Pour bien tout comprendre du présent de Murphy, il faut partir du commencement, de ses origines, d’Aelys. Exactement, origine est bien le mot exact parce que dans sa famille il y en a des tas, beaucoup trop peut être aux goûts de certains mais pas de ses parents. Le fait est que la jeune fille est née dans une sorte de melting pot surprenant dont les racines n’ont été abandonnées par aucun de ses aïeuls. Un père affichant fièrement le trèfle irlandais sur le blason de la famille Murphy, se rendant tous les week end aux courses de lévriers, allant à l’office religieux à toutes les fêtes et le plus souvent possible. Une mère débarquée fraichement sur le sol irlandais depuis l’Inde pour une année d’étude rapportant avec elle goût pour les fêtes indiennes, les week end à regarder le cricket et ce goût du bien paraître pour honorer la famille. Ces deux cultures aussi différentes que similaires sur bien des points ont fini par se rencontrer dans les tribunes d’une course de lévrier. Une copine d’étude avait décidé Daya Khatri à venir voir l’un de leurs évènements nationaux. Elle avait réussi à la convaincre en lui disant que cela lui rappellerait ses sorties cricket. Bien sûr, si ce n’est qu’elle s’était habillée – toujours à la perfection bien sûr – pour sortir et qu’il y avait du gazon au centre la jeune indienne n’avait rien trouvé de semblable. Pourtant cette journée était celle qui changerait sa vie. En s’éloignant de ces chiens qui lui foutait plus le bourdon et la rendait nostalgique qu’autre chose elle avait fait la rencontre de Niall Murphy, fils de bonne famille et qui était tombé amoureux d’elle au premier coup d’œil. Une jeune femme indienne de bonne famille elle aussi ne pouvait se permettre d’en faire de même. Elle avait réussi à négocier cette année d’étude en acceptant de rentrer pour se marier à la fin donc elle ne pouvait se permettre de tomber dans les bras du premier irlandais prêt à la courtiser. L’honneur de sa famille en dépendait bien sûr. Il lui en aura fallu des mois pour la convaincre de tout plaquer et de l’épouser. Encore plusieurs mois pour réussir à convaincre ses parents de la laisser faire un mariage d’amour mais ils avaient fini par y arriver jusqu’à concrétiser leur amour par la venue d’une charmante enfant qu’ils avaient décidé de nommer d’après la grand-mère maternelle de Niall, Aelys signifiant « de noble lignée » comme si dès sa naissance elle était destinée à représenter l’honneur de la famille et à suivre un chemin exemplaire. D’ailleurs, dès son premier âge elle fût élevée de manière à remplir toutes les caractéristiques de la parfaite petite femme anglaise mais respectant aussi les traditions irlandaises de son père. Dès ses cinq ans on lui colla un violon dans les mains lui demandant ainsi d’entrainer sa dextérité et son sérieux sur l’un des instruments les plus difficiles à maîtriser. Qu’est-ce qu’ils pouvaient être fiers de ce petit bout de femme qu’ils faisaient en sorte de modeler à la perfection.

De l’extérieur tout le monde aurait pu se dire qu’elle n’avait pas à se plaindre. Il faut dire que pour un œil non averti on ne remarquait qu’un amour et un soutien inconditionnels de la part de ses parents, ce que beaucoup de personnes auraient aimé avoir. Le fait est que, même si la jeune fille faisait de son mieux pour répondre à leurs attentes, elle n’en était pas forcément capable. Elle passait son temps à casser les cordes de son violon, les parents étaient convoqués un peu trop souvent à l’école, elle faisait tomber souvent les vases de sa mère. On aurait pu penser qu’elle n’était qu’une sale gosse mal éduquée mais après quelques tours chez des spécialistes il s’est avéré qu’elle souffrait d’un trouble de l’attention avec hyperactivité. Ses parents ont donc décidé assez rapidement de la mettre sous médication pour qu’elle puisse devenir ce parfait petit ange qui devait faire leur fierté. Cela fonctionna pendant un temps, lui permettant d’arriver tranquillement au collège sans plus être vraiment embêtée par des difficultés. Bon, cela n’enleva pas son manque d’agilité et les vases continuèrent à se caser à la maison mais pour ce qui était de l’école les choses se passèrent tout de même bien mieux.
