Tu as repris du poids. Des forces. L'envie de reprendre tes shows aussi. Mais pour le moment, tu n'avais rien organisé. Prendre du repos t'allait, parce que tu savais que le monde de la scène était épuisant, et tu n'allais pas sortir d'une phase où tu étais tout le temps fatigué pour être de nouveau tout le temps fatigué. Puis, un avocat t'avait appelé pour cette histoire de maison. Qu'il fallait songer à signer les papiers, tu n'as pas compris pourquoi il insistait tant. Après tout, même si la maison était louée, c'était la tienne et c'était à de décider si tu voulais la vendre ou non. Tu aurais voulu la revoir avant de le faire, mais c'était idiot, parce que ces gens auraient déjà changé tous les meubles, tout avait du être vidé, tu ne sais pas trop.

Au final, et après en avoir parlé plusieurs fois avec Alonso, lors de repas, de promenades de Chacha ou juste lorsque vous aviez vos moments de lectures, il avait été décidé de se rendre à Los Angeles pour deux jours, que tu puisses revoir la maison, prendre une décision. Te souvenir de tes bons moments passés ici. Revoir des amis. Sans doute que Coco voudrait aussi dire au revoir à cette partie de sa vie, elle avait beaucoup participé à la scène drag de la ville. C'était sans doute un bel hommage pour ton ancien amant de la faire revenir pour lui. Tu ne sais pas, tu n'en as pas encore parlé à Alonso parce que parler de tes ex... Ne t'a pas trop réussi pour le moment. Tu avais présenté Russell comme un petit ami idéal, avec de beaux souvenirs. Un homme doux et aimant comme tu préférais le voir. Sans doute qu'il verrait Daniel comme une sorte de Russell que tu présenterais comme quelqu'un de bien. Mais Daniel avait toujours été doux et aimant avec toi. C'est sans doute ce qui avait coûté ton départ ça et... Tu ne veux pas y penser.

Mais vous alliez prendre l'avion à nouveau aujourd'hui. Chacha avait été confiée à Amalia, pour que ce soit plus simple pour vous et vous aviez choisi ensemble un petit appartement à louer en ville. En partant assez tôt, vous arriveriez aussi assez tôt à Los Angeles, à cause du décalage horaire. Trois heures en arrière, vous aviez connu pire avec Londres. Le vol s'était bien passé, pour deux jours, tu avais voulu tout payer, le plus possible en tout cas. Tu avais pris les billets, le logement à ta charge. Pour le reste, vous alliez devoir voir sur place. Il est neuf heures quand vous arrivez à Los Angeles, c'est parfait pour toi. Tu sais que tu devras faire une sieste parce que tu auras trois heures en plus dans les pattes. Il fait bon à Los Angeles alors tu portes une chemise orange à motifs fleuris, un pantalon en velours léger entre le bordeaux et le mauve, qui rappelle certaines des fleurs. Des mocassins brun clair en daim. Tu t'es pris cette tenue parce que ton corps te plait à nouveau, tu n'as plus la sonde. Il va faire beau selon la météo alors tu veux profiter du soleil avant que le froid ne s'installe vraiment. Surtout dans le Vermont, là où vous viviez.

Pour le weekend, tu n'as pris qu'une seule petite valise à roulettes. Ce serait suffisant. Tu n'as eu qu'à y mettre une tenue pour Coco, deux plutôt, pour qu'elle puisse choisir laquelle elle voudrait porter. Tu aimerais qu'elle vienne un peu pour Alonso ce weekend. Vous avez la matinée, puis en début d'après midi, vous iriez vous rendre voir la maison. Pour le moment, tu laisses Alonso chercher un taxi, pendant que tu regardes sur ton téléphone pour contacter des personnes que tu as laissé ici. On va au B&B en premier pour tout poser ? Tu as laissé Alonso le réserver cette fois, tu voulais la surprise. Tu as juste payé ensuite, comme c'était prévu.

