Dahlia habitant le quartier, le trajet n’est qu’une formalité. Il n’est pas rare pour lui de se rendre chez elle. Hors tournage, ils passent une bonne part de leur temps commun sous le toit de la blonde. La maison de sa collègue est, pour ainsi dire, une sorte de QG. Non pas qu’Adam soit réticent à l’idée de recevoir Dahlia, mais… Si. Il vit dans un petit appartement, sans grande praticité. Argument qu’il invoque toujours pour écarter toute incursion de son acolyte dans sa garçonnière. Il s’agit de son espace. Un espace qu’Adam abhore partager avec elle. Aussi, ses visites pourraient se compter sur les doigts d’une main. Il est en retard… Un retard qu’il accuse fréquemment, ces derniers temps. Monsieur ponctualité apprend manifestement à se faire désirer. Une sale habitude qu’il serait le premier à récriminer. D’ordinaire… L’heure tourne. Adam reste prostré sur son canapé, regard rivé sur la fenêtre laissée entrouverte. Les jours s’allongent, lui décroît.  Envie de rien, sinon de tout envoyer promener. Rires aux éclats qui s’élèvent des terrasses. Les beaux jours sont là. Adam se plairait à leur envoyer un bon gros cumulonimbus dans la poire, histoire de pourrir leur joie. Mais non. Foutu beau temps qui persiste à le narguer. Il veut de la pluie et des orages, un ciel sombre, lesté de nuages menaçants. Il aurait au moins une excuse pour rester chez lui. Flemme de sortir, même pour Dahlia… La vidéo est parue sur la toile. Il l’a monté avec le peu de rushs dont il disposait. Il faut dire qu’il n’a pas beaucoup filmé, ce soir-là. Les vingt minutes sont pourtant là. Adam a respecté le format qui est le leur. Vingt minutes qui relatent leur quête au secret, abstraction faite de sa conclusion pour le moins désastreuse. Jamie Whelan, le maestro de la mascarade ! Ça vendrait pourtant du rêve ! C’est dire si les mots du corbeau se sont gravés dans son esprit… Des mots qui insistent, qui traquent, qui attaquent et persécutent. Des mots qui épuisent. Père insoupçonné.  La grosse blague…  

Un soir qu’il avait bu, Adam s’est fendu d’un message... Jamais envoyé. Le brouillon est resté dans sa boîte, squelette d’une nuit de déraison.



Jamie, le bienheureux promis… Les noces sont pour bientôt. Il a lu l’article du Redwood Echo. Hors de question de lui dire. Le maestro de la mascarade a d’autres chats à fouetter. Tout plutôt que de pourrir la joie d’un mec qui n’a rien demandé. Qui plus est, ce n’est jamais qu’un monceau de mensonges. Pas vrai ? Il espère juste que le corbeau respectera sa part du contrat. Puisqu’ils ont résolu son énigme, il devrait la mettre en veilleuse. Non ?

Le téléphone vibre. Probablement Dahlia qui rage de ne pas le voir arriver. Adam économise un regard. Relaxe… Il n’est qu’à quelques pâtés de maisons. En fond, joue un classique du genre dont il s’est depuis longtemps détaché. Respiration mécanique… Vador attire subitement son attention. Scène iconique impose le respect du regard. Bespin… Acculé, défait par le Seigneur Sith, Luke Skywalker cherche une vaine échappatoire. Poing brandi avec conviction, Vador assène cette réplique culte : « I’m your fa… »  Stop. Main sur la télécommande, Adam interrompt la lecture du film. Star Wars…  L’une de ces franchises de prédilection, omettant la postologie. Il en avait commencé le visionnage marathon. Le brun vient de décider qu’il n’irait pas jusqu'au bout. Rappel involontaire… Il n’a pas envie de ça. Luke restera donc à jamais suspendu dans le vide spatial de cette station des plus fictives, rejetant sa triste parenté.  

McAllister se redresse, attrape son pc et son trousseau de clefs. Vingt secondes plus tard, la porte d’entrée claque avec fracas. Il dévale les marches de l’escalier, puis gagne la rue. Ses boucles brunes lui retombent dans les yeux. Il aurait peut-être pu s’arranger, mais il est trop tard pour y songer. Le soleil est sur son déclin, offrant une palette aux jolis tons rosés. Adam observe les quelques nuages qui constellent le ciel, d’un air distrait. Les pas s’alignent machinalement. Ses jambes semblent dotées d’une volonté propre. Mouvement enclenché sur lequel son esprit n’a aucune prise. Il fonctionne sur pilote automatique. Les commerces du centre s’estompent, au profit d’un habitat densifié, vieilles bâtisses au bois patiné. Il aperçoit la maison de Dahlia, familière. Va-t-elle l’engueuler pour son retard ? Prompt regard jeté sur sa montre… Quarante-cinq minutes… C’est moins pire qu’une heure.  Il remonte son allée et toque à la porte. Soirée bilan… Pas la part du boulot qui le passionne le plus. Toutefois, il faut bien débriefer de temps en temps. La porte s’ouvre. La lumière l’éblouit quelque peu. Adam plisse les yeux. « J’ai été retenu par ma patronne. » Job alimentaire pour excuse. Adam, parangon de la franchise. Mentir, ça aussi, ça ne lui ressemble pas...

(c) mars.

L'énigme du corbeau fut plus complexe qu'Adam et Dahlia auraient pu le supposer. Après avoir compris que Jamie était le père d'Adam, Dahlia avait décidé de comprendre. Elle ne pouvait laisser Adam seul avec cette histoire. Qu'importe ce qu'il pouvait dire, Dahlia avait bien pu remarquer son expression sur son visage. Et elle le comprenait. Jamie le savait il?  Ou avait il essayé de dire à Adam qu'il était son père? N'en sait rien, la princesse. Mais elle connait assez Adam pour savoir qu'il ne souhaitera pas en parler réellement ou encore qu'elle vienne à lui apporter son aide. Alors Dahlia suppose qu'elle essaiera de comprendre de son côté. Il lui fallait des informations. Peut être que le corbeau avait dit cela pour déstabiliser Adam et Jamie. Son regard sur son téléphone et une tasse de café à ses côtés, Dahlia soupire en voyant l'heure. Adam doit passer pour qu'ils puissent faire un debrief sur l'énigme du corbeau. Mais Adam est différent. Comme si cela n'était pas assez compliqué, Dahlia a l'impression de voir le ravin sur lequel elle marche, s'effondrer lentement. Car son esprit se tourne souvent vers Adam, que le myocarde s'accélère encore plus mais que la princesse souhaite l'aider. Observe son ordinateur dans un soupire, baisse la tête et ferme les yeux. Comme pour se concentrer. Réfléchit quelques secondes, Dahlia. Puis décide que si Adam ne veut pas lui expliquer, ne veut pas lui en parler, alors elle trouvera ce dont elle a besoin de son côté. Elle ne le laissera pas. Ni lui, ni Jamie. Car si celui ci est réellement son père, alors Adam a besoin de lui. Elle l'entend alors à la porte et vient lui ouvrir. La silhouette d'Adam est devant elle et Dahlia comprend qu'elle est déjà agacée. Pas contre lui. Contre le corbeau. Parce que c'est bien plus compliqué désormais et qu'elle ne sait comment aider Adam. Ne le croit pas un instant lorsqu'il lui dit cela et le fixe. Si les yeux de Dahlia ont une délicate couleur émeraude à l'accoutumée, ces derniers sont plus froids et plus sombres. Car Adam n'est pas jute son caméraman et le sommeil n'a pas été très présent ces derniers jours. Et voilà que la princesse change. Les rôles s'inversent et la douceur est différente. Elle a changé Dahlia. Parce qu'Adam a changé. Elle s'avance, prend son menton entre ses doigts et son regard dans le sien. "Pas à moi, Adam." sa voix plus certaine, elle recule puis retourne dans le salon. Qu'importe si cela agace Adam. Celui ci connait la princesse assez bien pour savoir que son caractère est de feu lorsque cela est nécessaire.