En tout cas, tout se passa bien mieux jusqu’à ce qu’à l’arrivée de ce nouveau. Mais si, vous savez bien, LE nouveau. Celui qui a ce regard un peu mystérieux un peu rebel, capable de faire chavirer le cœur de toutes les filles. Un peu étonnant d’ailleurs de voir ce profil dans l’école privée des bonnes familles de la ville mais la jeune Aelys comprit assez vite qu’il allait changer les choses. Son père lui avait raconté ce qu’il avait ressenti en voyant sa mère la première fois et elle ressentit exactement la même chose. Bien sûr, elle avait quinze ans et elle ne connaissait rien à la vie mais on ne pouvait nier le fait qu’il lui permit d’avoir un boost d’expérience probablement trop pour ses parents. Les disputes se multipliaient à la maison, ses parents lui reprochant de ne plus suivre ses cours de violon, n’appréciant pas la longueur des fringues qu’elle mettait pour sortir ni même cette affreuse coupe de cheveux qu’elle s’était faite un soir chez l’une de ses amies sans même demander leur avis. Ils sentaient bien que leur fille était en train de leur échapper, chose qu’ils ne pouvaient concevoir. Incapables de se remettre en question, ils n’avaient pu envisager un seul instant que toute la pression qu’ils avaient posé sur ses épaules, tout l’acharnement pour la faire devenir l’archétype de la parfaite jeune fille de bonne famille les avaient conduits à cette situation. Leur petit bébé si précieux, si parfait était juste parfaitement imparfait. Elle en venait à leur répondre, à faire le mur le soir ou à simplement leur claquer la porte au nez pour aller dormir chez une copine voire même, grand malheur pour eux, chez ce nouveau qui était en train de changer leur fille. Ce qu’ils n’avaient toujours pas compris c’est qu’il ne faisait que permettre à sa véritable personnalité de s’exprimer enfin librement. Peut être un peu librement s’était-elle dit lorsqu’elle avait vu les deux petites barres rose s’afficher sur son test. Dix-sept ans et enceinte, c’est un titre d’émission de télé réalité ça non ? mais le véritable problème n’était pas vraiment la situation pour elle mais le fait d’expliquer à ses parents le déshonneur qu’elle était en train de jeter sur leur famille. Etonnamment ils furent assez calmes lorsqu’elle descendit pour leur annoncer la nouvelle. « Alors ? pas de cris, pas de larme ou de reproches ? vous étiez plus en colère lorsque je cassais mon archet. » avait-elle dit comme si ce genre d’humour pouvait fonctionner sur ses parents. « Tu sais Aelys, on commençait un peu à envisager que cela pouvait arriver avec ton envie constante de nous faire honte. » la jeune fille écarquilla légèrement les yeux. ha si, les voilà les reproches. Que croyaient-ils ? que cela lui faisait plaisir de se retrouver avec ce têtard dans l’utérus ? jamais de la vie. « On en a même déjà un peu discuté avec ta mère et le plus simple soit de l’élever comme si c’était notre propre enfant, tu pourrais partir en pensionnat… » Murphy était là, en train de l’écouter déblatérer sur son plant et elle n’arrivait pas à en croire ses oreilles. « Non mais t’es pas sérieux, t’as cru qu’on était chez les Nicholson ou quoi ? » La mère qui s’avérait être en fait la grand-mère et la sœur être la mère… non sérieux, pauvre Jack, elle ne voulait pas de ça pour son enfant. « J’ai jamais dit que j’en voulais en plus de ce chiare. » lança-t-elle avant que son père ne puisse répliquer. C’était peut être la pire chose qu’elle pouvait dire à ce moment là. Un catholique convaincu… non très peu pour lui de penser à l’avortement, c’était même une interdiction en fait, impossible.
Elle passa plusieurs semaines enfermée chez elle avec interdiction de retourner en cours ou de contacter le moindre de ses amis. Ce ne fut que lors d’un gala où ses parents durent se rendre qu’elle empaqueta le plus de choses dans son sac de sport et récupéra le plus d’argent liquide possible chez elle. Heureusement que ses parents étaient blindés de thunes. Ne souhaitant alerter aucune des personnes qui travaillaient pour eux elle fit une dernière excursion par la fenêtre de sa chambre afin de tout quitter et elle ne lança pas un seul regard en arrière.

