une blonde, une rousse et un bébé
CAMILLA ⅋ SOPHIA

Le magasin sur-climatisé allait finir par la rendre malade. Cela faisait bien une heure que Sophia Rose traînait dans cette petite librairie, aussi désespérée de faire les choses bien que démunie. Elle fustigeait Ryan dans sa tête, à défaut de pouvoir le faire en face ou par sms. Question d’égo. Elle ? Marraine ? S’occuper d’eux alors qu’il était sur le point de partir ? Sur le moment, elle avait marqué une pause en regardant son meilleur ami d’une moue dubitative. C’était toujours possible qu’il lui fasse une blague. Mais non. Il était sérieux, et elle n’avait d’autre choix – loyale comme elle était – que d’accepter cette pression en plus dans sa vie.
Il y avait encore trop peu d’enfants dans l’entourage proche de la jeune femme pour qu’elle soit rodée sur la question des cadeaux. Sa première idée, sur laquelle elle était d’ailleurs restée, fut de sélectionner un petit livre. Pour découvrir les sensations. C’était ce qu’on offrait en général comme premier livre, non ? Allait-elle être ce genre de marraine qui n’offre que des cadeaux ‘intellectuels’ aux anniversaires et à noël ? Elle n’en revenait pas de penser à ça en ce mercredi matin. Les mercredi matins sont tellement ordinaires, normalement. Mais voilà qu’aujourd’hui, elle rencontrait Ralph. Ce matin, elle officialisait ce rôle à peine consenti, tout nouveau tout beau, de marraine. A l’occasion, elle rencontrait aussi Camilla. Camilla dont elle avait dû arracher toutes les informations possibles à la sueur de son front, tant Ryan était discret sur la question. Camilla ! Il fallait aussi un cadeau pour Camilla !

Sophia avait donc acheté ce super bouquet violet et orangé, une sorte d’accompagnement de fleurs issues d’on ne sait quel pays. Il était vraiment très beau, et elle espérait de tout cœur qu’il réussirait à rendre le moment moins embarrassant pour elles deux. Bouquet dans la main droite, petit sac dans la main gauche dans lequel se trouvait le fameux livre choisi religieusement, la rouquine se rendait aux jolis jardins de la ville, red clover gardens, comme si elle partait à la guerre. Déterminée, tête froide, elle comptait ne pas se laisser dominer par ses émotions – surtout l’anxiété, disons-le – et réussir à faire bonne impression, rassurer Camilla sur la suite des évènements, réussir aussi à lui faire comprendre qu’elle serait là pour eux. Sans condition. Elle acceptait.
Au loin, elle vit une jeune femme avec une poussette. Elle se rappelait des photos que Ryan lui avait montré, c’était bien elle. C’était Camilla et Ralph sur ce petit banc, en train de profiter des derniers rayons de soleil de la saison. Alors, Sophia s’approcha d’eux. Elle sentit rapidement son pouls s’accélérer. La désagréable sensation d’imposture était là, guettant la moindre faille où s’installer pour tout foutre en l’air. Elle s’en mordait la lèvre inférieure, serrant le bouquet et le petit sac aussi fort qu’elle pouvait pour tenter de s’autoréguler. Et si Camilla ne voulait pas d’elle, en réalité ? Ryan avait pris l’initiative, mais l’avait-il seulement consultée ? Avait-il écouté son avis ? Soudain, tout était précaire et elle sentit son visage blêmir légèrement. Trop tard pour faire demi-tour, elle était arrivée à destination. « Camilla ? » qu’elle avait réussi à sortir d'une voix hésitante, impressionnée par cette grande blonde et le tout petit bébé qui reposait dans la poussette ; c’était sûrement beaucoup trop tôt pour le livre des sensations… Beaucoup trop tôt, Sophia. Voyons.

