La maison de Ben était tout ce qu’il y avait de plus chaleureuse, son coin préféré était le salon : une belle cheminée avec un bon feu, des poutres apparentes en bois brut, un canapé et des fauteuils confortables décorés avec de larges plaids beiges et blancs, une belle table basse en bois aux pieds sculptés, quelques peintures accrochées au mur montraient des paysages à différentes saisons, des lumières éparses tantôt fortes, tantôt tamisées donnaient de la profondeur à cette belle pièce complétée par une grande bibliothèque sur-mesure prenant presque tout un mur. Il y avait peu de photos, ce n’était pas le genre de Ben d’exposer sa vie privée dans son salon, mais trois d’entre elles trônaient sur la cheminée : la première montrait Ben – 20 ans – avec ses tantes, une vieille photo de famille avec son père, sa mère, sa sœur et son frère qui datait bien de 25 ans et bien sûr, une photo récente de lui et Allison grimaçant à l’appareil photo. Malgré tout ce décor, l’agencement gardait un côté simple et naturel qui caractérisait le style de Ben. Le corps de ferme, acheté dix ans auparavant, avait été entièrement rénové depuis son emménagement, des travaux qui avaient duré presque trois ans. Un subtil mélange entre le neuf et l’ancien soutenu par la présence d’Henrik, son ami architecte, qui l’avait aidé à la conception de ce nid douillet et de la plupart de ses amis sur Redwood et Burlington venus l’aider à un moment ou un autre dans les travaux.

Ben regarda sa montre, Simon ne devait pas tarder. Il posa sur la table basse deux dessous de verre. Les pizzas étaient au-dessus du four, prêtes à être enfournées. Des petits gâteaux apéros, des petites tartinades, des olives et quelques bâtonnets de carottes – pour se donner bonne conscience – étaient déjà installés. Tout était prêt pour passer une soirée tranquille avec son ami, sans trop se soucier de la cuisine. Ben s’installa sur son fauteuil – il y en avait trois, mais l’un d’eux était « son » fauteuil – et pris le temps de fermer un peu les yeux au bruit du feu. Le silence à cette heure était rare depuis qu’Alli avait débarqué ici. Ce soir, elle dormait chez une copine « pour réviser », la mère de son amie avait assuré qu’Alli ne dérangeait pas du tout et Ben avait profité de cette accalmie pour proposer à Simon de passer. Le grand brun tentait de rattraper son absence de trois ans auprès de ses amis. Un départ improvisé qui devait durer quelques semaines, qui s'était étalé des mois puis des années. Ben n’avait pas vu passer le temps, l’effet tunnel peut-être, et avait donné assez peu de nouvelles. Depuis qu’il était revenu, il avait l’impression de se réveiller enfin, c'était comme s’il avait été mis en pause, en parenthèse pendant ces trois ans. Néanmoins, le reste du monde avait continué à vivre parallèlement et il s'était rendu compte à quel point il avait négligé certaines personnes.

La porte sonna et Ben sauta du fauteuil. « Hey, viens entre vite ! Il ne fait pas chaud. » Dehors, le froid de l’hiver contrastait avec la douce torpeur de la grande maison. « Ca fait vraiment plaisir de te voir. » Ben serra avec chaleur la main de Simon pour le saluer. « Tu peux accrocher tes affaires sur les patères, là si tu veux » déclara Ben en posant négligemment la main sur les crochets de l’entrée. « Je ne sais plus si tu es était déjà venu ? » demanda-t-il en avançant dans la pièce. « Je me suis dit qu’une petite soirée à la maison changerait un peu des randos ou du bar » ajouta-t-il avec un clin d’œil et un sourire amusé. « Qu’est-ce que tu veux boire ? J’ai mis des bières au frais, quelques IPA locales, brunes, blondes et blanches aussi, hum... Sinon j’ai les classiques, vin rouge, vin blanc, des softs aussi, de l’eau peut-être ? » Ben était toujours très accueillant, c’était sa façon de montrer à ses amis qu’il tenait à eux. En rando, c'était toujours la personne qui ramenait du fait-maison à partager, qui pensait à prendre des timbales en plus avec le thermos de café, il était prévoyant. Une fois que Simon eut choisi son poison, Ben passa dans la cuisine qui s'ouvrait sur le salon tout en montrant les fauteuils et le canapé « Installe-toi je t’en prie ! » ajouta-t-il. « Alors, comment vas-tu depuis le temps ? » demanda-t-il en s'asseyant sur son fauteuil et en posant les verres sur les dessous de verre.