Ayant toujours eu besoin d'espace, Dahlia a préféré une maison plutôt grande. Une décoration colorée mais délicate et où on se sent rapidement chez soi. "Sers toi si tu veux quelque chose." dit elle simplement en allant chercher la tasse de café encore présente dans son salon pour retourner dans la cuisine. Une fois la tasse pleine, Dahlia ajoute. "J'ai déjà commencé mais si tu n'as pas envie de le faire, je peux me débrouiller toute seule." pour ne pas voir la douleur dans tes iris. Pour t'apaiser dans cette tornade. Mais ça, elle ne peut lui dire la princesse. Ne peut lui dire que son myocarde se serre dès qu'elle repense à l'expression de son visage. Qu'elle est aussi perdue que lui dans ce labyrinthe d'émotions et qu'elle ne sait comment lui offrir ce dont il a besoin. Parce qu'Adam est devenu l'ancrage dont elle n'aurait jamais supposé nécessaire. Que si Adam tombe dans cette obscurité, que Dahlia se jettera à sa suite pour le faire remonter. "J'ai essayé de comprendre comment le corbeau fonctionnait. Je pense que cela doit être une personne qui a accès aux archives, à des données." dit elle en relevant la tête vers Adam. "Et il y a deux idées que je suppose. Soit l'énigme est pour te déstabiliser, ce qui serait logique. Mais avec les informations sur la Rose qu'on essaie d'obtenir, je pense que ce serait encore plus logique de vouloir te déstabiliser de cette façon afin qu'on vienne à ne pas s'intéresser à la Rose et plus au corbeau. Mais peut être que les deux sont la même chose." Dahlia soupire. Elle ne sait pas si la Rose est présente avec cette énigme du corbeau. Mais elle sait qu'avec celle ci, Adam semble assez déstabilisé. Et si Dahlia comprend la complexité, elle ne laissera pas Adam seul. Même si elle doit découvrir le néant et l'obscurité réelle. Car c'est Adam.

(c) mars.

Porte ouverte, Dahlia mène une offensive directe. Le geste le prend au dépourvu, Ashford envahissant son espace vital. Son menton se trouve captif, regard piégé dans le sien. Une vague d’irritation le submerge face au ton employé. Adam prend sur lui… Durant deux brèves secondes... « Tu as mon emploi du temps, peut-être ? » souffle-t-il, prêt à s’enfoncer dans ce grossier mensonge. Regard revolver, il raffermit sa prise sur son sac. Va-t-elle le laisser entrer ou compte-t-elle dormir sur le paillasson ? Son visage n’est pas désagréable à regarder, mais jouer les chiens faïences, très peu pour lui. Par chance, Ashford s’écarte du chemin, regagnant le cocon qui est le sien. Adam le reconnaît volontiers, son appartement n’est pas déplaisant. L’intérieur est à son image, chaleureux et coloré. Il la suit du regard, planté sur le perron. Un soupir s’échappe de ses lèvres, épaules affaissées. Le courage lui manque. Il aurait peut-être mieux fait de décommander. Instant de latence, puis il se décide à entrer. Le parquet grince sous la plante de ses pieds. Adam avance en direction du séjour, ignorant l’invitation de sa collègue. Ashford cherche certainement son confort, mais il n’est pas chez lui. Son ordinateur est rapidement ouvert, table basse transformée en plan de travail. Autant s’y mettre tout de suite.  Dahlia reparaît dans le salon, tasse en main. Une odeur de caféine s’épand dans l’air. « Tu comptes veiller ? » qu’il demande, songeant à l’heure tardive. Les dernières lueurs du couchant se profilent à l’horizon, le ciel embrassant des tons violacés. La soirée va être longue, si Dahlia carbure déjà au café… Sa prochaine remarque l’interpelle. Adam se sent piqué au vif. Pourquoi passerait-il son tour ? « Je suis venu pour bosser. » qu’il rétorque, regard rivé sur son écran. Adam voit clair dans son jeu. L’attention est louable, mais il n’a pas besoin d’être couvé. Son attitude à son égard a changé, depuis cette nuit de février. Dahlia tente de le ménager. Malgré lui, il a dû éveiller chez elle un sentiment d’inquiétude. Regard en coin. Il n’essaiera pas même de la détromper. Elle aurait tôt fait de contre-attaquer. Dahlia semble toujours devoir entrer en opposition, quoi qu’il puisse dire… Le secret du corbeau doit la soucier. Son secret ou son mensonge… Adam n’y prête aucune foi. Son parti, il l’a pris ce soir-là. Opinion qui n’a pas varié depuis lors. Jamie n’est pas son géniteur. Hérésie pure que de croire à de pareilles sornettes ! Année 98… Le quadra avait dans les 19 ans... C’était un gamin. Physiologiquement apte à concevoir, certes. Cependant, il n’a pas le profil du one night stand. Sans vouloir le vexer…  Influence des 40%, Adam le verrait plutôt conter fleurette au fin fond de sa forêt, jurant un amour fidèle et éternel à sa promise. Pas le genre de la daronne… Impossible… S’il remue toutes ces pensées, c’est pourtant qu’il y a songé. Au fond, peut-être qu'il ne le connaît pas si bien. Dahlia entame son exposé. Le brun s’installe sur le canapé, hissant son ordinateur sur ses genoux. Il penche la tête de côté. « Les secrets passent aussi par le bouche-à-oreille. Il y a toujours des langues pour se délier. » dit-il, scrutant son fond d’écran. « Délation, je veux dire. Des gens ont pu balancer des dossiers. » De l’art de nuire à son voisin… Dahlia poursuit son raisonnement, formulant quelques hypothèses. Il laisse planer un silence, avant de reprendre : « Je ne crois pas que ce soit pour me déstabiliser, moi. » Adam n’était qu’une composante de cette histoire fantaisiste, un nom jeté dans la mêlée. Jamie était le principal incriminé... Avec le recul, Adam regrette de s’être prêté à cette comédie. Malheureusement, il a été assez stupide pour s’embarquer dans les délires mégalos d’un obscur individu, participant à son petit jeu sordide. Il aurait mieux fait de passer son chemin. Qu’il le veuille ou non, cette histoire l’a bel et bien ébranlé. Ses doigts glissent sur le pavé numérique de son ordinateur, ouvrant le blog du corbeau. Adam en survole les posts, méditant le discours de sa collègue.  « Tout le monde est visé. » Chaque détenteur d’un secret se trouve potentiellement dans sa ligne de mire. « Tu as l’air de supposer un lien avec la Rose Lunaire ? » Sa dernière publication date de quelques semaines. Post au sein duquel le corbeau semble plutôt se dissocier de la secte, à tout le moins, en prend-t-il le contre-pied. Je ne suis pas un adepte de votre précieuse Rose, qui prospère dans l’ombre et se nourrit des mensonges que chacun cultive. « Il n’a pas franchement l’air de la porter dans son cœur. » observe-t-il, relisant sa plume. « En tout cas, il se présente comme son contraire. Pour le citer, il est là pour "porter la vérité". » Moue sarcastique. La vue de cette page lui devient insupportable. Mouvement du poignet et la fenêtre internet se referme. S’il était possible de procéder ainsi avec ses pensées, vider la corbeille d’un simple clic...  « Le plus simple serait peut-être de laisser ça de côté. » dit-il, reposant son ordinateur sur la table basse. Seconde d'hésitation. «  Quand on a sorti cette vidéo... Tu n'as pas eu l'impression qu'on faisait notre beurre en surfant sur un sujet qui, à tous égards, est plus que contestable ? »

(c) mars.

