Suite du RP Say something, I'm giving up on you

Sur le trajet et dans l'aéroport, le groupe de sa famille n'arrête pas de sonner, chacun, prévenu par sa mère, commence à s'organiser, à s'inquiéter. Il pense à sa grand-mère qui ne pourra pas se déplacer pour revoir son fils, il va mourir loin d'elle... comme pour se protéger, ses pensées dérivent vers la soirée d'hier. Il était si heureux, tout était si naturel, dansant corps contre corps avec Fabio puis contre Jeff. Pourquoi ces moments de bonheur s'échappaient si vite ? À cet instant, dans le taxi qui les amène de plus en plus près de leur destination, il aurait envie de continuer à danser, continuer à chanter et à boire, peut-être surtout à boire, boire pour oublier, boire pour accélérer le temps et fermer les yeux. Tout ce qui l’emmènerait loin de cet aéroport et de cet avion. Tout ce qui lui permettrait d'oublier ce coup de téléphone terrible. Tout ce qui lui permettait d'oublier qu'il allait falloir redevenir l'aîné, le grand frère et revêtir ce costume là... Ils enregistrent leurs bagages, c'est assez long, il y a toujours du monde dans les aéroports. Ils ont quand même un peu de temps passer du temps dans la zone internationale. Ses yeux glissent sur les boutiques mais rien ne l'intéresse vraiment.

Jeff ? Je vais appeler Pablo, Lucia et Amalia pour savoir ce qu'ils vont faire... puis si j'ai le temps les enfants, Sonia forcément... ça se sent qu'il n'a pas hâte. Et enfin je ferais un résumé à ma mère... il n'a pas hâte de cet appel non plus. Je vais me mettre dans un coin tranquille. Il se sent comme écroulé sous le poids des moments à venir. Sa main caresse le dos de Jeff avant de s'éloigner. Il a juste besoin de s'isoler des autres passagers, se retrouver dans un coin et de voir surtout le moins de monde possible. Il trouve un endroit assez vide et s'y assoit. Dire que ce matin, il se sentait bien dans sa peau, dire qu'il se sentait beau, tout ça lui semblait si idiot maintenant. Le soleil pointe ses rayons entre les nuages, approchant sa lumière jusqu'à ses pieds... tout ça n'a plus d'importance. Il ne pensait pas qu'il serait si touché en sachant approcher la mort de son père. Leur relation avait été si longtemps difficile, parfois même destructrice pour un Alonso sensible qui devait approcher de la perfection scolaire et sociale pour rendre fier ses parents. Il essaie de ne pas y penser et commence par appeler sa douce petite sœur.

Il met ses écouteurs et ferme les yeux le temps que sa sœur décroche. Amalia pleure déjà quand elle lui dit bonjour, il essaie de rester fort et de la rassurer tant sa détresse inonde l'appel. C'est difficile mais, Al tient bon, lui parlant calmement comme Jeff l'avait fait avec lui. Elle viendra à partir de ce week-end mais sans sa fille et sans son conjoint qui garderont les animaux. Elle lui demande le numéro de Jeff pour savoir s'il souhaite qu'elle amène Cha-Cha. Il envoie le numéro à sa sœur avant d'enchainer un appel à Lucia. Elle viendra avec ses enfants, Noah et Florence, son compagnon ne peut pas se déplacer dans l'immédiat pour nécessité de travail, il descendra sans doute pour l'enterrement. Sa première sœur a toujours été très pudique dans ses émotions. Alonso ne la pousse pas, ce n'est pas parce qu'elle ne dit rien qu'elle ne ressent pas. Tout le monde n'est pas aussi expressif qu'Amalia, mais passer de l'une à l'autre est déroutant. Enfin, il appelle Pablo alors qu'il voit Jeff faire la queue aux macarons. Ça le fait sourire, lui apporte du baume au cœur, car il voit combien Jeff fait des efforts pour lui. Pablo discute un peu à l'autre bout du fil, il viendra avec ses trois enfants, Cathy a, elle-même des problèmes de famille, en ce moment, elle restera à Boston, descendra comme le conjoint de Lucia pour le soutenir s'il y a un enterrement. Ils descendront ce week-end. Pablo a l'air affecté mais calme, comme l'est Alonso à ce moment de la discussion, ils échangent rapidement, en profitent pour prendre des nouvelles l'un de l'autre. Alors que Jeff revient et s'assoit à côté de lui, Al raconte un peu Londres à son frère qui n'était pas au courant que son frère y était. Il mentionne surtout les bons moments, ça fait lui fait du bien, ça l'ancre dans sa réalité. Finalement Jeff sera le seul conjoint présent de la fratrie.