La récupération s'était faite lentement mais on avait fini par retirer la sonde de Jeff, son corps remettait de cet épisode douloureux. Il reprenait toujours du poids, Al devait toujours contrôler l'alimentation et le poids de Jeff une fois par semaine et s'alerter à la moindre chute de kilos, mais son compagnon n'était plus en danger. Il avait repris la thérapie toutes les semaines, ajusté ses médicaments, ils allaient dans une bonne direction de nouveau après le catastrophique épisode du mois d'août qui avait laissé des blessures encore vives dans l'esprit d'Alonso. La confiance se perd plus vite qu'elle ne se gagne, il ne suffit d'un rien pour que son feu ardent vire en fumée opaque disait-on. Al luttait encore pour tout oublier ou tout pardonner, l'un ou l'autre, il s'en fichait tant qu'il pouvait avancer. Parfois il y arrivait, mais dans les moments où Jeff faisait moins d'efforts, mangeait moins ou avait l'air de garder des informations pour lui, Alonso sentait encore ason cœur s'accélérer et sa peur reprendre le dessus. Il ne disait rien bien sûr, il essayait de faire bonne figure, ne pas reporter sa frustration sur Jeff alors il dessinait ou allait courir, parfois aussi, il envoyait des messages à Esteban qui le remettait sur pied. Puis finalement, il était allé voir un psy de son côté, il avait pris son premier rendez-vous sans en parler à Jeff. Plus que les groupes de paroles, cet accompagnement personnalisé faisait du bien à Al qui prenait ses rendez-vous entre midi et deux à Burlington, il parlait beaucoup de Jeff mais de lui-même aussi et de ses propres blessures d'abandon. Il avait tout de même avoué à son compagnon qu'il voyait quelqu'un maintenant aussi, le soir de sa première séance. Ce n'était pas possible de lui reprocher un manque de transparence s'il cachait des informations aussi essentielles sur son état psychologique à Jeff.

De fil en aiguille, ils avaient prévu ce week-end sur LA pour que Jeff puisse dire au revoir à sa maison de là-bas et régler des papiers. Elle semblait remplie de ses souvenirs, s'ils n'étaient pas matériels, ils étaient tout de même tangibles et Al avait peur de ce qu'il pourrait découvrir sur le passé de Jeff au cours de ce week-end. Russell était déjà compliqué à digérer même si ça avait sans doute été le pire ou l'un des pires ex de son compagnon, puisque Jeff lui avait révélé qu'il n'avait pas eu ce seul ex violent au cours des dernières années sans s'étaler sur la question. Il n'oubliait pas le Spencer du tatouage non plus. Parfois, il se demandait si Russell avait connu ce tatouage et comment il avait réagi. Est-ce qu'il avait été en colère ? Est-ce qu'il s'était moqué ? Est-ce qu'il connaissait ce Spencer et qu'il voulait simplement enseigner une leçon à Jeff pour lui faire comprendre qu'il ne fallait faire confiance qu'à lui ? Il y avait encore tant de questions qui trainaient dans la tête d'Alonso et qui ne trouvait aucune réponse, aucun soutien. Ils n'avaient pas vraiment reparlé de l'épisode Russell, c'était encore compliqué pour Al de l'évoquer et il imaginait que s'il n'en parlait pas Jeff n'en parlerait pas non plus.

Il n'avait jamais été à LA que pour des raisons professionnelles, des salons militaires à l'époque où il avait travaillé pour l'armée - il n'avait d'ailleurs jamais parlé à Jeff de cette période qui lui avait permis de garder contact notamment avec cette connaissances de douanes qui finalement n'avait servi à rien puisque Jeff avait tout fichu en l'air... enfin, ils s'en étaient sortis quand même et Piotr était en sécurité et c'était ce qui comptait - et un salon de pharmaciens classique qui s'était une fois tenu ici. Il trouvait intriguant que Jeff y ait vécu, qu'à tout hasard, ils auraient pu se retrouver ici à une époque, à l'époque où il était encore marié et heureux en mariage.

Al avait dormi dans l'avion, il savait que leur journée allait être longue et sans doute leur nuit courte. Arrivés sur le sol californien en bordure de plage avec leur simple valise cabine, Alonso, habillé d'une chemise à rayure noires, blanches et jaunes, plutôt coloré pours ses standards mais bien moins que Jeff, appelle un taxi pour aller jusqu'au logement qu'il a réservé. Il avait trouvé cet endroit pas si cher par rapport aux prestations qu'il proposait et espérait que ça plairait à Jeff. Clairement, la piscine à débordement, la vue et le jaccuzi avait suffit à convaincre Alonso que pour une nuit à LA ils avaient le droit de rêver un peu, même s'il se doutait qu'ils n'y passeraient pas le week-end. Ils arrivent donc sur la colline d'Hollywood qui surplombe la ville. C'est magnifique comme sur les photos. Il amène Jeff sur la terrasse. Pour lui montrer la vue, ils ne sont pas en plein cœur de ville, mais pas excentrés non plus, de toute façon il s'était dit que peu importait puisqu'ici tout se faisait en voiture ou en taxi. Il vient glisser sa main dans la sienne. Ça te convient mi amor ? il se tourne vers lui pour l'embrasser. La façon colorée dont Jeff s'était habillé le faisait sourire, à Burlington on ne voyait que lui, ici il se confondait déjà mieux dans ce paysage paradisiaque. De toute façon, Jeff était si coloré qu'une abeille aurait pu le confondre avec une fleur. Il était encore tôt, il savait d'avance que le week-end n'allait pas être reposant pour eux.

