What was I made for ?

▬ ft. Elizabeth & Wesleigh

I used to float, now I just fall down
I used to know but I'm not sure now
What I was made for
What was I made for?

Ça pourrait être pire, songe Wesleigh en examinant son reflet dans le miroir de la salle de bain, les mains appuyées sur le rebord du lavabo, le visage fermé. C’est devenu une habitude ces derniers temps. Voir le verre à moitié plein, ne pas trop réfléchir au liquide qu’il contient, ne pas envisager tous les liquides possibles avec lequel on pourrait le mixer, tous les cocktails qui pourraient en résulter. Sa routine skincare lui permet de s’ancrer dans le présent, de se concentrer sur des gestes simples effectués de manière méthodique, systémique - presque mécanique. L’espace d’un instant, elle oublie ce passé avec lequel elle se sent déconnectée, et ne pense pas à ce futur aux multiples possibilités qui lui donne le tournis, la nausée. Une nouvelle journée doit commencer, et il faut bien commencer quelque part. Au réveil, Wesleigh n’a jamais vraiment envie de faire quoi que ce soit, et surtout pas de se lever. Elle traîne au lit, rabat l’oreiller sur sa tête, tord la couette dans tous les sens à force de changer de position en emportant tout avec elle, se rendort à plusieurs reprises, par intervalle, et finit enfin par se lever, excédée, quand la chaleur la gêne et la pousse à se mettre en mouvement.

Au fur et à mesure des étapes, le visage de Wesleigh paraît à la fois s’éclaircir et se dérider. Tant et si bien qu’une fois son SPF appliqué, elle a déjà l’air d’une personne complètement différente - rien à voir avec ce zombie engourdi incapable d’afficher la moindre expression faciale. Wes force un sourire en direction du miroir, le juge suffisamment convaincant, et quitte la salle de bain. Dans sa chambre, elle s’habille de manière hâtive et désintéressée, et le changement est imperceptible : elle a quitté son pyjama Calvin Klein noir pour un ensemble leggings et débardeur de la même couleur, si bien que seule la texture diffère d’une tenue à l’autre. En maintenant un équilibre précaire, elle enfile une paire de chaussettes en coton blanc puis quitte la pièce pour rejoindre l’étage inférieur de la longère. Là, elle range en vitesse la couverture qui traîne sur le canapé-lit puis replie ce dernier. Son regard s’attarde sur la table basse, furète du côté du luminaire, puis du guéridon, mais rien d’autre ne trahit la présence nocturne de Heathcliff - qui a délaissé depuis peu le lit conjugal pour ne pas “déranger [le] rythme de sommeil” de sa fiancée. Wes n’est pas dupe. Elle sent bien qu’il cherche avant tout à fuir les silences qui se sont installés entre eux, et que la distance qui les sépare semble moins violente en étant physique plutôt que mentale. Si elle est la véritable lâche de l’histoire, il est son catalyseur, et accepte à bras grand ouverts l’idée que tout ceci n’est au fond qu’un vague problème de sommeil, une question d’adaptation, et peut-être qu’avec un peu de magnésium, et ce n’est pas facile d’être son propre patron, et peut-être que si elle faisait du sport, de toute façon tout rentrera dans l’ordre naturellement, ça ne saurait durer, ça arrive à tout le monde d’être un peu à plat de temps en temps - bref, pas de quoi s’inquiéter.

Il est bientôt midi et Elizabeth ne devrait plus tarder - Wesleigh lui avait proposé de passer pendant sa pause déjeuner, elles auraient ainsi la longère pour elles seules et pourraient parler chiffons tranquillement tout en grignotant. Dans sa vie d’avant, ce genre de plan aurait suscité chez Wes un enthousiasme débordant : discuter de mode avec Betty, traîner sur Pinterest, partager avec elle des pizzas surgelés, does it get better than that ? Je ne crois pas non. Aujourd’hui, pourtant, les sensations de Wesleigh se font confuses, émoussées mais aussi altérées, dégradées. Elle sent bien qu’elle est heureuse, ou plutôt qu’elle devrait être heureuse, mais il y aussi en elle une pointe d’anxiété, d’appréhension, qu’elle ne sait pas bien s’expliquer. Bien sûr, elle admire toujours énormément Beth, mais cela fait bien longtemps qu’elle ne se sent plus vraiment intimidée en sa présence, au contraire. Alors quoi ? Wesleigh chasse ces interrogations de son esprit et se concentre sur l’aspect pratique de la rencontre. Bon, préchauffer le four, c’est fait. Pizza ou garlic bread ? Peut-être focaccia. Elle n’est pas bien sûre. Là, maintenant, elle serait plus tentée par un brunch, un peu de salade, des oeufs brouillés et un mimosa, ça lui suffirait amplement. Elle sort des oeufs du frigo, puis elle se ravise, elle se fatigue. Heureusement, des coups sourds se font entendre contre la porte (ils devraient peut-être installer une sonnette mais ce n’est pas franchement tout en haut de leur liste de priorités), interrompant à point nommé ses gesticulations. Elle s’empresse d’ouvrir la porte à Elizabeth, et l’invite immédiatement à entrer. « Hello Beth, viens, entre, il fait meilleur à l’intérieur. » La longère était plutôt bien isolée et conservait une température agréable même lorsque le soleil était à son zénith. « Comment tu vas ? Est-ce que tu veux quelque chose à boire ? » ajoute Wes en refermant la porte derrière son invitée. Elle réalise tout d’un coup que c’est la première fois qu’elle joue à l’hôtesse de maison en étant réellement chez elle, et pas chez ses parents ou dans son logement universitaire. Une étrange sensation la paralyse momentanément mais elle se reprend, ses lèvres s’étirant en un sourire sincère en direction d’Elizabeth. Heathcliff avait raison, ça lui fait du bien de voir un visage familier.