"J'ai besoin d'obtenir des informations sur cette énigme et ce corbeau alors je suppose que je ne dormirais pas beaucoup cette nuit." avait répondu Dahlia en haussant les épaules. Le sommeil n'est pas réellement présent ces derniers jours, probablement car la saison ne s'y prête pas. Ou probablement parce qu'elle sait qu'Adam doit se poser des questions sur Jamie. Peut être est elle stupide d'essayer de l'aider lui. Et Jamie. Mais elle peut bien voir dans le regard d'Adam que celui ci n'est pas aussi indifférent qu'il souhaite lui faire penser. "Je sais que tu es venu pour travailler. Mais je te le dis tout de même." avait elle ensuite ajouté, plus simplement. Une certaine douceur guerrière dans le creux de sa voix. Leurs différences font de leur art une symbiose parfaite mais c'est aussi une tempête constante. Dahlia peut comprendre qu'Adam ne souhaite pas discuter de Jamie. Surement car il ne veut pas penser que l'énigme du corbeau est réelle. Mais est ce utile? Assez pour qu'il soit déstabilisé, elle en est certaine. "Oui mais d'où viennent ils ces dossiers? Et de qui?" demande t-elle ensuite alors qu'elle continue à écrire sur le clavier de son ordinateur. L'organisation a toujours été une des choses que Dahlia apprécie. Cependant, une certaine brume est souvent présente dans son existence, sans qu'elle ne puisse comprendre. En entendant Adam, Dahlia ne peut que froncer les sourcils en relevant les yeux vers lui. Essaierait il de la convaincre qu'il n'est pas déstabilisé? Alors qu'elle avait été à ses côtés cette nuit là? "Tu penses?" demande t-elle alors. Question rhétorique. Le connait assez pour savoir qu'il va répondre que ce n'était pas le cas. Soupire. Dahlia prend une gorgée de son café. "Cette énigme avait pour but de s'intéresser à toi et à Jamie. C'est simple. Tu ne l'as pas remarqué? Il y a toujours une résonance." ajoute t-elle en reposant sa tasse sur la table. Les énigmes du corbeau sont complexes mais la réponse est simple.

Le lien avec la Rose lunaire serait aussi logique. Une sorte de jeu afin de faire penser que le corbeau n'est pas des leurs. Mais pourquoi? Et si c'était le cas, que souhaitait faire le corbeau? Discuter des habitants comme il le faisait avec Adam? Avec Jamie? Il y avait quelque chose à gagner. "Ce n'est pas parce qu'il nous fait penser qu'il n'apprécie pas la Rose lunaire que ce n'est pas l'un des leurs. Et si ce n'est pas le cas, il doit vouloir quelque chose." Dahlia soupire, ils n'ont pas encore assez d'informations pour comprendre. Mais la princesse sait déjà que sa prochaine aventure sera sans Adam. Pas qu'elle ne le veut pas à ses côtés mais c'est pour lui qu'elle doit trouver par elle même. Et alors que le silence s'installe, Dahlia finit par relever la tête vers Adam. Elle l'observe quelques secondes. Ne dit rien. "Si tu penses que je vais laisser ce corbeau de côté, ce ne sera pas le cas. Mais libre à toi de ne pas t'y intéresser. Je m'en occuperais." simple réponse. Peut être qu'Adam a raison. Peut être que la Rose est suffisante. Mais Dahlia ne comprend pas. Ne comprend pas cette sensation dans le creux de son myocarde quand elle repense au regard, à la voix d'Adam en lisant cette énigme. A la façon dont tout son monde aura été plus coloré, plus doux, à la simple présence d'Adam. C'est stupide. Elle le sait. Mais quand elle repense à leur précédente aventure, Dahlia peut encore sentir le parfum du caméraman près d'elle. C'est stupide. "Et si tu voulais que je m'occupe de la Rose et de la chaine pour quelques temps, je peux m'en occuper aussi." assure t-elle en fixant un point dans le salon, comme si elle réfléchissait. Il fallait qu'elle trouve des informations. Elle ne pouvait pas demander Jamie. C'était à Adam de lui dire. Mais ne serait ce pas plus simple? Soupire. Dahlia finit par tourner la tête vers Adam tout en haussant les épaules. L'atmosphère change. Comme une certaine froideur mais plus délicate. Le regard de Dahlia vient se poser ailleurs, comme pour ne pas apprécier celui d'Adam. Tu es terrifiée. Parce que c'est plus simple de se distancer. Parce que c'est ce qu'elle a toujours fait, Dahlia. Vient à prendre ses distances lorsque la sensation du myocarde est trop complexe à comprendre. N'est pas des plus intéressants d'habitude mais avec Adam, c'est différent. Parce qu'il y a cette crainte de le voir s'en aller. Solitude. Alors n'est ce pas plus simple de se distancer en premier pour ne pas obtenir la douleur qui était d'accoutumée?

(c) mars.

Adam lui jette un prompt regard, se gardant de tout commentaire. Il n’en pense pas moins.  Sa nuit sera courte et sans repos, car il ne voit guère ce qu’elle pourrait trouver en l’état. Ce n’est certainement pas dans son salon que se trouvent les réponses convoitées. Non. Dahlia se donne simplement l’illusion d’être utile. Il se prête au jeu pour la forme, parce qu’il s’agit de son boulot. Son insistance le courrouce. Adam prend sur lui, rivant son regard sur son écran. Pourquoi tient-elle à ce point à le voir quitter la partie ? Elle songe peut-être qu’elle s’en sortirait mieux, s’il n’était pas dans ses pattes. Les non-dits l’irritent davantage. Adam n’a jamais aimé les silences. Dahlia muselle ses intentions et il s’en agace. Ne peut-elle clairement exprimer le fond de sa pensée ? Ils perdraient bien moins de temps.  Il réajuste sa position sur le canapé, déplaçant un coussin d’apparat excessivement rêche. Par dossier, Adam entendait des histoires gênantes, compromettantes. « C’est simple. Un secret peut se savoir par l’entourage, des connaissances plus ou moins proches et j’en passe…  Les gens parlent entre eux. » Plane une atmosphère proprement désagréable. Quelque chose couve. L’air s’alourdit, chaque inspiration devenant plus âpre. Adam remue avec inconfort. L’analyse de Dahlia tombe, respirant une certaine suffisance. Elle ne lui apprend rien qu’il ne sache déjà. « J’ai résolu cette énigme. Bien sûr que je l’ai remarqué. » s’agace-t-il. « C’est toi qui ne veux pas comprendre. À  ton avis, pourquoi était-elle cachée dans la mairie ? Parce que Jamie Whelan est le futur conjoint de Grace Fordham. Ceux que cette histoire pourrait vraiment emmerder, c’est eux ! Pas moi. » Regard dur. « Oui, je suis indirectement concerné, mais ça s’arrête là. » Brève expiration. La tension s’accumule dans ses muscles. Tête bourdonnante, Adam ravale son irritation.

