Un logo. Une signature. Qu'y avait-il, au fond, de plus facile à falsifier ? L'idée d'un canular s'imposait peu à peu dans l'esprit de la brune – plus nettement qu'une menace obscure dont elle aurait nécessairement eu vent, d'une manière ou d'une autre. De toute évidence, l'indien était la cible malheureuse d'une blague de mauvais goût – le fait d'un employé insatisfait ou d'un voisin peu scrupuleux. C'était sans compter, toutefois, sur les révélations qui devaient suivre. « Manny-Manny-Manny... » soupira-t-elle alors, en même temps que de se prendre la tête entre les mains – à défaut de songer la frapper violemment sur le coin du bureau. « Et c'est seulement maintenant que tu choisis de tout me dire ? » s'indigna-t-elle encore, effarée – mais pas vraiment surprise, non ? « Au cas où tu ne l'aurais pas encore compris, je suis ta meilleure amie dans cette affaire – peut-être même la seule. » Aussi étrange et incongru que cela puisse paraître. « Tu dois tout dire à ton avocat. » Car elle était le sien, c'en était décidé – pour le meilleur et pour le pire. « C'est comme quand tu vas chez ton médecin. Tu ne le laisses pas te chercher un petit rhume quand tu sais que tu es allé tremper ton biscuit n'importe où ! » Au rayon des comparaisons douteuses, Maître Marquez, pour vous sevir. « Peu importe. » soupira-t-elle enfin, avant de se pencher au-dessus de sa tasse de café encore fumante pour la vider d'un seul trait. Un doigt de whisky aurait été le bienvenue pour satisfaire son penchant pour le drame. « Je suppose que tu as gardé une copie du dossier et la preuve de dépôt. » De toutes les façons. « N'est-ce pas ? » N'est-ce pas Manny ? « Oui, tu as raison. C'est n'importe quoi. » Pas sûr, cela dit, qu'ils soient tous les deux alignés sur le pourquoi de cette conclusion.

Qu'à cela ne tienne ! La jolie brune n'avait jamais été adepte de la facilité. Restait à trouver le meilleur moyen de sortir l'indien de ce merdier. « La plupart des jeux vidéos tournent autour des mêmes thématiques. » reprit-elle finalement, sans prendre la peine de maquiller le dédain transpirant de ce commentaire. A dire vrai, elle n'avait jamais réellement compris que l'on puisse passer des heures derrières un écran à tirer dans la foule. « Tu n'es pas le premier, ni le dernier, à mettre en scène une secte. » Une simple requête internet eût tôt fait de le confirmer. Les franchises en la matière étaient légions. « Paradoxalement, le fait que tu te sois autant inspiré de ce qui se passe ici pourrait bien te sauver. » Qui d'autre aurait pu avoir vent de tous les détails de cette affaire qui n'intéressait pas grand-monde au-delà du Vermont ? « Est-ce que tu penses à des détails inspirés de faits réels ? Des noms, des symboles, n'importe quoi. » Sur cette base, elle pourrait alors rédiger une première réponse à la mise en demeure – en espérant que cette affaire n'irait pas plus loin.

D'interjections provocatrices en comparaisons douteuses, la mexicaine prenait le plus grand des plaisirs à manifier le drame d'une situation qui, pour autant, n'était pas si désespérée. Pauvre Manny, qu'une forme de confusion semblait progressivement gagner. « Les criminels ? » La jolie brune eut bien du mal à réprimer un rire – l'avait-elle effrayé à ce point ? « Crois-moi, cowboy. Il te faudra aller plus loin qu'une simple affaire de plagiat si tu espères entrer un jour au panthéon du crime. » Non, définitivement, l'indien ne risquait pas grand-chose dans cette affaire, et pas seulement parce qu'il avait franchi la porte du meilleur cabinet d'avocats de tout l'Etat – s'il vous plait. « Si tu choisis de me confier cette affaire, je deviens ton avocate. » reprit-elle alors, d'un ton exagérément lent – comme on s'adresserait à un enfant à qui il faudrait répéter sa leçon, encore et encore, avant qu'il ne lui soit donné de l'assimiler tout-à-fait. « En tant que tel, je suis soumise au secret professionnel. » Etait-il vraiment besoin de le préciser ? « Rien ne t'oblige à tout me dire, bien sûr. » Certains criminels n'avouaient jamais être l'auteur d'un meurtre, pas même à leur avoué – ce qui n'empêchait jamais ce dernier de se faire une conviction profonde quant à la culpabilité de son client. « Mais si tu veux mettre toutes les chances de ton côté, c'est plutôt conseillé. » A bon entendeur. Cette idée finirait par se frayer un chemin dans l'esprit de l'indien, lequel envisageait déjà de lui communiquer le dit dossier. « J'aimerais beaucoup, oui. » acquiesça l'avocate. Et de rajouter, toujours avec ce même humour frinçant : « On a toujours besoin d'un bon vaudeville sur sa table de chevet. » Du rire aux larmes, nul doute que la lecture de cette auto-sabordage ne la laisserait pas indifférente. Quant à l'utilité de la démo... « Nan, je suis plutôt C--. » Nouveau sourire en coin. Elle aurait bien le temps de voir s'il était nécessaire ou non de faire appel à quelque expert en la matière.

