Des chemises de toutes les couleurs me venaient à l’esprit sans que je ne m’en rende vraiment compte, je profitais de la légèreté qui s’était installée pour rêvasser sans but précis. Il y avait longtemps que je n’avais pas embêté mon frère pour l’entrainer dans les boutiques de vêtements et, ainsi, refaire une partie de sa garde-robe. « Tout n’est pas perdu. » Ajoutais-je encore, puisqu’il était devenu si facile de se laisser porter par l’humour en la compagnie de Colin tout compte fait. Cette affirmation pouvait prendre plusieurs significations quand l’on se projetait sur la date du jour, jour de l’indépendance, et sur l’état de notre beau pays – ou de la ville dans laquelle nous vivions plus simplement. La petite frayeur qui s’était déroulée quelques minutes plus tôt tout juste nous rappelait qu’il y avait bien des soucis auxquels il n’y avait pas de réponses. C’était beaucoup plus facile de ramener les choses à une conversation d’ordre personnel, c’était aussi plus pratique quand on envisageait de passer la soirée avec quelqu’un qui était encore un parfait inconnu trente minutes plus tôt. Sa réponse me prenait par surprise. Sa fille. Alice. Cette fois, la connexion qui s’opérait me ramenait aux lectures que j’avais eu l’habitude de faire à Weddie avant qu’elle n’aile au lit. Nous avions souvent lu Alice aux pays des merveilles. « C’est un prénom magnifique. » Commentais-je sobrement. Colin avait choisi de répondre à la question par quelque chose qui, je le devinais tout de suite, lui tenait beaucoup à cœur et cela venait de donner une direction quelque peu différente à notre conversation. « Et sa maman… ? » Si tôt que je croisais son regard, je balayais ma propre question d’un signe de la main. « Désolée. C’est plutôt personnel… J’ai une petite fille aussi. Enfin, ce n’est pas la mienne, mais je m’en suis occupée comme si ce l’était. » Je n’avais certainement pas prévu de lui faire cette confidence, ça semblait seulement naturel de m’expliquer alors que j’avais peut-être aborder un sujet trop sensible sans vraiment y réfléchir d’abord.

Je reviens – sauf que ça n’avait pas du tout sonné comme ça. Je rentre. Je m’en vais. Ne faites pas attention à moi. En quelque sorte, il avait bien semblé que c’était plutôt ce que venait de dire Noam en s’éclipsant comme un coup de vent. C’était un peu bizarre, comme une brise fraiche qui vous filait des frissons sans être pleinement inconfortable, juste… À côté de la plaque. Je relevais les yeux sur Teddy, me rejouant ses paroles précédentes. Ce n’était pas bizarre d’être de retour, j’étais heureux de l’être. En revanche, les circonstances semblaient précipitées, incongrues, de sorte de nous sortir de l’instant présent qui s’était pourtant révélé riche de promesses avant le vacarme. L’aveu de la jeune femme me tirait de mes pensées et je portais le regard sur elle. « Je suis persuadé qu’il ne t’en veut pas pour ça. » Noam s’en voulait sans doute à lui-même. Pendant un instant, j’avais bien eu envie de lui dire que c’était pareil pour moi, mais ce ne l’était pas. Noam n’était pas mon frère, juste un ami d’une autre vie, car c’était bien ce à quoi ressemblaient ces souvenirs de New York. Une autre vie. Une dans laquelle les conversations de comptoir des bars où nous avions fait la connaissance l’un de l’autre avaient été dépourvues de conséquences, et donc, beaucoup plus faciles qu’elles l’étaient au présent. « Toujours. » L’œil est complice, la demi-lune au coin des lèvres décidée, même s’il y a toujours cette note d’engourdissement qui dure, qui dure. Je glissais ma main dans la sienne, peut-être que c’était la foule environnante qui m’y poussait, peut-être l’envie tout court. Cela nous conduisait tout de même vers le parking où se trouvait toujours la silhouette familière; encore une fois, la présence de ses chiens avait grandement aidé au repérage. Au moment de cette – appelons-la tentative – de la part de Teddy, je tournais la tête vers elle. Elle pouvait compter sur moi pour ne pas afficher trop manifestement que je ne croyais en rien ce qu’elle venait de dire, mais sa ligne me semblait avoir peu de chances d’atteindre l’objectif. « J’ai ramené quelque chose pour Noam aussi. » Je tournais la tête dans sa direction. « Du Mali. » Eum. En tout cas, avec un peu d’improvisation, ça pouvait s’arranger. « Vous ne voudriez pas finir la soirée à la maison plutôt ? » Les feux d’artifice, ce n’était ni les premiers ni les derniers. Il y avait bien plus important et il était devenu évident que Noam n’avait jamais été enthousiaste à l’idée d’y assister.