@Camilla Grayson

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Le sourire de la grande blonde eut tôt d’adoucir sa nervosité. Cette dernière n’avait pas du tout l’air d’une personne qu’on aurait obligée à venir rencontrer l’inconnue que Sophia était pour elle et son fils. Au contraire, elle affirma être ravie, après s’être levée. Cette douceur qui émanait d’elle semblait irradier l’espace, et le petit bébé endormi dans la poussette ajoutait à l’ambiance un sentiment du même ordre, de la quiétude, de la bienveillance à l’état pur. Il fallut que la blonde en fasse la remarque pour que Sophia comprenne qu’elle aussi était stressée de cette rencontre.
Spontanément, la rousse aurait voulu prendre Camilla dans ses bras. C’était presque surnaturel, cet espèce d’instinct de protection qui avait surgit de nulle part. Si son esprit était encore dans le flou, son corps semblait prêt à accepter la mission que Ryan lui avait confié. Ryan… Comment avait-il pu partir et les laisser en plan, comme ça ? Elle avait du mal à se rendre à l’évidence. Ryan était un homme. C’était plutôt courant pour cette partie de l’humanité de faire primer ses intérêts personnels sur le reste.
Mais plutôt que de l’enlacer, Sophia lui tendit son bouquet avec un large sourire. « C’est pour toi. » Elle ne pouvait faire mieux sur le moment, perdue entre l’inconfort psychique et l’envie de bien faire. « J’ai pris quelque chose pour Ralph mais je crois qu’il ne pourra pas l’utiliser de suite, je suis désolée je… » Elle se pencha pour regarder le tout petit bébé dans sa poussette, sentant son coeur s’attendrir, avant de relever son regard vers Camilla. « J’ai tant à apprendre ! » fit-elle avant de sourire en coin. En effet, la rouquine n’avait jamais été confrontée à de telles responsabilités. Bien sûr, elle avait rencontré Léo, l'enfant de Robin. Même qu'elle l'avait déjà porté plusieurs fois! Et malgré cela - et la trentaine bien entamée - pas l’ombre d’un instinct maternel à l’horizon, jamais eu d’envie de parentalité, l’horloge biologique restait un mystère pour elle. « Et j’ai envie d’apprendre. » ajouta t-elle en s’asseyant sur le banc, invitant Camilla à la rejoindre. « Je vais le dire parce qu’il faut que j’évacue la chose » commença t-elle, d’un ton sérieux avant de déclarer théâtralement « Ryan est un pur idiot. » Son regard s’était perdu vers la poussette, alors qu’elle réfléchissait à ses mots. En réalité, elle ne savait rien de ce que la blonde ressentait vis à vis de l’homme en question, et peut-être même que ce sujet était sensible. « Je te rassure, je ne compte pas parler de lui pendant cinquante ans. A moins que tu ne veuilles en parler. » Parce qu’elle était cent pour cent prête à accueillir les paroles les plus dures de Camilla, même si elles concernaient l’un des hommes les plus importants de sa vie. « En tout cas, moi, je ne vais nulle part. » affirma t-elle en claquant ses mains sur ses genoux. Elle essayait d’être le moins chaotique possible, ne sachant par où commencer. « Mais pour être honnête, je suis un peu stressée aussi. » Sophia grimaça légèrement en faisant face à Camilla, un peu gênée d’avouer ceci alors qu’elle aimerait être le roc sur lequel la jeune femme puisse se reposer.

@Camilla Grayson

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Le bouquet de fleur semblait faire l’effet escompté : briser la glace, rassurer sur les intentions de Sophia, faire plaisir à sa réceptrice… Sophia réalisait à ce moment là qu’elle n’avait jamais vraiment vécu une situation similaire. C’était tout de même un peu surréaliste, quand on y pensait. Ryan parti du jour au lendemain, Sophia à qui l’on confiait une responsabilité de taille, presque de co-éducation avec une jeune femme qu’elle n’avait jamais rencontrée. Parce qu’elle le prenait ainsi, Sophia. Elle aiderait Camilla du mieux qu’elle le pouvait et se rendrait disponible. Elle savait à quel point c’était dur pour une femme d’élever seule un enfant. Même si cet enfant là avait l’air d’un petit chou à la crème.
Visage attendri en regardant son filleul, l’ombre de Ryan planait toujours sur elles et lui. L’ombre du non-dit, de l’inconfort lié à cette situation un peu loufoque. La glace n’était pas totalement brisée, alors Sophia entreprit de dire ce qu’elle avait sur le cœur à ce propos. Ryan est un pur idiot. Eh bien, oui. Elle l’aimait de tout son coeur, après tout ce qu’il avait fait pour elle – surtout à cette dure période de sa vie – mais son dernier choix en date l’avait heurtée dans sa chair. En tant que femme. Même si elle voyait Camilla sourire légèrement, Sophia restait sur ses gardes et comptait faire attention au ton qu’elle emploierait pour parler de lui. Idiot n’était de fait pas le premier mot auquel elle avait songé. « J’essaierai de rester polie quand j’évoquerai son père, alors. » fit-elle en laissant échapper un petit rire sarcastique.