Lorsqu'il raccroche, Al fait le résumé des appels passés. Il annonce à Jeff qu'il a donné son numéro à Amalia car elle voulait l'appeler. De son côté, il n'a pas encore eu ses enfants. Il pense pouvoir faire une pause. Mais il est temps d'embarquer déjà. Une boule d'angoisse se noue dans son ventre quand il pense qu'il doit quand même prévenir sa mère. Il se décide pour un message alors qu'ils qu'il sont dans la zone d'embarquement, il indique qu'il la verra le lendemain car il arriva tard et lui résume les arrivées prévues de la famille. Il envoie alors qu'ils arrivent dans l'avion. Al est dans ses pensées. Ils s'assoient et Jeff lui présente le menu du soir. Désolée, je suis un peu dans mon monde mais merci beaucoup. Tu es adorable. Il vient poser sa main sur la sienne. Je te laisse la pistache. Mais, c'est un grand acte d'amour sache-le car c'est mon parfum préféré aussi. Mais je me rabattrais avec plaisir sur la vanille. Il force un sourire.

L'hotesse de l'air leur demande de ranger leurs affaires car ils ne vont pas tarder à décoller. Alonso se relève pour tout mettre dans les sacs pour le moment. Deux heures de trajet, une heure de décalage horaire, ça n'a jamais été aussi court de rentrer chez lui, car ce pays, mine de rien, est aussi le sien.

Tu es pensif. Un peu perdu. Tu n'as pas le poids de la tristesse sur tes épaules comme ce n'est pas un membre de ta famille qui va s'en aller. Mais tu as la tristesse d'Alonso pour la tienne. Pourtant, tu dois être présent, fort. Et comme ce n'est pas si naturel chez toi, que normalement, tu préfères fuir ou bien te résigner, tu tentes de trouver comment agir, comment penser, comment lui parler. Prendre de bons macarons te parait une bonne idée. C'est bête, des macarons ne changeront pas la situation et tu le sais. Mais s'ils peuvent faire un petit peu plaisir à Alonso, ce sera déjà ça. Tu n'es pas bon avec les mots. Tu l'as encore prouvé il y a quelques heures à peine. Alors tu fais au mieux, tu essaies de t'adapter.

Tu reviens, l'embarquement est imminent. Tu as ton sachet avec de quoi manger et tu reçois un texto. Tu as un peu peur sur le coup puis tu te souviens que tu as bloqué le numéro de Russell. C'est Amalia, même si le numéro n'est pas dans ton répertoire, elle se présente. Elle demande si elle prend Chacha. Tu y réfléchis quelques instants puis tu lui réponds que tu aimerais bien, que tu lui rembourseras les frais par apport à elle. Tu lui indiques aussi que ses papiers sont à jours et dans son carnet de santé. Elle te répond qu'elle le sait, qu'elle a vérifié avant de demander. Tu souris brièvement, revoir Chacha te fera du bien, tu espères qu'elle apportera aussi un peu de bien à Alonso. Le reste passe assez rapidement, tu ne parles pas trop, Alonso non plus. Il semble dans ses pensées et tu le regardes à de multiples reprises. Tu le comprends, s'il a besoin de parler, tu es là. Tu espères qu'il le sait.

