Un message on my way , qu’elle envoie à l’adresse de sa soeur pour la préparer psychologiquement. Bien que sa visite était prévue, Samantha sait que sa soeur est un peu une énergumène sauvage et préfère prévenir - s’assurer une énième fois que c’est okay. Ce n’est pas comme si elle en avait des tonnes de souvenirs dans la ferme où habitait son aînée depuis quelque temps à présent. La blonde se souvenait de sa réticence à vouloir inviter sa famille, ce qui l’avait un peu découragée. Pour autant, elle voulait discuter avec Billie en amont, ou plutôt l’inclure dans le cadeau qu’elle avait décidé d’offrir à leur mère pour l’occasion, à savoir la fête des mères qui arrivait le dimanche-même. Elle sait que ça fera sans doute très plaisir à Cynthia de se sentir tout aussi aimée par l'entièreté de sa meute, alors autant aller au bout des choses et tenter un rapprochement avec Billie. C’était aussi la parfaite excuse pour également voir sa nièce préférée. Certes, c’était la seule, mais de la voir grandir lui apportait une si grande satisfaction qu’elle en oubliait la frustration de sa relation en dent de scie avec sa sœur. Tant pis, si elle la prenait juste pour la babysitter.

Allez savoir, si c’était la quarantaine qui se profilait dans quelques petites années, ou un reste d’hormones qui lui restait encore, - malgré sa ménopause, mais forcément, des envies d’unification se faisaient plus fortes au fil du temps, que ce soit dans sa famille directe, ou même dans sa vie d’une manière générale. Elle sait qu’elle veut plus que les cartes avec lesquelles elle a été servie. Si elle s’épanouissait dans son travail, amicalement, et même parfois d’un point de vue affectif, force est de constater, qu’elle parlait toujours en thérapie, de son besoin de fonder une famille. Si le sujet revenait toujours, ce n’est plus avec tristesse, si elle avait fait le deuil de son propre corps qui lui refusait un pareil luxe, elle sait bien qu’elle a d’autres possibilités, la vie ne se limitait pas à enfanter. Cette fête, qui célébrait les mères, ne pouvait que le lui rappeler, mais n’étant pas du genre à attirer l’attention sur ses propres états-d’âme, la blonde préfère se concentrer sur les autres. D’ailleurs, la dernière fois, elle avait même pris le temps de faire dessiner une œuvre d’art sublime (à son level) à Shé, pour qu’elle puisse la lui offrir à sa mère, le jour en question. Même Billie la grincheuse méritait des surprises.

Hello madame, qu’elle lui dit dans un sourire qui se voulait chaleureux, optant pour une accolade qui lui semblait tout de même naturelle, en entrant chez sa soeur, un sac à la main. Nouveau pull ? Taquinerie liée à son commentaire Instagram, - plutôt que de lui demander comment elle allait. Une belle entrée en la matière. Avant de déballer l’objet de sa présence, elle souhaite tout de même être bien reçue, la connaissant un peu nonchalante : Tu m’offres un truc à boire ? Je te sens généreuse aujourd’hui. Un sourire amusé tandis que son attention se pose aussitôt sur la petite qu’elle voit enfin : Hello babyyyy ! Comment tu vas la plus belle?

 La vibration de son téléphone sort Billie de ses pensées. « Merde. » Avait-elle oublié que sa sœur devait lui rendre visite aujourd’hui ? C’est bien possible. A-t-elle envie de recevoir cette visite ? C’est peu probable. Les aléas de la sororité dans toute leur splendeur, oscillant entre éclats de complicité et besoin profond de maintenir une distance raisonnable. Plus que la venue de sa sœur, il faudra cependant reconnaître que c’est surtout son motif qui pousse l’aînée à trainer des pieds. La fête des mères. Dire que Billie n’a jamais particulièrement raffolé de cette occasion serait un euphémisme. Essayant pourtant de bien faire, la constatation chaque année renouvelée que les cadeaux de Samantha étaient systématiquement les plus beaux, les plus intelligents, les meilleurs. Toujours parfaite, Sam, et visiblement sans le moindre effort. Soupirant, la blonde se résout malgré tout à abandonner le carnet de commandes sur lequel elle travaillait pour aller s’habiller. Les joies de l’auto-entreprenariat : nul besoin d’enfiler un pantalon pour prendre le job et commencer sa journée. Pouvant cependant d’ores et déjà entendre les critiques de sa sœur à ce sujet, Billie préfère prendre les devants.