« À ce stade, toute hypothèse est envisageable. » tranche-t-il. Le corbeau pourrait appartenir à la Rose Lunaire comme ne pas en être. Cette conversation ne mène à rien, parfaitement stérile. Toutefois, elle ravive les dissensions qui suintent depuis quelques mois. Des désaccords qui les ont déjà conduits à se quereller. Sa prochaine réplique provoque chez lui un rire nerveux. Voilà… Ashford tombe enfin le masque. Ses intentions se font jour. Adam l’écoute en silence, poing serré contre sa bouche. La demoiselle lui propose tout d’abord de se charger du corbeau. Comme c’est aimable de sa part… Les grâces se poursuivent, car voici qu’elle offre également de s’occuper de la Rose Lunaire, mais pas seulement ! La chaîne tout entière ! Adam la dévisage, estomaqué, tandis que Dahlia le pousse gentiment vers la sortie. Il déglutit, muet. Silence accablant qui ne ménage rien ni personne. Avec tout cela, Dahlia ne trouve pas même le courage d’affronter son regard. Pis encore, Madame se cache sous l’apparence de la bienveillance. De longues secondes s’égrènent. Assommé, stupéfait, Adam cherche un fil conducteur, échappant un souffle tenu captif. « Wow. » dit-il, empreint d’ironie. D’un bond, l’échalas se relève, rassemblant ses affaires à la hâte. « Si tu voulais me sortir, tu n’avais pas besoin de jouer cette petite scène. Il suffisait de le dire. » L’amertume claque dans chaque mot. Adam plie bagage. La fermeture éclair résonne à ses tympans.  « Je vais te simplifier la tâche, je rends mon tablier. La chaîne est toute à toi. » Ses paroles sonnent avec une étrange distance, comme si elles étaient prononcées par un étranger, un tiers.  Adam ne ressent rien, soudain hermétique. Il est de l’autre côté du choc. Le parfum de la fuite s’engage. Il s’arrête devant elle, prêt à asséner le dernier coup. « En tout cas, il y a bien une personne que cette énigme ne concerne pas. Et c’est toi. »

(c) mars.

Adam ne semble pas voir la difficulté du myocarde de la princesse. Une neige froide venant s'installer alors qu'elle l'observe, qu'elle remarque qu'elle l'agace. L'a t-elle toujours agacé? Ou bien était ce simplement l'énigme du corbeau? Ne sait pas. Reste silencieuse. Et alors qu'elle essaie de lui faire comprendre qu'il pouvait se reposer le temps que cette énigme soit moins compliquée, Adam comprend l'inverse. Incompréhension. Celle ci vient briser ce qu'il reste de ce calme qui n'a jamais été présent et qui brise probablement le coeur de Dahlia plus qu'elle ne l'aurait supposé. C'est en entendant son ironie que Dahlia tourne la tête vers lui. Car elle ne comprend pas mais en voyant son regard puis en entendant ses mots, la princesse vient à froncer les sourcils. "Adam, ce n'est pas-.." mais évidemment, Adam se lève. Est aussi froid qu'il pouvait l'être. Et en quelques secondes, Dahlia se demande si elle est désormais une de ces personnes qu'Adam n'apprécie pas. Mais le coeur se brise encore plus en l'entendant dire qu'il s'en va. Dahlia le fixe, les mains légèrement tremblantes. Solitude. Solitude. Dahlia ne s'intéresse pas à la chaine. Pas si Adam n'est pas à ses côtés. Si dans son monde, l'humour et la présence d'Adam ne sont pas là, Dahlia sent l'univers s'effondrer. C'est stupide. Et peut être que c'est pour cela que la colère prend le dessus. Prend le dessus sur cette peur. Sur cette solitude à laquelle elle aura toujours fait face. Parce qu'elle a toujours été différente. Et qu'Adam, en plus d'être un ami, a été une des personnes qui avait été présente. Et c'est probablement pour cela que Dahlia ne comprend pas cette colère. Pourquoi aurait elle besoin de lui? Lui, n'en n'a que faire d'elle. Bien qu'il dit que ce n'est pas le cas. "Ça suffit ! Est ce que tu t'entends au moins?" lance t-elle froidement. "Ne me prête pas des mots que je ne pense pas et que je ne penserais jamais, Adam !" elle n'avait jamais souhaité s'occuper de la chaine seule. "Si tu étais capable, ne serait ce qu'un instant de voir plus loin que ton nez, tu aurais compris que je disais ça pour ne pas te mettre la pression. Car je sais que tu es perfectionniste comme moi. Je n'ai jamais voulu m'occuper de la chaine seule, bien au contraire." et voilà que la princesse sent les murmures au creux de son oreille. Pourquoi devrait elle laisser Adam se mettre en colère et pas elle? Les deux caractères s'entrechoquent, comme bien souvent mais en cette soirée, quelque chose de plus complexe vient s'y glisser. "J'ai vu ta réaction en lisant l'énigme et tu as beau me dire que tu n'es pas déstabiliser ou qu'importe, je suis certaine que c'est faux. Mais si tu le dis, soit." ajoute t-elle, se penchant pour fermer son ordinateur ainsi que ses notes. Elle vient alors les plaquer fortement contre le torse d'Adam, son regard dans le sien. "Tu veux la chaine? Prends là. Je m'en fiche. Elle n'a jamais eu d'importance. Elle n'a jamais eu d'importance avant que tu ne viennes te joindre à moi. Et elle n'en n'aura aucune à mes yeux si tu n'es pas là." appuyant sa main contre l'ordinateur, le regard de Dahlia s'assombrit. De colère. De tristesse. "Si je devais choisir entre toi et la chaine, c'est toi que je choisirais. Parce que c'est ce que j'ai toujours fait. Et que je ferais toujours, qu'importe si tu me crois ou pas."

Comment pourrait elle lui expliquer la raison? Comment pourrait elle lui dire à quel point son importance dans sa vie était nécessaire? C'est stupide. Mais Dahlia suppose que si c'est la dernière fois qu'elle peut voir Adam avant que celui ci ne se désintéresse de leur art, alors soit. "Tu n'as aucune idée de ce que je peux ressentir. Notamment car je ne souhaite pas le partager car je sais que tu ne t'y intéresses pas de la même façon que moi, Adam. Et ça ne me dérange pas. Je t'apprécie pour qui tu es. Et je ne te remercierais jamais assez pour ce que tu as fait pour moi. Par la façon dont tu m'as aidé. Et je t'en serais éternellement reconnaissante." car Dahlia sait bien qu'Adam ne discute pas de son myocarde comme elle vient à le faire. Mais ce n'est pas pour cela qu'elle ne l'apprécie pas. "Mais j'en ai assez de te voir souffrir ! J'en ai assez de ne pas savoir comment t'aider, ni quoi dire. Parce que c'est d'autant plus égoïste d'être présent pour moi sans que je ne puisse l'être pour toi. As tu au moins la moindre idée de comment je peux me sentir?" demandait-elle, la voix légèrement tremblante. Ses prunelles se remplissant d'eau salée qui embrumait sa vision. Mais qu'importe. Adam n'en n'a rien à faire n'est ce pas? C'est stupide. "Si je t'ai dit que j'allais m'occuper de la chaine, c'était pour que tu puisses te reposer. Rien de plus. Et savoir que tu as pensé que je t'en écartais.." Dahlia rit ironiquement, secouant la tête. La silhouette d'Adam floue alors qu'une perle salée vint s'échouer sur sa pommette. Dahlia l'efface avec colère. "J'ai cru, l'espace d'un instant, que tu me connaissais mieux que ça. Que tu me connaissais assez pour.." mais la princesse est toujours dans sa tour. Sans personne. La douleur est présente et brise ce coeur déjà en morceaux. "Jamais je ne t'aurais fait ça ! Plutôt ne rien avoir que te trahir de la sorte !" ajoute t-elle alors fermement en haussant la voix. Les émotions sont complexes pour la princesse mais elle sait que jamais elle n'aurait voulu écarter Adam. Pas alors qu'il était devenu cet ancrage qui venait simplement de disparaitre. La nuit était remplie de pleurs et de solitude. D'inquiétude. Dont Adam illuminait, apaisant les vents. "Si tu veux tout savoir, Adam, c'est que je m'inquiète pour toi comme je ne me suis jamais inquiétée pour personne. Et que je t'affectionne réellement. Alors oui, peut être que cette énigme ne me regarde pas. Mais au fond, qu'est ce qui me regarde dans ta vie si tu ne me laisses pas vraiment entrer?" demandait Dahlia plus délicatement, toujours ce léger tremblement dans cette voix. "Fais ce que tu veux avec la chaine. Avec tout le reste, d'ailleurs. Si tu n'es plus là, je n'ai aucune raison de la continuer." si tu n'es plus là, à quoi bon continuer? "Je suis désolée si j'ai pu être trop présente." Dahlia hoche la tête, laissant son ordinateur et ses notes dans les mains d'Adam avant de le regarder fixement. Comme pour lui dire qu'elle était là. Qu'elle osait le regarder dans les yeux. "Si tu veux rester, tu es le bienvenu. Nous n'avons pas besoin de parler de l'énigme, de tout le reste et simplement passer une bonne soirée. Mais si tu veux t'en aller, je peux très bien le comprendre." souffle t-elle. L'ombre d'une autre perle salée le long de sa joue, qu'elle efface à nouveau avant de passer à ses côtés pour aller dans la cuisine. Comme si l'air lui manquait. Ce même air qui se glisse à l'intérieur du salon depuis la baie vitrée pour faire virevolter toutes les notes que Dahlia a pu écrire. Son carnet s'ouvre sous le ventre, faisant bouger les pages jusqu'au portrait d'Adam qu'elle avait eu l'occasion de dessiner lors d'une soirée. Au bas, l'écriture du prénom d'Adam et une simple note. Thank you for everything.

