Castiel s’adossa au dossier de sa chaise, laissant son regard dériver autour du bar. L’ambiance feutrée et tamisée du Garnet offrait un contraste apaisant avec la tension qui l’avait habité lors de son rendez-vous d’affaires. La lumière douce des lampes suspendues se reflétait sur les bouteilles alignées derrière le comptoir, créant un jeu de couleurs chaleureuses. Ce bar avait un charme discret, presque familier, qui semblait inviter à la détente. Mais Castiel ne parvenait pas à se détendre, pas complètement.
Il porta machinalement son verre de gin à ses lèvres, savourant la brûlure douce du liquide. Il n’était pas un habitué de ce genre de boisson, mais ce soir, il avait ressenti le besoin de quelque chose de plus fort, de plus intense. Castiel soupira, secouant légèrement la tête. Pourquoi avait-il fallu que ce soit lui qui vienne à ce rendez-vous ? La réponse lui vint immédiatement : parce qu’il était le seul à pouvoir le faire. Parce que Søren n’était pas disponible.
Le rendez-vous s’était bien passé. Les deux hommes en face de lui avaient été cordiaux, presque trop. Ils lui avaient présenté leur offre avec un sourire charmeur et des arguments bien rodés. Castiel savait reconnaître le discours d’un vendeur quand il l’entendait. Ils voulaient renouveler le partenariat avec son cabaret, s’associer pour un projet qui promettait de gros bénéfices. Tout dans leur présentation avait été soigné, mesuré, calculé pour séduire. Castiel les avait écoutés attentivement, posant des questions pertinentes, hochant la tête au bon moment. Mais au fond de lui, une petite voix persistante continuait de murmurer des doutes.
Avait-il réellement envie de s’engager  avec ces hommes comme l’avait fait les frères Amdahl ? Il n’avait pas eu le temps de demander l’avis de Ryan. D’après les dires, leur précédent partenariat avait été fructueux, ce qui était certainement vrai, mais quelque chose en eux le mettait mal à l’aise. Était-ce leur insistance ? Leur manière de toujours ramener la conversation vers les profits potentiels sans jamais aborder les risques ? Castiel avait l’impression qu’il y avait quelque chose qu’ils ne disaient pas, une part d’ombre qu’ils préféraient laisser dans le silence. Et ce silence ne lui plaisait pas. Il avait appris à se méfier des non-dits, des promesses trop belles pour être vraies.
Castiel reposa son verre, ses doigts jouant distraitement avec le rebord. Peut-être qu’il se trompait. Peut-être qu’il voyait des problèmes là où il n’y en avait pas. Après tout, il était nouveau dans ce rôle. Le monde du spectacle et de la nuit n’étaient pas fait pour lui. Sur ce point, Søren s’en sortait à merveille. Son charme naturel opérait toujours. Pour toute réponse,  il leur avait dit qu’il avait besoin de temps pour réfléchir, pour consulter ses associés. Eux avaient souri, comprenant, disant qu’ils attendaient sa réponse avec impatience.
Castiel ne s’était pas démonté. Il leur avait adressé son fameux sourire tout en restant sur ses positions.
Il ferma les yeux un instant, respirant profondément. Ce cabaret était une source de problèmes. Il y avait toujours quelque chose ou quelqu’un pour venir gâcher la belle harmonie qu’ils tentaient de mettre en place. Il devait se fier à son instinct, à ce sentiment qui, malgré tout, l’avait rarement trompé. Peut-être que la réponse n’était pas dans les chiffres, ni dans les mots bien tournés, mais dans cette petite voix intérieure qui lui soufflait de rester sur ses gardes. Castiel rouvrit les yeux et fixa un point indéterminé devant lui. Il prendrait le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre. Il écouterait son instinct, et seulement alors il prendrait une décision, en concertation avec Søren. Le Danois savait toujours quoi faire. Castiel ne voulait pas d’une autre entourloupe comme celle qu’O’Neil avait monté.
Avec une nouvelle résolution, il fit jouer le liquide dans son verre sans le porter à ses lèvres. Le monde des affaires pouvait bien attendre un peu plus longtemps. Ce soir, il se permettrait de prendre une pause, de relâcher la pression. Après tout, chaque décision importante méritait une réflexion à la hauteur.