Dans l'avion, tu peux enfin poser ton dos sur quelque chose d'à peu près confortable. Tu seras bien plu à l'aise dans votre lit mais ce n'est pas pour tout de suite. Je croque une fois dedans et tu peux avoir le reste. Comme ça, c'est un acte d'amour réciproque. Tu te penches et viens déposer un baiser dans son cou. Puis il est temps de décoller. Quand tout est bon, tu décroches ta ceinture de sécurité et tu sors la belle boite. Ils ont dit qu'ils étaient très bon et une femme derrière moi a confirmé. Tu lui sors la pistache et tu lui donnes le macaron, pour qu'il puisse en croquer un bon. Tu prends ce qu'il reste et manger du sucré te fait du bien, tu le sens tout de suite. Même si ça ne sera pas suffisant comme repas. Tu refermes la boite pour plus tard et tu sors cette fois les sandwichs, tu lui donnes le sien. Je me suis dit que ça serait facile à digérer. Pas de viande, pas de salade ou de sauce étrange. Peut être que l'estomac d'Alonso est en vrac. Tu n'ouvres pas tout de suite le tien, tu viens caresser la joue d'Alonso, il est côté hublot alors tu vois en le regardant que vous êtes bien dans les airs. Mon tendre. Il y a des choses que tu voudrais lui dire, que tu voudrais qu'il sache. Mais tu as un peu peur, parce qu'il ne t'a pas laissé prendre tout en main un peu plus tôt. Justement, tu te dis que tu dois combattre cette peur si tu veux qu'il te croit. Tout le monde sera là ? Tes fils aussi ? Tu songes au fait que tu te feras tout petit. Tu te dis que c'est une façon bien particulière de rencontrer à nouveau toute sa famille.

Alonso tente un peu d’humour avec le macaron. Jeff lui dit qu’ils partageront. Il ne comprend pas pourquoi il a envie de pleurer à chaque fois qu’il a envie de sourire. Dans son esprit, peut-être que son père est déjà mort. N’était-il pas censé passer par une phase de déni avant de ressentir toute cette tristesse, les étapes du deuil, tout ça ? Il baisse les yeux. L’avion se prépare à décoller, il regarde par le hublot l’extérieur. N’écoute pas vraiment les consignes de sécurité. Il se sent un peu ailleurs, fatigué. Très fatigué. La voix de Jeff lui fait tourner la tête, il a retiré sa ceinture et lui tend le macaron, Al croque dedans. La sensation de sucré à quelque chose de réconfortant. Ils sont en effet très bons. confirme-t-il en lui tendant le reste du dessert. Jeff lui tend le sandwich. Il n’a pas vraiment faim, mais ça à l’air plutôt bon. Il le met sur sa tablette. La main de Jeff se pose sur son visage. Il voudrait qu’elle y reste. Mon tendre, il aime tellement quand Jeff utilise ces petits mots pour lui parler. Oui ? répond-t-il en l’incitant à poursuivre. La question le trouble un instant. Oui, presque tout le monde… et pour les enfants. Oui, enfin j’espère, je ne les ai pas encore prévenus. Je pense que Sonia les laissera venir… J’espère aussi… Je les appellerai en arrivant à l’appartement. Avec le décalage horaire, il ne devrait pas être trop tard pour eux. Pourquoi ? Il se demande d’ailleurs s’il y aura de la place dans l’appartement pour ses enfants, il n’y a pas pensé, chaque pensée est compliquée et lui parait de plus en plus compliquée.

Tu pensais qu'il avait aussi vu avec ses enfants. Il évoque Sonia, tu te dis qu'elle n'oserait pas. Que ce serait de la pure cruauté et qu'elle se mettrait ses fils à dos. Peut être qu'elle voudra poser des conditions, comme ton absence à certains moments, tu la vois bien demander ce genres de choses pour faire pression. Tu n'espères pas. Tu te sens déjà peu à l'aise d'être présent, tu l'es pour Alonso mais tu te dis que c'est une histoire de famille, de sa famille.