(c) mars.

Son petit jeu l’agace, insistance portée sur le recul qu’il devrait prendre vis-à-vis de la chaîne. Dahlia y revient, encore et encore… Adam n’est pas connu pour sa patience et s’irrite de l’entendre radoter sur le sujet. Des mois entiers se sont écoulés depuis cette soirée. Ne peuvent-ils enfin tourner la page ? Faut-il perpétuellement qu’elle l’y ramène par ses sous-entendus ou actions ? Manifestement... Dahlia semble déterminée à s’ancrer dans un passé qu’il souhaite remiser. Adam est un fil sous tension, proche de céder. L’ultime charge de son acolyte le porte à la lie. Il ne peut en entendre davantage. McAllister ramasse ses effets personnels, tête en ébullition. Il voit rouge. Froideur peu commune émanant de Dahlia, adjoint à ce regard fuyant, qui est pour lui la marque des lâches. Dans cette insistance, le vingtenaire discerne soudain toute la bassesse de sa collègue, bien décidée à l’écarter de son chemin. Sinon, comment interpréter pareille obstination ? Cette façon détournée de suggérer qu’il pourrait même le souhaiter l’insupporte plus encore.  Sitôt, Dahlia tente de s’en défendre, mais il poursuit sans lui laisser le temps de plaider, signifiant son départ en des termes clairs et directs. Depuis toujours, Adam marche au réflexe, à la lame du ressort. Une impulsion le traverse, il suit le mouvement. Tout son corps lui dicte de foutre le camp, alors il plie bagage. Il le regrettera peut-être plus tard, comme bien souvent. Lorsque la nuit tombe et que toutes les voix se taisent. Seul, face à lui-même, il repensera à son comportement, en relèvera toute la vilenie. Présentement, le bouclé est bien loin de s’en soucier. Il manie les mots comme une arme à destination, volontairement cassant. Sursaut inattendu, Dahlia cherche à se défendre. Ton colérique qui exacerbe son propre agacement. À sa décharge future, c’est elle qui hausse la voix. Un sourire sardonique gagne ses lèvres. Adam rit jaune. Plus loin que le bout de son nez… Mais oui, c’est encore de sa faute. Dahlia tacle souvent son arrogance. Comme s’il s’agissait de cela... Mademoiselle se dépeint telle une mère Teresa ayant pour seul but de veiller à ses intérêts. Commodément pour elle, lesdits intérêts impliqueraient qu’il se retire pour un temps de la chaîne.  À d’autres ! Dahlia invoque sa réaction lors de la lecture du secret, pour servir sa cause. Adam se tend un peu plus. Une vague de colère monte en lui, écrasant tout autre sentiment. « J’aimerais que tu arrêtes de vouloir t’immiscer dans ma tête et de prétendre pouvoir dire ce qu’il s’y passe. » crache-t-il. Ce n’est pas la première fois qu’elle affirme lire en lui, preuve de sa suffisance, non de la sienne. Elle n’a aucune idée de ce qu’il peut éprouver. Plus encore, elle n’a pas à le savoir.

Son prochain mouvement, il est vrai, le prend totalement au dépourvu. Adam se retrouve chargée d’une liasse de papiers et d’un ordinateur, Dahlia se délestant métaphoriquement de sa chaîne. Le regard de son vis-à-vis s’obscurcit, tuant toute riposte dans l’œuf. Les sentiments de Dahlia s’expriment à marée haute et Adam s’accroche au récif, tant bien que mal. Des vagues salées s’abattent sur lui, alors que se déversent dans un même temps quelques larmes sur les joues de la jeune femme. Il ne comprend pas. C’est trop pour lui. Le sentiment le prend à la gorge. Le besoin de fuir se fait véhément. Il ne maîtrise plus rien, constat qui intensifie son profond mal de mer. Il n’est pas capable d’entendre, pas comme elle le souhaiterait. Les sentiments forts l’ont toujours effrayé. On ne lui a pas appris à canaliser la charge de ses émotions, et Dahlia le noie, lame après lame. Il repense au ciel bleu, aux éclats des terrasses extérieures. Le beau temps, le printemps. Pourquoi tant de réjouissance pour si peu ? Lui, il n’a jamais aimé le bleu. Symbole de tristesse, ce n’est pas pour rien qu’on le classe parmi les couleurs froides. Non. Ce n’est pas beau le bleu…. Dahlia en éclabousse les murs et le sol. Elle en repeint chaque surface. Il se sent soudain petit, si pathétiquement petit. De cette époque où il n’avait pas assez de vocabulaire pour comprendre les longs discours des adultes, dont il perdait le fil. Quand leurs phrases lui semblaient des clôtures infranchissables, contre lesquelles il se heurtait. Ce soir, Adam se cogne de plus belle. La jeune femme quitte la pièce. Il perçoit vaguement son départ, absent à lui-même. Sa prise se desserre sur les affaires de Dahlia. Il les sent glisser contre lui, s’en saisissant in extremis. Adam respire lourdement, par à-coups fébriles. Esprit cotonneux, comme s’il venait de se réveiller d’une sieste trop longue, par un dimanche après-midi.  Il reprend conscience de son environnement, le corps dans la ouate. Le ciel s’est assombri, tirant vers le bleu nuit. La brise nocturne vient lui frapper le visage. Il se rassemble dans un mouvement et se met en marche. Les lames du parquet trahissent probablement son approche. Il rejoint le carrelage froid de la cuisine, trouvant appui sur le plan de travail. «Je suis navré. » Adam déglutit, mordant sa lèvre inférieure. « Ce n’est pas vrai que cette chaîne ne compte pas pour toi. Et tu ne devrais jamais dire le contraire. » dit-il, la voix parfaitement claire. « Quand je t’ai rencontrée, tu te démenais pour la faire vivre. On ne se bat pas autant pour une chose à laquelle on ne tient pas. » D’un mouvement du bras, il fait glisser l’ordinateur sur le marbre, le poussant dans sa direction. « C’est une partie de toi et en aucun cas tu ne devrais y renoncer si facilement. Encore moins pour quelqu’un d’autre. » On ne devrait jamais tout sacrifier à quelqu’un. Il le pense sincèrement. « Joli coup de crayon. » commente-t-il encore, déposant le carnet à croquis sur l'ordinateur. Un talent qu'il ne lui connaissait pas. Comme quoi...