S’il y a bien quelque chose que je ne suis pas, c’est matérialiste. Les meubles, les vêtements, ce n’est pas important. Evidemment, j’aime m’habiller bien, faire attention à mon image, mais pas de là à péter un câble pour une simple tâche sur ma chemise. Je le tourne même en dérision et la jeune femme ne peut que me suivre. Pourquoi se prendre la tête pour si peu, alors qu’on est là, posé sur ce bord de lac, pour passer un bon moment. La cause de cet accident par contre est bien moins agréable. Mais heureusement, cette secte qui sévit en temps général dans notre petite ville, n’est pas responsable. Juste un gamin qui voulait faire une blague. Rien de bien méchant. Charlene souhaite alors en savoir plus sur mon compte et la première chose qui me vient à l’esprit c’est parler de ma fille. Parce que parler de mon côté dom juan, ça, elle l’a bien cerné. Je ne compte pas non plus la faire se méfier de mes agissements. Ce serait … étrange oui. J’étais tout de même loin de m’imaginer que le prénom de ma fille la ferait réagir ainsi. Je la regarde, vois ses yeux pétiller et lui demande Est-ce que j’ai affaire à une fan d’Alice au pays des merveilles ? J’arque un sourcil, amusé. Bien qu’il se pourrait totalement qu’elle connaisse quelqu’un de proche de ce prénom. Ou bien qu’elle ait elle aussi une fille de ce prénom-là. Mais voilà que mon sourire amusé disparait quand elle se montre indiscrète en posant LA question que tout le monde me pose dès que je parle d’Alice. Rien de plus normal après tout. Je ne sais plus trop quoi répondre à force. Tout ce que je dis sur elle donne envie d’en savoir plus et ça m’agace. Mais Charlene n’y est pour rien et songe à une réponse simple quand elle s’excuse. Mon sourire reprend place sur mon visage, bien plus timide cette fois-ci, d’autant plus qu’à son tour, elle me confie quelque chose de personnel Tu viens indéniablement d’éveiller ma curiosité à ton tour. Un léger rire et je rajoute Il n’y a rien d’extraordinaire concernant la mère d’Alice. On a passé une nuit ensemble. Alice est née. On s’est mis ensemble et ça n’a pas fonctionné, voilà tout. Oui, passons les détails désagréables, ils n’en valent pas la peine, d’autant plus qu’à présent, j’ai enfin ma semaine sur deux de garde.