Tu n'avais pas su dormir dans l'avion. Te poser un peu, lire beaucoup, embêter Alonso en lui tirant quelques poils des bras ou de sa barbe pour voir si ça le faisait réagir.... Mais dormir, non.

Tu regardes aussi les rues que vous empruntez avec le taxi, tu connais la ville mais pas assez pour savoir où vous êtes ou reconnaitre quoi que ce soit. C'était tellement grand. Tu es aussi ravi -pour le moment- de voyager à nouveau, de ne plus avoir de sonde surtout, d'être bien plus en forme. Réellement, tu étais dans une bonne phase, maintenant, il fallait qu'elle dure. Tu as laissé Alonso choisir votre appartement avec un peu d'appréhension. Parce que tu es tout de même exigeant. Le logement est situé contre une colline, vous empruntez un petit chemin pour y parvenir. Ça semble extra. Tu aimes ce que tu vois, le fait que ça soit en surplomb, que ça soit tout de même isolé. Un chat l'emprunte dans l'autre sens, il vient se frotter à vous, il semble habitué à le faire avec des étrangers. Quand vous arrivez, tu restes bouche bée par ce que tu vois, la piscine à débordement avec une vue incroyable, le blanc des murs que tu trouves parfait, il y a même de quoi faire un barbecue, de quoi manger dehors. Il faut ensuite monter pour arriver au logement mais tes yeux restent fixés sur la piscine. J'ai pas pris de maillot... Mais quelle importance ? Tu irais, c'est certain. Tu es tellement concentré et impressionné par cette piscine que tu manques de rater une marche, tu te rattrapes à temps pour éviter la dégringolade. Tu penses que Chacha n'aurait pas aimé toutes ces marches, elle est bien mieux dans le Vermont.

A l'intérieur, c'est petit, mais ça semble confortable. Tu vois que le lit est juste à côté de la cuisine, pas top pour les odeurs. Ça te conforte dans l'idée de prendre le repas à l'extérieur. Tu ne vois pas de salon. Tu lâches la poignet de ta valise, elle reste donc à la verticale et tu vas voir vers la salle de bain. Non, il n'y a rien derrière. C'est tout ? Tu demandes un peu perplexe. C'est une espèce de faux studio vu qu'il n'y a pas de salon. Mais c'est juste pour une nuit et tu fais le difficile. Non je veux dire... Ça me perturbe cette cuisine à côté du lit et pour le coup ça fait vraiment chambre d’hôtel avec cuisine en plus mais c'est vraiment très beau... Tu te rapproches de lui et viens l'enlacer en posant tes mains sur ses hanches. C'est parfait, ça m'a un peu surpris mais c'est parfait. Tu viens l'embrasser, tu imagines ce que vous pourriez faire avec plus de temps ici. Non. Vous n'êtes pas là pour ça.

Tu te détaches ensuite de lui. Tu te dis que tu dormiras bien ce soir, c'est certain. On s'installe tranquillement ? Tu veux mettre les pieds dans la piscine ? Vous étiez arrivés tôt, vous pouviez prendre un peu le temps. Pour le moment, tu défait ta valise, c'est rapide, tu veux surtout ne pas froisser la belle robe que tu as choisi pour Coco.