Tu ne réponds pas tout de suite, tu continues de caresser doucement son visage en le regardant. Peut être que tu as un peu peur de parler de tout ça avec lui, qu'il va devoir déjà affronter un tas de choses et d'émotions et qu'il lui faut un peu de répit maintenant. Je me disais que ce serait bien de les avoir avec toi. Tu te dis qu'à un moment, il préférera avoir ceux de son sang et pas toi. Ça pourrait arriver et tu ne pourrais pas lui en vouloir. Parfois, quand on perd un proche, parce que ça va arriver, on réagit de manière étrange et certains ne veulent voir que la famille de sang. Les attaches autour de la personne qui vient de partir. Le ciel semble paisible dehors. Pas d'orage, pas trop de nuages. Tout semble si pur quand on est si loin du sol. Pourtant, les tempêtes seront bien présentes mais pas celles qui éclatent dans le ciel. Les tempêtes du cœur, de la rage, du désespoir. Tu peux te poser contre moi tu sais. Tu lui lâches le visage. Il pourra dormir en arrivant mais il pouvait déjà se reposer un peu maintenant.

Alonso ne sait pas vraiment où Jeff veut en venir. Il fronce les sourcils. S’il y a de la place à l’appartement, ils peuvent dormir ensemble sur un canapé-lit, ce n’est pas un problème. Est-ce que c’est ça dont Jeff parle ? Peut-être qu’il n’y a pas de couchage en plus ? Ils se débrouilleraient. Au pire, il pourra demander à son ami Esteban s’il a une place pour ses enfants chez lui. Peut-être qu’il aura une place pour eux temporairement. Jeff lui propose son épaule et retire sa main de son visage.

Al se sent psychologiquement éteint. Il a bien vu que Jeff avait envie de lui parler de quelque chose mais rien ne sort. Alors comme souvent, il tente une hypothèse. Si ça tombe juste tant mieux, si ça tombe à côté, il aura peut-être une explication. Jeff… Tu es ma famille aussi tu sais ? On n’est peut-être pas encore mariés, ni même fiancés, mais tu fais partie de ma famille. Je pense que tu l’as vu quand on est allé chez Pab ou quand on a vu Amalia ? Il pose le côté de sa tête contre la sienne et vient enlacer leur main. Il en profite pour les lever et déposer un baiser sur le dos de la main de Jeff. Je suis là. Et si malheureusement, je perds pied, j’espère que tu pourras trouver du soutien dans notre famille. Ils ne savaient pas pour la maladie de Jeff. Il n'avait pas trouvé de moment de leur dire. Peut-être qu'il allait falloir le faire. Peut-être qu'ils arriveraient à prendre soin de lui. Il ne sait pas si c'est Londres, Russel, ou simplement une rechute mais Jeff ne va pas bien en ce moment. Je sais ce que j'ai dit tout à l'heure, j'ai paniqué, j'étais sous le coup de l'émotion, mais on ne sera pas seul Jeff. Même si je me perds. Tu ne seras pas isolé, je te le promets. Il ferme les yeux contre lui. Oui, ils ne seront plus seuls face à la peur. Ils feront front ensemble. Puisque c'était ainsi qu'était sa famille, c'est ce que ses parents lui avaient offert de plus beau et de plus précieux, une famille solide sur laquelle il pouvait s'appuyer en cas de difficultés.

Tu penses avoir vu un canapé lit dans l'annonce. Tu n'es plus certain mais presque sûr. Tu tentes de te rappeler les images et il y a un canapé jaune qui se déplie. Tu hoches la tête doucement. Oui, ils seront bien je pense. Tu vérifieras une fois arrivés, surement demain parce que tu n'allais pas commencer à tout tester ce soir, vous alliez juste poser vos affaires et vous endormir tout de suite. En tout cas, c'est ton plan.