Il était impossible de changer Oscar. Je le connaissais depuis mon plus jeune âge et il était toujours le même petit con qu’avant. Il s’amusait du mal qu’il pouvait faire. Je préférais lever les yeux au ciel plutôt que lui répondre et que la discussion tourne en rond indéfiniment. S’il voulait raconter des mensonges au lieu de dire la vérité, c’était son problème mais maintenant je ne l’écouterai plus et je tracerai mon chemin. Avec les menteurs, ce qui était dommage, c’était que le jour où ils diraient vraiment la vérité, on ne les croirait plus.
Je venais d’apprendre une grande nouvelle. Sierra et Oscar se fréquentaient. Là, je tombais des nues, complètement. J’espérais que ce n’était pas encore un de ses mensonges. Cela semblait être vrai. Il m’avoua que ce n’était pas lui qui l’avait fait fuir. Je pouvais même contacter ma cousine pour lui demander. Je savais pour quelles raisons Sierra était partie de Redwood Hills. Elle voulait découvrir le monde tant qu’il en était encore temps et elle avait bien raison. Mais c’était certain qu’à l’occasion, je lui demanderai des explications. « Compte sur moi pour lui en parler ! » Au moins, j’aurais la version vraie de ma cousine. Je lui faisais bien plus confiance à elle qu’à lui.
En attendant, Riley semblait complètement déçue d’Oscar. Il avait osé profaner un mensonge qui avait mis notre relation en péril. Je tentais de calmer la belle brune comme je le pouvais. D’un coup, elle s’adressa à Oscar et lui dit ce qu’elle avait sur le coeur. Par moment, je souris quand elle nous évoqua comme un potentiel couple. Nous n’avions pas encore défini complètement ce que nous étions l’une pour l’autre mais notre relation semblait de plus en plus officielle. Je laissais Oscar et Riley discuter de leurs différents. Ils étaient amis tous les deux et je ne voulais pas me mêler de leur histoire d’amitié. Il fallait qu’ils le règlent ensemble.
Puis, juste après, Oscar se tourna vers moi, curieux de savoir ce qu’il se passait entre Riley et moi. Je secouais la tête de gauche à droite. Ce mec était une vraie fouine. Je regardais la belle brune avec un sourire puis je reportais mon attention sur Oscar. « Et oui, nous sommes ensemble. » Je pris la main de Riley dans la mienne et j’entremêlais mes doigts avec les siens. Ca y est, nous venions d’officialiser notre relation, devant Oscar. Je ne pensais pas que ça se passerait ainsi mais il était temps de mettre un titre à notre relation.

@Riley Clarke @Oscar Kidd

Je haussais les épaules devant la question de Colin sans en perdre pour autant le sourire, après tout, je n'avais jamais été une grande fan de littérature. Mais cela n'en tenait pas à un désintérêt, plutôt, au fait que j'avais tout investi dans d'autres sphères étant un peu plus jeune, comme la danse. Mon frère Benny était le véritable expert et j'étais persuadée qu'il aurait pu parler de l’œuvre de Charles Lutwidge Dodgson même s'il s'agissait de littérature britannique. « Hm, les films en tout cas. » Surtout celui en dessin animé si j'étais parfaite honnête, mais je conservais ce détail pour moi. Je l'avais regardé plusieurs fois - les enfants ne se lassaient jamais - avec Wednesday, car il faisait partie de sa collection. Cette pensée m'avait d'ailleurs poussée à lui confier ma propre situation, même si j'avais plutôt l'habitude d'éluder le sujet. C'était plutôt délicat et sensible, bien que le temps avait passé depuis ma rupture avec le père de la petite en tout début d'année. Ce l'était moins au nom de cette relation terminée que pour cette situation familiale ambiguë. « On est sur un pied d'égalité, alors. » En ce qui était d'éveiller la curiosité. Sauf que moi, je m'étais laissée aller à un peu trop de spontanéité en lui posant une question sur la mère de sa fille, ce qui ne semblait pas l'enchanter. Ça se ressentait dans son langage non-verbal, impossible de le nier. « On n'y peut rien, la vie est pleine de surprises. » Proposais-je alors en guise de conclusion. Pas question de le forcer à en parler davantage, tout comme je savais que je n'aurais pas apprécier de devoir exposer tous les détails de ma propre situation. « Bonnes ou mauvaises, les surprises. Tiens, prends-moi et cette soirée comme exemple. J'aurais pu tomber sur un type avec de mauvaises intentions, mais j'ai eu de la chance. » Petit sourire en coin, je faisais allusion à la première impression qu'il m'avait donnée et qui était désormais plutôt changée. L'humour était toujours ma façon d'aborder les choses, au moins lorsque c'était possible.