Jeff n’a pas pris de maillot, Alonso ne lui a pas dit d’en prendre pour ne pas gâcher la surprise. Il l’avait cherché pour lui prendre, mais il avait été incapable de savoir ce que Jeff en avait fait. Son compagnon a l’air satisfait jusqu’à ce qu’ils arrivent à l’intérieur. Petite cuisine, plus pour un petit déjeuner sur le pouce et un petit renfoncement avec un fauteuil et une table basse. Il demande si c’est tout. Alonso se décompose. Euh oui, je pensais qu’on serait surtout dehors. Effectivement, il y a la table à manger dehors, un salon de jardin, des transats et un parasol. Mais à l’intérieur c’est très minimaliste. Il lui dit que ça fait chambre d’hôtel avec une cuisine en plus… Et franchement Alonso se dit que plus jamais il ne choisira pour Jeff. Il trouvait cela vraiment ingrat de sa part de critiquer son choix en se concentrant uniquement sur les manquements et non pas sur les points positifs du lieu. Il lui dit finalement que c’est parfait et l’embrasse mais Alonso est tout de même déçu de sa réaction. C’est un endroit pour une nuit, pas très cher pour le coin, effectivement ce n’est pas un penthouse. Tu sais, on ne va pas utiliser cette cuisine à part pour un thé demain matin peut-être… Et encore… Alonso accuse encore le coup de « c’est pas vraiment mieux qu’une chambre d’hôtel ». C’est propre, c’est bien décoré, il y a même une grande baignoire… Il pensait que ça suffirait. Al hoche la tête quand il lui propose d’aller mettre les pieds dans l’eau. Il laisse sa valise sur la terrasse et s'approche de l'eau.

Il ne dit rien, de toute façon, Jeff ne calculait jamais quand il était déçu ou de mauvaise humeur. Comme s’il devait vraiment se mettre sérieusement en colère pour qu’il comprenne quelque chose n’allait pas. C’était à la fois un avantage, car Alonso n’avait pas à beaucoup forcer pour cacher ses émotions à Jeff, de l’autre c’était épuisant de devoir verbaliser la moindre contrariété. Il laisse Jeff s’installer tout seul, poser ses affaires. Il pose les pieds dans la piscine après avoir retiré ses chaussures et ses chaussettes et il regarde la ville. Il avait entendu le "c'est parfait de Jeff" comme une façon de le rassurer, mais il avait bien senti qu'il n'était pas emballé par le lieu. Tant pis, à lui ça lui plaisait... Al a dormi dans l’avion et pourtant, il se sent encore fatigué. Il aurait voulu que Jeff soit content de son choix pour une fois, qu’il garde ses réflexions pour lui. Oui, ce n’était pas immense, mais il ne voulait pas éclater le budget, surtout que Jeff avait insisté pour payer. Il ne sait pas. Peut-être a-t-il été trop égoïste ? Peut-être a-t-il vu uniquement cette vue et cette piscine et il s’est dit qu’il s’en fichait de l’appartement ? Il pousse un long soupir. Et si Jeff lui cachait encore un lourd secret derrière ce week-end ? Il avait beaucoup parlé de la maison, très peu de la manière dont il l’avait acquise ou pourquoi… Alonso n’avait pas posé de questions. Il se sentait dépassé par tout ça et il devait lâcher prise. C’est ce que le psy lui disait, lâcher prise, penser à lui… Difficile quand sa vie entière s’organisait autour de Jeff depuis… un long moment maintenant. Il l’a choisi, mais il se sent triste, mélancolique, le psy lui avait dit que s'il continuait ainsi c'est lui qui pouvait faire une dépression, mais Al ne l'écoute pas bien sûr. Il n'a pas vraiment d'autre choix que d'aller bien et d'être fort. La dernière fois qu'il s'est reposé sur Jeff, il a fini ensuite par se suicider à petit feu... Il a comme une envie de déjà repartir. Il aurait peut-être dû laisser Jeff regler ses problèmes de maison seul et lui en profiter pour prendre soin de lui...

Il fallait profiter du bon temps, Alonso avait raison. En plus, le lit a l'air confortable, tu te dis que si tu te mettais du côté qui donnait vers la salle de bain, tu verrais moins la cuisine et tu aurais moins l'impression d'être dans un studio comme dans ta jeunesse. C'était juste pour une nuit mais tu faisais tout de même des manières.

Oui, tu as raison, un rideau pour la cacher aurait été encore mieux. Tu souris, tu ne vois pas le mal dans ce que tu dis et pour toi, vous passez à autre chose puisque vous allez dehors. Là, c'est déjà bien mieux, tu comprends son choix. C'était définitivement un logement à prendre quand il faisait beau. A la limite, ils auraient même pu installer de quoi dormir dehors. Tu fais comme Alonso, tu retires tes chaussures, chaussettes et tu remontes les jambes de ton pantalon pour pouvoir tremper tes pieds. L'eau est si bonne, chauffée par le soleil mais encore rafraichissante. Tu pousses un soupire de contentement et tu regardes sur ta gauche. Y'a aussi un jacuzzi, c'est incroyable.... Là, tu commences à être un peu plus reconnaissant du choix qu'il avait fait. Tu regardes encore devant toi, la ville semble si paisible de la vue que vous avez d'aller. J'espère régler tout ça très rapidement comme ça on profite de ce lieu tous les deux.

