Castiel ne pouvait s’empêcher de tourner en rond dans le salon. Ses pas faisaient un léger bruit sur le parquet ciré, un murmure discret qui traduisait l’agitation qui bouillonnait en lui. La lumière du jour, projetait une douce lueur dorée sur les murs, mais l’ambiance n’était en rien apaisante. Il jeta un regard vers la grande pendule qui trônait fièrement dans un coin de la pièce : les Black allaient arriver d’une minute à l’autre. Malgré le fait qu’il soit l’instigateur de cette rencontre, certains doutes l’assaillaient. Pas ceux au sujet de l’aide apportée par ses parents aux Black. Non, c’était plus ‘le reste’ qui l’agaçait. Et le reste, comme il disait, c’étaient les amies de sa mère. Ses sourcils se froncèrent à l’évocation de ces femmes. Pour avoir été la proie de leur envie de caser leurs filles, il savait de quoi elles étaient capables.
Un soupir résonna dans l’immense pièce.
Il regarda autour de lui sans remarquer les riches tentures aux immenses fenêtres. Les canapés moelleux dispersaient avec un faux air de désordre. Les objets d’art et les tableaux de maîtres délicatement mis en valeur.
Il avait tenté de convaincre sa mère de recevoir les Black chez lui, mais elle était restée intraitable. Cette discussion aurait lieu chez elle et nulle part ailleurs. Ensuite, elle recevrait ses amies et Martha serait la Reine de cette petite assemblée.
Sa mère, Irene, était assise sur l’un des canapés, droite et élégante, comme toujours. Sa robe de soie bleu nuit rehaussait la couleur de ses yeux clairs, qui surveillaient calmement les allées et venues de son fils. Elle semblait imperturbable, comme si la venue des Black n’était qu’une formalité de plus à régler. Pourtant, Castiel savait que derrière cette apparence sereine se cachait une tension à peine dissimulée. Il la connaissait trop bien pour être dupe de son masque de tranquillité. Il remarqua comment ses doigts fins jouaient nerveusement avec son alliance, qu’elle faisait inlassablement tourner, un geste subtil qui trahissait son anxiété.
« Maman, es-tu sûre que c’était une bonne idée de les inviter ici ? » demanda Castiel, brisant le silence qui s’était installé dans la pièce.
Irene leva les yeux vers lui, un sourire léger aux lèvres, mais son regard était sérieux.
« Castiel, nous n’avions pas vraiment le choix. Cette rencontre devait avoir lieu ici. Chez moi. »
Castiel hocha la tête, bien qu’il ne soit pas entièrement convaincu. Il comprenait la logique de sa mère, sans pour autant l’accepter.
Lorsque Irene Forster-Miller avait annoncé qu’elle recevait la fameuse Martha Black, la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Tout le monde voulant rencontrer celle qui arrivait à faire d’un banal fruit, une gelée divine. Certaines voulaient même lui faire dédicacer des pots. Lorsque sa mère lui avait parlé de cette idée stupide, il avait levé les yeux en se frappant le front. La bêtise humaine était sans limite. Cependant, en homme d’affaires avisé, Castiel voyait aussi le côté positif. Grâce à son talent, Martha avait maintenant un salaire confortable qui tombait chaque mois et cette pensée lui donnait le sourire et beaucoup de satisfaction. Il se souvenait de l’état financier de la famille lorsqu’il les avait rencontrés grâce à Jayden. Tout cela était du passé. Aujourd’hui, d’autres questions avaient besoin de réponses. Il espérait que sa mère les avait.
Son père les rejoindrait plus tard. Une réunion qu’il ne pouvait pas rater le retenait. Toutefois, il tenait lui aussi à participer à cet entretien. Lui aussi était là-bas. Lui aussi finançait la Rose Lunaire et croyait aux projets qu’ils défendaient en aidant les plus démunis.
Dans leur tout d’ivoire, les Foster-Miller ne voyaient que le bon côté des choses, préférant laisser la noirceur du monde hors de chez eux. Hors de leur monde, lorsque cela était possible.

