The shadow in your voice

The shadow in your voice

La journée se terminait. Ou plutôt, la journée de cours se terminait. Les rayons du Soleil tombaient à l’oblique sur les voitures bien alignées du parking de l’université. Les murmures de ceux qui parcouraient les allers s’échappaient comme un millier de petites rumeurs folles, direction d’autres lieux, d’autres instants. Rigel aussi. Elle marchait seule, cherchant des yeux la voiture qu’elle avait quitté le matin. La voiture de Charlotte.

Cela faisait quelques temps déjà que sa camarade de promotion lui avait proposé un covoiturage. C’était pratique, et c’était aussi plus sympa de ne pas faire le chemin seule. Il y avait entre les deux jeunes filles comme une entente délicate qui se tissait. Faite de paroles simples, et aussi parfois de silence. Quelque chose, aujourd’hui encore, avait changé. Dans les humeurs de Charlotte ou, en tout cas, dans une sorte d’ombre qui semblait s’être posée sur elle.

C’était à la sortie d’un cours en amphithéâtre. Plusieurs élèves parlaient avec animation, l’un d’eux avait interpellé Charlotte. En réponse, Rigel ne se souvenait plus bien ce que sa camarade avait dit ou fait. Seulement, elle avait remarqué une étrange tension, qui s’était transformée en distance au fil de la journée. La tension était devenue de l’inquiétude pour Rigel. Peut-être que sa camarade allait mal, ou qu’elle traversait une période difficile.

Mais… De quoi parlaient-ils déjà quand Charlotte s’était comme retranchée dans un monde lointain, presque inaccessible ?

Rigel arriva finalement devant la voiture. Le sac lourd de manuels d’anatomie. Le cerveau lourd aussi devant tant de connaissances à acquérir, à conserver, puis à appliquer. Parfois, dans ses études, elle se sentait dépassée. Mais elle ne le montrait pas, elle organisait résolument son temps vers la réussite et ses autres devoirs familiaux. Elle faisait taire son esprit pour agir dans les faits. C’était épuisant par moment, peu distrayant. C’était ainsi qu’elle avait l’habitude d’avancer. Alors, sans surprise, en attendant Charlotte, elle sortit un carnet rempli de notes et commença à réviser. Les notions se succédaient dans son esprit, tissant comme un collier de perles sous forme de corps humains défaillant, à soigner. C’était son rituel à elle. Apprendre, répéter. Elle le faisait alors que le parking commençait à se vider dans une grande effervescence de fin de journée.

Autour d’elle, certains étudiants se partageaient des projets de soirée. D’autres marchaient tête basse ou des écouteurs vissés aux oreilles. Certains professeurs se mêlaient à la foule aussi, tantôt pressés, tantôt las. Rigel, pour sa part, n’avait pas de projet de soirée autre que le rythme habituel. Rentrer chez ses parents, préparer le repas pour son frère, avaler quelque chose en vitesse et partir pour une mission de babysitting où, dès les enfants couchés, elle se remettrait à réviser.

C’est alors qu’elle se souvint que, non, ce soir, elle ne travaillait pas. Elle ne ferait donc que réviser.
Et Charlotte, elle, qu’avait-elle prévu ?
Pensant à cela, Rigel se souvint le fameux sujet de discussion. Celui qui avait fait se froisser l’air autour de sa camarade.

Ce sujet, c’était la Rose Lunaire.

Habillée tout en noir par un hasard miraculeux (?), Charlotte espère que l’absence de couleurs va terminer de l’engloutir, d’effacer sa silhouette – elle a envie de n’être pas vue, et de ne plus voir non plus, et surtout, de ne plus rien entendre. Aussi marche-t-elle d’un pas pressé et le regard fixé au sol, visage dissimulé par des mèches folles tout aussi sombres que sa tenue qu’elle ne remet pas à leur place. Elle n’a jamais eu aussi hâte de quitter les couloirs de l’université, elle ne se rappelle pas avoir déjà eu hâte tout court, au fait, elle se sent plutôt bien dans ses études et c’est plus stimulant que d’être seule chez elle pour réviser. Sauf que l’endroit lui paraît menaçant, à présent, infecté – c’est stupide. Elle ne peut pas donner à quelques mots saisis au vol pendant un intercours, une simple question posée en l’air, à laquelle elle n’a pas répondu, d’ailleurs, se donnant juste l’air d’être perdue dans ses pensées – autant d’emprise sur elle. Il ne faut pas qu’elle fuit son lieu de formation comme s’il était dangereux – il ne l’est pas, sa raison froide le lui répète, pourtant elle marche d’un pas toujours plus vif, persuadée qu’elle respirera un peu plus librement une fois loin de ses murs.

Lana Morris était en train de discuter avec cet étudiant dont elle ne se rappelle jamais le nom, ils sont toujours fourrés ensemble pourtant, d’énoncer d’une voix forte qu’elle trouvait ça complètement dingue qu’il n’y ait jamais eu de recherches effectuées sur un usage de drogues par les membres de la secte, c’est dingue ça non, personne ne l’a fait que je sache, pourtant c’est bien connu que c’est le genre de choses qui brise les résistances et qui convainc, non ? Comment ce serait possible qu’ils continuent d’avoir des adhérents, enfin excusez-moi mais bon, leurs idées, là, enfin, c’est dingue, tu ne trouves pas, Charlotte ?
Elle voulait juste avoir l’air plus maligne que tout le monde, quelle conne, quelle prétentieuse, se dit Charlotte, nocturne, sous sa veste noire, ses cheveux bruns, sous l’ombre de ses cils.