« Hey. » Un sourire dans lequel point une certaine tendresse, malgré tout. Parfois, il semble à Billie que Samantha souffre tout autant qu’elle de cette relation conflictuelle. D’autre fois, il est évident que c’est elle qui prend plaisir à déclencher ces conflits. Répondant à l’accolade, elle plisse un peu le nez. « Passion fleurs jusqu’au parfum, hein ? » A en juger à ses dernières publications sur instagram et sa petite robe à motifs, Sam traverse une passe de trouble dissociatif de l’identité dans lequel elle serait une tulipe. C’est sympa, les tulipes. Mignon. Pas le genre de Billie, mais ça correspond évidemment à la perfection pour sa sœur. « Il est sympa, non ? » Tirant sur son propre pull, elle l’inspecte en espérant ne pas y trouver une tâche. C’est seulement après quelques secondes qu’elle fait le lien entre la remarque de Sam et leurs derniers échanges, levant les yeux au ciel. « Figure toi que j’ai vérifié et que j’ai le même. Sans trou. » Nianiania. Pétasse. A croire que Billie se promène en souillon toute la journée. Ce qui, réflexion faite, n’est peut-être pas entièrement faux ceci dit.

Elle se recule pour laisser entrer sa sœur, la blonde déjà boudeuse qui observe sa sœur à la dérobée, boudeuse de constater que comme toujours elle est ravissante. Et saoulante. « D’où ça sort, ça, encore ? » Billie qui manquerait de générosité ? Quel toupet. A peine arrivée et exigeant déjà qu’on la serve comme une princesse, l’ainée referme la porte d’entrée avec un agacement non dissimulé. « Laisse-moi peut-être 2s pour t’ouvrir, nan ? » Re-pétasse. Il n’y a pourtant pas matière à tant s’irriter de si petites remarques, mais c’est justement la spécialité de Sam : les petites remarques mesquines, jamais ouvertement méchantes mais suffisamment explicites pour blesser malgré tout. Billie n’a pas cette finesse d’esprit. Brute, elle dit les choses comme elle les pense et finit souvent la première à bout de nerfs, serrant les dents pour ne pas exploser. « Bref. Qu’est-ce que tu veux ? » Le son est sec, d’ores et déjà  b l a s é. « De l’eau ? » des toilettes ? Non, quand même Billie, sois gentille avec ta sœur. « Thé glacé, jus de pomme, café. » L’énumération ennuyée prend fin sur l’arrivée d’un petit soleil attiré dans la pièce après avoir entendu la voix de sa tante. « TATAAAAAAAAAAA. » Bien forcée de sourire, en voyant Shéra se jeter dans les bras de Sam. L’amour pur. Sera-t-elle capable, elle, de prendre un jour tant de plaisir à voir sa sœur ? « Avec Gratouille on faisait de la pâte à sel. » Pour preuve, les mains recouverte d’un mélange visqueux et humide qu’elle n’hésite pas à brandir avec fierté. « Tu viens ? » Et la tirant déjà par le bras en tâchant à son tour le vêtement de sa tante – ah ah, voilà qui rétablit l’ordre des choses -, Shéra entraîne tout ce beau monde dans la cuisine. De toute façon, miss Parfaite a soif et c’est également dans cette pièce qu’il faudra la servir.

