Satya regarde son amoncellement de récipients vides. Ils sont tous propres et bien empilés sur la petite table de la cuisine. Il ne lui reste plus qu’à les remettre dans le cabas de Martha et aller les lui rendre. Cette femme est un ange. Depuis qu’il a emménagé dans le studio, Satya n’a jamais eu à cuisiner. Martha veille à ce qu’il ait toujours un bon repas prêt à déguster. Ce n’est pas lui qui s’en plaint. Bien au contraire. Il est comme un coq en pâte chez les Black. Certes, il a parfois un zeste de remords, mais ça lui passe vite.
Négligemment ouvert près des récipients, son petit carnet noir et lui, par contre, ne lui tire aucun sourire. Depuis qu’il est arrivé, il n’a quasiment rien noté. Les pages restent irrémédiablement vides. Cela le rend dingue. Il a l’impression de perdre son temps ou bien, de passer à côté de quelque chose. Il se dit qu’il n’a peut-être pas côtoyé les bonnes personnes ou bien que personne ne veut parler de peur des représailles. Il a même songé à postuler dans cette secte. Il ne sait pas encore comment, ni si c’est vraiment l’idée du siècle, mais il va bien falloir qu’il trouve une solution pour faire avancer ses recherches.
Perdu dans ses pensées, il range méthodiquement les boites en plastique dans le cabas, puis sans un regard pour son
accoutrement, il enfile simplement un bonnet rouge, assorti à ses lunettes fétiche et un long manteau marine sur son t-shirt en maille filet violet, puis il glisse les pieds dans des baskets noires, tout comme son jean.
L’association de couleurs est sobre pour une fois, mais coloré ou pas, Satya n’en a cure et il sait qu’ici, personne ne lui fera de remarque.
Bien emmitouflé, il traverse rapidement la cour et frappe quelques coups à la porte des Black avant d’entrer et de s’annoncer.
«
C’est moi, Satya. Je viens vous rendre vos récipients ! Martha ? »
Une voix de baryton tout droit sortie du salon lui répond :
«
Elle n’est pas là. Dépose tout ça à la cuisine. »
Satya s’exécute et passe discrètement la tête au salon. John lit le journal en fronçant les sourcils. Il hésite à venir lui poser des questions sur la secte. Martha lui a bien fait comprendre que son mari est réfractaire lorsqu’il s’agit de les évoquer. Il se dandine quelques instants avant de lancer un « À demain » et de quitter la maison.
Alors qu’il se presse de traverser la cour, les aboiements du carlin le stoppent net dans sa progression.
Que fait Pete à l’extérieur ? Cette pensée s’accompagne d’un froncement de sourcils. Satya hésite, puis il change de direction et se dirige vers les aboiements.
«
Pete !!! »
En quelques enjambées, il a rejoint la grange où le carlin semble déchaîné.
«
Qu’est-ce que tu fous là toi ? Tu t’es sauvé ? »
Du peu que Martha lui a raconté, il a compris que le carlin n’est pas un grand explorateur, ni un grand vagabond. Son surpoids ne l’aide guère à gambader. Ça, c’est lui qui l’a déduit tout seul.
Après s’être enquis du chien, il fixe l’échelle, pas vraiment étonné de voir ce genre de chose plantée dans une grange, puis, il lève tout de même le visage, cherchant si les aboiements n'étaient pas dû à une quelconque bestiole qui se baladerait sur les poutres et là, oh surprise, le fils Black.
«
Oh bon sang Peter ! »
Il a pâli tout en portant une main à son cœur avant de la mettre devant les yeux.
«
Je ne veux pas voir ça si tu tombes. »
Satya sait toujours placer le bon mot, au bon moment. Se doutant qu’il ne va pas pouvoir rester planter, les yeux bandés, il laisse retomber sa main et fixe le tatoueur.
«
Mais qu’est-ce que tu fais là-haut ? Tu veux que j’appelle John ? Je dois t’avouer que je ne suis pas vraiment rassuré. »
Tout cela à cause de Martha et de toutes les histoires qu’elle lui a raconté sur les catastrophes générées par son rejeton.
Soudain, il dit sur un ton extrêmement sérieux et un brin angoissé.
«
Dis-moi, tu n’es pas monté là-haut pour faire une bêtise hein ? Ta mère m’a dit que tu étais toujours célibataire et qu’elle avait même fait passer une petite annonce dans le journal local pour te trouver quelqu’un, mais, le célibat n’est pas une tare. Moi aussi, je suis seul et je ne fais pas de bêtise pour autant. La vie vaut le coup. Allez, descends de là, on va parler. »
Satya croise les bras sur sa poitrine et annonce fièrement et d’un ton résolu cette fois :
«
Si tu ne descends pas, je hurle et crois-moi, j’ai une sacrée voix et ton père va accourir et on te sauvera. »
Il espère que Peter va retrouver ses esprits et qu’il va descendre en se servant de l’échelle. Satya tente de calculer la hauteur, le poids de Peter et la vitesse à laquelle il va chuter et le poids qu’il lui faudra tenter de réceptionner dans ses bras. Avant de commencer le moindre calcul, une évidence s’impose. C’est impossible.
«
Allez, sois raisonnable. Descends. Tu me donnes le vertige à jouer les équilibristes. Attention, à trois, je vais hurler…. Un... »