Cette soirée devait être agréable et divertissante. Eli en avait besoin, elle devait calmer ses méninges, reposer sa tête et juste profiter de sa jeunesse. Par moment, à force d’être toujours trop concentrée dans son travail, Eli a l’impression de passer à côté de ces moments de vie enivrants et amusants pour elle. Bref, ce soir, elle cherche à se détendre. Ses amies veulent prendre un verre au Garnet avant de terminer au restaurant puis certainement dans une boîte de nuit un peu plus loin. Aucun problème, au contraire. Les hostilités commencent doucement, les amies profitent de ce début de soirée sans emmerde, sans accroche. Eli se sent bien, juste heureuse de profiter un peu. Une de ses amies finit par se lever pour les inviter au restaurant. Toujours aucun problème, Eli suit. En se levant, elle passe rapidement sa main sur sa jupe puis sur son haut, histoire de remettre tout en place avant de se lever et de marcher vers l’extérieur. Une main passe sur sa tresse, elle est prête au round suivant. En sortant du bar, Eli finit par s’arrêter net en croisant deux hommes qu’elle connaît très bien : ses anciens employeurs quand elle était encore escort girl. Elle se fige, incapable de bouger, priant pour qu’ils ne la voient pas. Mais c’est trop tard. « Larsen ? Quelle bonne surprise ! » Eli regarde un instant ses amies : « J’arrive, je vous rejoins. » C’était à cause d’eux si elle avait fini au sol, le visage en sang et une plaie béante au niveau du flanc. C’est à cause d’eux qu’elle a failli crever sur ce trottoir, à cause d’eux aussi qu’elle a dû quitter précipitamment sa ville natale. « On n’a pas le temps, on a une affaire. Laisse-la. » Eli n’arrive même pas à parler, le premier s’avance vers elle, la forçant à se reculer. « Je t’appelle après ? » Non. Eli aimerait juste ne pas être ici, elle voudrait s’échapper. C’est ce qu’elle tente de faire mais sa main se referme sur son poignet, l’empêchant de bouger. « Reste. » Murmure t-il au creux de son oreille. Eli a envie d’hurler mais aucun son ne sort de ses lèvres. Elle entend simplement une autre voix l’interpeller. « Madame Amdahl ? » Marius, son garde-du corps. C’est vrai qu’il était là, à l’attendre. Il comprend rapidement le problème et s’approche, faisant lâcher cet individu. Par réflexe, Eli attrape son poignet endolori avant d’entendre de nouveau Marius. « Un mot de vous et… » Eli réagit vite pour l’arrêter : «  Rien. Laissez tomber. » Les deux hommes finissent par s’engouffrer à l’intérieur, laissant Eli et Marius devant le bar. La journaliste a envie de vomir et de rentrer chez elle. Mais voilà, elle est portée par quelque chose. Elle a besoin de savoir ce qu’ils vont faire dans ce bar. Une autre victime sans doute ? Elle doit empêcher ça. Eli revient vers ses amies et finit par leur dire d’y aller sans elle, elle va rentrer à l’hôtel, prétextant un mal de ventre insurmontable. Aucun problème, elle se fait escorter par Marius, elle ne risque rien. « Je retourne à l’intérieur » Eli retourne dans le bar et se fige une seconde fois. Ces mêmes types avec….. DeWitt ??? Cette image est effrayante. Pendant un moment, elle pense qu’il est de mèche avec eux. Et s’il savait que… ? Non. Pire, est-ce lui qui leur a demandé de la faire taire ? Eli a l’impression qu’elle va tomber dans les pommes, sa tête tourne beaucoup trop, elle a besoin d’un remontant.