Afin que les Black ne se perdent pas, Castiel avait envoyé son chauffeur les chercher à l’hôtel. Cela avait aussi rassuré Garensen, qui n’avait pu s’empêcher de mettre quelques personnes assurant une surveillance discrète du fils Black. Son pire cauchemar.

Lorsque la sonnette retentit, il vit sa mère se figer une fraction de seconde avant de retrouver rapidement son sourire. Irene se leva gracieusement, ajustant les plis de sa robe avec une précision délicate. Elle accueillit les Black et Martha en particulier, comme si elles étaient des amies de longue date.
« Martha, comme je suis heureuse de vous rencontrer. Et Peter. »
Elle serra Martha dans ses bras, puis se tournant vers Peter, elle enserra ses mains pendant quelques secondes, prenant conscience de cette vie qu’elle avait contribué à sauver.
Parce que, même si de l’extérieur, Martha et elle étaient très différentes, elle savait qu’au fond, elles n’étaient que deux mères ayant perdu un enfant.
L’attente de cette rencontre avait été longue, et maintenant que le moment était enfin arrivé, il se sentait pris entre le désir de voir cette affaire se résoudre et la crainte des tensions qui pourraient en découler à cause de la Rose Lunaire.

Irene Forster-Miller se tenait droite sur le seuil de sa demeure, une expression chaleureuse éclairant son visage. Ses yeux parcouraient la petite famille devant elle, enregistrant chaque détail avec une appréciation sincère.
" Quel magnifique panier !" Irene s'avança pour examiner de plus près l'œuvre d'art culinaire que John tenait entre ses mains. " Tout cela est si merveilleux. Et les fleurs ! Oh, ces marguerites fraîches sont d'une beauté à couper le souffle. Comment avez-vous réussi à les maintenir ainsi ? C’est un véritable talent. Votre geste est tout simplement charmant, et cette robe jaune que vous portez est absolument ravissante. Elle vous va à merveille, Martha."
Pendant ce temps, Castiel, qui se tenait un peu en retrait, observait la scène avec une affection non dissimulée. Il savait combien sa mère pouvait être accueillante, mais il y avait quelque chose de spécial dans sa façon de traiter les Black, qui le touchait. Ces derniers mois avaient été tumultueux pour eux tous, et voir sa mère créer une telle ambiance de chaleur et de réconfort l'apaisait. Néanmoins, une petite inquiétude se glissa dans son esprit en apercevant Peter, qui semblait un peu mal à l'aise dans sa chemise noire légèrement trop grande.
Profitant d'un moment d'inattention, Castiel s'approcha discrètement de Peter et murmura à son oreille. "Pourquoi es-tu tout en noir, Peter ? Tu as l'air prêt pour un enterrement, pas une visite de courtoisie."
Castiel haussa les sourcils, mais sourit en retour. Il y avait toujours une histoire intéressante derrière les apparences quand il s'agissait de Peter. Il choisit de ne pas insister pour le moment. Après tout, ils étaient là pour une raison bien plus importante.
Irene les invita à entrer dans le grand hall d'entrée de la maison, une pièce élégante et lumineuse avec des murs en boiseries blanches et des œuvres d'art soigneusement choisies qui ornaient les murs. L'odeur délicate des fleurs fraîchement coupées flottait dans l'air. Elle fit un geste vers le salon adjacent, les conduisant vers un ensemble de fauteuils confortables disposés autour d'une table basse en verre.
"Installez-vous, je vous en prie," dit-elle en se tournant vers eux. "Je me doute que ce ne soit pas un déplacement facile que vous avez fait pour venir jusqu'ici. Redwood est un endroit particulier, mais je suis si heureuse que vous ayez pu venir. Nous avons tant de choses à discuter, et je ferai de mon mieux pour répondre à toutes vos questions. Et avant toute chose, il n'y a pas de Madame Forster-Miller, ici, s'il vous plaît," répliqua Irene avec un sourire sincère. "Appelez-moi Irene. Nous sommes ici pour parler en famille, après tout." Elle se tourna ensuite vers Castiel, qui observait la scène avec une curiosité tranquille. "Tu veux peut-être dire quelque chose, mon chéri ?"