Si l’occasion de la fête des mères occupait son esprit, il fallait avouer qu’elle n’était peut-être pas aussi inspirée que les autres années. Il était difficile d’offrir des cadeaux à quelqu’un qui avait tout, et autant dire que leur mère n’était pas quelqu’un qui se privait dans la vie. Elle avait travaillé toute sa vie, méritait sans doute de pouvoir se faire autant plaisir, mais de ce fait, lorsqu’elle annonçait une certaine envie, le laps de temps était particulièrement court avant qu’elle ne cède audit caprice. Pas simple donc de satisfaire, celle qui attendait forcément quelque chose. Elle s’était creusée un peu, et même si elle se doutait que sa soeur irait avec le flow, peut-être avait-elle une idée supplémentaire ? Sam envisageait tout de même d’acheter également un très beau bouquet de fleurs en plus, le jour-même, sachant que le fleuriste du coin proposait des créations sublimes pour l’occasion.

Devant chez sa soeur, elle ne tarde pas à être accueillie par cette dernière; elles s’offrent des sourires qui laissent entendre une certaine paix, le temps de quelques secondes. Une proximité à travers une accolade qui lui fait tout aussi plaisir. Faut dire que Sam aimerait être plus proche de sa soeur, c’est sa soeur. Bien qu’elle ne pouvait s’empêcher de l’allumer avec des petite remarques à la con qui pourtant ne lui ressemblaient pas, force est de constater qu’il y a plus d’affection qu’autre chose dans son coeur d'artichaut. Je me suis peut-être un peu emballée… j’aime vraiment le printemps. Guilty. Y a pire cependant, et elle se permet une petite remarque au sujet de son pull. Pas si vive, mais assez pour le relever par la suite, Sam laisse un léger rire s’échapper d’entre ses lèvres. Il est sympa, j’avoue, peut-être que je te le volerais. How ? Aucune idée, mais fait est qu’elles avaient le même pull, qui n’était pas encore troué, lui signifiait-elle. On arrive à se trouver des points communs, avec le temps. Moins pétasse qu’à son arrivée, l’adepte du printemps entre alors chez sa soeur.

Et puis ça lui passe, elle lui demande si elle allait lui offrir quelque chose à boire, puisqu’elle était-là. Elle sent qu’elle l’a un peu irritée, en lui demandant des explications. La blonde hausse les épaules, puis l’entend lui proposer plusieurs options de boissons. Il était bien trop tôt pour passer à l’apéro et elle n’était pas contre une douce fraîcheur. Elle n’a cependant pas le temps de lui répondre, que sa propre attention est détournée par le rayon de bonne humeur qui débarquait justement à cet instant. Son sourire s’élargit aussitôt. Au moins, elle ne pouvait que se sentir aimée, de ce genre d’amour inconditionnel que les enfants pouvaient apporter aux membres de leur famille - ou du moins ceux qui se montraient présents - car Sam n’a jamais refusé une seule fois de passer du temps avec sa nièce. Une promesse qu’elle s’était faite en la rencontrant pour la première fois, en Tunisie, à savoir de faire de cette relation une priorité. De la pâte à sel ? Mais c’est génial ça ! Elle sourit toujours Sam, même lorsque le reste de farine et de dieu-sait-quoi, scotché sur les doigts de la petite vient tâcher son pull. Rien qui restait indéfiniment. Mais carrément  ! L’artiste la trainait dans la cuisine, et elle en profita finalement pour passer sa commande auprès de sa soeur : Un thé glacé, pourquoi pas ? Dans la cuisine, elle s’exclame, avec ce même ton plein d’encouragement : Wow mais quelle artiste, Shé, t’en as mis de partout. Un léger rire.  Elle se retourne vers sa soeur. Bon pour dimanche, je t’avoue que j’étais pas super inspirée. Sourire un peu gêné. J’ai acheté un petit truc, je compenserai avec des fleurs. Si seulement c’était l’intention qui comptait, dans cette famille aux parents exigeants. Elle hausse à nouveau les épaules. Tu veux participer ? J’ai aussi acheté une carte. A savoir, qu’elle pouvait inscrire quelques mots sympas dessus.