Il te parle, comme souvent il arrive à décrypter ce que toi tu n'arrives pas à lui dire. Tu sais que tu peux avoir confiance mais souvent, tu te dis que ce n'est pas le moment. Là, c'est encore plus délicat pour toi parce que tu n'as pas envie d'être un fardeau pour lui. Tu sens l'émotion te gagner, Alonso est toujours si attentif à ce que tu ressens. Tu aimerais être aussi doué que lui, comme il l'est quand il te parle. Tu te penches contre lui quand il se rapproche, tu ne réponds pas, tout simplement parce qu'il a raison. Il ne doit pas attendre de confirmation, c'est plus pour te le rappeler. Il embrasse ta main, te rassure encore. Tu soupires et baisses les yeux, même s'il ne le voit pas. C'est bien ça le problème Alonso. Tu cherches un peu tes mots. Normalement tu gardes ces peurs là pour toi, mais peut être que tu dois en parler justement. Je ne veux pas être un problème ou bien même être quelque chose tout court. Je veux être là en soutient, tout le long mais ne pas accaparer du temps ou de l'énergie à qui que ce soit. Je déteste ma maladie pour ça, elle ne me laisse pas être en arrière plan. Pourtant, c'est là que je devrai être. Je m'en voudrai tellement de détourner la famille de l'épreuve qu'elle est en train de vivre. Tu n'as pas dit que c'était ta famille, votre famille, mais tu n'as pas dit non plus que c'était la sienne. Une manière pour toi d'arriver à avancer. Et pour avancer, tu dois aussi lui partager tes craintes. Ça te parait peut être étrange comme réflexion mais c'est important pour moi. Je me sens déjà tellement coupable de demander de l'aide tout le temps, d'avoir besoin des autres tout le temps. J'aimerai tellement pour ce temps que ça ne soit pas le cas. Mais tu sais que tu ne pouvais pas faire taire ta maladie, qu'il n'y avait pas de traitement pour l'endormir. Juste du travail à faire sur toi même. Tu sais aussi que le stress n'était pas un bon facteur pour toi et ça n'allait pas être de tout repos. Tu le sais, Alonso, que je ferai tout pour être là pour toi ? Tu as peur qu'il doute, qu'il n'en soit pas certain. Après tout, Russell l'avait bien dit qu'on ne pouvait pas compter sur toi.

Ils verraient bien en arrivant pour les enfants, Jeff a l'air plutôt sûr de lui. Ça rassure Alonso. Il écoute Jeff lui répondre. Un instant, il arrive â mettre de côté ce qui lui arrive pour se concentrer sur les paroles de son compagnon. C'est rare quand il lui dit qu'il se sent coupable de sa maladie. Mais il entend ses peurs, il entend son stress et ne compte pas le minimiser. Il a bien conscience de la difficulté d'être Jeff, de la honte qu'il peut ressentir en sortant de ses phases dissociatives où il fait n'importe quoi où le réel se déforme, de la détresse de ses crises d'angoisses au cours desquelles ses émotions débordent. À la question finale de Jeff, il a un sourire. Je le sais Jeff, je le sais très bien que tu ferais tout pour moi. Je sais combien tu m'aimes... Rien qu'hier la déclaration de Coco et la tienne... sans compter combien tu as géré à Boston. Il prend une respiration avant de continuer. Si je te retiens parfois dans ton élan mon cœur, ce n'est pas parce que je doute de toi. C'est parce qu'au contraire je sais que tu serais capable de t'oublier pour moi... de tout me donner... Je sais que tu en es capable. Tu n'as pas à me le prouver,  je le sais, mais je ne veux pas que ce soit au détriment de ta santé. De son autre main, il dessine des fleurs invisibles sur l'avant-bras de Jeff. Il reste quelques secondes à poursuivre son geste.

On va tous avoir besoin les uns des autres dans les prochains jours Jeff. Tu fais partie de la famille alors non, tu ne pourras pas rester complètement en retrait. Toi, moi, Amalia, Pablo, Luce, ma mère... Parfois ce sera toi qui aidera, parfois ce sera quelqu'un d'autre... Il ne sait pas s'il arrive à dire correctement ce qu'il ressent. Dis-toi que dans une épreuve comme celle que nous allons traverser, on sera tous un peu boderline - si tu me permets de le dire ainsi - et on aura tous besoin de la bienveillance extrême des uns et des autres. Il jete un coup d'oeil dehors pour terminer sa pensée. J'ai besoin de toi pour surmonter cette épreuve, mais j'ai besoin de toi en forme, capable de me parler, capable de s'écouter et de me dire si c'est trop, comme toi tu aimerais que je te parle quand je me sens débordé. Il ne sait pas s'il est très clair. Ses émotions se mélangent un peu. Il voudrait tellement qu'il comprenne que prendre soin de lui, c'était ça qui rassurerait Alonso.