Le silence prend ses aises. « Ma décision est prise. Je ne compte pas lui dire. » Nul besoin de préciser sa pensée, elle saurait parfaitement de qui il parle. « Peut-être qu’il voudrait le savoir ou peut-être pas. Le problème, c’est qu’on ne peut pas le dire avant d’être mis au parfum. Et une fois qu’on sait, c’est trop tard. On ne peut plus oublier. » Ça reste gravé. « On se connaît à peine, lui et moi. Il a une femme, des enfants. Je n’ai pas envie de venir mettre le bazar. C’est un chic type. Il a le droit à la paix. » Son regard soutient le sien, solide. « De toute façon, il ne voudrait peut-être pas que je fasse partie de sa vie. Et moi… Je ne sais pas je si voudrais qu’il soit de la mienne. Ça fait 25 ans, il y a prescription. Qui plus est, il n’y a plus rien à rattraper. » Ils sont deux hommes adultes. Il n’y a plus de main à tenir, plus de monstre à chasser, plus de plaie à panser, plus de bêtise à tancer ou de larmes à sécher. Ce soir, il admet cette hypothèse comme plausible. Il pourrait y avoir du vrai dans les allégations du corbeau. Il pourrait aussi s’agir d’un mensonge. Au-delà, Adam l’investit d’une petite part de son intériorité. Sans doute pour la première fois. Il ne lui demandera pas de garder le silence, la requête est implicite. Dahlia l’aura sûrement compris. « Tu avais peut-être raison. Toi et moi, je crois qu’on devrait faire une pause… Je ne dis pas que je démissionne, mais je pense que ça ferait du bien à chacun. » Aujourd’hui, Dahlia a montré une vulnérabilité insoupçonnée, prête à tout céder… Ce n’est pas ce qu’il veut, ce qu'il demande. Face à un tel oubli de soi, Adam perçoit la nécessité pour chacun de se retrouver, indépendamment de l'autre.

(c) mars.

Les syllabes venant différencier la situation, venant s'ajouter à une colère déjà présente entre les deux protagonistes auront à la fois permis un tremblement et probablement un changement. Un changement dans cette mer déchainée qui, même si les vagues sont loin d'être apaisées, viennent à se délecter d'un calme qui déteint sur l'atmosphère environnante. Dahlia n'est pas douée pour les émotions, autant qu'Adam. Elle a toujours préféré ne pas effleurer la sensation d'un myocarde passionné. Car c'est plus simple de ne pas s'attacher, de ne pas rencontrer cette émotion qui diffère des autres. Celle qui revient sans qu'on puisse s'en rendre compte, qui revient lorsque les iris se croisent et que les rires se mélangent. C'est stupide et elle le sait. Mais elle se demande à quel moment le sourire d'Adam a pu illuminer ses journées. A pu la faire rire et la rendre plus créative. La chaine avait son importance dès sa création, mais elle est devenue beaucoup plus aux côtés d'Adam. Et en ne sachant pas comment rencontrer ces émotions, comment réussir à aider Adam? Fait de son mieux, Dahlia. Même si c'est loin d'être efficace. Reprend son souffle en fermant les yeux. Elle suppose qu'elle pourra entendre la porte claquer d'ici quelques secondes. Peut le comprendre. Adam doit être agacé. Pourquoi resterait il? Elle peut cependant entendre des pas arriver dans la cuisine et alors qu'elle rouvre ses yeux, elle peut remarquer la présence d'Adam. Surprise. Elle l'écoute, observe l'ordinateur qu'il pose sur le marbre. Ne pas tout sacrifier pour quelqu'un. Mais n'est ce pas ce que tout le monde vient à faire pour les personne qu'on aime? Le myocarde s'accélère un instant. Dahlia n'aurait pas supposé qu'Adam viendrait à changer son existence. Il n'était qu'un ami. C'était ce qu'elle avait pensé mais au fil du temps, Dahlia peut bien comprendre que cette amitié est plus tendre qu'elle ne l'aurait imaginé. "Je suis désolée, aussi." réplique t-elle d'abord, plus calmement. "Je pensais t'aider mais tu avais surement raison. En fait, je pense que je ne suis pas très douée." observe son ordinateur un instant dans un soupire. Peut être qu'elle voulait s'aider elle même en essayant d'aider Adam. Comme si cela allait lui faire l'apprécier davantage. "Je sais. Cette chaine était importante pour moi au début. Elle l'est toujours. Mais elle ne sera jamais aussi importante si tu n'es plus là, avec moi. On est une équipe, maintenant. Et cette chaine, c'est autant la tienne." assure Dahlia en relevant son délicat regard vers lui. La création de cette chaine avait été importante pour la princesse, elle avait travaillé pour mais maintenant, avec Adam, cette chaine prenait tout le sens qu'elle n'avait pas lorsque Dahlia était seule. Les mots sont compliqués à faire comprendre mais elle espère tout de même qu'Adam peut lire dans sa voix. Comme il le fait bien souvent.

Elle l'écoute alors lui parler de l'énigme. Elle comprend sa décision. Elle comprend qu'il ne souhaite pas s'imposer dans la vie de Jamie. Mais elle ne peut que se demander si Adam n'aurait pas souhaité apprécier la présence de ce supposé père qu'il n'aura jamais connu depuis des années. Dahlia hoche la tête tout en observant les traits de son visage. Est ce que Jamie aurait souhaité le savoir? Adam a raison. Ils ne savent pas. Et s'il vient à lui dire, Jamie ne pourra pas être indifférent. "Je comprends. Et tu as probablement raison. Ce que je voulais juste essayer de te faire comprendre, c'était que.. Enfin, je ne sais pas trop pour être honnête." dit elle en faisant une moue. "Je voulais t'aider car savoir que Jamie est peut être ton père, ou peut être pas.. Et bien, je pensais que toi aussi tu pouvais être heureux dans ta vie. D'une certaine façon. Même si cela fait longtemps. Mais je suppose que je n'ai pas été très douée à ça non plus." râle Dahlia en soupirant. Si Adam ne souhaite pas en parler à Jamie alors Dahlia ne dira rien non plus. Il sait qu'il peut lui faire confiance. "Je suis désolée si je t'ai blessé ou agacé d'une quelconque manière, ce n'était pas mon but." ajoute t-elle sincèrement. Car malgré son tempérament, Dahlia a toujours voulu pouvoir aider ses amis. Et surtout ceux qu'elle portait dans son coeur. Surtout ceux qui étaient venus à se faire une place de choix. Entendant Adam lui proposer de faire une pause, le myocarde se resserre. Cette peur de perdre cet univers dans lequel tout est différent, de perdre Adam, revient. Elle a toujours été là. Présente dans le creux de ce myocarde qui, elle le sait, est délicat aux sourires qu'Adam peut lui offrir. Si Dahlia avait souhaité ne pas comprendre ces émotions, elle sait que ceux ci sont bien présents. Mais Adam a assez de choses à faire et si Dahlia doit laisser la mer prendre ces sentiments afin de rester à ses côtés, qu'elle le fasse. "Oui, je pense que c'est une bonne idée.." souffle t-elle en baissant légèrement les yeux, un fin sourire aux lèvres. Comme si elle se moquait d'elle même. Elle a l'impression qu'Adam ne reviendra pas. Parce que qui voudrait d'elle? De ses rêves et de son ambition? De ce tempérament compliqué et cette envie de liberté? Le myocarde tremble. Dahlia ferme un instant les yeux, comme pour se raisonner. Comme pour ne pas laisser ces échos lui souffler qu'Adam ne viendrait plus la voir. C'est stupide. Elle rouvre ses yeux, moins scintillants et plus tristes. "Je.. Je ne voudrais personne d'autre en tant que caméraman, tu sais? Parce que je trouve que je travaille le mieux avec toi. Enfin, pas seulement travailler. Je me sens bien avec toi." Dahlia cligne des yeux, de légères rougeurs se portant à ses pommettes tandis qu'elle passe une main dans ses cheveux. Tout se mélange. "Enfin, ce que je veux dire c'est que.. Tu es très doué et que.. Que je travaille très bien avec toi. Qu'on travaille très bien ensemble et que je suis contente de t'avoir à mes côtés." ajoute t-elle en souriant un peu plus. Parce qu'elle est sincère Dahlia. Que même si elle n'est pas douée dans cette vague d'émotions, qu'elle n'en comprend pas la moitié, elle peut voir la lumière qui émane de son coeur lorsqu'elle est aux côtés d'Adam. "Je suis encore désolée, Adam." dit elle ensuite en avançant légèrement, comme si elle allait le prendre dans ses bras. Mais Dahlia stoppe ses pas puis hausse les épaules en riant délicatement. "Désolée, je sais que tu n'apprécies pas trop les étreintes." mais Dahlia sait qu'elle ira chercher des informations de son côté. Pour Adam.