Stratégiquement, elle se place sur le côté du bar. Personne ne peut la voir ici. Elle se prend un shot de vodka, gardant ses yeux posés sur la scène qui se joue devant elle. « Je peux vous raccompagner à l’hôtel si vous le souhaitez. » Eli sursaute, elle a oublié Marius, décidemment. «  Non restez là, j’ai encore besoin de vous. » Il s’exécute et s’assied à côté d’elle, posant à son tour ses yeux sur les deux individus de tout à l’heure. Quelques minutes, de très longues minutes, passent avant que les deux hommes disparaissent du bar. Ils ne l’ont pas vue et heureusement. Eli commande deux verres de vin rouge. Elle demande simplement à Marius de rester sur ses gardes. C’est un autre ennemi qu’elle va voir maintenant. Eli reprend une profonde inspiration et se lance. Elle essaie de cacher ses émotions, de rester droite et fière, comme elle en a l’habitude avec lui. Pourtant, à l’intérieur, Eli se sent terriblement vulnérable et fragile. «  Monsieur DeWitt ! Quel plaisir de vous voir dans un bar !! » Souffle Eli avant de poser les deux verres devant lui. C’est important de le souligner il est dans un bar ! Incroyable.  « Je vous offre un verre. » Ce n’est clairement pas une question. Marius s’avance vers eux, il s’impose par sa taille et sa corpulence, aucun doute sur son emploi auprès d’Eli. Il referme ses mains devant lui, droit comme un piquet. « Je vous présente Marius. Il se charge de ma sécurité et de ma protection. » Annonce Eli avant de lui envoyer une consigne silencieuse. Ce n’est pas pour rien qu’elle en profite pour le présenter à DeWitt. Il n’est plus le seul à être hautement protégé maintenant. Pourtant, ils ont réussi à lui faire mal… Bref, Marius s’éloigne et vient s’installer à quelques tables plus loin, gardant un œil sur eux. Evidemment, elle bloque un peu DeWitt mais elle a besoin d’avoir cette conversation avec lui. « Les affaires marchent bien ? » Commence la journaliste avant de lever son verre devant lui : « Vous trinquez avec moi ? » Demande d’elle avec son sourire angélique.

Castiel leva les yeux de son verre d’un air nonchalant en entendant son nom. Il ne s’attendait certainement pas à croiser Larsen ici, encore moins à ce qu’elle vienne s’installer à sa table sans invitation. Son regard bleu azur se fixa sur elle, analysant chaque détail de sa posture, chaque nuance de son expression. La dernière chose qu’il voulait ce soir, c’était une confrontation, et encore moins avec elle. Cette soirée devait être un moment de détente, loin des intrigues et des jeux de pouvoir. Mais voilà qu’elle se pointait, avec un sourire feint, et s’imposait sans scrupules, comme à son habitude. Castiel n'était pas dupe. Il savait qu’Eli n'était pas là par hasard. Il était convaincu qu’elle cherchait à le surveiller, à se mêler de ses affaires pour mettre en péril ses tractations.
Il laissa échapper un soupir silencieux et dédaigneux. « Madame Amdahl, quel... plaisir inattendu, » répondit-il d’une voix empreinte d’ironie. Il ne fit aucun effort pour cacher son agacement. Eli, avec son air de fausse innocence et son sourire angélique, ne trompait personne, certainement pas lui. Elle avait cette façon de se glisser dans les conversations et les situations comme un serpent, feignant la douceur, mais prête à mordre à la moindre occasion. Castiel ne doutait pas une seule seconde qu’elle avait quelque chose derrière la tête. Peut-être même était-elle ici pour tenter de saboter ses projets les plus récents. Il se méfiait d’elle, de ses intentions, et encore plus de ses actions.
Lorsqu’elle posa les deux verres de vin devant lui, Castiel jeta un coup d'œil rapide aux boissons avant de revenir à son interlocutrice. Il haussa un sourcil.
« J’ai déjà un verre. »
Il ne fit aucun geste vers le verre de vin. Outre le fait qu’il n’en avait aucunement envie, il ne comptait pas voir Larsen s’éternisait à sa table.
« Vous semblez bien entourée, » observa-t-il en désignant d’un mouvement de tête Marius, qui se tenait en retrait, sa présence massive et imposante trahissant son rôle évident de garde du corps. Castiel ressentit un léger picotement d’agacement. Elle cherchait à afficher sa puissance, à démontrer qu’elle n’était pas intimidée par lui. Avec une lassitude non feinte, il fit un petit geste de la main et soudainement, une femme apparue, suivie de deux hommes. La garde rapprochée que Garensen lui avait donnée pour la soirée.
« Comme vous pouvez le constater, je suis aussi bien protégé. »
Ils reprirent leurs places aussi rapidement qu’ils s’étaient levés.