C'est peut être le meilleur moment pour vous pour parler. Vous n'êtes pas encore arrivés, alors rien ne se précipite pour le moment. Personne ne peut s'enfuir, ou alors pas très loin, et personne ne peut élever trop la voix. Même si pour la dernière, ce n'est pas dans vos habitudes. Sauf quand tu commences à paniquer. Mais le faire dans un avion en plein vol n'est pas une bonne idée alors tu tentes de te contrôler un maximum. Alonso semble comprendre, c'est toi qui comprend mal au final. Il ne doute pas de toi mais justement, il a peur que tu n'arrives pas à t'arrêter dans ton besoin de lui prouver que tu seras là. Il n'a pas tort, c'était ton plan, sans que tu ne t'en rendes compte, ton plan était bel et bien de t'oublier, de tout faire pour qu'Alonso soit soulagé le plus possible dans l'épreuve qu'il va devoir vivre. Tu t'es promis à toi même des tas de choses mais pas une fois de prendre soin de toi, pour arriver à prendre soin de lui. Cette notion est très abstraite pour toi.

Ton fronces les sourcils, tu tentes de comprendre. Tu ne saisis pas tout. Je vais essayer tout ça, mais j'ai du mal à me mettre des limites. C'est bien ça ton problème, tu débordes toujours. Tu viens l'embrasser tendrement. Ça tu sais faire, prendre soin de lui aussi. Peut être que gérer les humeurs des uns et des autres, tu auras plus de mal. Mais tu penses avoir compris quelque chose dans ce qu'il a dit. Je ferai attention à moi. D'ailleurs je vais manger un sandwich, parce que je n'ai pas mangé depuis un moment et j'ai tendance à oublier ça... J'ai perdu un peu de poids ces derniers temps. Mais ça ne t'inquiète jamais. Tu cherches ton sandwich et tu ouvres l'emballage, c'est une petite portion alors ça ira. Tu songes déjà à votre petit appartement, c'est une bonne idée d'avoir un lieu pour vous. Enfin, une chambre pour vous puisqu'il y aura sans doute ses fils. Je viens d'y penser. Je vais être perdu. Les espagnols parlent bien anglais ? Sans doute moins que dans les grandes villes... Tu peux m'apprendre quelques trucs ? De quoi t'en sortir si tu vas faire des courses à un moment, si tu dois demander ton chemin... Des trucs utiles en somme.

Son baiser rassure Alonso, c'est comme une respiration pour lui. Il le voit ouvrir son sandwich et c'est exactes ça dont il a besoin. Le voir en forme. Merci Jeff... Prendre soin de toi, c'est ce que tu peux me donner de plus beau dans les prochains jours. Il chuchotte, essayant de mieux exprimer ce qu'il ressent, même s'il a l'impression que son partenaire a compris ce qu'il veut dire. Il a besoin de reformuler parce que c'est très important pour lui. Je vais avoir besoin de savoir que tu vas bien, qu'au moins, un de nous deux va bien. Et si c'est trop émotionnellement, je préfère que tu te mettes en retrait ou que tu demandes de l'aide plutôt que tu te perdes. Je sais que tu pourrais tout faire pour moi... Je sais. Mais, je n'ai pas avoir besoin d'un autre Alonso qui pense et qui analyse tout ce qui va se passer à l'avance ou qui anticipe tous mes besoins. J'ai besoin d'un Jeff qui m'aime, qui m'accueille et qui m'écoute ou qui me change les idées et surtout qui prend soin de lui, même quand je le suis pas là. J'ai besoin de toi, simplement de toi. Parce que je t'aime comme tu es, Jeff, je t'aime heureux et surtout je veux que tu sois bien dans ta tête et bien dans ton corps.