(c) mars.

La tentation s’invite à ses dépens, emprunter la porte, partir comme un voleur. N’est-ce pas ce qu’il a toujours fait ? Prendre la clé des champs, se dérober aux confrontations inconfortables ? Instinct de survie ou lâcheté ? À chacun d’en juger… Adam est le coup de vent, la porte qui claque, le passant éternel.  Celui qui jamais ne s’attarde, ombre fugitive aux carreaux de la fenêtre. Il n’existe pour personne, sinon pour lui-même. Jadis, l’enfant croyait en sa seule essence. Il pensait que le gens cessaient d’exister, dès lors qu’il quittaient son champ de vision. Ils n’avaient pas de vie au-delà de la sienne. Ils jouaient leur rôle quotidien, puis disparaissaient, on ne sait où, jusqu’à ce que le petit Adam reparaisse. C’est absurde, toutes ces idées farfelues qui germent dans la tête des plus jeunes. Il se le dit souvent. À l’instar de ces gosses qui s’imaginent que leurs parents ont toujours été grands et rabat-joie. Un jour, il a bien fini par découvrir qu’il n’était pas seul, que chaque être menait sa propre existence, indépendamment des autres. Métro, boulot, dodo. Le passant ne disparaît pas, il poursuit seulement son chemin vers un ailleurs que l’on ne soupçonne pas. Le rôle de figurant lui convenait assez. Alors il s’y est cramponné. Il a travaillé son jeu, jusqu’à camper le personnage à la perfection. Passer dans la vie des gens, avant de filer comme un voleur… Ce soir, Adam tient son issue. Ici et maintenant… Il pourrait presser cette poignée et gagner le grand air… Il signerait alors sa énième sortie de scène. La porte claquerait avec fracas. Il disparaîtrait dans la nuit noire. Croisée des chemins… Il détaille l’encadrement, puis bifurque sur la droite. La porte ne claque pas. Adam choisit le seuil de la cuisine. L’ordinateur est restitué à sa propriétaire légitime, symbole de cette chaîne querellée. Créateur de contenu… De prime abord, le milieu ne l’intéressait pas. Le YouTube Game, les influenceurs, ça lui donnait gentiment envie de vomir. Adam aurait levé les yeux au ciel, si on lui avait proposé de s’y joindre. Pour lui, il n’y avait que le cinéma. Ça ne l’empêchait pas de consommer ce même contenu. On crache dans la soupe, mais on vient se resservir. C’était divertissant, ça se laissait regarder. Il comptait quelques abonnements pour passer le temps, sur les longs trajets. Dans ces abonnements, il y avait la chaîne de Dahlia. Face à lui, la jeune femme s’excuse à son tour, déjà prête à se fustiger. Les mots sont dénigrants. Dahlia a peu de clémence pour elle-même. On le remarque assez tôt, par petites touches. Sa façon de céder quelques traits de dérision qui ne visent jamais qu’elle, sourires pincés, blâme continuellement endossé. Plus le temps passe, plus son manque de confiance se fait jour. Par moments, il s'interroge sur la source de son autodénigrement. D’où lui vient cette cruauté de soi ? « Pourquoi tu te dénigres tout le temps, comme ça ? » demande-t-il, captant son regard.  « Tu es toujours dur envers toi. » Il se souvient encore de son appel à candidature, glissée dans l’intro de l’une de ses vidéos. L’intonation était parfaitement maîtrisée, peut-être trop. De l’autre côté de l’écran, Adam avait perçu le désenchantement, la lassitude. À force de voir le monde par l’œilleton d’une caméra, à écouter les regards et les gestes, on finit par remarquer des choses qui échappent au commun des mortels.  Pour lui, sans l'ombre d'un doute, cette chaîne est celle de Dahlia. Adam n’a jamais cherché à tirer la couverture de son côté. Dans un même temps, la durée du contrat est restée indéterminée. C’était écrit dans un coin de sa tête, il resterait jusqu’à ce que son assistance ne soit plus requise. Tout à coup, Dahlia le pourvoit d’une part de cette chaîne. Il reste silencieux, interdit. Ses lèvres forment une ligne inexpressive. La surprise est pourtant là, au creux de son estomac. « Je ne l’avais jamais envisagé sous cet angle. » admet-il, après un silence. D'emblée, Adam ne sait qu’en penser. Après un instant, cependant... Il sourit.

Géniteur putatif. Il lui semble que c’en est fini du semi-vieux, de l’ex-flicard, du quadra. Tous ces sobriquets dont il l’a affublé au gré de leurs conversations hasardeuses. Pourrait-il lui faire face, maintenir l’apparence d’un irréel intact ? Saurait-il se garder de toute tentation égoïste, conserver cette page pour lui seul ? Il redoute de croiser son chemin, pour l’imprévisible de sa réaction. « Je comprends. » dit-il, fixant la crédence qui recouvre le mur voisin. Heureux ? Le mot le fait grimacer d’une étrange façon. Son regard se perd dans les hauteurs, détaillant les placards supérieurs. L’émotion lui monte aux yeux. Elle s’y localise. Ses joues brûlent d’un feu subit. Il expire, puis cligne des paupières. « J’aurais surtout aimé ne jamais lire cette merde. » Sa voix s’éraille. Il s’impose contenance, éblouissant ses iris à la lueur du plafonnier.  La brûlure chasse toute émotivité. Des taches colorées constellent son champ de vision Poussière dans l’œil, on connaît la chanson. À choisir, certes, Adam aurait préféré n’en rien savoir. Il aurait traversé la vérité les yeux bandés. Mais quelle vérité ? Si l’un d’eux mérite la tranquillité d’esprit, c’est bien Jamie.  S'il l’apprenait, Adam deviendrait son erreur. Et c’est hors de question. « J'crois que c’est juste un maître chanteur de plus. Et que les secrets qu’il prétend détenir finiront par être étalés aux yeux de tous quoi qu’il arrive. » Les paroles de Whelan résonnent, réplique de son subconscient. Le risque existe. Nulle ne pourra prédire le prochain mouvement du corbeau, sur le plateau. Tôt ou tard, chaque secret pourrait être révélé aux yeux de tous. Alors, ses scrupules seraient inutiles… C’est un risque à prendre. « Ce n’est rien. » qu’il répond, moitié ailleurs. Il ne s’agit pas vraiment d’elle. Dahlia essaie de l’aider à sa manière. Il le comprend à présent. Tension permanente, émotions à fleur de peau… Adam songe qu’un éloignement serait bénéfique à leur collaboration. Ils ne peuvent continuer ainsi, chaque rencontre propice aux querelles. Dahlia semble se ranger à son opinion, instigatrice initiale. Le sourire paraît pourtant bancal. Il ne dit rien, acquiesçant d’un signe de tête. Égoïstement, Adam a besoin de temps pour lui. « Ou peut-être que tu te sous-estimes. » dit-il, fin sourire aux lèvres. C’est aussi pour cela. S’effacer permettra à Dahlia de se prouver. Elle serait parfaitement capable de s’en sortir sans lui, certitude acquise de longue date. Écho de cette nuit de février, Adam l’entend encore se dévaluer. Aveugle, une fois de plus, l’essentiel échappe à sa conscience. Il ne comprend pas tout à fait ce qui se joue là, dans les paroles de Dahlia. « À t’entendre, on dirait que je pars pour toujours. » moque-t-il gentiment. Comme si elle lui adressait une oraison funèbre ou lui faisait ses adieux. L'approche est anticipée. L’intention du geste, on ne peut plus claire. L'élan avorte. Derechef, Dahlia se confond en excuses. Les étreintes, les contacts physiques, Adam n'aime pas ça. La jeune femme respecte ses frontières. « Arrête de t'excuser. » souffle-t-il. C'est au moins la millième fois. Il force un pas dans sa direction, l'entourant de ses bras. Le mouvement est maladroit. Adam est crispé. Ce n'est pas naturel, mais il essaie pour elle. Un pas en arrière, puis il se dégage tout à fait, passablement embarrassé. Quand il prend le large, Adam ne le rend jamais. « Je devrais y aller. » Dahlia pourrait se poser comme l'exception qui confirme la règle.  