« Les affaires vont toujours bien, » répondit-il finalement, en faisant tourner son verre dans sa main sans le porter à ses lèvres. « Mais je doute que vous soyez ici pour parler affaires puisque nous ne sommes pas et ne serons jamais en affaires. Mes avocats ont dû contacter votre mari. Le Valhalla n’est pas à vendre. Que venez-vous encore chercher ? » Sa voix était douce, presque susurrante, mais son regard perçant restait fixé sur elle, guettant la moindre réaction, le moindre signe qui trahirait ses véritables intentions. Les questions se bousculaient dans son esprit, mais son visage restait impassible. Peut-être avait-elle entendu parler de ses récents accords, de ses nouveaux partenaires. Peut-être voulait-elle en apprendre plus pour mieux le contrarier. Castiel savait que dans ce monde de pouvoir et d’influence, l'information était l'arme la plus précieuse. Il voulait la tester, voir si elle se trahirait d’une façon ou d’une autre. Pour Castiel, la confiance était une faiblesse, une illusion que l’on utilisait pour mieux tromper. Et il était déterminé à ne pas se laisser avoir par Eli. Il préféra rebondir sur tout autre chose.
« Vous avez l’air tendue, » fit-il remarquer avec une fausse sympathie. « J’espère que ce n’est pas moi qui vous mets dans cet état. » Il lui adressa un sourire vide de chaleur, destiné à la déstabiliser. « Ou peut-être est-ce simplement l’atmosphère de ce bar ? Vous devriez partir et rejoindre votre époux. Rentrer chez vous.»
Castiel la fixa en silence un moment, puis il prit enfin son verre et le porta enfin à ses lèvres, sans renchérir sur le toast porté par la jeune femme. Le gin était bon, mais il n’en savoura pas vraiment la saveur. Il réfléchissait, pesant ses mots, évaluant chaque mouvement d’Eli. Que venait-elle faire ici ? L’avait-elle suivie avec une idée farfelue derrière la tête ? Il aimait contrôler les situations, prévoir chaque réaction, chaque variable. Eli, ce soir, était une variable en trop.
Il reposa lentement son verre, ses doigts jouant avec la base de celui-ci. « Je me demande... » commença-t-il, le ton de sa voix légèrement moqueur, « si votre présence ici ce soir n’est vraiment qu’une coïncidence. Ou peut-être cherchez-vous quelque chose, ou quelqu’un ? » Il s’arrêta, la dévisageant. « Moi, par exemple ? » Il secoua la tête, amusé par cette idée des plus stupide. « Søren, peut-être ? » Il fit un geste de la main «  Comme vous pouvez le constater, il n’est pas là et ne viendra pas.»
Castiel ne put s’empêcher de sourire. Larsen, serait-elle accro au Danois et à son charme. Elle ne serait pas la première à tomber dans les filets de l’avocat. Pauvre Søren. Cette femme était pire qu’une mante-religieuse.
Quelque soit la relation entre son associé et cette sangsue, tout comme, quelque soit le motif de sa présence ici, dans ce bar et pire, à sa table, il comptait avoir le fin mot de cette histoire et se débarrasser d’elle rapidement.

Le plus drôle dans cette histoire c’est qu’Eli a pris cette habitude de s’imposer dans la vie de DeWitt. Il comptait certainement se détendre, mais non, pas ce soir. Alors encore une fois, elle vient à sa table, lui proposant un verre de vin. Ce dernier refuse mais Eli ne s’en offusque pas, elle se contente d’hausser les épaules avant d’ajouter : « Comme vous voudrez. » C’est du gâchis pour un si bon vin. Mais DeWitt est une tête de mule, plutôt mourir que de boire un verre offert par elle. Une guerre interminable entre eux. Eli pose son regard sur Marius et le présente, par respect et politesse… Enfin, elle s’amuse simplement à lui montrer qu’elle est aussi bien protégée, elle n’est plus ce qu’elle était avant. Ses yeux finissent par se poser sur une femme puis deux autres hommes, la garde rapprochée de DeWitt était là. Et au lieu d’être impressionnée, Eli finit par... éclater de rire. « Vraiment, DeWitt, vous êtes si surprenant ! Et à chaque fois en plus ! » Elle secoue sa tête, trouvant cette situation incroyable avec leurs différents chiens de garde respectifs. Quoi qu’il en soit, elle adore ça, lui montrer son pouvoir, puis voir de quoi il est capable de son côté. Non vraiment, elle ne peut qu’en rire. Se reprenant, Eli vient prendre une petite gorgée de son vin, écoutant la réponse de l’homme d’affaire. Elle pose son verre, avance ses coudes sur la table et finit par appuyer son menton sur sa main, posant son regard amusé sur lui. « Il ne va pas lâcher l’affaire » Répond Eli en évoquant son mari. Mais ce n’est pas pour tout de suite en tout cas.