Castiel hocha la tête, se levant de son siège pour attirer l'attention de tout le monde. "En fait, oui. Nous avons tous traversé beaucoup de choses, mais c'est précisément pour cela que nous devons rester unis et comprendre ce qui s'est passé. Nous sommes là pour écouter, pour partager, et pour avancer ensemble."
Irene hocha la tête en signe d'approbation. "C’est exactement cela, Castiel. Je comprends que vous pouvez avoir beaucoup de questions, et je ne prétends pas avoir toutes les réponses. Mais je suis prête à partager ce que je sais, et à être aussi transparente que possible. Tout ce que je souhaite, c'est que nous puissions avancer dans un esprit de confiance et de respect mutuel."
Une employée de maison fit une apparition discrète. Entre ses mains, un immense plateau chargé de tasses et de verres. Elle fit le tour des convives pour leur proposer une boisson puis s’éclipsa aussi discrètement qu’elle était apparue.
"Et si je commençais par le début, tout simplement," reprit Irene en s'installant plus confortablement dans son fauteuil. "Vous savez, lorsqu’avec mon époux, nous sommes arrivés à Redwood, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre."
Irene fit une pause, se remémorant cette époque. "Nous avions besoin de sortir de New York pour une pause, pour prendre du recul. Nous avons séjourné chez une arrière-grand-tante, une femme charmante, qui vivait dans une petite maison à la lisière de la ville. Elle habitait Redwood depuis son enfance, et elle nous a ouvert les yeux sur une réalité que nous ignorions jusqu'alors. Je dois avouer que nous menions une vie plutôt frivole à l’époque. Ce n’était que sorties, bal, galas avec les jeunes gens de la bonne société. C’était ainsi. Se retrouver à la campagne nous a d’abord paru étrange. Puis, nous avons vite compris que nous pouvions aider. Et c’est comme cela que nous avons rencontré Joy. ".
Irene se tut quelques secondes. Elle se doutait qu’entendre le nom de cet homme n’était certainement pas facile pour les Black, ni pour quiconque ayant vécu des drames à cause de sa folie. Elle enchaîna néanmoins. "À l’époque, ses idées nous ont tout de suite séduits. Il avait créé une petite communauté qui s'entraidait pour élever leurs enfants, partager les récoltes, et offrir du soutien les uns aux autres. Il nous a introduits dans cette communauté, et mon époux et moi avons rapidement été touchés par leur générosité, mais aussi par les difficultés qu'ils affrontaient. La vie à la campagne n'était pas facile. Loin de là."
Elle se tut un instant, son regard se perdant dans le souvenir de ces premiers mois à Redwood. "La transition n’a pas été sans heurts. Il y a eu des moments où nous avons douté de notre capacité à vraiment aider. Les infrastructures étaient rudimentaires, et les ressources, limitées. Mais chaque petit geste comptait, et nous avons vu des améliorations, lentement, mais sûrement. J’ai passé beaucoup de temps à l'école locale, à parler aux enseignants, à comprendre leurs besoins. Nous avons aussi établi des contacts avec le dispensaire pour offrir des soins aux jeunes mères et à leurs enfants. ".
Castiel, qui écoutait attentivement, intervint à son tour. "Je me souviens des récits que tu me faisais de ces journées à Redwood, Maman. Vous avez travaillé si dur pour apporter un peu de confort et de soutien à ces familles. C'est quelque chose dont je suis vraiment fier."
Irene sourit, visiblement touchée par les paroles de son fils. "Merci, mon chéri. Redwood nous a changés, ton père et moi. Nous avons réalisé que nous pouvions faire une différence, aussi petite soit-elle. Nous avons organisé des collectes de vêtements, des journées de soins médicaux avec le dispensaire, et même des cours d'éducation pour aider les jeunes mères à mieux s'occuper de leurs enfants. Redwood est devenue plus qu'un simple refuge pour nous. C'était une nouvelle façon de vivre, de se connecter avec les autres. Même après notre retour à New York, nous avons continué à envoyer des fournitures, à financer des projets éducatifs et à soutenir les initiatives locales. Redwood est une partie de nous maintenant, et nous ne pourrions pas l'abandonner. Nous avons vu des vies s'améliorer, et cela nous a motivés à continuer, peu importe la distance."