Pour l'heure, la mexicaine entendait bien en apprendre un peu plus sur l'intrigue du jeu – lequel prétendait s'inspirer de l'actualité locale de ce petit village pas si tranquille. Manny disait s'être inspiré de quelques trucs, à commencer par le nom de la secte, ajusté pour les circonstances. « Et quel nom lui as-tu donné ? » s'enquit-elle, interrompant pour un instant sa prise de notes. La gêne de l'indien était presque palpable. « Pitié, Manny. Je veux seulement t'aider. » Quel que soit le nom retenu, cela ne pouvait pas être si terrible. Non ? Peu importe. L'intrigue se passait donc dans le Vermont. « Bon point. » commenta-t-elle encore, tandis que le bruit du clavier de son ordinateur se faisait de nouveau entendre. Prises d'otages... Incendies... Kidnappings... Tout ça restait bien vague. Il lui faudrait des éléments tangibles pour espérer raccrocher la fiction à la réalité. Une chose à la fois. « Une femme, hein ? » Pour leader. Intéressant. « Laisse-moi deviner... » marmonna-t-elle alors, l'air faussement pensif. « Petite ? Rousse ? Légèrement mégalo sur les bords ? » Le sourire qui suivit s'apparentait davantage à une grimace de mépris. « Je crois qu'on tient notre axe de défense. » reprit-elle finalement. « Il nous suffit de démontrer que le jeu s'inspire d'une histoire vraie qui continue de faire trembler le village de ton enfance. » Et d'ajouter, sur le ton de la provocation : « Tu es sûr que tu n'as pas perdu une mère, un oncle ou un grand-père gâteux ? Ce serait parfait pour faire pleurer dans les chaumières. » Ne jamais sous-estimer le capital sympathie que ce genre de drames personnels pouvait apporter.

La tulipe solaire. « Vraiment ? » Et notre jolie brune de hausser les sourcils, partagée entre scepticisme, franche hilarité et profond désespoir. « Subtil. » Ou pas. Pour l’heure, la mexicaine était déterminée à voir le verre à moitié plein. Plus le scénario de l’indien se rapprocherait de la réalité, plus il lui serait facile de démontrer que cette idée ne pouvait venir que de lui. Les événements qui secouaient leur petite ville étaient connus des habitants de la région, certes, mais n’avaient pas fait les gros titres des journaux nationaux – à l’exception de la tragédie de juillet 1985. Dommage que la méchante de Manny ne soit pas rousse. Pour le reste… « C’est son portait craché. » souffla Caly d’un ton grinçant. Elle avait parlé à voix basse – presque pour elle-même – sans trop pouvoir se contrôler. Parce que cette remarque pouvait prêter à confusion, elle crut bon d’ajouter : « D’après ce qu’on en dit. » Dans les journaux locaux, ou les discussions de comptoir. Peu importe.

« Je vois que tu matures cette brillante idée depuis longtemps. » Avant l’entrée en scène de la reine des épines, en tout cas. Difficile de ne pas sentir une pointe de sarcasme percer au travers de ses mots. Caly ne serait pas Caly si elle ne se montrait pas si dure envers le monde entier – pas de favoritisme en la matière. « Depuis quand ? » Cela pourrait avoir son importance, dans le traitement qu’elle ferait du dossier. Pour l’heure, son axe de défense n’était pas arrêté. Et quand bien même il le serait, cela ne dépendait pas d’elle – pas vraiment, pas seulement. Tout cela dépassait Manny, bien sûr – et elle entendait bien ne rien changer à cet état de fait. Moins l’indien en saurait, mieux sa sécurité pourrait être garantie. Avec un peu de chance, la jolie brune parviendrait à préserver l’intérêt de l’ensemble des parties concernées par cette affaire, sans avoir à trahir ses engagements. Aussi étrange que cela puisse paraître, le geek lui était sympathique. Assez pour qu’elle ait le souci de le tirer de ce pétrin – bien différent et plus dangereux encore que celui dans lequel il pensait, pour l’heure, s’être fourré. « Je doute que cela t’intéresse vraiment. » répondit-elle, d’un ton vague, en réaction à la question qu’il lui posa, en réponse à la sienne. Le temps de taper quelques lignes supplémentaires sur le clavier de son ordinateur, la mexicaine daigna finalement lever la tête. « Je crois que j’ai tout ce dont j’ai besoin. » Pour le moment, du moins. « Je vais étudier le dossier, et je te tiendrai informé de mon avancée. » Du moins consentirait-elle à lui livrer certaines informations – pas plus que ce qu’il aurait vraiment besoin de savoir. « Ne t’attends pas à avoir de mes nouvelles tous les deux jours. Ces choses-là prennent du temps. » Autant la prévenir. « Mais tu fais appel à la meilleure. » Cela allait sans dire. « Alors… Tu n’as vraiment pas de quoi t’inquiéter. » Là-dessus, la jeune femme esquissa un sourire – qui n’avait rien de vraiment rassurant – avant de se lever pour le raccompagner. Tout cette affaire n’en était qu’à son commencement.