La sœur de Wesleigh, Georgie, ne tarissait pas d’éloges à son sujet, particulièrement quand il s’agissait d’évoquer le hobby principal de son aînée : la couture. Il y avait toujours eu cet accord tacite entre les deux sœurs, une dynamique qui leur était propre et selon laquelle chacune des deux comblait les lacunes de l’autre. Là où Wesleigh rassénérait Georgie, à grand renfort de gestes apaisants, sa voix adoucie volontairement la berçant de paroles visant à calmer son énervement, Georgie, en retour, soutenait et encourageait Wesleigh dans chacun de ses projets, quitte à la pousser et à la brusquer quelquefois, lui répétant sans se lasser qu’elle était largement capable de mener à bien ce qu’elle souhaitait entreprendre. Wes peinait à sortir de sa zone de confort, même à petits pas prudents, là où Georgie avait tendance à faire de violentes embardées dans des zones de danger. À en croire Georgie, Wesleigh était extrêmement talentueuse, son side-business finirait sûrement par la rendre millionnaire, elle avait des doigts de fée, vraiment, et tout ce qui lui manquait pour enfin atteindre le succès, au fond, c’était un peu plus de régularité et un marketing plus poussé. Mais Wesleigh n’était pas convaincue d’être si incroyable, et regrettait amèrement de manquer de créativité. Peut-être que Georgie ne s’en rendait pas compte, mais toutes ses créations étaient très largement inspirées par les collections de haute couture qui lui tapaient dans l’œil, et elle n’avait jamais vraiment été capable de proposer quoi que ce soit d’innovant. Bien sûr, quand il s’agit de vêtir des poupées, ce n’est pas bien important : au contraire, ses clientes et clients sont bien heureux de retrouver ces références et hommages à peine voilés dans sa boutique. Mais la couturière amatrice est bien consciente que son "talent", si tant est qu’elle en ait un, est aussi limité que son horizon. Elle ne s’imagine donc pas créer des tenues pour de vraies personnes, en taille réelle, et encore moins une robe de mariée pour elle. Quant aux idées qu’elle peut avoir… Wesleigh n’ose pas avouer à Elizabeth qu’elle n’avait même pas été sûre, initialement, de vouloir une robe de mariée. Elle avait brièvement songé à un costume trois pièces. Et puis elle n’avait pas vraiment assumé. Pour qui elle se prenait ? Elle ne pourrait clairement pas pull off ce style là, et elle n’était vraiment pas certaine d’être suffisamment audacieuse pour ne serait-ce que mentionner cette idée là à qui que ce soit. “J’ai une sorte de… patchwork d’idées ? avance Wesleigh avec un sourire mi-désolé, mi-amusé, les sourcils haussés, dans l’expectative. Je vais te montrer ça sur Pinterest, concrètement j’aimerais quelque chose de simple et élégant, pas du tout décolleté devant, mais le dos découvert, plutôt de la soie, quelque chose de doux et fluide, mais je n’ai pas vraiment d’image générale.” finit-elle en levant pensivement les yeux vers la gauche, essayant de visualiser une robe idéale qui refusait immanquablement de se matérialiser. Elle n’avait jamais vraiment pensé à la robe de ses rêves. D’ailleurs, elle n’avait jamais vraiment pensé au mariage de ses rêves. Que ce soit le lieu, le choix des fleurs, le menu - elle n’avait pas d’idées. Wesleigh avait toujours eu l’impression d’être basique, de ne pas avoir d’originalité, mais, en l'occurrence, elle ne pouvait pas se défaire de l’idée qu’elle échouait même à être la fille basique qu’elle avait toujours pensé être. Parce que les filles basiques ont tout un classeur dévolu à l’élaboration de leur future cérémonie de mariage, non ?