La première nuit elle put se réfugier chez le père de l’enfant, tout aussi choqué qu’elle par l’annonce, peut être même plus puisque ce n’était qu’un gamin effrayé et bien moins mature qu’il ne voulait le faire croire mais surtout bien moins que la jeune femme – et pourtant ce n’était pas vraiment facile. Ce ne fut qu’après quelques mois d’errance et délestée d’un poids sur l’estomac qu’elle se mit à chercher une vraie solution. Dormir chez des copines, changer de dortoir chaque soir ce n’était pas une solution durable. En plus, ses parents pouvaient la retrouver bien trop facilement. Elle partit donc pour Cork afin de s’éloigner de ses parents, bosser pour mettre des sous de côté et finir son leaving certificate histoire de ne pas être sans rien mais aussi afin de pouvoir participer à différentes loterie pour des visa histoire de se barrer enfin de son pays natal. Elle vécut deux années environ de petits boulots, de canapé en canapé, de sortie, de clopes et autres soirées en pubs. Enfin la liberté. En fait, c’est au moment où elle commençait à se dire qu’elle n’était pas si mal comme ça qu’elle avait fini par recevoir un courrier lui disant qu’elle avait été sélectionnée par la fameuse loterie de la green card. Non mais sérieux, elle qui n’avait même pas été tirée pour des PVT ou des trucs dans le genre elle avait eu la chance de celle qui est probablement la plus demandée… peut être qu’elle aurait mieux fait de jouer au loto tout court. En tout cas, les quelques économies qu’elle avait lui servirent à payer son billet afin d’arriver sur le sol américain. Elle profita des premiers mois pour bourlinguer un peu, se balader le long de la côté est jusqu’à ce qu’elle arrive un jour dans une petite ville du nom de Saint Albans. C’était joli le Vermont, probablement un peu trop rural pour elle qui avait vécu en ville toute sa vie mais c’était joli. De toutes façons, elle n’était que de passage donc ce n’était pas franchement important. Elle avait vingt ans, la vie devant elle donc elle ne comptait pas faire de vieux os par ici. Pourtant, il fallait bien qu’elle s’arrête un peu, qu’elle gagne un peu de sous de temps en temps. Le fait est qu’il n’était pas vraiment facile pour elle de se faire accepter. Une fin d’après midi, alors qu’elle crevait vraiment la dalle, elle vit la porte arrière d’un garage ouverte. Regardant un peu autour d’elle, la jeune femme ne vit personne et se décida à entrer pour voir si elle ne pouvait pas trouver quelque chose à récupérer. N’étant pas forcément une adepte du vol à proprement parlé mais plutôt du don ou de l’emprunt, elle hésitait un peu mais lorsqu’elle vit le frigo dans ce qui semblait être une salle de repos, elle ne put s’empêcher de foncer dessus. Elle devait être en train de manger depuis cinq bonnes minutes, probablement comme un petit goret lorsqu’elle vit quelqu’un en train de l’observer. C’était un homme d’une cinquantaine d’année le regard à la fois rieur et lourd de sens. Elle avait l’impression qu’il perçait son âme avec et qu’il découvrait tout ce qu’il voulait d’elle. Autant dire que cela la dérangeait énormément. Lorsqu’elle se bloqua, il lui intima l’ordre de ne pas s’arrêter et de continuer son repas. Hans, le propriétaire du garage était de loin l’homme le plus gentil qu’elle ait pu connaître de sa vie. Enfin, c’était facile à dire aujourd’hui – elle ne le faisait pas pour autant – mais à l’époque elle avait voulu le repousser le plus possible. Un père elle en avait déjà eu un et elle n’avait pas forcément envie de recommencer l’aventure. Le fait est qu’elle allait bien vite apprendre qu’il ne se laissait pas abattre aussi facilement. En fait, sans même qu’elle ne s’en rende réellement compte, il l’avait pris sous son aile, lui avait appris toutes les ficelles du métier, l’embauchant. Quelques mois à dormir dans la salle de repos du garage avaient même fini par la convaincre d’accepter d’emménager dans la dépendance sur le terrain du vieil homme à Redwood Hills. C’est ainsi que sa vie finit par trouver une sorte d’équilibre, de stabilité mais bien sûr, ce n’était pas assez reluisant pour la jeune femme alors autant continuer à faire tout et n’importe quoi plutôt que d’admettre qu’elle pourrait un jour se rapprocher de la vie que ses parents auraient voulu pour elle.