Il y eut un moment de silence.
Irene sourit doucement. "Nous avons simplement suivi notre cœur et lorsque je vous vois, ici, chez moi, je me dis que nous avons fait les bons choix. Si vous avez des questions, n’hésitez pas."

Castiel regardait les Black, espérant que cette rencontre leur fournirait des réponses. L'air était chargé de tension, une tension qu'il se sentait responsable de dissiper. Il prit une profonde inspiration, cherchant les mots justes pour expliquer une situation complexe et parfois déroutante. Irene était à ses côtés, les mains jointes avec calme, un sourire aux lèvres. Elle ne s'attendait pas à se retrouver au cœur de cette conversation, mais Castiel savait qu'il pouvait compter sur elle pour apporter la clarté nécessaire.
« Je pense qu'il est temps de mettre les choses au clair, » commença-t-il en fixant Peter droit dans les yeux. « Ma mère n’était pas au courant pour le corbeau. Tout cela, c’est moi qui le lui ai raconté. Elle n’avait aucune idée des détails de nos quêtes, et encore moins de ce qui s’était passé dans votre grange. J’ai partagé mes aventures avec elle, » continua-t-il. « Parce que j’ai supposé que si elle connaissait les événements récents qui ont secoué Redwood, peut-être qu’elle pourrait comprendre et, qui sait, nous donner un nom. »
Irene hocha doucement la tête pour confirmer les paroles de son fils. Elle ressentait le besoin de clarifier sa position, de soulager les inquiétudes des Black. Elle se tourna vers Peter, son regard se faisant plus doux. « Castiel m’avait parlé de cette affaire de corbeau et du message dans la grange, oui. Un message qui ne vous concernait pas, en plus. Il m’avait raconté comment vous aviez tous fait face ensemble à cette étrange situation. Mais, crois-moi, je n’avais aucune idée qu’un corbeau semait le chaos jusqu’à ce qu’il me le raconte. Je ne comprends pas ce besoin de répandre le doute autour de soi, de faire du mal. »
Irene sentait qu'elle devait aller plus loin, expliquer l'origine de ce fond mystérieux qui avait éveillé tant de questions chez les Black. « En ce qui concerne le fond pour les enfants, » poursuivit-elle, « c’était une initiative qu’avec mon mari, nous avions décidé d'ouvrir. Joy n’y était pour rien. C’est nous, et uniquement nous, qui avons décidé de mettre en place cette aide. Je me suis toujours sentie impliquée par les problèmes rencontrés par les femmes. Les aider était quelque chose de vital. »
Irene adressa un sourire aux Black, tandis qu’elle poursuivait. « Nous avons créé ce fond parce que nous croyons fermement que chaque enfant mérite une chance d'un avenir meilleur, » dit-elle, lissant du plat de la main un pli imaginaire sur sa robe. « En côtoyant les habitants de Redwood, ils  nous ont raconté les différentes difficultés auxquelles ils étaient confrontés, et cela nous a ouvert les yeux sur les besoins de cette communauté. Mais ne te méprends pas, Peter, Joy n’a jamais demandé de l’aide pour toi, pour tes parents, ou pour qui que ce soit d’autre. » Elle marqua une pause, laissant ses paroles s'ancrer. « Pour ce qui était de vous et de votre histoire, Joy n’y était pour rien. Je crois que ce genre de préoccupation lui passait au-dessus de la tête. Nous avons toujours eu l’impression qu’il vivait dans un monde un peu idéalisé par rapport à la réalité. »
Le regard clair d’Irene se perdit quelques secondes dans ses souvenirs. Un léger froncement de sourcils vint marquer quelques fines rides sur son front et autour de ses yeux avant qu’un sourire ne revienne prendre place sur ses lèvres. « Il est possible que quelqu’un d’autre, au sein de la communauté, ait entendu parler de vos difficultés et ait suggéré que le fond puisse vous être utile. Mais cela n’a jamais été une requête de Joy. »