“Je t’amène ça ! J’ai l’habitude d’avoir toujours dans le frigo des rondelles de citron marinées dans le miel, ça te va ?” Elle avait vu ça sur TikTok, ou Instagram, et avait depuis pris l’habitude d’imbiber ses agrumes de miel, histoire de décupler les bienfaits de sa boisson. En toute honnêteté, elle n’avait pas vraiment remarqué de différence - à part l’acidité diminuée de son eau citronnée. “J’ai d’autres citrons qui traînent par là sinon.” Tout en ouvrant la porte du frigo, Wesleigh pointe la table basse du doigt, table basse sur laquelle repose son MacBook Pro éteint. “Tu peux l’allumer, il n’y a pas de mot de passe et tu devrais direct tomber sur mon inspiration board. Je suis indécise sur pas mal de trucs. Genre, je sais pas si je veux des manches ?” Peut-être qu’il serait plus simple de partir sur du sans manche, parce que si elle opte pour des manches il faudra encore choisir quel genre de manche elle souhaite. Bouffantes et transparentes, ou près du corps avec des broderies ? Quel enfer. En tout cas, pas de perles.

TW : TCA

What was I made for ?

Al & Beth

Plus romantique qu’on ne pourrait le penser au premier abord, la rouquine. Si elle cringe terriblement vite devant les déclarations enflammées et autres démonstrations un peu trop appuyées, Betty entretient en effet, elle aussi, ses rêves de grand amour. En ce sens, elle possède également sa petite idée de ce à quoi ressemblerait potentiellement son mariage, en supposant qu’elle se marie un jour ; Idée tenue top secrète et absolument jamais révélée à qui que ce soit en dehors de sa meilleure amie Aspen et de son mec – aveux péniblement articulés après un millième verre de prosecco dont les bulles lui étaient de toute évidence montées au cerveau. Toujours est-il qu’elle peut potentiellement apprécier les mariages, pour peu qu’ils ne reviennent pas à une effusion de sentiments déballés sur la place publique et à une série de clichés éculés sur ce à quoi doit correspondre un couple. Quel genre de mariage Wes’ envisage-t-elle ? Curieuse, notre couturière. Forcément intéressée par les projections qu’elle imagine nombreuses – est-ce que toutes les futures mariées ne passent pas des heures entières à rêvasser de leur robe ? « Parfait. » Un sourire engageant, si Beth peut être un monstre de froideur, elle abandonne vite ses grands airs au contact de ses copines. Et Wes’ en est une, n’est-ce pas ? Nul doute qu’on ne demande pas à n’importe qui de confectionner sa robe de mariée, tout comme on n’accepte pas pour n’importe qui non plus lorsqu’on a officiellement abandonné sa carrière.

« J’adore les dos nus, c’est franchement canon. » Le regard qui se promène sur la silhouette de la blonde, se disant qu’elle pourrait honnêtement porter un sac poubelle et être toujours aussi magnifique. Mais, non, évidemment : pas de sac prévu au programme, Betty a bien l’intention de lui proposer la robe la plus sublime possible pour son grand jour. Elle dépose tranquillement ses affaires dans le salon, s’installe alors qu’on lui propose à boire. « Wow, quelle sophistication. » Impressionnée par l’histoire des rondelles de citron marinées, même si pour sa propre silhouette elle s’abstient généralement de la moindre calorie superflue. Forcément que ça doit être délicieux. « J’adorerais goûter ça, allons-y pour la marinade au miel. » Et on respire, ce ne sont pas 0.0001 gramme de miel dans de l’eau qui vont changer quoi que ce soit. Croisant les jambes, Beth laisse son amie s’occuper des verres tandis qu’elle allume le MacBook et attend que la page s’affiche. « Yesss. » Acquiescements satisfaits de la nana qui aime ce qu’elle voit dès que l’inspiration board s’affiche. « Franchement, j’avais peur que tu veuilles un truc meringue. On l’aurait fait, hein… Mais je déteste les robes de mariées chargées. » En effet, même en supposant qu’elle se marie un jour, jamais on ne verra Betty perdue au milieu de tonnes de tulles et de jupons à rallonge. Simple, sophistiqué, élégant. Parfait pour elle. « Hm. Tout dépend de la forme de décolleté que tu choisis sur l’avant, je dirais. » Relevant les yeux sur la jeune femme, se permet une nouvelle fois de la reluquer – c’est pour la bonne cause. « Si tu choisis quelque chose qui remonte sur le cou ou arrive pile sous les clavicule, je te conseillerais de laisser tomber les manches : comme t’as plutôt des formes généreuses, ça risque de vraiment faire trop enfermé à ce niveau sinon. » Ouin ouin on est un peu jalouses, nous aussi on aurait voulu être aussi bien foutue. Difficile de remplir ses soutien-gorge lorsqu’on mange un repas sur quatre cependant, la rouquine maigrichonne poursuit donc sans s’attarder : « par contre si tu ouvres sur un petit V, là les manches peuvent bien contrebalancer pour équilibrer la silhouette. » Elle reporte un instant son regard l’écran tout en se mordillant l’intérieur de la lèvre puis se tourne de nouveau vers Wes’. « Voile ou pas voile ? Ça joue aussi. »