Eli allait enchaîner mais voilà que DeWitt vient l’interpeller sur son état, la forçant à détourner un instant le regard. Il ne faut pas qu’elle pense à la scène de tout à l’heure. Vraiment pas. Il doit le voir. Reprends toi, Eli. Son regard revient bien vite sur lui à ses mots toujours aussi peu agréables à son égard. « Non. » Souffle Eli en reprenant, à son tour, une gorgée de sa boisson. Ses yeux se posent de nouveau sur lui, elle sait déjà qu’il va papoter encore un peu. Il est comme ça Cas’, il éprouve toujours le besoin de parler. Est- il nerveux d’être avec elle ? Cette pensée la fait sourire alors qu’elle se remet à rire en entendant le prénom du Danois. Søren. « Oh, il vous a parlé de moi alors ? J'ai hâte de le revoir bientôt ! » Lance t-elle avec ce sourire, toujours amusée par la situation. Non, elle n’a pas envie de parler du Danois non plus. C’est personnel. Mais, finalement, DeWitt lui fait l’effet inverse. Il tente d’être désagréable avec elle mais l’homme d’affaire a le mérite de la faire rire et de lui changer les idées. Eli préfère largement être contre lui, plutôt que ses anciens employeurs. DeWitt semble être une personne un peu plus… stable.

Eli finit tout de même par se reprendre avec un peu plus de sérieux. « Je vais bien, merci de vous en inquiéter » Commence la jeune journaliste : «  Je ne vous cherchais pas non plus à vrai dire... ma vie ne tourne pas autour de la vôtre mon cher Cas’. Pour une fois, c’est une simple coïncidence. Même le destin décide de nous rassembler, on est fait pour être ensemble. » Lance t-elle avec un clin d’œil et un nouveau sourire, taquin, cette fois. Eli reprend une profonde inspiration avant de débuter : «  Plus sérieusement, j’étais avec des amies tout à l’heure et je vous ai vu avec Monsieur Thomas et Monsieur Baker. Je suis curieuse, vous ont-ils donné leur vrai nom au moins ? » Demande t-elle en se redressant sur sa chaise. Eli connaît le sujet et ça se voit. Ses yeux restent un moment dans les siens alors qu’elle finit par lui dire : «  Ne traitez rien avec eux. » Elle ne lui donne pas d’ordre, peut-être juste un conseil. Enfin, le connaissant, il va encore l’envoyer boulet. Qu’importe, elle l’aura prévenu.

Castiel avait observé Eli avec un mélange de dédain et de frustration. Il n’avait jamais apprécié sa manière de s’imposer dans sa vie, et ce soir ne faisait pas exception. La voir s’asseoir à sa table, un verre de vin à la main, lui rappelait combien elle pouvait être intrusive. Ses paroles et son attitude lui donnaient l'impression qu'elle le surveillait constamment. Et lorsqu'elle avait mentionné son mari, cela n’avait fait qu'attiser sa méfiance. Pourquoi était-elle là, ce soir, alors qu'il venait de conclure une entrevue importante avec Thomas et Baker ? Son instinct lui criait qu'elle était là pour saboter sa future transaction.
L’attitude de Larsen n’avait fait qu'augmenter son irritation, qu’il cachait derrière un grand sourire glacial. Il savait qu’elle avait toujours un plan, une arrière-pensée. Chaque sourire, chaque parole cachait quelque chose de calculé. Il n’y avait que la réponse de la blonde concernant le Danois qui l’avait fait réellement sourire. Comme lui avait si bien dit Søren : « Sois proche de tes amis et encore plus proches de tes ennemis. »
Lui-même n’avait pas cette patience. Il espérait simplement que son ami garderait quelques preuves de leurs entrevues, quelque chose qui puisse servir de monnaie d’échange. On n’était jamais trop prudent.