Le chat de tout à l'heure, qui descendait quand vous montiez, semble avoir revu ses plans. Il arrive doucement et se dirige directement vers Alonso pour se frotter contre lui en ronronnant. Surement que tu sentais trop le chien pour lui et Alonso, un peu plus le chat. Tu observes la scène avec tendresse. Même les chats t'aiment bien et ils n'aiment pas grand monde... Tu es appuyé sur tes mains, un peu penché en arrière et tu as mis tes lunettes de soleil. Pour le moment tout allait bien.

Jeff en rajoute et Alonso préfère ne pas répondre. Après avoir sorti ses maigres affaires du week-end Jeff vient le rejoindre. Al ne dit toujours rien. Dire qu'il y a un jacuzzi, c'est simplement sauver les meubles, s'il pouvait le dire ainsi. Il hausse même un peu les épaules, bat des pieds l'eau. Seul le chat qui vient contre lui lui arrache un sourire. Bonjour, toi. Tu crois qu'on a pris à manger pour toi ? Le chat s'étale à ses côtés au soleil. Al lui fait sentir sa main. Il vient la taper de sa tête alors il lui fait des caresses prudentes sur le museau. On ne savait jamais avec les chats inconnus, comment ils pouvaient réagir.

J'ai vraiment si mal choisi que ça ? demande-t-il à Jeff en détournant son attention du minet. Il soupire. Il a dit ça à voix haute mais il regrette immédiatement, il ne veut pas connaître la réponse. Tu veux pas faire une sieste ? On a rendez-vous qu'en début d'après-midi et je crois que tu voulais sortir ce soir ? Changer de sujet, simplement changer de sujet. Et surtout qu'on ne lui parle pas de l'appart. Glisser sur les soucis comme le bateau glisse sur l'eau. Oublier. Laisser de côté le négatif et se consacrer au positif. Ce week-end avec Jeff. Tu ne m'as toujours pas dit comment tu avais eu cette maison. ajoute-t-il. Il y a bien une perche de discussion que Jeff prendrait ou il irait faire une sieste et Al... lui aussi irait peut-être se coucher mais sur un transat plutôt.

Le chat préfère Alonso, c'est comme ça. Il est propre, amical et semble bien nourri. Il doit avoir l'habitude des gens de passage et aussi du bon plan de ces inconnus qui doivent lui donner à manger. C'est un plan bien rodé de la part du matou. Mais tu perds ton sourire quand tu entends Alonso. Tu venais de lui dire le contraire pourtant ? Peut être que le voyage l'a fatigué, tu ne sais pas. Tu fronces les sourcils, bien moins à l'aise d'un coup, tu ne bouges plus tes jambes dans l'eau. Non ? J'ai dit que c'était bien, très beau et la vue... Tu ne sais pas trop comment tu justifier, ton ton est bas car tu as peur de dire de nouvelles bêtises. Euh... oui ? Tu es perdu. D'abord la remarque, puis il t'envoie au lit. Tu ne sais pas trop comment le prendre, surement que tu as du dire quelque chose de pire pendant le vol et que maintenant, une remarque sur cette appartement devient ingérable. Mais tu n'aimes pas le conflit et si tu peux l'éviter, tu l'évites.

Tu sors les pieds de l'eau et tu te lèves. Tu ne dis rien d'abord, pendant quelques secondes. C'est encore...particulier pour toi. Il s'est fait renverser un soir. Le chauffeur s'est enfui. Il ne s'est pas réveillé mais il n'est pas mort sur le coup. Alors qu'il te disait toujours que tu ne faisais pas attention. Qu'il devait regarder pour toi quand vous traversiez. La vie est tellement injuste car tu aurais déjà du mourir des tas de fois à la place de personnes qui méritaient de vivre. Tu l'as dit en fixant la vue que vous avez et depuis, tu continues de la fixer.