La rouquine soupira en grimaçant lorsqu’elle entendit Camilla raisonner de la même manière qu’elle. Oui, c’était une situation un peu particulière. Elle ne perdait toutefois pas son sourire rassurant, alors qu’elle continuait d’acquiescer aux paroles de la jeune femme. « Oui, j’ai la même intuition. » Elle avait pris sa voix douce et pleine d’assurance, celle qu’elle n’avait pas trop l’occasion d’adopter depuis un moment. Ces derniers temps, elle avait plus eu besoin qu’on prenne soin d’elle plutôt que l’inverse. C’était d’ailleurs une mission que Ryan avait rempli avec succès, dès l’instant où elle était revenue à Redwood Hills. « Bien sûr, avec plaisir ! » Elle secouait la tête de haut en bas pour appuyer son enthousiasme. La blonde voulait bien parler de Ryan, ce qui enleva un poids dans le coeur de Sophia. En réalité, il fallait bien qu’elles en parlent. Elle aurait eu en horreur que ce sujet se révèle tabou puisque, même si elle avait une dent contre lui en ce moment à cause de sa lâcheté – ou plutôt de son sens des priorités plus que discutable – c’était son meilleur ami. Son ami le plus cher. Et ne plus le savoir aussi près d’elle géographiquement l’angoissait même un peu. « Comment on s’est connus ? Oh... » Sophia baissa la tête en fronçant légèrement les sourcils. Un fin sourire en coin se dessinait sur son visage au fur et à mesure que des tas de souvenirs défilaient sous ses yeux. Son visage trahissait l’affection forte qu’elle éprouvait pour lui. « C’est assez rigolo parce qu’on s’est rencontrés à l’école. » Elle plissait les yeux désormais, essayant de trouver les mots pour être aussi limpide que possible pour Camilla. « J’étais dans la première année du primaire, lui à sa cinquième. Il y avait un espèce de business de sucettes qui piquent dont il était à la tête… Oui, déjà dans le business, m’enfin, il se trouve qu’à l’époque il refusait de vendre aux petits, et donc, à moi. Du haut de mes 7 ans, je suis allée le menacer de tout raconter aux maîtresses si il continuait d’exclure les 1st grade de son petit commerce illégal. » Sophia éclata de rire avant de poursuivre : « Je crois que ça l’a épaté à l’époque, puisqu’il m’a nommée chargée des ventes auprès de ma classe. C’est ma première et dernière expérience dans la vente. » Elle reposa un regard amusé sur Camilla, contente d’avoir pu raconter cette anecdote presque aussi vieille qu’elle. « Après on s’est aperçus qu’on habitait dans le même quartier. Et que nos deux pères collaboraient ensemble. Je crois que ça a tout de suite cliqué entre nous deux, sans qu’on puisse vraiment l’expliquer. Je crois qu’il aurait secrètement aimé avoir une petite sœur. » affirma t-elle d’une voix plus basse sur le ton mi-confidence, mi-blague. « En même temps, avec le petit frère qu’il a… As-tu déjà rencontré Roman ? » Mauvaise langue, Sophia ? « Je crois qu’on était jaloux mutuellement l’un de l’autre quand on était petits. Après, je n’ai jamais eu d’atome crochu avec lui en grandissant non plus… » Et elle en avait même eu peur, presque. Pas sa came, le petit frère. Trop présomptueux, un peu froid. Elle avait toujours cru qu’il la détestait sans vraiment chercher plus loin. « Personnalités particulières, ces Amdahl, hm ? » Loin d’elle l’envie de paraître médisante, mais il lui semblait qu’il existait un consensus admettant ceci des deux frères à Redwood Hills.