Il marque une pause pour insister une dernière fois. Il sait qu'il a tendance à se répéter, mais il sait aussi que Jeff a tendance à prendre uniquement ce qui l'intéresse quand il parle alors, il vaut mieux reformuler deux fois. Il vient poser un baiser sur sa joue. Cette conversation le détourne de ses pensées noires et lui fait curieusement beaucoup de bien. Ça le fait se raccrocher à ce qui compte le plus et ce qui comptera même après que son père sera parti, leur bonheur à tous les deux, leur vie à deux. Je sais que ça va te demander des efforts, je sais que ça peut être frustrant, que tu auras l'impression de ne pas faire assez pour moi. Mais... Sache que j'essaie de m'appliquer les mêmes conseils quand je suis avec toi et j'ai les mêmes frustrations, les mêmes peurs de ne pas faire assez... De ne pas ressentir de la culpabilité quand tu vas mal, de ne pas me sentir égoïste quand je pense à moi... J'essaie. Se confier, sur sa difficulté parfois de trouver l'équilibre entre aider et se perdre, ce n'est pas quelque chose qu'il fait souvent... surtout auprès de Jeff. Mais cet instant suspendu dans les airs est peut-être le bon moment. Mon chéri, si tu es triste ou malade à cause de moi, ou pour moi, ça me rendra malheureux aussi... Ça vaut pour aujourd'hui mais ça vaut pour toute notre vie, Jeff. Je sais que je peux compter sur toi dans les moments difficiles. Je sais, mais en aucune façon je ne veux que tu changes pour moi, tu me plais tel que tu es Jeff et c'est de toi dont j'ai besoin. Il resserre sa main dans la sienne. Son Jeff, son tendre amour. Jamais il ne voudra être comme ses ex qui ont profité de lui, qui on profité de sa dépendance émotionnelle pour faire de lui ce qu'il n'était pas. Il prend son sandwich à son tour, parce qu'il sait qu'il doit s'appliquer le même traitement. Prendre soin de lui pour limiter la charge mentale de Jeff.

Jeff oriente la conversation sur l'espagnol, ça fait sourire Alonso. Alors... On ne peut pas dire que l'anglais soit le point fort des espagnols... mais dans les lieux touristiques ça devrait aller. Il ne sait pas vraiment pour le reste, il n'a jamais vraiment parlé anglais en Espagne et ses oncles avaient un anglais approximatif. Attends je t'envoie des phrases type si tu veux et on les répète ensemble. On est d'accord que "Bonjour", "Bonsoir", "Merci", ça tu maitrises ? Alors... on commence par quoi ? Il tape d'abord : "Je cherche des toilettes ?", "Pourriez-vous m'indiquer la direction du métro ?", "Combien ça coûte ?", "Je voudrais un verre d'eau", "Je m'appelle Jeff, je viens des États-Unis", "Est-ce que vous parlez anglais ?"... Il écrit sur son téléphone d'abord en anglais puis écrit la traduction en espagnol en dessous. Ils chuchottent mais Alonso finit par lâcher un rire, la situation est tellement drôle parce que la manière de prononcer de Jeff est si amusante et maladroite et rire lui fait du bien. Il le corrige avec tendresse. Il termine son sandwich sans s'en rendre compte. C'est exactement de ça dont il a besoin.

