Caractère Avenant, Edward ne l’a jamais été. Du petit garçon qui tirait la gueule sur les photos de classe à l'homme ours. Ses sourires sont rares et critiques. Il affiche le plus souvent un air rogue, bourru. On le croit volontiers timide. Il parle peu, mais pense beaucoup. Un mutisme ascétique qui lui vaut une réputation d’homme sérieux. À croire qu’une silhouette élancée et un air songeur suffisent à inspirer la gravité au premier venu. Le constat n’est pas tout à fait infondé, le concernant. Ed est un homme de devoir. Il couve cependant une volonté de fer, un tempérament acéré. De son passage à l’armée, il conserve rigueur et discipline. Timide ? Tant s’en faut. Son caractère distant est la simple expression d’une arrogance tapie. Il préfère s’isoler, plutôt que de s’adapter à ceux qui l’entourent. S’il témoigne peu de sympathie au genre humain, il n’en est pas moins investi auprès des minorités, prêt à rendre service à son prochain. Il donne de son temps, sans rien demander en retour. A contrario, il refusera toute forme d’aide ou de charité. Fierté sur laquelle il ne pourra s’asseoir. Ed, c’est encore l’homme qui se fraye un chemin à contre-courant, sans se soucier du qu’en-dire-t-on. Il n’a jamais marché dans les clous, préférant paver sa propre route. D’aucuns y verront la marque d’un original, d’autres, l’expression renouvelée de son orgueil. Il a le regard vif et expressif. Un regard qui jauge. Un regard désormais vide. Jeune, Ed était un garçon fort de ses idéaux, étourdi de printemps, un monstre de principes. Il aura perdu cette foi inébranlable, se heurtant à présent à la difficulté de croire en quelque chose. À sentiment, l'époque vous répond sentimentalisme. Il n'a jamais su trouver le juste milieu entre  porte blindée et hall de gare, incapable de se lier aux gens. Ed préfère se retrancher sous une carapace d'acier.

Rose Lunaire Ed se souciait peu de la Rose Lunaire. S’il n’a jamais nié son existence, il était loin de s’en préoccuper. Il avait ses propres combats à livrer, un quotidien éprouvant. Le patriarche avait déjà été témoin du fanatisme religieux des contrées reculées du Midwest, qui est souvent une corollaire de renforcement politique locale. Un bigotisme qui porte à de dangereuses dérives, telles que l’ethnocentrisme et l’isolement. Des familles entières finissaient par vivre sous le patronage d’une plus haute autorité, qui tendait parfois au sectarisme. Il s’est toujours méfié des fortes doctrines, des groupes aux idéologies troubles et aux intentions incertaines. La Rose Lunaire ne faisait pas exception. S’il n’y prenait pas vraiment garde, il réprouvait le fond et la forme. Sa tante fut la première à l’aviser de son histoire. Elle avait connu son apogée, puis sa macabre chute. La pauvre femme y avait perdu un mari et une belle-sœur, décédés lors du suicide collectif du 3 juillet 1985. Un passé entaché qui ne le dissuada en rien de s’installer à Redwood Hills, quelque dix années plus tard. Ed n’imaginait pas un seul instant que l’un des membres de sa famille pourrait pâtir de cette vieille entité. Il se croyait peut-être au-dessus de tout cela. Une négligence coupable. Son garçon fut approché et entama le processus de recrutement, à son insu. Aveuglé, il alla jusqu’à commettre l’irréparable pour plaire à ses mentors, porté par un fanatisme presque pathologique. La Rose Lunaire eut tôt fait de se désolidariser du jeune garçon. L’accident de Serena Austen leur avait plus que nui. Si Jeffrey soutient que ce geste était le sien, Ed n’est pas près d’écarter la responsabilité de la secte. Elle n'a peut-être pas commandité cet acte, mais la Rose a profité de la fragilité de son fils. Aujourd’hui, le quadragénaire est conscient de la nécessité d’une sensibilisation de la jeunesse, cible directe des recruteurs de la secte. Un travail de prévention qui doit également passer par les parents. Pour que le schéma ne se répète pas.  Peut-être pourrait-il raconter son histoire. Mais qui voudrait l’entendre ?