(c) mars.

Dahlia a toujours été perfectionniste. Probablement car elle avait toujours été celle qui ne trouvait pas sa voie. Pas son chemin, comme les autres. Cela semblait si simple mais pour elle, tout avait été compliqué. Voilà pourquoi elle avait décidé de faire cette chaine, de voyager. Peut être aurait elle trouvé ce quelque chose qui lui manquait. La rencontre avec Adam avait créer un art intéressant. Un art qu'elle avait pu voir à travers ce qu'était son ami. Adam était doué. Mais ce n'était pas juste du talent. Il était comme d'un autre univers et à chaque fois que Dahlia l'observait travailler ou se concentrer, la princesse se demandait s'il n'était pas de ces personnes si spéciales qu'on ne rencontrait que très peu. Probablement, si. Mais alors, qu'en était il d'elle même? Etait elle assez douée pour lui? En l'entendant, Dahlia avait haussé les épaules. "Peut être." dit elle délicatement en baissant les yeux un instant, un fin sourire aux lèvres. Quelque chose de plus triste. Ne sait pas trop si ce monde la trouve assez intéressante. Si elle est assez intelligente. Alors que son regard rencontre à nouveau celui d'Adam, Dahlia observe son visage. Son sourire à lui. Les vagues viennent s'entrechoquer contre le sable et le doux bruit de l'océan résonne dans l'esprit de Dahlia. Apaisant. Elle ne comprend pas. "Et bien, c'est le cas. Cette chaine est aussi la tienne, Adam." dit elle ensuite pour lui faire comprendre que même si elle est venue à la créer, Adam est aussi à ses côtés. Et cette chaine lui appartient. Il y a ce quelque chose dans le regard d'Adam qui fait trembler le semblant de contrôle que Dahlia peut avoir dans ce labyrinthe d'émotions. Se sait perdue mais chercher son chemin. C'est comme si elle peut entendre la voix d'Adam sans réellement le voir. Toujours à avancer. Plus il disparait. Disparait dans la nuit noire, comme il en a l'habitude. Pourquoi n'est il pas partit? Pourquoi est il toujours ici? Dahlia aurait pu comprendre qu'Adam vienne à s'en aller. Tout le monde t'abandonne. N'est ce pas là la logique? Peut il sentir l'émotion sous cette froideur? Sous l'indifférence que Dahlia vient à avancer? Pour ne pas être blessée. Car si l'indifférence est maitre, la douleur est moindre. Les échos reviennent dans le creux de son esprit. Souhaiterait lui demander ce qu'il fait encore ici. Ne dit rien. Observe ce sourire qui est pour elle. Mais qu'il doit offrir à bien d'autres.

Mais la douceur revient. Lorsque Dahlia peut apercevoir le changement d'iris dans le regard d'Adam. Différent, car elle connait cette sensation. Ce besoin de regarder en hauteur, de faire disparaitre cette émotion. Trop d'émotions, probablement. Elle peut le comprendre. Savoir qu'une personne qu'on vient à voir presque tous les jours n'est autre que son père, si Jamie est le père d'Adam évidemment, n'est pas simple à entendre. A lire, dans ce cas. Elle peut comprendre, Dahlia. Peut comprendre que c'est compliqué. Mais un feu vient à s'illuminer au fond d'elle. Adam a le droit d'être heureux. Il a le droit de connaitre l'homme qui est son père. D'essayer d'avoir ce même père dans sa vie. Même si cela fait si longtemps. "Oh, Adam.." souffle t-elle, presque dans un silence. Son coeur se serre. Comment aider Adam? Il lui fallait des informations. Si Jamie n'était pas son père, soit. Mais elle allait découvrir qui était ce corbeau. Et une fois qu'elle connaitrait son nom, elle irait le voir. Adam n'avait pas à souffrir de cela. Evidemment, Dahlia sait bien qu'Adam serait loin d'apprécier. Il la connait, il sait bien que Dahlia est aventurière. Peut être qu'elle se sous estime. Mais Dahlia compte bien montrer à Adam qu'elle n'apprécie pas les aventures pour rien. Comme une princesse venant défendre son royaume, sa couronne sur la tête. Le regard brûlant d'un feu ardent et le coeur à la recherche de cette vive émotion, qu'elle n'aura encore jamais réellement trouvé. "J'imagine que tout le monde se sous-estime. Mais ce n'est pas drôle, Adam ! Je ne veux pas que tu partes pour toujours !" assure t-elle en faisant une moue. Ne me laisse pas. Pas toi. Parce qu'Adam ne le comprend peut être pas. Ou que Dahlia ne l'exprime pas assez. Mais son château s'effondrerait si Adam venait à disparaitre. La douleur serait trop vive, trop brûlante. Les yeux baissés, Dahlia hoche la tête. "Dé-.." commence t-elle avant de secouer la tête. "Oui, tu as raison." s'excuse souvent, Dahlia. Parce qu'elle se sent toujours de trop. Parce qu'elle a l'impression de ne pas être assez. Perdue dans un monde d'illusions, d'ambition et de chemins dont elle ne sait lequel emprunter. Personne. Mais aussi car elle n'avait pas voulu agacer Adam. L'océan est néanmoins soudainement plus agité. Les vagues plus fortes. Alors que son regard se relève en entendant Adam, Dahlia sent son étreinte. Le temps s'arrête. Le silence se mêle à ces échos. Ses yeux s'écarquillent. Son myocarde s'affole. Une douce couleur vient colorer ses pommettes alors qu'elle fixe le mur derrière l'épaule d'Adam. La sensation est délicate, différente. Ses mains tremblent légèrement. Dahlia ne souhaite pas qu'Adam change. Pas pour elle. Lui qui n'apprécie pas les étreintes, a ses bras autour d'elle. Le vent souffle sur le château, fait tomber sa couronne. Et le chevalier vient à la ramasser. Ce chevalier dont elle n'aura pas encore vu le visage, finit par relever ses yeux vers elle. Le visage d'Adam l'observe. Les échos sont plus forts. Plus certains. L'émotion dans le myocarde réchauffe. Est si délicat. Les murmures aussi. Dahlia comprend. Tu es amoureuse de lui. Ferme les yeux un instant. Oui, elle l'est. Adam recule et Dahlia le fixe. Observe cet océan. Puis entend sa voix. Ne pars pas. "Reste." qu'elle s'entend dire. Une autre émotion, un autre ton dans la voix. Un ancrage dont elle aurait terriblement besoin. Car c'est ce qu'Adam est pour elle. Egoïste, probablement. Mais n'a jamais ressentit ça. Ne peut pas lui faire comprendre, peut être ne veut il pas comprendre. Un désespoir, un besoin dans ses yeux. Quelque chose change. La flamme n'est elle pas en train d'illuminer davantage ce qu'ils partagent?

(c) mars.