 Elle n’est pourtant pas si ermite que ça, Billie. Pas du genre à rechigner à recevoir de la visite, à traîner des pieds lorsqu’on lui propose des choses. Avec Sam, c’est différent. Ça a toujours été différent, sans qu’elle sache très bien laquelle des deux aura commencé la première à instaurer ce climat de défiance entre elles. Aucune, peut-être. Allez savoir. « Personne n’est étonné. » Qu’elle aime le printemps. Bien sûr que Sam aime le printemps. Tout ce qui est joyeux, festif, doux, c’est pour Sam. Les petites fleurs et les parfums sucrés, Sam. Billie sent la poussière la plupart du temps, il faut bien le reconnaître. Ses ongles sont cassés et ses salopettes tâchées. Ses pulls, pas tous troués, malgré ce qu’en disent les rumeurs. Une petite grimace, comme un froncement de nez. Pas sûre d’avoir envie de se trouver des points communs avec sa sœur tout en ayant, en réalité, terriblement envie de se trouver des points communs avec sa sœur. Le paradoxe du vilain petit canard qui tente à la fois de s’affirmer dans sa différence et de s’efforcer de blanchir ses plumes ; Même avec les années passant, on n’y échappe pas. « Mouais. » Réponse laconique et purement décorative, juste histoire de dire un truc. D’un pas sur le côté, elle cède le passage à sa sœur, se demandant déjà ce que miss parfaite trouvera à critiquer dans sa maison. Elle trouve toujours, il suffit d’attendre que ça vienne.

Et ça vient, bien sûr. Quoi que la critique soit indirecte, reproche larvé dans une question qui a le don de faire sortir Billie de ses gonds. Depuis quand on pourrait lui reprocher de manquer de générosité ? C’est stupide, mais ce type de mesquineries l’agacent profondément parce qu’elles sont gratuites. Un haussement d’épaules chez l’une, un haussement de sourcils chez l’autre. « J’imagine qu’on saura jamais. » Probablement parce que ça ne sort de nulle part et que Samantha prend simplement plaisir à torturer sa sœur. Autant enchaîner sur autre chose. Thé, café, jus de chaussettes – tous les choix sont possibles, preuve qu’elle est bien plus généreuse qu’on ne voudra le faire croire. Shéranour arrive avant que la décision ne soit prise, en profite pour essuyer ses mains sur le chiffon que porte sa tante. Karma. Un petit sourire en coin. La situation dans la cuisine est effectivement assez apocalyptique, mais la blonde d’ordinaire déjà assez désordonnée s’est très bien faite à l’idée de ne plus jamais avoir une maison complètement clean depuis qu’elle est maman. Le thé glacé sorti du réfrigérateur, Billie se mordille l’intérieur de la joue. « Hm ? » Pas qu’elle n’est pas intéressée, mais elle ne sait franchement pas quoi dire. Si même Sam n’est pas inspirée pour un cadeau de fête des mères… Un soupir, elle se retourne pour lui tendre son verre et hausse les épaules. « Je suis sûre que ce sera super. » Les cadeaux le sont toujours après tout, venant d’elle. Un instant, la curiosité de demander ce qu’elle a choisi, vite réprimée. C’est un peu humiliant, en réalité : devoir laisser Sam tout gérer parce qu’elle sait déjà que ce qu’elle choisirait n’aurait aucune chance de plaire à leur mère, être reléguée au rang de simple participation, de petite signature en bas de la carte… Un nouveau haussement d’épaules. « Ouais, si tu veux. Combien tu as dépensé ? » De toute façon, refuser reviendrait à confirmer les rumeurs sur sa radinerie ; Donc non. « Au moins j’aurais pas à me casser la tête à choisir un truc qui finira sur le prochain vide grenier, comme ça. » Le verre à moitié plein, n’est-ce pas ?