Et la salle de bain, à l’instar du salon, était une pièce bien trop importante pour qu’elle accepte de s’y sentir à l’étroit, la blonde. « On ira au cinéma s’il nous reste encore du temps, » cède-t-elle après une courte réflexion — sa façon à elle de l’inciter à prendre une décision rapidement et pas juste à l’instant T. Si elle lui fait miroiter un restaurant et une séance cinéma, peut-être qu’il boostera son efficacité dans le magasin de bricolage sur le choix de la couleur de la peinture et des meubles. Puis c’est au tour de Paul de lâcher les armes et elle ne cache rien de son sourire, Jackie, crochète son bras à celui de son cousin pour l’entraîner hors de l’appartement avant qu’il ne change d’avis. « Par contre, pas d’Aquaman. Les effets spéciaux du premier m’ont donné mal à la tête pendant trois jours, je suis pas pressée de renouveler l’expérience. » Peut-être pas trois jours exactement — mais bien une heure après la fin de la séance. « Et puis, je crois que le nouveau Disney est encore à l’affiche, » qu’elle lui rappelle avec un fin sourire adorable et innocent. Certes, elle est déjà allée le voir le jour de sa sortie, mais rien ne l’empêche d’y retourner. D’autant plus qu’elle a passé un mois entier à écouter et apprendre les chansons par coeur sur internet, elle pourra donc se faire une séance karaoké en pleine salle de cinéma.

A peine entrés dans le magasin qu’elle se laisse emporter, Jackie, par son enthousiasme débordant. L’idée de racheter un peu de déco et puis de finir de refaire le séjour, et pourquoi d’ajouter une ou deux plantes dans la chambre lui traversent l’esprit et lui donnent envie de se précipiter dans des rayons à l’opposé de leur but initial. Le brun intervient et permet à son esprit en ébullition de se recentrer un peu. Oui, d’abord la peinture. Elle l’entraîne donc entre deux étalages et lui fourre un nuancier entre les mains, les conseils coulant de ses lèvres avant qu’elle ne se morde la lèvre inférieure. Stop talking, Jackie. « C’est pour donner envie, c’est quand même plus vendeur que les gris taupe ou rose saumon. » Car quel être doté d’un peu de goût aurait envie de peindre quoique ce soit de la couleur d’un saumon ? Juste le meilleur moyen de développer une bonne synesthésie et d’avoir l’odeur qui accompagne la pièce systématiquement — no thanks, she’ll pass. Elle profite de la concentration de son cousin pour se tourner un peu, faire quelques pas au cas où elle aurait une meilleure idée et se fige plutôt à la proposition de Paul. « Sérieusement ? » Le jugement est là. Le mépris peut survenir à tout instant (mais c’est Pauly, elle se contiendra, Jackie). « Mais Pauly, on ne peint pas sa salle de bain en vert, elle est déjà petite et le vert n’est pas une couleur chaude, ça n’apportera aucune luminosité à la pièce et puis en fonction du vert, il faudrait revoir totalement les meu… » Les lèvres closes puis pincées, elle réfléchit, Jackie ; lève une main, revient vers son cousin. « Ou alors, vert pastel. Il faut pas que ce soit un vert foncé même si on pourrait mettre quelques touches plus foncées mais je le déconseille, ce serait plus joli et accueillant de créer du contraste avec du blanc ou des meubles couleur bois. Du coup il faudrait une baignoire pour que ça invite à la relaxation. Et puis une plante, bien sûr. Une étagère au-dessus de la baignoire par exemple sur laquelle on met, je sais pas moi… Du bambou ou un cactus. » Ou n’importe quelle plante qui ne craindrait pas l’humidité mais là, ce n’est pas son domaine, à Jackie. Elle fait déjà volte-face pour attraper un autre nuancier et le déplie rapidement, à la recherche de la teinte parfaite. Elle hésite entre deux, force le nuancier dans les mains de Paul avant de sortir son carnet à croquis et de retourner sur la page de la salle de bain (la fameuse possédant toutes ses notes et idées et conseils et envies), de fouiller dans son sac à la recherche de ses feutres. Elle en tire plusieurs nuances de vert qu’elle compare au nuancier avant de les swatcher dans un coin de la page, de se décider, de pointer l’une des couleurs sur le nuancier. « Celui-ci irait bien. » La question déguisée mais nul doute que si Paul en choisit un autre, elle usera de son droit de veto. Et ce, bien que ce soit un droit qu’elle se soit auto-attribué.