Eli doit clairement revoir ses attentes avec lui. Le vieux semble bien accroché à ses petites informations… Elle qui pensait que le simple souvenir de sa mère allait l’émouvoir un tant soit peu. Raté. Ce n’est pas très grave, Eli aime particulièrement les défis. Plutôt têtue, elle ne lâche pas aussi facilement, inépuisable quand elle sent qu’elle est proche d’une information importante. Eli se redresse légèrement sur son siège à sa nouvelle question concernant Irene Foster-Miller. « J’ai souhaité la rencontrer pour évoquer sa fameuse fondation. Celle-ci est censée aider les enfants et les familles de Redwood en grandes difficultés. J’ai réussi à avoir ce rendez-vous avec elle parce que sa fondation est restée bien trop aveugles face à un fléau toujours existant. » Eli choisit de ne pas parler d’elle, elle se protège toujours autant, personne n’est au courant de son ancien métier d’escort girl, seulement les personnes les plus proches d’elle. Asael n’en fait pas partie. « Et je dois la rencontrer pour l’aider à régler ce problème, cette défaillance et ce manque de vigilance de leur part. » Eli est toujours un peu en colère par rapport à tout ça mais elle tente de le cacher. « J’ai lu les articles de sa mère et de son lien avec la Rose Lunaire. J’imagine que si je l’aide avec sa fondation, je pourrai me rapprocher encore un peu d’elle. » S’approcher pour détruire ? Eli ne sait pas encore. Il faut dire que lorsqu’elle s’approche de près à un membre de la Rose Lunaire, sans le savoir, elle s’y attache. La journaliste n’a pas envie d’aider un membre de l’organisation mais la cause est grande, elle doit aussi aider les jeunes filles en galère. Compliqué.

Le pasteur parvint à détourner légèrement le sujet sur sa famille, titillant toujours autant la curiosité d’Eli. Elle apprend que Leo, son cousin, a été marié. Ok. Elle ne sait pas du tout comment réagir alors elle préfère poser une autre question en retour, histoire de dissiper cette incompréhension qui finira par se lire sur son visage si elle ne dit rien. Eli acquiesce à sa réponse. Elle ne pensait pas que son cousin irait trouver des conseils ici. Mais ok, elle en conclue qu’ils ne se connaissent toujours pas. « Je ne connais pas beaucoup Leo. J’ignorais ce mariage. » Pourtant, elle est persuadée qu’il aurait pu lui en parler. Eli doute. Non, elle ne devrait pas, il fait partie de sa famille elle ne devrait pas douter des membres de sa famille. Les pensées d’Eli divaguent complètement, très perturbée par les paroles du pasteur.

Eli continue de poser ses interrogations sur sa famille, toujours dans l’espoir de combler le vide de son cœur. Un début de sourire allait s’immiscer sur ses lèvres à sa réponse. Aucun problème à l’horizon. Mais… Oui, il y a toujours un mais. Eli relève son regard vers lui. Ils étaient heureux jusqu’à… ? Son cœur se serre aussitôt, réalisant qu’il devait évoquer l’accident de ses parents. Eli se perd dans les souvenirs du pasteur, ayant l’impression d’être étrangère à tout ça. Le vide ne se remplit pas, le vide reste vide. La journaliste se sent triste, elle n’arrive toujours pas rejoindre les bouts de son histoire. Elle ne sait pas pourquoi elle n’a jamais connu l’autre partie de sa famille jusqu’à ses récentes recherches. « Oh, je comprends. Savez-vous si votre épouse pourra me dire pourquoi cette famille … s’est brisée ? Pourquoi je ne les retrouve que maintenant ? » Eli ne contrôle plus vraiment ses émotions, la déception et la tristesse sont toujours bien présentes. Le flou, l’incompréhension continuent de la bloquer… Eli réalise qu’elle est soudainement bien fragile, alors elle se reprend, essayant d’être ce pauvre petit roc solide. Que de la gueule. « Je suis désolée Asael. J’ai encore du mal à comprendre ce qui s’est passé depuis leur accident. Je ne veux pas vous importuner avec ça… Merci quand même pour ces souvenirs, un peu plus agréables à entendre. »  Elle aussi elle aurait aimé goûter ces gâteaux à la cannelle le soir de Noël.

