Si ce n’est toujours pas l’endroit qu’il préfère au monde, le poste de police de Redwood Hills a fini par devenir l’arrière-plan familier de tout un pan de la vie de Dorian. Il connaît chaque visage, peut leur associer un nom à tous (ou presque) et sait plus ou moins qui éviter pour s’assurer un séjour tranquille. Personne n’apprécie pour autant de le savoir ici, par principe plus qu’autre chose, ainsi l’écrivain s’efforce-t-il de ne jamais s’attarder trop longtemps sans une bonne raison. Ses visites consistent presque exclusivement à passer un peu de temps avec William, et par chance, le bureau du sergent leur offre tout ce qu’il faut de tranquillité et d’intimité. Quand il n’est pas en sécurité dans ce bureau, Dorian se contente de traverser le poste dans un sens ou dans l’autre le plus rapidement possible. C’est précisément ce qu’il compte faire aujourd’hui encore, lorsque la pause déjeuner de Will touche à sa fin et force l’auteur à prendre congés afin de permettre à son compagnon de se remettre au travail.

S’il a le pas léger, un sourire pour lui seul collé aux lèvres, Dorian n’en reste pas moins concentré sur sa seule tâche : sortir d’ici sans s’attirer les foudres de qui que ce soit au passage. Une mission qu’il ne serait pas difficile de mener à bien, si le hasard ne mettait pas l’officier Kieran Price sur son chemin avant qu’il ne parvienne à atteindre la sortie. Un court instant, les deux hommes se font simplement face au milieu du hall, mais pour Dorian le cours du temps semble s’être brusquement arrêté. Voilà plus d’un an déjà qu’il garde pour lui le secret confié par Selene lors de leur entrevue. Il sait qu’il a déçu la Reine des Roses en ne dévoilant pas publiquement tout ce qu’elle lui a révélé. C’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles elle ne l’a plus contacté depuis tout ce temps. À quoi s’attendait-elle ? Il a déjà pris le risque de mettre sérieusement à mal toute sa carrière en acceptant d’écrire un élogieux article au sujet de la Rose Lunaire dans la presse locale. Il n’allait pas en plus se tirer une balle dans le pied en faisant des accusations sans preuves. Preuves qu’il lui est toujours difficile d’obtenir, même un an plus tard. Son dernier espoir se tient juste là, sous ses yeux : Kieran Price. Le bon sens lui souffle de tracer sa route. Il a déjà pris la décision l’an dernier de préserver son bonheur et sa tranquillité aux dépens de la vérité. Changer d’avis maintenant fera plus de mal que de bien. Sa curiosité, quant à elle, besoin presque maladif d’obtenir des réponses à la moindre de ses questions, l’empêche de faire ce qu’il y a de mieux pour lui.

“Officier Price !” salut-il donc, comme s’il connaissait cet homme depuis toujours, qu’ils entretenaient la moindre relation avant ce jour. Il offre sa main à serrer à l’officier tandis qu’il poursuit sur les politesses. “Dorian Brooks.” se présente-t-il, comme si cet homme ne savait déjà pas qui il est. Difficile de passer inaperçu dans une petite ville comme Redwood Hills quand on s’acharne à utiliser la Rose Lunaire pour devenir un auteur à succès. Ou qu’on a en plus le cran d’entretenir ouvertement une relation amoureuse avec un sergent de police. Il doute que l’officier ait lu ses livres, mais certainement pas qu’il sache très bien qui il est. “C’est incroyable de tomber sur vous, ça fait justement plusieurs semaines que je me dis qu’il faudrait qu’on se rencontre officiellement ! Est-ce que vous auriez quelques minutes à m’accorder ?” Sans savoir si ça aura le moindre impact, il joue tout naturellement sa comédie habituelle : grand sourire, ton chaleureux, gestes aussi fermes que délicats. Dorian Brooks est un homme charmant, charismatique, assuré, la panoplie indispensable pour convaincre la plupart des gens à lui parler. Ça ne fonctionne pas souvent sur les éléments les plus récalcitrants, et il craint de devoir compter Price parmi eux, mais ça ne fait jamais de mal d’essayer malgré tout. “Où vous vous sentirez le plus à l’aise, ça fera très bien l’affaire.”