"Cas’". Ce surnom lui avait fait l’effet que Larsen grattait une ardoise avec ses ongles. Ce diminutif familier, si inconsidérément jeté en sa direction, l’irritait au plus haut point. Elle osait l’utiliser comme si une proximité existait entre eux, comme s’ils partageaient autre chose que cette guerre silencieuse et tenace. L’ironie de la situation ne lui échappait pas : Eli, la reine de l'intrusion, s’autorisant à briser ses barrières avec un surnom qui semblait sortir tout droit d’un cercle intime auquel elle n’avait jamais été invitée. Serrant les dents, Castiel s’était retenu de la corriger, son regard glacial suffisant pour lui signifier que ce surnom n’avait aucune place entre eux. Mais bien sûr, elle s’en moquait. Après tout, provoquer les gens avec une fausse affection était son sport favori, et elle semblait exceller dans cette discipline.
Malgré les provocations de la blonde, l’homme d’affaires était resté impassible et avait répondu par un haussement d’épaules désinvolte. Elle pouvait bien raconter ce qu’elle voulait. Ce soir-là, alors qu’il avait eu une réunion avec de potentiels futurs partenaires pour le Valhalla, Larsen avait débarqué. La mention des deux hommes, Thomas et Baker, l’avait fait tiquer. Ses yeux s’étaient plissés légèrement, signe d’un intérêt accru. Pourquoi parlait-elle d’eux ? Comment les connaissait-elle ? Encore une fois, il en revenait à sa première impression : elle n’était pas là par hasard.
« Savez-vous quelque chose d’eux que j’ignore ? » avait-il demandé d’un ton neutre cette fois. Il ne voulait pas la brusquer s’il tenait à obtenir des réponses un peu plus complètes.
« Pourquoi pensez-vous qu’ils me mentent sur leur identité ? Et quel serait leur intérêt à me cacher leurs véritables noms ?»
Castiel ne savait rien de ces deux hommes. Normalement, Søren devait les rencontrer. Il pestait de ne pas avoir eu le temps de faire faire une enquête sur eux. Cela viendrait après. Pour le moment, son seul but était de se débarrasser de Larsen.
« Ils m’ont dit qu’ils traitaient avec Roman avant. »
Ses paroles avaient la légèreté apparente d'une conversation banale, mais Castiel savait qu'elles étaient chargées de sous-entendus. Eli le surveillait, c’était évident, et ce sentiment d’être sous une loupe l'irritait au plus haut point. Castiel soupçonnait un nouveau plan machiavélique de sa part, une tentative de s'immiscer dans ses affaires. Ses mains étaient revenues se poster autour de son verre.
« Pourquoi devrais-je vous croire ? » avait-il demandé, penchant légèrement la tête et l’observant avec une curiosité calculée. « Qu’est-ce que vous gagnez à me prévenir ? »
Larsen ne faisait jamais rien pour rien. Il ne voyait pas ce qui pouvait l’amener à interférer dans cette transaction. Bon sang, qu’est-ce qu’il pouvait détester ce cabaret et toutes les complications qu’il lui occasionnait par le biais de personnes mal intentionnées.
Castiel s'efforçait de garder son calme, mais intérieurement, il maudissait ces alliances qui lui apportaient plus de tracas que de bénéfices. Un jour, il mettrait fin à cette mascarade, mais ce soir, il devait jouer son rôle. Castiel savait qu'avec Eli, tout était une question de gains et de calculs, et il était déterminé à découvrir ce qu’elle cachait, quitte à s’enfoncer un peu plus dans les ennuis.
Sans cette histoire avec Roman et son émissaire, il se serait débarrassé de ce maudit cabaret. Maintenant, il préférait nager dans les ennuis jusqu’au cou plutôt que d’en céder ne serait-ce qu’une infime part.