Elle se doutait que ses réponses ne devaient pas satisfaire entièrement les Black, elle continua néanmoins : « Nous avons voulu que ce fond soit une aide discrète et respectueuse de l’intimité de chacun. Nous recevons un bilan annuel des actions menées avec cet argent, mais tout est anonyme. Nous ne savons pas à qui précisément l’argent est attribué, seulement ce qu’il permet d’accomplir. Cela nous permet de nous assurer que l'aide parvient à ceux qui en ont vraiment besoin, sans compromettre leur dignité. Nous voulons éviter que l’aide soit perçue comme une ingérence ou une forme de charité mal placée. Nous voulons simplement que le fond soit une ressource disponible pour ceux qui en ont besoin, sans les exposer à des regards intrusifs ou des jugements. »
Castiel observait Peter attentivement, cherchant à percevoir une réaction, une indication que ses explications trouvaient écho. Il savait que la méfiance était une réaction naturelle face à l'inconnu, et que la situation avait de quoi perturber n'importe qui. Mais il espérait que la transparence de ses paroles suffirait à dissiper les doutes. Du moins, en partie.
« Le fond a été créé avec les meilleures intentions, » ajouta-t-il doucement. « Mes parents ont simplement voulu apporter leur soutien d'une manière qui aurait un impact réel. Ils n'avaient aucune autre intention que celle de faire le bien. » Il se tourna vers sa mère, lui prit une main et la porta à ses lèvres pour l’embrasser.
Irene acquiesça. « Nous savons que certaines personnes pouvaient ressentir de la honte à demander de l’aide, même quand elles en avaient besoin. C’est pour cela que nous avons choisi d’opérer de manière anonyme. Notre but était d’alléger les fardeaux, pas de les alourdir avec le sentiment de se sentir redevable. »
« J’avoue que, malgré ce que tu nous as dit, on n’est pas plus avancé. Qui pouvait savoir, d’après toi, que les Black avaient bénéficié de cette aide, si comme tu le dis, tout était anonyme ? »
Il fit une pause, laissant ses paroles flotter dans l'air un instant. Irene jeta un coup d'œil à son fils, puis aux Black. Elle sembla hésiter une fraction de seconde, puis dit, d’une voix posée : « Le cabinet d’avocats de Redwood Hills. Nous avons trouvé pertinent que des hommes de loi, travaillant sur place, aient un regard sur ce qu'il se passait. discrètement, bien entendu. »
Dans la pièce, chaque mot résonnait avec une intensité accrue. Le fond n’était pas un instrument de contrôle, ni une tentative d’ingérence dans les affaires des familles. C’était un simple geste de générosité, né du désir d’apporter un peu de lumière dans les moments sombres.
« Nous n'avons jamais eu l'intention de faire quoi que ce soit dans le dos de qui que ce soit, » ajouta Irene avec douceur. « Par contre, savoir qu’une personne mal intentionnée affiche au grand jour les informations sur les familles, cela ne me plait pas beaucoup. D’ailleurs, depuis que Castiel m’a raconté ça, nous avons mis en place une nouvelle procédure encore plus stricte. Nous avons aussi limité l’accès aux dossiers. Quant à Joy, je n’avais aucune idée de ses motivations. Nous n’avons jamais été très proches. Nous ne l’apprécions pas vraiment. Et oui, il est bien mort. Je n’en ai pas la preuve, car nous ne l’avons pas vu, mais un homme comme lui ne s’efface pas aussi facilement du devant de la scène. Je suis désolée, mais voilà tout ce que je sais. Pas grand-chose, j’en ai bien peur. Il aurait fallu lui poser toutes ces questions directement, mais je crainds qu’il ne soit trop tard. »
Elle adressa un sourire navré à Peter, puis à ses parents. Trop tard et surtout, jamais ce sale bonhomme n’aurait répondu à une seule de leurs questions. Elle remerciait le ciel tous les jours d’être rapidement partie de Redwood pour reprendre sa vie citadine, loin de toutes ces magouilles. Sa seule contribution à la Rose Lunaire était le fond qu’ils continuaient à alimenter.