Jeff répond quand même, mais c’est moins pire que ce à quoi s’attendait Al. Apparemment ça va, finalement, malgré la cuisine, malgré l’absence de vrai salon… Malgré le fait que ce n’était pas vraiment mieux qu’une chambre d’hôtel. Et Al fait ce qu’il sait qu’il ne doit pas faire avec Jeff, il parle sans réfléchir. Sans se poser, il le sait pourtant que Jeff n’avait pas vraiment envie de parler de cette maison et d’ailleurs, il ne voulait pas savoir… Maintenant il savait. Jeff aussi alors, avait un ex qui était décédé. Al regarde Jeff, puis regarde la vue. J’imagine… Que si tu as hérité de la maison, c’est que vous deviez être ensemble depuis un long moment… Qu’il a beaucoup compté… Soit qu’ils étaient mariés ou qu’ils avaient fait a minima un testament. Il se lève se plaçant à côté de Jeff. Je suis désolé… murmure-t-il. Viens... Moi aussi, j’ai besoin d’une sieste… Il prend sa main dans la sienne et remonte les escaliers lentement jusqu’à l’appartement.

Il ne sait pas pourquoi, il imagine cette relation avec Daniel – il se souvient de son prénom – juste après la leur, un moment où Jeff n’avait pas encore sombré, à un moment où son trouble de la personnalité était gérable. Il pense que ça peut expliquer, le comportement de Jeff vis-à-vis de ses ex. C'est un traumatisme extrêmement violent, la perte de quelqu'un qu'on aime, surtout de façon aussi brutale. Alonso avait perdu un ami d'un accident de la route, il n'osait pas imaginer si ça avait été Sonia par exemple... Un traumatisme peut-être assez fort pour ensuite tout faire pour oublier et chercher l'amour ailleurs, tout faire pour ne jamais se faire abandonner de nouveau de cette façon et se détruire au passage dans ces relations. Jeff… Tu veux en parler ? De lui ou de la façon dont tu as géré son décès ? demande-t-il doucement une fois arrivés dans le lieu, si petit aux yeux de Jeff, si cozy et minimaliste à ceux d’Alonso. Il s’assoit sur le bord du lit. Il en a profité pour ramener sa valise mais la laisse fermée, ce n'est vraiment pas le moment de s'occuper de ses affaires.

Tu ne parles pas de Daniel. C'est une promesse silencieuse que tu t'étais faite. Tu ne sais pas trop pourquoi, lui aurait aimé que tu parles de lui. Mais parler de lui, c'était penser au fait qu'il devrait être là, et surement que tu aurais été là aussi, à ses côtés. Et puis, après Daniel, tout s'était vite compliqué dans tes relations. Tu n'as plus cherché la tranquillité et la bienveillance dans les qualités de tes partenaires. Une partie de toi s'est toujours sentie responsable, de ne pas être mort à sa place. C'était idiot mais encore aujourd'hui, tu avais du mal à ne pas te sentir coupable, quelque part. Coupable de survivre et d'avoir laissé quelqu'un de mieux que toi. Tu hoches doucement la tête, tu continues à fixer l'horizon. Bien sûr qu'il avait compté, comme Alonso avait compté. Peut être qu'à cette époque, tu savais encore comment reconnaitre quelqu'un de bien, le souvenir d'Alonso était encore proche et à part quelques aventures pas très sérieuses après votre rupture, tu n'avais pas connu grand chose d'autre. Alonso, puis Daniel en quelques sorte. Et après tout ça, beaucoup de fracas, quelques belles histoires tout de même mais surtout cette recherche du chaos dans tes relations. A la mort de Daniel, tu as passé plusieurs semaines à t'auto-détruire, tu ne comprenais pas. Tu ne comprends toujours pas. Tu as juste appris à vivre avec. Tes crises se sont bien sûr multipliées et si tu en avais eues aussi avec lui, il était là. Vous n'aviez pas non plus les mots pour l'expliquer, comme pour Alonso, et tu refusais de voir quelqu'un à l'époque. Mais sa mort si soudaine a été un tel choc que tout s'est accéléré. Peut être qu'on aurait continué à te croire fantasque, un brun simulateur s'il n'était pas mort. De toute façon, tu t'es fait la promesse de ne pas parler de tout ça et aujourd'hui, tu es en train de la rompre.

