Les mots lui manquent à Jamie, un phénomène qu’il partage avec toute la salle apparement, l’ensemble des spectateurs demeurant silencieux. Quelques chuchotement brisent le silence de mort, de celles et ceux qui osent manifester l’incompréhension, la crainte, incrédules. Tout le monde a l’air perturbé, seule certitude sur l'issue de la projection. Jamie aimerait trouver les mots, mais y en a-t-il seulement ? Il ne compte plus les interventions de ce genre auxquelles il a assisté, au point qu’il en est presque soulagé, Jamie, que ce ne soit que ça. Un écran. Un discours alambiqué. Et que personne ne se manifeste dans la salle. Il pense également à Grace, à ce qu'elle peut ressentir, dans son mutisme, après s'être vue attaquée de la sorte. Prendre sa main, le geste est maigre, dérisoire en un sens, pourtant il veut tout dire. Je ne te lâche pas. Jamais.

C'est peut-être pour ça qu'il se montre réticent tant à partir qu'à rester. « Bien sûr... » Il s’en doutait, mais ça n'arrange pas son dilemme. Pas grand chose non plus à son mutisme qui ne s’améliore pas. Il faut faire quelque chose, oui, mais quoi ? « Tu veux commencer par la capitaine ? » Peut-être ? Il l’a vue partir avec le propriétaire. C'est ce que lui aurait fait et il n’a pas d’autre idée. Pas tant de quoi faire, mais pour aider Grace. Franchement, il est prêt à suggérer n'importe quoi si ça peut lui donner une meilleure idée ou juste l'impulsion nécessaire pour qu'elle s'extirpe de son siège. De là, il sent que leur route va diverger, ce qui ne lui plaît pas, évidemment. Le spectre de la rose plane encore, malgré l'écran noir depuis de longues minutes, alourdissant l'air. Lui préfère encore se sentir inutile à ses côtés qu’en sécurité loin d’elle. Sauf qu'il n’y a pas que lui, il y a aussi Marlon que son bras protecteur enserre avec la même force que sa main exerce sur celle de Grace. Elle sait, Grace, la peur qui l’anime. Elle l’a déjà vécue. Elle a vécu l’horreur avec un de ses enfants. « hm… » Pas encore décidé, mais sa réticence se manifeste. Elle a raison, il devrait rentrer. C'est la chose la plus prudente à faire, ne serait-ce que pour préserver le peu d’innocence qu’il reste à son fils, lui épargner les discussions, l’attente, l’angoisse. Et puis il y a cette main toujours dans la sienne, même après s’être levé, prêt à partir tout en restant là. Pas prêt à partir sans elle. « J’aime pas l’idée de t'abandonner là. » Il la sait forte et digne, prête à tout affronter, pas le genre à flancher devant des accusations réchauffées, sa Grace, mais ça ne change rien. Lui… Lui ne peut plus grand chose, mais il peut être digne à ses côtés. Quand elle le regarde comme ça, les yeux droits dans les siens, il se croirait capable d'à peu près tout et n'importe quoi. « J'appelle mon père. » Son vieux a l'habitude de venir chercher le p'tit, Marlon aussi, malgré son air un peu déçu. Voilà qui scelle sa décision, donc, prêt à la suivre un peu partout tandis qu'elle honorera les responsabilités qui l'incombent.

@Grace Fordham

Une inévitable pensée pour le maestro des lieux, qui devait s’en mordre les doigts. Personne ne souhaitait recevoir la Rose à l’une de ses soirées, et pourtant, personne ne pouvait être certain qu’ils ne finiraient pas par s’inviter d’une façon ou d’une autre, de véritables aspirants vip hors de contrôle. Les choses se passaient à toute vitesse, surtout sous mon crâne. Ce calme apparent n’augurait rien de bon. Pourquoi Ellen Hawkins, ma mère, n’avait pas eu envie de venir assister à cette première, qui mettait pourtant en vedette la ville qu’elle chérissait tant et de façon souvent carrément déraisonnable ? Joe ne comprenait pas, bien sûr, parce que ce qui se passait à Redwood Hills ne pouvait être compris que par ceux qui avaient vécu à Redwood Hills assez de temps pour savoir qu’il se passait des choses étranges, comme des gens que l’on croyait apercevoir dans la forêt alors que l’on conduisait sur l’autoroute ou encore… des cadavres découverts au bord de celle-ci ! Après l’avoir incitée à ne pas s’éloigner, voilà que je lui attrapais carrément la main, aussi surpris qu’elle par le geste. « Ne t’éloigne pas, s’il-te-plaît. » Répétais-je alors en croisant son regard. « Et je n’essaie pas de te draguer, Joe, c’est parce que ces gens peuvent être dangereux et que tu fais partie de la famille, je veux m’assurer qu’il ne t’arrive rien ! Viens, s’il-te-plait. » Une pierre pour deux coups, voilà que l’urgence de la situation me permettait de lui dire, et de lui dire clairement, que je n’avais aucune intention déplacée que ce soit envers qui que ce soit, mon coeur était pris ! Si seulement celui-là pouvait arrêter de se débattre comme ça ? Où était donc disparue Wanda ? « Le comptoir est fermé. » À tout le moins, à vue d'œil, aucun employé ne semblait plus se trouver derrière celui-ci. C’était bien ma chance ! Après avoir déjà un jour perdu ma fée dans tout Los Angeles, je parvenais encore à la perdre dans un cinéma. Je continuais de chercher du regard autour de nous, méthodiquement, ou presque, il ne pouvait pas y avoir tant d’endroits où se trouver, si ? « J’aurais aimé ne pas être celui à t’expliquer tout ça… Dès qu’on aura trouvé Wanda. » Un avant-goût de ce que cela serait d’être père, peut-être ? Devoir expliquer ce que la vie avait de moins beau, ou à tout le moins de compliqué, pour s’assurer qu’un enfant aurait les outils pour faire face.
Avec le mouvement, nous nous étions retrouvés face à la porte conduisant aux toilettes. À gauche, les femmes, à droite, les hommes. « WANDA ? » Appelais-je alors, avant de tourner la tête vers Joe. « Tu peux aller voir si elle est là-d’ans ? » C’était tout juste si je n’y entrais pas moi-même, au fait, mais alors que je me sentais de plus en plus désemparé, j’apercevais enfin la blonde au travers le mouvement des invités près de la sortie. « JOE ! Elle est là-bas ! » Tout ceci était bientôt derrière nous, il ne restait plus qu’à m’assurer que ma belle-soeur ne me quittait pas d’un centimètre jusqu’à ce que nous ayons rejoint Wanda et que nous soyons tous les trois à l’extérieur. « J’espère que notre fille ou notre fils aura toujours envie d’être près de maman et papa, ou tatie… Tant qu’il ou elle n’ait pas cette manie de disparaître ! » Moi, papa poule ? C’était encore tôt pour le dire, mais nous avions bien quelques signes avant-coureurs.