Castiel observait la scène avec une attention particulière. Le comportement de Peter, sa manière d’insister malgré les évidentes réticences de sa mère, tout cela lui rappelait à quel point il admirait cette détermination, même si elle devenait parfois exaspérante. Peter avait toujours ce besoin compulsif de creuser plus profondément, de chercher des réponses là où d'autres se seraient déjà arrêtés. Mais, en ce moment précis, la ténacité de son ami n'allait pas changer les faits. Castiel savait qu'ils ne pouvaient pas apporter plus de réponses que ce qu'ils avaient déjà donné.
« Peter, je comprends ce que tu essaies de dire, vraiment. » Castiel fit une pause, cherchant les bons mots, ceux qui calmeraient l'énergie frénétique de son ami sans lui donner de faux espoirs. « Mais tu fais fausse route en pensant que le Corbeau nous guide avec bienveillance. Ses intentions ne sont pas claires, et en supposant qu’il veut simplement nous pousser dans une direction, tu risques de tomber dans un piège. C'est dangereux de trop interpréter ses actions. »
Castiel savait que Peter n’apprécierait pas cette mise en garde. Mais c’était nécessaire. Le jeu de piste du Corbeau était justement un jeu, et qui pouvait dire s’il n’allait pas s’effondrer sous les pieds de ceux qui le suivraient aveuglément ? Castiel n’avait jamais été du genre à se précipiter dans l’inconnu sans peser les risques.
« Il y a quelque chose de calculé, peut-être même de malveillant dans la manière dont tout a été orchestré. Il faut rester prudent. Suivre le lapin blanc, c’est aussi accepter de plonger dans le terrier, et on ne sait pas encore où ça nous mène. »
Son regard, toujours aussi perçant, croisa celui de son ami. Castiel savait bien que Peter écouterait, mais qu’il ne renoncerait pas. La discussion n’était pas terminée, et même s’il pouvait ressentir cette frustration monter en lui, Castiel savait qu’il valait mieux le laisser continuer son chemin, quitte à ce que cela les mène dans des directions plus hasardeuses.
De son côté, Irene aussi écoutait les échanges avec une bienveillance presque maternelle. Elle comprenait les inquiétudes de Peter, la fougue avec laquelle il cherchait à comprendre ce qui leur échappait. Après tout, elle avait elle-même connu cette ardeur, cette soif de vérité. Mais aujourd’hui, elle savait aussi combien certaines vérités étaient insaisissables.
« Peter, Castiel a raison. Ce Corbeau… je crains qu’il ne joue à un jeu dont nous ne connaissons pas les règles. »
Elle posa ses mains sur la table, dans un geste mesuré, cherchant à apaiser l'atmosphère.
Elle prit une pause, son regard se posant doucement sur Martha, puis sur Peter et enfin sur John, le plus silencieux de tous. Irene ressentait la pression sur cette famille, leur besoin urgent de comprendre ce qui leur arrivait. Pourtant, elle n’avait pas les clés pour tout expliquer. Elle pouvait juste les accompagner du mieux qu’elle le pouvait.
« Quant à Joy… » Elle ferma brièvement les yeux, rassemblant ses pensées. « Joy était un homme complexe, et un homme comme lui ne s’efface pas facilement. Mais je n’ai pas d’autres informations sur ce qui lui est arrivé. Je comprends pourquoi vous ne voulez pas croire qu’il est parti sans laisser de traces. Mais, parfois, certaines personnes sont capables de disparaître volontairement, même si cela semble impossible. »
Castiel, reprit la parole.