@Kieran Price

Si dans sa jeunesse on lui avait dit qu’il finirait policier, jamais il n’y aurait cru. Lui qui avait grandi dans la manipulation,les mensonges, les combines, au final c’était la vie qui avait mis ce travail sur son chemin plus qu’une réelle inclinaison personnelle. C’était un peu sa carte de sortie quand lui même avait fini par se faire prendre, et au final ça lui convenait plutôt bien. Ce boulot lui apportait une certaine quiétude, un rôle respecté dans la société qui lui permettait d’agir dans l’ombre pour certaines choses. Qui aurait pu voir le mal en un membre des forces de l’ordre? Un grand gaillard avec un visage qui inspirait la confiance. Si désormais il n’avait plus son binôme de choc il travaillait majoritairement seul et ça lui allait très bien d’ailleurs, il pouvait avoir un tempérament d’ours mal léché qui n’allait pas avec tout le monde et ses collègues étaient au courant en général en lui fichant la paix quand ils le voyaient plongé dans des papiers à son bureau. S’il pouvait à de rares occasions se mêler aux autres ce n’était pas non plus une habitude.

Prêt à sortir pour aller se chercher un café et surtout profiter du reste de la journée puisqu’il avait terminé ses heures pour aujourd’hui, il était passé au niveau de son casier pour embarquer quelques affaires qu’il laissait là, il se changerait à la maison. Enlevant le chargeur de son arme maintenant que son service était terminé il avait rangé ce dernier sur le côté de l’étui, l’arme à nouveau à sa place. Simple procédure quotidienne qu’on leur demandait d’appliquer, bien qu’il soit toujours prêt à rapidement recharger son arme en cas de besoin. Alors qu’il s’apprêtait à sortir, fouillant sa poche pour attraper un chewing gum qu’il glissait dans sa bouche machinalement, il s’était arrêté en entendant son nom. Haussant un sourcil il était venu poser ses yeux sombres sur la personne qui l’interpellait, crispant légèrement sa machoire. Qu’est ce qu’il venait foutre là lui déjà? Inspirant longuement, il rangeit ses mains dans les poches de sa veste. “ Brooks.” Répondait il donc en retour, observant sa main qu’il venait serrer avec une poigne volontairement assez forte. Il n’aimait pas tellement les gens qui mettaient leur nez un peu partout et quoi de pire que les journalistes ou les auteurs pour ça? Il avait repris sa main pour venir croiser ses bras contre son torse, l’interrogeant du regard plus qu’en venant formuler directement, se doutant bien que de toute façon il finirait bien par en venir au fait et que sa visite n’était pas juste un simple hasard s’il venait directement vers lui.

Un sourire quelque peu ironique venait étirer ses lèvres, était-ce si incroyable que ça si il venait le trouver? Le commissariat n’était pas non plus gigantesque. “ Plusieurs semaines, rien que ça? J’ignorais qu’une rencontre devait se faire pour une raison x ou y peut être que vous allez pouvoir m’éclairer sur ce point. Qu’est ce que vous pouvez bien me vouloir?” Interrogeait tout de même finalement l’officier en gardant ses bras croisés, le bout de ses doigts pianotant machinalement en un mouvement régulier et répétitif contre son avant bras. Kieran n’aimait pas tant ça, l’idée d’être pris au dépourvu de cette façon avec quelqu’un qui restait évasif. Basculant la tête pour jeter un coup d’oeil à sa montre plus par habitude que par réel impératif où que ce soit d'autre, il relevait son regard vers l’homme en face de lui, absolument pas convaincu par sa jovialité apparente. On ne mentait pas à un menteur, ça faisait tellement en surface qu’il n’était pas vraiment dupe. Si bien qu’il ne lui avait pas rendu cette apparente politesse. “ Quelques minutes, ça devrait être dans mes cordes. Venez.” Il avait jeté un coup d’oeil rapide à son téléphone quand même avant pour s’assurer que rien ne l’attendait ailleurs. “ On a une salle de libre là bas où on trie des archives en ce moment. Ca devrait aller.” C’était plus calme que les bureaux, pour discuter. Même si clairement il restait sur ses gardes. Ouvrant la porte, il lui fait signe de passer avant de refermer derrière eux, tirant une chaise pour s’y poser. “Donc?”