Les choses se passent rarement tel que prévu - le constat n'était certes pas très agréable, mais pas moins véridique. Personne n'avait prévu que des trouble-fêtes sèmeraient la frayeur au sein de tout ce monde rassemblé pour célébrer la patrie. Noam n'avait pas prévu de devoir faire face à ces traumatismes qui l'habitaient et qui étaient si difficiles à maitriser. Teddy n'avait pas prévu de dire ça comme ça, non, non, j'en étais certain, pas plus que de serrer ainsi ma main jusqu'à ce qu'il ne reste - c'était en tout cas l'impression - plus une goutte de sang. Les chiens n'avaient pas prévu de servir d'excuses, personne n'avait prévu d'oublier ses clefs, et moi, je n'avais pas prévu de devoir me débrouiller avec ces noeuds d'apparence inextricables même si c'était, d'ordinaire, l'une de mes plus grandes forces. « Ouais, j'y étais jusqu'à hier. Un ami médecin adoptait une petite Malienne. » Inutile d'entrer dans les détails, d'expliquer que ma présence à ses côtés concernait le rôle de parrain qu'il m'avait demandé d'accepter, et que j'avais accepté. Je n'étais pas certain d'avoir envie de connaitre son avis là-dessus. Comme bien d'autres, Noam aurait sans aucun doute de bons motifs de douter de ma capacité à entreprendre de telles responsabilités. Au même moment, Teddy vacillait entre mécontentement et résilience. Si bien que j'attrapais une possibilité (métaphoriquement) au vol. « Mais, en fait, c'est une histoire pour un soir où on aura eu le temps de tout préparer, bouteille de vin, diner et tout ça. » Je n'étais pas un adepte de vin, loin de ça. Tant pis. « C'est comme t'as dit, les enfants dominent le monde et j'en connais deux qui ont hâte de rentrer. » Voilà que l'expert canin (ou pas du tout) venait de parler en observant les deux bêtes trépigner sur place pour des motifs qui étaient assurément n'importe quoi, sauf une hâte de rentrer. « On se fera ça bientôt. » Dans cette volonté de ne pas laisser Noam filer, il semblait pourtant que prolonger l'embarras jusqu'à chez nous, ou chez lui, ne risquait que de nous peser à chacun. « T'es prête à faire ton devoir de patriote ? » Autant le dire ainsi, non pas m'extasier devant la possibilité de voir, tout compte fait, ces fameux feux d'artifice. Ça ne risquait plus d'être très long avant le discours prévu de notre nouvelle chef (Dieu merci, ce n'était pas ma mère).

Le regard pétillant de la demoiselle qui entend le prénom de ma fille, me fait dire que le personnage de Lewis Carroll ne la laisse pas indifférente. Evidemment, un grand nombre d’adaptation a été créé et il se peut qu’elle aime une œuvre ou toutes. Elle me fait part justement aimer les films. Si ma mémoire est bonne, il y en a eu trois de la part de Disney. Les autres me sont totalement inconnu au bataillon s’il y en a eu. Notre vie personnelle entre alors encore plus en jeu, vu que les questions pas très agréables se posent. Bien que la situation de Charlene semble différente de la mienne, elle semble être davantage en paix avec sa situation familiale compliquée. Il est vrai que sur ce point, on ne peut que se ressembler. On aurait tout aussi bien pu être chacun marié, avec une fille justement, mais de un, on ne serait pas ici et de deux, c’est bien plus commun comme situation. Ma curiosité n’est pour autant pas assouvi mais je ne me vois pas pour autant poser un milliard de question indiscrète. Elle ponctue parfaitement avec les surprises de la vie. On peut dire que j’en ai accumulé quelques-unes. D’autres plus agréables que les autres. Faut simplement savoir vivre avec. Sa dernière remarque me détend bien plus et me fais sourire de plus belle, oubliant alors la mère d’Alice et les obstacles qu’elle a pu me mettre entre moi et ma fille Une chance oui. Je vois bien à son regard qu’elle se doute bien de mes intentions premières avec une femme. Mais au moins, cela ne l’a pas effrayé et cette soirée en sa compagnie fait partie des agréables surprises de la vie.