« Ce que je veux dire, Peter, c’est qu’il ne faut pas croire qu’il y a toujours un sens caché derrière chaque indice. Parfois, les choses sont ce qu’elles sont, aussi frustrantes que cela puisse être. Nous devons avancer prudemment, ensemble, sans perdre de vue ce qui est important : la sécurité de chacun. »
Castiel savait que ces mots ne suffiraient pas à calmer Peter pour de bon, mais il espérait au moins l'avoir ancré dans une réalité moins dangereuse. Tandis qu’il jetait un regard vers Irene, il apprécia une nouvelle fois la sérénité qu’elle dégageait. Elle avait donné tout ce qu’elle pouvait, et maintenant, c’était à eux de décider comment avancer avec ces pièces du puzzle, aussi incomplètes soient-elles.
Irene plongea son regard dans celui de Peter, ses traits adoucis par une pointe de sollicitude, mais teintés de gravité. Elle soupira légèrement avant de poursuivre, consciente que ses mots pourraient le bousculer . « Écoute, je comprends que tu veuilles des preuves tangibles, des certitudes. Mais si Joy est réellement décédé, il a très certainement dû être incinéré. Beaucoup de personnes font ce choix et dans ce cas... il n'y aurait aucune tombe à chercher. »
Elle fit une pause, laissant à Peter le temps de digérer ses paroles, puis continua d'un ton plus sérieux. « Mais s'il n'a pas été incinéré et qu'il y a bel et bien une tombe quelque part… » Elle leva légèrement un sourcil, trahissant son inquiétude. «  J’espère sincèrement que tu ne penses pas à... comment dire… aller jusqu’à profaner cette tombe, s’il s’avère que tu la trouves. Ce serait une ligne dangereuse à franchir. Même dans ta quête de vérité, il y a des limites qu’il vaut mieux ne pas dépasser. »
Irene le regarda avec intensité, espérant que ses mots le feraient réfléchir avant qu’il ne se lance tête baissée dans une démarche aussi risquée. Il y avait des chemins, une fois empruntés, dont on ne revenait pas indemne.
Castiel décida de reprendre la conversation car il n’osait imaginer ce que Peter pouvait faire pour avoir ‘sa preuve’. Garensen n’avait pas fini de râler. Même si le sujet n’était pas aussi léger qu’il le souhaitait, il tenait à répondre à la question de son ami concernant le cabinet Shelby.
« Je pense que tu connais tout comme moi les noms des avocats qui travaillent pour le cabinet Shelby. Ils ne sont pas si nombreux que ça. Après, je me vois mal aller les voir pour les questionner. J’ai déjà mes propres avocats. Ils le savent très bien. Je crois que je suis grillé. »
Il haussa les épaules tout en soupirant. Il évita de dire que la situation était très tendue chez les avocats de Redwood depuis la désertion d’Henry et Castiel ne voulait pas lancer d’accusions sans preuves.
La conversation dévia enfin vers un sujet beaucoup moins sensible.
Avec un sourire doux et un regard chaleureux, elle prit délicatement les tickets tendus par Peter avant de les lui rendre. « Merci infiniment, Peter, pour cette attention. C’est vraiment généreux de ta part, et j’aurais adoré venir te voir en concert. Malheureusement, j’ai déjà des engagements pour ce soir qui m’empêchent d’assister au spectacle. Mais je suis certaine que ce sera une soirée mémorable, et je te souhaite le meilleur. » Castiel, de son côté, glissa son ticket dans sa poche avec un sourire en coin. « Quant à moi, je ne manquerais ça pour rien au monde. J'ai hâte de voir ce que tu vas nous réserver sur scène, sauts acrobatiques compris. »
Pour Irene Foster-Miller, il n'y avait plus rien à ajouter. Elle avait dit aux Black tout ce qu'elle savait. Elle adressa un grand sourire à Martha « Je crois que mes amies ne vont pas tarder à arriver. Je me demande même si elles ne sont pas déjà là, à trépigner d’impatience dans le grand salon. » Un petit rire cristallin accompagna ses paroles.
« Messieurs, cette petite réunion n’est qu’entre dames, mais il y a la terrasse, si vous désirez passer un moment. Je vous ferai monter des boissons et quelque chose à grignoter.»
C’était une façon polie de les mettre gentiment dehors.