Quelle stratégie ? Cette question revient avec une régularité de métronome chez Asael, l’homme n’étant définitivement pas de ceux qui se laissent surprendre par le cours des évènements. Anticiper, réfléchir, manipuler : le pasteur tire les ficelles, en dépit de ses airs de vieux bonhomme inoffensif. Se méfier de l’eau qui dort, disent les sages. C’est pour cette raison qu’il interroge Eli, supposant qu’elle aura tout de même échafaudé un plan avant de donner rendez-vous à la mère de la plus grande crapule de cette ville. Attentif, il acquiesce à la réponse – n’ignorant effectivement pas l’existence de cette fondation. Est-ce que cela répond à sa question, en revanche ? Patient, laisse la jeune femme prendre son temps pour en venir aux faits bien qu’il éprouve une pointe de surprise. « L’aider ? » N’était-elle pas journaliste, cette jeune femme ? Pourquoi irait-elle se mêler de la tenue d’une fondation ? La suite lève enfin tout à fait le voile : voilà donc la stratégie, aider Irene Forst-Miller en espérant l’amadouer suffisamment pour lui tirer des informations. Pourquoi pas. Probablement un peu perplexe, mais sans contradiction majeure, Asael se contente d’opiner doucement. « Je vois. Je vous souhaite bonne chance dans cette entreprise. » Et parce qu’il s’agit d’une personne très proche du Diable en personne, ajoute : « faites attention à vous. »

Quelle stratégie ? Celle du pasteur est bien rodée, fluide : poser des questions aux airs anodins pour obtenir les réponses qui l’intéressent, ces premières concernant le cousin de son interlocutrice. Une rancœur pas tout à fait digérée sans doute, celui qui se fait rarement prendre à son propre jeu aura bien été dupé par ce maudit Jensen. Eli ment-elle en affirmant ne rien savoir de ce qui l’intéresse ? Le regard du vieillard la détaille une seconde avant qu’il n’esquisse un léger sourire. « Un sujet encore trop douloureux, probablement. » Mouais. Pour Asael, il semble surtout assez clair que l’homme se soit royalement moqué de lui, la raison expliquant cet affront ne pouvant que facilement se concevoir : passé de l’autre côté, trop de mauvaises fréquentations et trop d’indices concordants pour ne pas y songer – à défaut de posséder de réelles preuves pour le moment. Quant aux autres membres de la famille Jensen, le pasteur dispose certes de certains souvenirs, mais ne saurait évidemment resituer trop précisément des évènements survenus plus de trente ans en arrière. Des gens qui semblaient bien s’entendre, qui évoluaient avec une joie évidente au sein de la paroisse… Jusqu’à l’accident, et la question de l’héritage, Asael ne s’était jamais trop intéressé à cette famille en particulier. Il note d’ailleurs que son interlocutrice n’est pas très attentive à ses propos : ce n’est pas pour rien qu’il a employé le passé en parlant de son épouse, respecter cette distance aurait été appréciable.

« Eh bien… » Une légère hésitation, puisqu’au fond il ne comprend pas tout à fait sa question. Eli n’est-elle pas au courant de ce qu’il s’est passé après la mort de ses parents ? Cette vieille bique de grand-mère n’aura-t-elle donc rien dit ? Oh, évidemment : Anahid avait plus de patience que lui pour gérer ces histoires, mais pour le coup, il se souvient des discussions de sourds entre les deux parties de la famille. « Ne soyez pas désolée, c’est plutôt moi qui le suis à vrai dire : j’aurais pensé que votre grand-mère soit capable d’un peu plus d’honnêteté à votre égard… Elle s’est disputée avec le reste de la famille Jensen à la mort de vos parents. » Pas de suspens inutile, le pasteur réprime un léger soupir tout en cherchant ses mots. « La répartition de l’héritage laissé par Sullivan et Claire a posé problème. Nous avons essayé d’apaiser les choses mais… » Nous, comprendre lui et Anahid qu’il ne mentionne plus très volontairement : aucune envie de devoir éluder d’autres questions au sujet de son épouse. « Si je peux me permettre, personne n’avait ni raison ni tort dans cette histoire. Le seul réel dommage a été de ne pas réussir à trouver la voix du pardon pour maintenir leurs liens malgré tout. » Les Jensen n’ont jamais eu beaucoup d’argent, en effet : cet héritage leur était plus que nécessaire, comme Robert l’avait à maintes reprises expliqué. Quant à la grand-mère Larsen, bien sûr qu’elle devait assurer l’avenir de l’enfant qui échouait dans ses bras avec tout aussi peu de revenus. Qui blâmer ? L’espace d’une seconde, même le vieux pasteur éprouve un vague sentiment d’échec en rebrassant ces souvenirs enfouis.