C’était la surprise qui s’était affichée sur le visage du Fitzgerald lorsqu’il avait lu le nom de Benedict s’afficher sur son téléphone. Un nom qui ne s’était pas affiché depuis plusieurs années. Avant même d’ouvrir le message, le pompier s’était même demandé s’il ne s’était pas trompé de destinataire… Simon n’arrivait plus vraiment à situer d’ailleurs quand il l’avait vu pour la dernière fois ni même à quelle date remontait leur dernière discussion… Il se souvenait juste qu’il venait de quitter les Marines, qu'il avait demandé son transfert à RH. Sa vie venait d'être bouleversée, et son chemin qui lui semblait déjà tout tracé à cette époque venait de prendre une autre tournure, bien que Lizzie ne faisait déjà plus partie de sa vie. Son objectif de vie à ce moment-là : revenir à Redwood Hills et intégrer la caserne de la ville. Quand il repensait à cette période de sa vie, il esquissa un bref sourire qui s’effaçait bien rapidement derrière une ombre qui avait considérablement assombri le tableau et motivé son retour : l’annonce de la maladie de sa mère. Tout s’était alors précipité. Ainsi, recevoir un message de Benedict, c’était comme réaliser que bien des choses s’étaient passées en trois ans, que la vie avait continué, et qu’il avait parcouru bien du chemin. Etait-ce d’ailleurs bien le cas ? Parfois, il avait comme l’impression que son esprit restait coincé à cette époque-là. Son coeur brisé, sa dernière mission, la maladie de sa mère.

Simon avait donc accepté l’invitation de son ami, curieux de ce qu’ils allaient se dire après tant de temps. Il ne se souvenait même pas de la maison de Ben. Il y avait peut-être déjà mis les pieds une fois ou deux pour l’aider, et encore, il n’en était même pas sûr. Généralement, ils se voyaient à l’extérieur, lors de leurs randonnées ou autour d’une bière dans le centre-ville. Après le départ de Benedict, Simon avait continué à partir en randonnée, seul, et même si la solitude ne l’avait jamais vraiment dérangé, bien au contraire, il devait admettre que cela lui manquait de partager ces instants parfois hors du temps avec son ami, à guetter les rapaces qui pouvaient sortir de leur tanière inopinément, ou encore à contempler seulement le paysage avec béatitude. Une pause dans le temps qui était toujours la bienvenue et qu’il ne prenait désormais que trop peu.

Simon était donc arrivé à destination, un pack de bières à la main de la brasserie locale qui venait d’ouvrir depuis peu. Il savait que Ben avait sans doute préparé de quoi les sustenter mais il détestait arriver les mains vides, sans doute un héritage de sa mère, ou du côté irlandais et chaleureux que les Fitzgerald partageaient. Simon devait apporter sa contribution, aussi maigre soit-elle. Il n’attendit pas longtemps que la porte s’ouvre sur cet ami qui était parti durant trois longues années, mais il avait l’impression que c’était comme s’il ne s’était rien passé. Il était toujours aussi accueillant. « Hé ! Ce n’est pas de refus. » fit le Fitzgerald, ne tardant pas à entrer. La température extérieure restait froide, et il était bien content de ne pas avoir oublié son écharpe. Il prit la main que son ami lui tendait pour la serrer à son tour. « ça me fait plaisir aussi. J’ai l’impression que ça fait une éternité qu’on ne s’est pas vu. » Il défit son manteau et son écharpe qu’il posa sur les crochets que venait de lui indiquer Ben. « Justement, c’est exactement ce que je me suis demandé quand tu m’as proposé de venir. Je crois que je suis venu une seule fois, mais ça date maintenant. J’aime beaucoup ce que tu as fait de cette longère. » fit-il en le suivant. « Oui, c’est une très bonne idée. » acquiesça-t-il, un sourire aux lèvres, tandis que Ben ne tarda pas à lui proposer quelque chose à boire. « J’ai apporté ces bières d’une brasserie locale, mais va pour l’une de tes bières, une blonde. » dit-il, amusé. Il avait oublié comme ils avaient de nombreux points communs, et notamment pour les bonnes choses. Le Fitzgerald prit alors place sur le canapé. « Ca va ! Je pense que la dernière fois qu’on s’est vu, je venais de quitter les Marines et j'avais trouvé un poste de pompier à Burlington. Je pense que tu es parti un peu avant mon transfert ici. Et de ton côté ? Je dois t’avouer que j’ai été étonné de recevoir un message de ta part… Je ne pensais pas que tu reviendrais… »