Devant l’homme d’affaires, Eli contient les émotions désagréables qu’elle avait ressenti quelques minutes plus tôt. Du dégoût mais surtout la peur de les recroiser ici, près de sa ville natale. Avec son mariage et le paiement de ses dettes, Eli pensait enfin être débarrassée de ces types. Mais voilà, elle a eu le malheur de les croiser de nouveau. Evidemment, devant DeWitt, ses émotions sont bien différentes. Elle ressent toujours un peu de colère mais cela n’a rien à voir devant les deux autres hommes. DeWitt pourrait très bien les connaître depuis longtemps aussi, il pourrait même être complice de son agression. A cette pensée, elle voit le visage de son ami écrivain lui revenir en mémoire. Si Dorian croit fort en DeWitt, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. A l’entrée de bar, Eli avait aussi entendu Baker évoquer une affaire à l’intérieur. Il est évident qu’ils essaient de traiter avec DeWitt et cela ne l’arrange pas. Même si cette information pourrait clairement entacher la réputation de l’homme d’affaires, Eli décide plutôt de le prévenir, de l’avertir de la connerie qu’il est en train de faire. Un verre pour lui, elle tente, d’installer un climat plus agréable pour eux. C’est peine perdue, ils se détestent tellement qu’il est difficile de ne pas sentir toute cette animosité entre eux. Eli s’en moque, le sujet de Thomas et Baker est bien plus important à ses yeux. Bon, en revanche, en voyant le regard assassin de Castiel à l’évocation d’un surnom qui lui va si bien pourtant, Eli ne peut s’empêcher de sourire, amusée de le voir réagir silencieusement à ses insupportables attaques contre lui.

Revenant au sujet principal, elle voit enfin son intérêt piqué par ses paroles. Il veut en savoir plus, bien. « Comment vous ont-ils présenté leur business ? » Elle choisit de répondre par une autre interrogation car elle tâtonne un peu, ne sachant pas son degré de connaissance face à l’illégalité de cette affaire. Le plan des deux hommes est souvent le même : ils présentent la qualité de leur service avec précision en gardant toujours la même ligne : le bien-être des clients. Prestations basées sur des massages, livraison de repas de luxe, voiturier à la demande, animations diverses et variées… L’offre est grande et s’adapte aux relations commerciales. Elle ne sait pas s’ils ont présenté ainsi leur affaire mais toutes ces belles offres cachent en réalité un vaste réseau d’escort girls, complètement illégal sur le territoire. Si DeWitt signe un contrat avec eux, c’est le début des emmerdes. Eli trempe de nouveau ses lèvres dans son vin. Elle entend ses questions mais elle ne sait pas par quoi commencer à vrai dire. Elle déglutit difficilement à ses propos concernant Roman. Elle ne pensait pas qu’il était lié à eux. Elle ne dit rien, ne laisse rien paraître non plus, non, elle réfléchit à toute vitesse. Cela se tenait, ce n’est pas pour rien qu’on ne l’embête plus depuis son mariage avec lui. Son cœur bat un peu plus maintenant, réalisant qu’elle ne sait pas tout de son mari, comme toujours. « Seulement avec Roman ? Avez-vous parlé à Ryan de ce contrat ? » Elle le sait, Ryan a toujours eu une conduite plus rationnelle que son frère, DeWitt a dû se renseigner à ce sujet.

Eli reprend une profonde inspiration à ses deux nouvelles questions. Elle pose ses coudes sur la table avant de lui répondre : « Je ne gagne rien. Je ne le fais pas pour vous. » Pour elle, surtout. Il faut qu’elle se protège et qu’elle éloigne ces types de sa ville natale. Elle sait que s’ils ne signent rien avec le cabaret, ils vont aller ailleurs, plus loin, trouver de nouvelles proies « Je le fais par affection au cabaret, ainsi que pour votre associé. » Mêler le vrai au faux est sa passion aussi. « Je sais ce que font ces deux hommes. Leur affaire n’a rien d’une affaire légale. Si vous signez avec eux, vous risquez de faire plonger le cabaret, Søren et vous. » Eli garde son regard clair sur lui : « Franchement, avec ce que j’ai vu, vous avec eux, je peux très bien entacher votre réputation. » Un léger sourire taquin naît sur ses lèvres. « Je ne le ferai pas. J’ai plus d’intérêts à les détruire eux. » Eli est sérieuse, elle ne fera rien à DeWitt. Juste un instant, ses yeux viennent se poser sur la porte d’entrée du bar, puis sur Marius. Il est toujours là, elle ne risque rien. Son regard revient sur son interlocuteur. « Il va falloir me faire confiance Cas…tiel » Aller, juste parce qu’elle ne veut pas le froisser davantage.