Parler. De tes craintes, de tes angoisses. De ce que tu n’as pas compris. Il faut que tu arrêtes de penser que ça ira, que tu ne dérangeras pas Alonso et qu’au contraire, discuter de t you it ce qui se passe dans ta tête est la meilleure chose à faire pour lui, pour toi, pour vous. On te l’a déjà répété pourtant, en thérapie, à l’hôpital, tous les médecins et psychiatres que tu as pu voir te disaient de ne pas garder pour toi ce qui te dérange ou ce que tu ne comprends pas. Mais quand ça t’arrive, tu as encore du mal à le concevoir, à t’en convaincre surtout. Prendre soin de moi. C’est une drôle de façon de t’aider mais je comprends mieux maintenant. Tu sais, si j’ai envie d’être comme toi c’est parce que tu m’apportes tant au quotidien, j’ai toujours cette voix qui me dit que je ne serai jamais à la hauteur, alors j’imagine que de vouloir t’imiter, me permet de me dire que je te suis au moins aussi important que tu l’es pour moi. Tu t’arrêtes un instant mais tu sais ce qu’il va dire alors tu reprends. Mais j’ai tort de raisonner comme ça, je suis différent, je n’aurai jamais ton pragmatisme, je ferai toujours des comparaisons foireuses… mais je le ferai avec mon cœur, avec ma propre sensibilité et c’est ce qui compte. Même si parfois on a du mal à se comprendre car on fonctionne différemment. On finit toujours par se comprendre parce qu’on porte le même amour l’un pour l’autre et ça, j’en suis certain. Tu peux le dire. Tu ne doutes plus de son amour. Tu sais qu’il est là. Qu’il ne partira pas. Tu le sais car tu te sens bien et ça ne sera pas toujours le cas, mais te retirer un peu de doute te fait quand même un bien fou. Tu sais que tu peux lui parler, n’être pas d’accord avec lui. C’est nouveau pour toi. En réalité, tu as eu trop peu de relation aussi saine pour avoir de quoi t’y référencer. Et la vôtre datait d’il y avait tellement d’années.

Cette habitude que vous avez pris de vous tenir la main est devenue nécessaire pour toi. Bien sûr, quand il ne sera pas près de toi, tu pourras toujours te rassurer en te rappelant ses mots mais ça sera tout de suite moins évident.

Alonso est si doux dans ses gestes, dans les mots qu’il emploie, dans les surnoms qu’il te donne. Même son intonation est mesurée alors qu’il ne peut pas parler très fort. Tu te sens si privilégié de l’avoir, de savoir qu’il t’aime. Tu comprends maintenant pourquoi il n’est pas pressé de se marier, parce que votre amour est si fort que des papiers pourraient paraître bien terne à côté. Mais tu continues d’y tenir, sans doute plus pour la symbolique qui s’en dégage. Tu as tellement envie que l’on filme vos échanges de voeux, que l’on immortalise le bonheur sur ton visage. Quand tu te perds, tu as besoin de repères comme ceux ci, comme vos bagues. Alors tu as une idée. Je reste Jeff alors et tu restes Alonso. Tu sais ce que je vais faire ? En rentrant je vais aller chercher le dictionnaire, l’ouvrir et trouver le mot perfection et j’écrirais ça à la place de la définition standard. Perfection : Quand Alonso reste Alonso et que Jeffrey reste Jeffrey. Tu sens l’émotion te gagner alors tu viens essuyer tes yeux rapidement.


Vous mangez un peu, ça te fait du bien. Demain tu mangeras mieux il faut que tu arrives à te convaincre de ça. Vous passez à l’espagnol, il t’apprend des phrases pratiques, c’est vrai qu’il y a des applications pour ça mais tu n’y as pas songé. Et puis tu préfères avoir ton professeur  particulier. Ta prononciation est horrible et fait bien rire Alonso. Toi ce qui te plaît c’est de l’entendre rire. Peut être que tu n’entendras plus ce rire avant un petit moment après votre arrivée en Espagne. Mon amour… tu-… tu pourrais enregistrer un message rassurant pour moi sur mon téléphone ? Un message qui dit que tu es là, que je suis fort, que tu crois en moi ? Je sais que tu me l’as dit mais le concret m’aide beaucoup plus et ta douce voix pour me rassurer… je pense que ça serait bien. Oh et tu peux ajouter un passage en espagnol si tu veux bien. Comme un doudou interactif. Un doudou pour le grand garçon que tu es. Tu lui donnes ton téléphone, tu viens l’embrasser dans le cou et tu remontes jusqu’à son oreille. Te amo mi amor. Tu le lui souffles. Il faudra que tu en apprennes d’autres, des phrases comme celle ci.