Eli choisit simplement de lui donner les grandes lignes de ce qu’elle compte faire avec mama Castiel. Elle ne connait pas suffisamment Asael pour lui révéler tous les détails de son plan. Bon, il n’y a pas que ça, en réalité, elle craint surtout d’être freinée si elle annonce tout maintenant. Elle refuse d’entendre : laissez tomber ; Cela ne tient pas ; Vous allez vous prendre un mur… Et c’est vrai, Eli est jeune, elle fonce souvent sans réfléchir, comme si elle manquait de temps. La précipitation est certainement son pire défaut mais elle apprend toujours. C’est déjà le cas grâce à cet échange avec le pasteur. Cela dit, elle espère ne jamais finir comme lui tout de même. Il semble être bien contre la Rose Lunaire mais elle ne se souvient pas de ses actions pour lutter contre cette organisation. Actions inutiles ? Avortées ? La journaliste a bien conscience de ne pas assez fréquenter la paroisse pour le soupçonner de ne rien faire du tout. Quoi qu’il en soit, elle se demande s’il est vraiment intéressé par sa prochaine action, est-ce qu’il la soutiendra un tant soit peu ? « Merci. » Répond Eli avant d’acquiescer à sa deuxième remarque. Faire attention, oui comme d’habitude, elle va essayer. A force d’entendre ces « attentions », elle sait bien qu’elle s’approche bien trop près du feu mais encore faudrait-il qu’elle ait peur de se brûler. « Souhaitez vous que je vous informe de la suite ? » Sourire angélique sur les lèvres, Eli veut bien partager cette entrevue avec lui, un petit peu.

La suite l’étonne et la perturbe beaucoup. Un divorce, du côté de son cousin lui-même. Leo ne lui a jamais parlé d’un mariage. Eli tente de ne rien montrer, elle a ce réflexe idiot de protéger, quoi qu’il arrive, un membre de sa famille. Le lien du sang est terriblement important pour elle. Et pourtant, rien ne l’oblige à le faire, elle n’est pas si proche de Leo. Poser une autre question pour dissiper son léger malaise, avant de capituler un peu en avouant qu’elle n’était pas au courant pour ce mariage. Eli paraît calme, tranquille, assise dans le fauteuil, mais à l’intérieur, dans sa tête, ça fuse dans tous les sens, essayant de trouver quelque chose par rapport à Leo et à leurs différentes conversations. Rien. Pas de mariage. Eli acquiesce, oui oui voilà un sujet bien trop douloureux.

Le sujet suivant est bien douloureux pour elle cette fois puisqu’ils évoquent, sans vraiment le prononcer, l’accident de ses parents. Evidemment qu’elle est avide de la moindre information concernant sa famille et ne se retient pas de demander de l’aide y compris si celle-ci vient de son épouse. Ses yeux se plissent en entendant ce commentaire sur sa grand-mère. Attention, autre sujet sensible. Sa grand-mère ne lui a pas tout dit ? Eli cligne des yeux. Sa grand-mère s’est disputée avec les Jensen ? Le cœur d’Eli s’arrête. Impossible. Pourtant, elle a l’impression qu’elle va défaillir à ses mots. Un héritage qui brise une famille ? Les lèvres d’Eli s’entrouvrent, elle est surprise, choquée d’entendre ce récit. « Oh… » Souffle la jeune femme avant de cligner encore un peu des yeux comme si elle cherchait à atterrir. « Je n’étais pas au courant. » Eli déglutit, sa bouche est si sèche. Sa grand-mère… Elle a tout fait pour elle, vraiment, jusqu’à ses dernières heures. Elle s’est tuée à la tâche, s’est vendue pour récupérer de l’argent et la soigner. Et elle gardait encore des secrets. Ok respire, respire. Bordel, elle a envie de hurler, d’aller au cimetière, déterrer sa grand-mère... On se calme. Ses doigts se crispent sur sa jupe, essayant de contrôler un minimum son corps. « Je comprends. » Qu’est-ce qu’elle comprend ? Rien du tout. Elle essaie certainement de comprendre son avis. Mais en fait non. Les liens du sang sont essentiels à ses yeux, elle ne comprend pas pourquoi on l’a séparée du reste de sa famille pour une histoire d’argent. Sa grand-mère aurait pu lui en parler, aucune excuse. « Je vous remercie pour tout ça. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. » Bien trop mal pour continuer à en savoir plus. Combler un vide dans son cœur ne lui réussit pas, au contraire. Les secrets de famille qui ressortent véritablement maintenant. Pourquoi a-t-elle fouillé la maison ?