Simon était quelqu’un de bien, le genre de personne sur qui Ben pouvait compter, un bon compagnon de randonnée, un ami agréable avec lequel passer des soirées. Quand il avait rompu avec Liz – ou plutôt quand elle l’avait mis dehors – et qu’il était parti de Redwood Hills, Benedict était perdu, abandonné, déchiré avec un cœur en miettes et une montagne de problèmes devant lui. Emotionnellement, psychologiquement, ces trois années avaient été extrêmement difficiles à surmonter. C’était l’histoire du décès de sa mère qui s’étaient rejoué devant ses yeux d’adulte mais cette fois-ci ça avait été sa sœur la victime et il y avait son neveu et sa nièce en jeu. Benedict n’était plus lui le personnage principal de cette histoire, c’était eux. Il avait dû être fort pour eux et il l’avait été, Ben s’était découvert dans ce drame bien plus fort et solide qu’il ne le pensait. Il avait vécu depuis son adolescence dans la peur viscérale de tout perdre et c’était finalement arrivé, du jour au lendemain : sa petite-amie, son travail, ses amis… Mais loin lui faire perdre ses moyens, cette épreuve lui avait permis de trouver une force intérieure insoupçonnée dont il avait tout récemment pris conscience. Il se sentait plein de courage et de rage de vivre, mais aussi serein, pour lui, pour Alli mais aussi pour sa sœur et sa mère, qui auraient tellement aimé pouvoir continuer à vivre à travers lui. Certes, il devait tout recommencer, mais il refusait de repartir de zéro, c’est pour cela qu’il avait recontacté Simon.

D’ailleurs, le pompier était arrivé et Ben l’avait fait entrer avec plaisir. Ils se serrèrent la main et ce fut pour Ben comme s’il n’était jamais parti ou presque. Simon avait très peu changé en trois ans et il avait l'air plutôt en forme. « Ça fait une éternité tu peux le dire oui ! » acquiesça Ben. « Ah je me disais bien que tu étais venu une fois ! Je te remercie pour le compliment, comme tu le sais, j’ai bossé dessus pendant plusieurs années. » dit-il en répondant à la remarque de Simon sur la maison « C’est cet endroit qui m’a fait choisir Redwood Hills comme lieu d'habitation, sans cette maison, on ne connaitrait peut-être même pas ! ». C'était en effet via le club nature de Redwood que Simon et Ben s'étaient rencontrés au gré des permissions de Simon. Le hasard faisait parfois bien les choses. Redwood, c'était chez lui, c’était pour cela qu’après trois ans, la seule chose qu’il avait en tête était de retourner ici. Il ne s’était jamais senti chez lui à Portsmouth, pas depuis le décès de sa mère, ni à même Concord où il avait vécu avec ses tantes, ce n’était pas chez lui non plus, cela avait été un refuge, un endroit de guérison, non, il ne se voyait aller nulle part d’autre qu’ici, auprès des gens qu’il aimait, qu’il avait aimé et qui l’avaient aimé…

« Merci pour les bières, je les garde au frais et on prendra pour la deuxième tournée ! » dit-il dans un clin d’œil en récupérant les provisions de Simon. Le grand brun prit le temps de regarder les breuvages qu’avait apporté Simon avant de les mettre au réfrigérateur. « En tout cas, elles sont l’air très sympas ! » confirma-t-il en les rangeant dans le bac à légumes. Ben prépara les verres dans la cuisine puis vint s’assoir à proximité de Simon demandant à ce dernier comment il allait. Ils trinquèrent pendant que Simon lui répondait. La dernière phrase de son ami lui arracha un demi-sourire. « Oui, ça a été un peu la pagaille ces dernières années et j’aurais pu rester là-bas, à Portsmouth, mais c’est ici ma maison et je suis revenu dès que j'ai pu. Je sais plus si je t’avais dit mais j’ai dû partir en catastrophe pour gérer une crise familiale et disons que la crise a perduré bien plus longtemps que prévu… Le temps est passé à une vitesse… Enfin, je suis là, de retour et pour de bon. J'suis revenu depuis décembre dernier et je m'étais dit que ce serait sympa de prévenir les anciens potes, d'où mon message... » Ben choisissait ses mots mais ne semblait pas particulièrement en difficulté sur cet exercice, après avoir revus plusieurs amis ici à Redwood, il avait fini par peaufiner son texte. Néanmoins, il ne pouvait pas dire à Simon que son départ avait été causé par le décès en opération de son beau-frère qui était également pompier, ça aurait sans doute légèrement plombé l'ambiance. C’était un métier à risque, mais après les Marines, Simon avait certainement eu besoin d'une activité comme celle-ci… Il y avait des gens ainsi, courageux, et Ben respectait énormément Simon pour ce qu’il était. « Du coup, tu es toujours pompier actuellement ? Ça se passe bien ? Ça a du te changer ! J’imagine qu’en trois ans, il a du s’en passer des choses pour toi... Raconte-moi un peu ce que j'ai loupé ! » s'exclama-t-il joyeusement en sirotant son verre, curieux du retour à la vie civile de Simon.