Tu rentres avec lui la main dans la sienne, main que tu serres assez fort, parce que tes émotions commencent à venir, elles vont te dominer si tu ne te contrôles pas et tu n'aimes pas ça. C'est aussi pour ça que tu es réticent à en parler, à y penser. Parce que pendant un long temps, en parler ou même y penser était une source d'angoisse tellement forte que tu partais en crise presque à chaque fois. Bien sûr, tu n'avais pas de traitement et encore moins quelqu'un pour te comprendre avec toi. Mais. Tu as préféré endormir Daniel avec toute la peine qu'il te restait. Tu te mets du côté de ton lit, tu restes dos à Alonso, sans rien dire, sans lui répondre d'abord. Tu fixes juste un point devant toi. Mais tu ne t'agites pas. Tu finis par lever tes mains pour déboutonner ta chemise, toujours sans rien dire ou sans le regarder. Puis tu t'installes dans le lit. Là, tu le regardes enfin et tu arrives à lui sourire. Alonso est avec toi, il n'est pas Daniel c'est vrai mais il est Alonso, c'est tout aussi bien. Tu as tellement de chance de l'avoir et maintenant que tu es avec lui, il est peut être temps de rompre cette promesse idiote et de parler de Daniel comme il le mériterait. Tu tends ta main pour qu'il vienne contre toi, tu veux le serrer fort avant de pouvoir parler un peu. Le serrer pour le sentir vivant, c'est important pour toi, à cet instant. Tu viens lui embrasser les cheveux, puis tu te laisses s'installer, tu fais en sorte de ne pas trop être allongé pour pouvoir parler. J'ai le regret de te dire mon Alonso... Que si Daniel n'était pas décédé, je serai surement toujours avec lui et toi... eh bien peut être que tu serais tout aussi heureux mais pas avec moi. Tu souris timidement, encore une fois, tu n'es pas doué avec les mots. Tu ne dis pas là que tu regrettes d'être avec lui plutôt que Daniel, juste que tu penses que vous seriez restés ensemble. Tu te souviens quand tu m'as dit que tu étais content que moi aussi, j'ai pu avoir de belles histoires ? Celle avec Daniel en est une belle... Enfin. Tu baisses les yeux, tu ne finis pas ta phrase. Qu'est ce que tu te sens idiot quand tu t'exprimes. Tu dis toujours des choses insensées. Tu préfères que je te raconte quoi ? Je n'arrête pas de dire ce qu'il ne faut pas et je ne voudrai pas te vexer... Tu penses que tu l'as déjà fait, avec cette histoire de lui dire que tu serais toujours avec Daniel sans sa mort. Tu as en réalité vexé Alonso avant ça, pour l'appartement notamment mais ça, tu ne le captes pas et tu ne le capteras que s'il te le dit clairement.

Jeff s’allonge et ne répond pas tout de suite. Alonso reste assis sur le lit, il écoute, puis finit par se tourner pour le regarder, Jeff lui sourit, mais Al connait bien ce sourire. Il le connait parce que c’est un sourire qu’il fait souvent, ce sourire qui veut dire j’ai le cœur lourd, merci d’être là. Et il est là. Malgré la peine qu’il ressent depuis ces dernières semaines. Jeff lui tend la main et Al suit son mouvement, il le laisse le prendre dans ses bras, il ferme un peu les yeux quand il dépose un baiser sur ses cheveux. Première phrase… Jeff lui fait comprendre une évidence, il n’aurait pas quitté Daniel pour lui. Il ne lui en veut pas. Alonso n’est pas sûr qu’il aurait quitté Sonia pour Jeff. Il est même sûr que non. Les amours passés étaient passés. Il ne répond pas pour autant à son sourire timide. Il ne comprend pas la phrase sur le fait qu’il serait tout aussi heureux… Daniel ou pas Daniel, lui n’aurait pas changé de vie. Il n’aurait juste pas retrouvé Jeff à Redwood, il n’aurait pas rencontré quelqu’un pour autant, il aurait continué sa vie d’avant Jeff. Etait-elle aussi heureuse que maintenant ? Depuis Russell, il ne sait plus s’il est si heureux d’avoir retrouvé Jeff, il ne sait plus si Jeff est lui-même heureux de l’avoir retrouvé. Enfin, il imagine ce que Jeff veut dire. Sans doute qu’il essaie de le rassurer, mais c’est maladroit. Ce n’est pas si important.

