La journée avait pourtant bien commencé. Tehaunui ne travaillait pas aujourd’hui. En tout cas, il n’avait pas nécessité de se rendre au lycée. Pas de cours. Cela ne voulait pas dire pour autant qu’il n’avait pas de travail. Une pile de copies l’attendait sur son bureau, et il avait un cours à préparer. Seulement, l’hawaïen avait d’autres projets. Moïra travaillait, il avait donc la journée entière seul avec son fils, âgé de six mois. Elio grandissait à vue d’œil, et Tehau prenait très à cœur son rôle de père. Au contact de son fils, l’homme se métamorphosait. Il se montrait plus souriant, plus bavard aussi avec le bébé. Il adorait faire découvrir le monde à ce petit être. D’ailleurs, aujourd’hui, Tehaunui avait décidé d’aller se promener avec lui. Il n’osait pas encore aller trop loin. Elio était encore trop petit pour qu’il l’emmène en randonnée dans les bois ou en montagne, mais ils se rendaient volontiers en ville, flânant dans les rues de Redwood Hills. L’homme n’était pas un adepte de ce genre de balade, mais ça permettait à Elio de voir du monde et de se familiariser avec les bruits de la ville, même si Redwood n’était qu’un petit bourg.
Biberons et couches dans le sac à langer, père et fils étaient partis pour une virée en ville. L’homme se demandait parfois comment ça serait quand Elio serait plus grand, quand il aurait deux ans, trois ans, cinq ans, dix ans, quinze ans… Il se projetait, l’hawaïen, c’était bon signe, mais cela lui faisait peur aussi. Il avait déjà vécu ça, avec Leilani. Il ne pouvait s’empêcher de penser à elle et, chaque fois, son cœur se serrait. Il aimait à croire qu’il avait déjà assez souffert comme ça. Aussi, il profitait de chaque instant. Elio dans sa poussette, ils étaient allés jusqu’au centre-ville, pour entrer ensuite dans le parc. Le temps était grisâtre et cela ne manqua pas, la pluie se mit à tomber en petites gouttes. Tehaunui devait chercher une solution de repli et le premier endroit qui s’offrit à lui fut le salon de thé. L’homme n’avait pas du tout ses habitudes dans ce genre d’établissement, mais il ne se voyait pas emmener son fils au Garnet… A peine eut-il poussé la porte, l’homme ne se sentit pas à sa place. Personne ne lui avait rien dit, mais il avait l’impression d’être comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elio commençait à s’agiter, à se montrer grognon alors qu’ils étaient dans la file d’attente. Certainement qu’il avait faim. L’endroit était plein. Les gens avaient trouvé refuge ici, dans l’attente que la pluie s’arrête. L’homme se montrait bien plus maladroit qu’à son habitude, comme s’il ne savait pas manier la poussette, elle avait tapé dans une chaise, puis il avait failli faire tomber quelqu’un avec. Il aurait préféré la pluie plutôt que d’être dans cet endroit s’il avait été seul, mais avec Elio, il ne pouvait pas ressortir. Il arriva enfin au comptoir, mais il ne savait pas du tout quoi commander. Il ne boit pas de thé, Tehaunui. Il regardait ce que le Drop offrait, sans grande conviction. La serveuse ne le quittait pas du regard, tentant de lui proposer son aide pour choisir. « Un thé à la menthe et… ça, là. » Il montra un gâteau dans la vitrine. Il n’avait aucune idée de ce que c’était mais ça avait l’air bon. Tant qu’à être là, autant en profiter pour manger un morceau ! Et puis, une nouvelle épreuve s’offrit à lui : trouver une table de libre. Il y avait du monde, du brouhaha, et il sentait qu’il avait de plus en plus chaud. Elio devait le sentir aussi car il commençait à sérieusement chouiner. Il eut de la chance, deux personnes se levèrent et il put prendre leur place, après s’être frayé un chemin jusque la-bas, avec la poussette. Après avoir cogné deux trois chaises, et dérangé autant de personnes, la réflexion lui vint à l’esprit qu’il aurait pu laisser l’engin dans un coin et seulement prendre le bébé et le sac à langer. Enfin, il arriva à destination et fut content de pouvoir s'asseoir. Il détacha son fils et le sortit pour lui enlever son manteau. L’enfant regardait autour de lui, un air bougon sur le visage. Il fallait désormais lui donner un biberon, mais Elio n’était pas très content de retourner dans la poussette et se mit à crier. Les regards se tournèrent vers Tehaunui. Plutôt du genre discret, il n’aime pas trop se faire remarquer… L’enfant ne se calmait pas et le papa préféra le reprendre dans ses bras. Il allait devoir préparer un biberon avec une seule main. Nouveau défi. Décidément, cette journée ne s’améliorait pas. Encore moins quand le sac se retourna tandis qu’il était en train de farfouiller dedans à la recherche du biberon. « Et merde. » Il se retenait pourtant de ne pas dire de gros mots devant son fils, mais là, s’en était trop. Il voyait le biberon rouler dans la salle, jusqu’à taper dans les pieds d’une jeune femme.

Tehaunui sentait le stress monter en lui. Ses mains devenaient moites. Il avait l’impression que tous les regards étaient tournés vers lui. Certains, en effet, ne se gênaient pas pour le dévisager. L’hawaïen essayait de faire abstraction de tout ça, pour se concentrer sur son fils, sur le biberon à préparer. Il n’y avait rien de bien dramatique dans la situation. Juste un père un peu maladroit avec un bébé pas vraiment patient. Une fois qu’Elio aura eu son biberon, il se calmera certainement. Encore fallait-il réussir à le lui donner ! L’enfant dans un bras, le sac à langer en équilibre sur sa jambe et sa main de libre dedans, c’était sûr que ça n’allait pas tenir… Le sac se renverse, les couches propres sur le sol et le fameux biberon qui roule dans la salle. D’autres regards sur lui. Il jure, avant de se reprendre. Elio n’apprécie pas non plus tout ce bruit et pleure de plus belle. Le père ne peut ignorer son fils. Surtout, il ne va pas tenter de récupérer le biberon qui a roulé plus loin avec son fils qui se tortille dans ses bras. Tehaunui se concentre sur le bébé, lui change de position et tente de le calmer. Il le berce quand une jeune femme s’approche de leur table, le biberon en main. Elle le pose délicatement sur la table. « Merci. » Son ton est un peu abrupt, mais ce n’est pas contre elle. Il est mal à l’aise, l’hawaïen. Il se dit que cette femme va maintenant s’éloigner, tenter de trouver une place ailleurs, loin du bébé geignard et du père maladroit. Mais non, elle reste plantée là. Vous semblez avoir besoin d’aide. Il est pas du genre à demander de l’aide, Tehau, principalement parce qu’il a du mal à aller vers les autres. Mais là… « Un peu d’aide ne serait pas de refus… Vous voulez vous asseoir ? » Ouais, il lui propose la place en face de lui. L’endroit est blindé alors elle a le choix. S’installer à sa table contre un petit coup de main, ou rester debout pour chercher une autre table. Elio s’est légèrement calmé, ce qui permet à Tehaunui de remettre droit le sac à langer et de ramasser ce qui est à ses pieds. Il fourre le tout dans le sac. Tant pis pour l’ordre et l’organisation. Il en sort juste une petite boîte qui contient la dose juste de lait en poudre pour préparer un biberon.