“J’adore aussi les dos nus, c’est à la fois… sensuel et élégant ?” renchérit Wesleigh, sans pour autant aller au bout de sa pensée : les dos-nus, c’est une manière pour elle d’être sexy sans être trop sexy, voire vulgaire. Avec ses formes, elle a du mal à s’autoriser les décolletés, et peine parfois à trouver le style adéquat. Si c’est trop moulant, elle a très vite l’impression d’être obscène, et si c’est trop baggy ça devient impossible d’éviter l’effet tente et elle a immédiatement l’air beaucoup plus enrobée qu’elle ne l’est réellement. Secrètement, elle envie Beth et ses allures de mannequins. Plus grande, plus longiligne, elle peut porter tout ce qu’elle veut sans rien s’interdire : elle sera toujours stylée. Wes sait bien, pourtant, que ce jeu des comparaisons est malsain, que l’herbe est toujours plus verte dans le jardin du voisin et qu’il est vain de convoiter une silhouette qu’on ne pourra jamais obtenir. Mais comme pour beaucoup d’autres jeunes femmes, c’est plus fort qu’elle, et elle doit faire un effort pour chasser ces idées de son esprit. De toute façon, on est jamais contente telle qu’on est. “Je t’amène ça, tu vas voir ça a pas forcément goût de sucre mais ça permet de compenser l’acidité du citron.” explique Wesleigh en apportant jusqu’à la table basse un plateau sur lequel était disposé leurs deux verres d’eau citronnée ainsi qu’un ramequin contenant une dizaine de breadsticks. Tout en s’installant aux côtés de Betty, elle commence à grignoter un gressin en laissant à son amie le temps de découvrir son tableau d’inspi. Elle se rend compte qu’elle appréhende un peu le jugement de cette dernière, et est surprise de constater qu’elle ressent une sorte de besoin de validation. Heureusement pour elle, Beth n’est pas horrifiée par sa sélection. “Je t’avoue que je déteste ça aussi… Après globalement j’ai du mal avec tout ce qui est maximaliste - y’a forcément des gens à qui ça va bien mais ça n’est juste pas pour moi.” Et puis, elle trouve que ça a un côté démodé, aussi. Même si, encore une fois, il y a sans doute des gens pour qui ça collera. Ça ne correspond tout simplement pas à sa personnalité sans effusions, discrète, toute en douceur et en nuances. “Hmm, va pour le sans-manches du coup, parce que j’imagine bien en effet quelque chose qui remonte jusqu’au cou, et avec les clavicules découvertes ça rend bien je trouve.” Betty l’aide à mettre de l’ordre dans ses idées, elle se rend compte qu’elle a fait appel à la bonne personne parce que ses conseils sont exactement ce dont elle avait besoin et elle voit tout à fait ce qu’elle veut dire. Vient ensuite la question du voile, qui désarçonne Wesleigh. Prise de court, elle s’empare de son verre et boit une gorgée en y réfléchissant. “J’y avais pas du tout pensé… Ça se fait encore ? J’ai l’impression d’avoir un style trop simple pour ça.” finit-elle par répondre en reposant son verre. Elle s’imagine le jour J, essaie de visualiser une robe conforme à ce qu’elles ont commencé à imaginer ensemble, ajoute un voile à l’image, et quelque chose semble se tordre dans son ventre. L’image lui semble tellement étrange. Elle imagine Heath à ses côtés, et ne comprend pas pourquoi cette vision la perturbe autant alors que ça fait si longtemps qu’ils en parlent et elle a toujours vu cet évènement comme une évidence. Est-ce que c’est la cérémonie qui l’effraie ? L’idée d’être au centre de l’attention, d’avoir tous les regards tournés vers soi ? Ou bien est-ce l’idée d’engagement, et de sceller son avenir ? Elle n’est sûre de rien, et essaie de se convaincre que convaincre que c’est tout à fait normal d’être nerveuse lors de la préparation d’un mariage - est-ce que tout le monde ne ressent pas ça ?