@Camilla Grayson

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Camilla, en plus d’être d’une douceur infinie se révélait bon public. C’était un peu comme ça qu’elle gérait les situations anxiogènes, Sophia. Se mettre en scène, faire de grands gestes, ajuster le ton ; c’était comme lors des plaidoiries. Pour être écoutée, gagner le cœur de l’audience, marquer les esprits, il fallait y mettre du sien. Faire corps avec l’histoire. Ici, franchement pas le même enjeu mais tout de même, la rousse voulait s’appliquer. « Je crois que je n’ai jamais eu peur des garçons. » A l’époque et même maintenant, après tout ce qu’elle avait vécu, Sophia n’était pas livide à l’idée de confronter la gente masculine face à leur travers. Virilisme, machisme, comportements de petits chefs, dès le plus jeune âge elle n’avait jamais eu aucun mal à s’insurger. Ce qui n’était pas du tout la même chose avec les femmes, par ailleurs. Elle avait toujours eu plus de mal à critiquer ou entrer dans le conflit avec ses congénères féminines sans trop pouvoir l’expliquer. Quelque chose à avoir avec la solidarité entre femmes, peut-être.  « Ils sont si bêtes, n’est ce pas ? Sauf toi, Raphaël. On va tout faire pour ! » fit-elle en jetant un œil au bébé toujours endormi. Difficile de penser qu’un si petit bout de chou puisse devenir un macho qui traite mal les filles. Même s’il partait avec les gênes des frères Amdahl. C’était étrange d’ailleurs d’entendre Camilla définir Roman comme son ami. Roman, si dur, si détaché. Comme elle l’avait expliqué, la rouquine et le cadet des Amdahl n’avaient jamais trop cliqué. « Il ne m’a jamais blessée directement. Ce sont plutôt ses comportements, notamment avec son personnel qui m’ont toujours… interrogée. » Le mot était faible, ça n’était plus de l’ordre de l’interrogation mais plutôt de la révolte qu’elle ressentait vis à vis de ses méthodes de management et de leurs ambitions démesurées. Elle qui ne supportait pas l’injustice, l’exploitation des travailleuses et travailleurs, se retrouvaient bien en difficulté à fréquenter des chefs d’entreprises rois en la matière. Et si on ne choisit pas sa famille, parfois, on ne choisit pas non plus ses amis. Ryan, malgré tout ce qu’il était et ce qu’il représentait, tombait dans cette case. Et ce qu’elle ressentait pour lui dépassait les divergences politiques. Donc elle comprenait Camilla. « Je n’ai pas eu l’occasion de voir cette facette très bien dissimulée de Roman, mais oui… Ryan. » Sophia penchait la tête sur le côté en marquant une pause. Camilla, perdue dans ses pensées quelques secondes semblait chercher ses mots, et la rousse comptait la laisser finir. S’il fallait qu’elle exorcise, elle voulait bien l’écouter tout le temps qu’il faudrait. A la place, la blonde évoqua un prénom qui ne manqua pas de la plonger vingt ans en arrière. « Kyle est ton frère ? » s’exclama t-elle, la bouche en O, sourcils sévèrement froncés. « Oh ! Oh. » Son visage se détendit enfin en même temps que ses joues rougirent.

C’était fou comme le monde pouvait être petit. C’était aussi fou comme une simple petite phrase, un simple prénom pouvait vous ramener des années en arrière, à une époque tout à fait révolue (encore heureux). Il était possible qu’adolescents, Sophia et Kyle aient pu céder à une attirance réciproque, ou était-ce l’ennui de vivre à Redwood Hills, à force de traîner ensemble dans le même quartier. Inutile de mentir, Camilla n’avait pas du tout l’air d’être née de la dernière pluie et au contraire, tout à fait capable d’analyser le pourquoi du comment de toute la gêne qui avait pris place sur le visage de Sophia. « On s’est connus, oui. Un peu perdu de vue depuis, forcément. » Cette histoire furtive, l’affaire de quelques mois lors de leur seizième année, s’était terminée non sans drame. Au fur et à mesure, les points se connectaient dans son cerveau et c’était comme si elle redécouvrait Camilla. Camilla Grayson donc. La fameuse petite sœur de Kyle, celle qui lui avait sauvé la vie. « Mimi. » souffla Sophia, mélancolique. « Kyle me parlait beaucoup de toi quand on se retrouvait tous les deux. » Lors de leurs rendez-vous secrets, car oui, personne n’avait su pour eux deux. C’était donc uniquement dans ces moments là qu’il avait évoqué sa petite sœur, lors de moments plus discrets, loin du groupe qu’ils formaient à l’époque dans le voisinage. « J’étais en train de me dire que c’était fou que l’on ne se soit jamais rencontrées, mais c’est vers nos seize/dix sept ans qu’on a commencé à prendre des chemins différents, tous. » Pas qu’avec Kyle, c’était aussi à cette époque que les choses ont commencé à dégringoler avec Robin par exemple. La fin de l’adolescence, lieu de tous les possibles et donc de changements. Il n’y avait qu’avec Ryan que les choses étaient restées stables, régulières. « J’en déduis qu’il n’est pas au courant que Ryan m’a désignée marraine de Raphaël ? » Elle fronçait à nouveau les sourcils, peinant à saisir la globalité de la situation. De toute évidence, certaines informations lui manquaient. La faute à Ryan qui l’avait laissée dans le flou total concernant qui était vraiment Camilla, à savoir, la sœur de Kyle Grayson.

@Camilla Grayson