Alonso baisse les yeux en même temps que ceux de Jeff. Il comprend. Une belle histoire qui a tout brisé. Il lève son regard vers le plafond. Jeff qui dit qu’il ne voudrait pas le vexer. Il a un léger rire. Tu m’as déjà vexé en disant que cet endroit était à peine mieux qu’une chambre d’hôtel… marmonne-t-il. Enfin… Bref… Non, Jeff, ça ne me vexe pas… ça ça ne me vexe pas… J’aurais fait la même chose si j’étais encore avec Sonia. Il en est sûr d’ailleurs, jamais il n’aurait rompu leur mariage, même pour Jeff, d’ailleurs Jeff ne comptait pas pendant son mariage, quoiqu’en dise Sonia. Alonso n’était pas resté amoureux de Jeff et s’il en avait eu l'impression quand il l'avait retrouvé au début, c’était maintenant cette version de lui qu’il aimait. Tu veux savoir quelque chose ? Je crois qu’au contraire, ça me rassure… Tu disais que tu parlais de moi à tout le monde que tu te servais de moi pour repousser ou éconduire tes prétendants, que tu glissais mon nom pendant l’amour… C’était lourd à porter. Maintenant que je comprends que sans doute que tu aurais préféré dire le sien, mais que tu n’osais pas… Que ce n’est pas moi que tu cherchais toutes ces années… Que je ne suis pas le grand amour de ta vie… C’était lui. Daniel. Et c’est sans doute pour cela que Jeff ne l’avait jamais vraiment cherché non plus. Alonso sourit, ses yeux se sont reposés sur Jeff, un regard doux, un peu fatigué. Il n’était pas vexé non. Il se sentait de nouveau trahi, Jeff avait menti, de nouveau, sans doute pour se protéger. Ce n’était pas si important.

C’est tellement égoïste mais il se sent plus serein, il se dit que ce n’est pas sa faute si Jeff a été attiré par des gens comme Russell, ce n’est pas de sa faute non plus si Jeff avait un jour fait une tentative de suicide. Il allait falloir qu’il digère ces informations mais celle qu’il retenait était celle-là : il n’avait pas détruit la vie de Jeff. Ce chauffard l’avait fait. Cette personne qui avait tué Daniel. Et s’il n’était pas l’amour de la vie de Jeff, alors il ne lui en voudrait pas trop, si un jour, il devait s’éloigner. Tout lâcher. Poser cette bague et partir, respirer, voir si effectivement, il serait tout aussi heureux sans Jeff, comme ce dernier lui avait dit. Jeff avec Daniel et lui heureux, célibataire comme il l’était, car il ne l’aurait jamais recroisé. Serait-il plus heureux, sans cette pression qu’il se mettait de devoir être à la hauteur du souvenir ? Du souvenir de qui exactement ? Finalement… Il ne se battait pas contre lui-même, il se battait contre un fantôme, un vrai fantôme et il était peut-être temps de rendre les armes. Dis-moi… Dis-moi comme c’était quand tu étais avec lui ? Tu avais l’air d’être très heureux… Jeff ne se serait sans doute jamais laissé mourir de faim avec Daniel. Il ne lui aurait jamais donné envie de mourir comme Al l’avait fait. Daniel, lui, n’avait pas provoqué de crises si fortes qu’il s’était caché sous une table en plein Londres… Al prenait la responsabilité de tout cela. Jeff n’était pas heureux avec lui. Il n’était qu’un substitut, une pâle copie du passé. Est-ce pour ça que Jeff était avec lui ? Est-ce pour cela qu’il avait eu tant de mal à l’accepter ? Est-ce que Jeff l’aimait au moins ou est-ce qu’il le regardait en regrettant que ce ne soit pas lui qui soit décédé plutôt que cet homme ? Dommage, la mort avait sans doute laissé le moins bien des deux… Daniel au moins, rendait sans doute Jeff heureux. Lui, même au cours de leur relation, il n’avait pas su le garder fidèle… Ils s’étaient quittés malheureux et ils l’étaient encore de nouveau. Mais ce n'était pas important, puisqu'il n'était pas le grand amour de Jeff, il trouverait quelqu'un d'autre un jour. Quelqu'un qui saurait l'aimer mieux que lui ne le faisait. Le visage d'Alonso est fermé, il ne dit rien, mais contrairement à ce qu'il dit, il est profondément malheureux de tout ça. Il a l'impression d'enfin ouvrir les yeux sur cette relation qui était sans doute à sens unique. Ça expliquerait beaucoup de choses... Beaucoup trop de choses. Mais ça encore, comme tout ce qu'ils avaient construit, ça n'avait pas tellement d'importance... Rien de ce qu'ils étaient n'avait d'importance.