Elle arrive sur le parking et il lui semble que ses poumons sont un peu plus ouverts. Elle s’éloigne, ça ira, ça ira mieux demain, tout sera oublié. D’ores et déjà elle s’applique à ne plus se rappeler, se concentrer sur la silhouette de Rigel à quelques mètres de là tout en sortant ses clefs de voiture de la poche de sa veste. Elle se compose un visage ordinaire, une figure insouciante, songe de nouveau aussi à son idée de proposer à Rigel de venir réviser chez elle, après les cours, un jour. Elles ne se connaissent pas encore très bien, mais Charlotte l’apprécie, elle sent qu’au fil des cours et des trajets passés ensemble se fondent les bases d’une amitié qu’elle espère approfondir, même si elle reste un peu réservée pour le moment. Voilà, Rigel, n’est pas du tout une menace. Au contraire. Et Charlotte croit qu’elle a sa voix ordinaire lorsqu’elle l’aborde en ouvrant la voiture : « Je te dépose comme d’habitude ? » Alors qu’en fait, pas totalement. Elle évite son regard, elle s’installe sur le siège conducteur assez vite, sans rien ajouter de plus. Elle fixe le parking au-delà de la vitre et songe alors, c’est si bizarre, qu’elle se trouve à la place de sa mère. La voiture était à elle. Elle se demande dans quels endroits insoupçonnés sa mère a pu aller avec, aux réunions de la secte par exemple ?

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the star that gives us light has been gone a while.

The shadow in your voice

@Charlotte Kershaw & Rigel Holmes

Le ciel aurait-il été envahi de nuages gris que l’ambiance n’aurait pas été plus sombre. Rigel aperçut la silhouette de Charlotte qui s’avançait entre les rangées de voiture. Sa démarche était différente de d’habitude. Elle offrait un mélange d’empressement et d’incertitude. Une ombre planait sur le visage de l’étudiante quand elle s’adressa à Rigel comme si de rien n’était. Alors, suivant le mouvement avec une sorte de délicatesse discrète comme si elle craignait que le moindre mouvement brusque déclenche un orage dévastateur, Rigel contourna le véhicule, ouvrit la portière et s’installa sur le siège passager. L’atmosphère était encore plus pesante à l’intérieur. C’était quelque chose d’indicible. Parce que Charlotte avait figé un certain sourire sur ses lèvres, et avait d’ailleurs posé sa question habituelle. Ce à quoi la passagère répondit avec un hochement de tête bien trop enthousiaste. Le genre d’enthousiasme qui croit qu’il pourra rattraper un désastre avec un peu de bonne volonté mais qui reste ponctué d’une franche hésitation. Elle ne savait pas si elle délirait, si elle s’inquiétait trop ou même si elle avait fait quelque chose qui avait froissé Charlotte. Pourtant, son esprit en revenait toujours à ce fameux moment où tout avait changé. Mais, pourquoi ?

« Oui, comme d’habitude. Merci beaucoup. »

Pour l’essence, Rigel donnait un chèque de participation tous les mois à Charlotte. Au début, elle se sentait gênée par le détour qu’elle avait l’impression d’imposer. Puis, elle avait saisi que c’était là un arrangement plutôt positif. Elles ne faisaient pas le chemin seules et une partie des frais étaient partagés. Mais en ce jour, Rigel se sentait de nouveau toute gênée. Elle garda le silence un moment. Et finalement, elle ne put retenir un coup d’œil vers sa camarade de promotion. Non, elle ne délirait pas. Charlotte n’était pas dans son état norma et, oui, elle paraissait soucieuse. Pas besoin d’être un génie pour le deviner, il suffisait d’être un peu attentif. Alors, prenant son courage à deux mains et parce qu’elle se sentait finalement lâche à fixer le tableau de bord comme s’il s’agissait d’un paysage passionnant pour faire « comme si de rien n’était », Rigel osa la questionner.

« Ça va, Charlotte ? Tu as l’air inquiète. Est-ce que tu veux que je conduise ? »

Rigel n’avait pas de voiture. Elle empruntait plus généralement celle de ses parents. En semaine toutefois, ils en avaient besoin pour se rendre au travail. Et le week-end aussi, ceci dit… Mais elle avait son permis. Elle guetta la réaction de l’autre jeune femme avec un sourire discret. Sa mémoire se déroulait comme une bobine. L’intercours. L’échange sur la Rose Lunaire, auquel elle n’avait pas participé mais qu’elle avait entendu. La question posée à Charlotte, puis son visage qui se ferme. Certes, il s’agissait là d’un sujet plutôt sensible dans le coin. Mais… Quand même. Rigel avait le sentiment étrange qu’il y avait autre chose.

Alors que le silence retombait, peut-être juste pour un instant, Rigel se sentit de nouveau assez lâche. Parce qu’elle n’abordait pas directement la question des bavardages autour de la secte. Parce qu’elle agissait comme si, soudain, elle remarquait le trouble de la silhouette toute vêtue de noir. Silhouette qui semblait s’effacer depuis la mi-journée et que Rigel, sans le savoir et sûrement avec maladresse, tentait de retenir.

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