Il ne sait pas trop pourquoi il lui demande si elle n'a jamais quitté la ville. Une intuition peut-être. En tout cas, il vise juste puisque Moïra lui indique n'être partie que pour ses études. Elle était revenue au bercail apparemment. Si elle n'avait été que de passage, pour voir sa famille par exemple, elle le lui aurait précisé. S'il restait en ville, il serait donc susceptible de la recroiser. « Vous avez étudié où ? » Ce n'est pas franchement dans ses habitudes de faire la conversation. Mais comme la jeune femme reste près de lui, et qu'elle s'intéresse à lui, il n'a d'autre choix que d'essayer de la faire parler d'elle. Il hoche la tête quand elle lui demande pour le dépaysement. Elle n'a pas idée. Même pas de palmiers dans le coin ! Mais ce n'est rien comparé aux contrées du grand Nord. Il avait passé quelques semaines en Alaska avant d'arriver ici... Hawaï lui manquait. La mer lui manquait. Et le surf... mais tout cela ne ramenait que des souvenirs douloureux. Alors il préférait ne pas y penser. Et se terrer dans le Vermont. « Avec mon chien. » Un husky trouvé au bord de la route alors qu'il n'était qu'un chiot. Tehaunui n'avait pas eu le cœur de l'abandonner. « Vos amies doivent vous attendre, non ? » La jeune femme était agréable et sympathique, mais comme d'habitude, l'hawaïen n'est pas d'humeur.

Boston. Une grande ville. Tehaunui évite les grandes villes. Trop de monde, trop de bruits. Et puis, on cherche des serveurs en ville, pas des ouvriers agricoles. Sauf que l’hawaïen se sent plus à son aise dans le deuxième. Dans des boulots qui demandent avant tout de la force physique, des boulots que personne ne veut et donc, les patrons ne posent pas trop de questions. Surtout quand ils voient la carrure de l’homme. Rien qu’à le voir, ils se doutent qu’il est qualifié pour le job. « Vous sauriez pas où je pourrais trouver un job ? Y’a peut-être des fermes qui cherchent du monde ? Ou d’autres boites ? » Il a l’intention de faire un tour de la ville demain. Peut-être tombera-t-il sur des petites annonces, mais puisque Moïra est là, et est du coin, autant tâter le terrain dès ce soir. « Pour payer l’auberge… » qu’il rajoute, dans un souffle. Encore une fois, il sait pas trop pourquoi il dit ça. Peut-être pour qu’elle se rende compte qu’il n’est pas un marginal, pas un mec qui crèche dans sa bagnole avec son chien. Ça lui est déjà arrivé, mais souvent, il cherche à ne pas se faire remarquer. Il finit quand même par lui faire remarquer que ses amies doivent l’attendre. Elle et les verres qu’elle a commandé. Il la regarde descendre de son tabouret. Il lève son verre pour la saluer avant qu’elle ne se détourne. Désormais, il allait pouvoir noyer son chagrin dans l’alcool tranquillement. Il se raisonna tout de même à garder un minimum les idées claires pour retrouver le chemin de l’auberge. Ne connaissant pas encore très bien la ville, il a pas envie de se perdre en étant complètement soûl dans une petite ville comme celle-ci.

Les jours qui suivent, Tehaunui se met en quête d’un boulot, ainsi que du musée de la ville. Là-bas, il apprit pas mal de choses, se faisant une idée un peu moins floue de cette fameuse secte, mais aussi de la ville. L’Histoire peut révéler de nombreuses choses sur un endroit. Du fait de ce passé douloureux, l’hawaïen interprète les regards méfiants des locaux non pas simplement par rapport à sa couleur de peau ou à sa carrure, mais aussi parce qu’il n’est pas du coin. Pour autant, cela ne l’empêche pas de trouver un boulot à la scierie, à l’extérieur de la ville.

La journée a été longue, fatigante, et pour une fois, Tehaunui décide de rester dans sa chambre, à l’auberge. Il s’est acheté un plat à emporter au resto du coin et quelques bières à la supérette. Il se contente de pas grand-chose, le brun. Allongé sur son lit, un bouquin à la main, il se relève, intrigué, tandis que quelqu’un frappe à la porte de sa chambre. Il fronce les sourcils, posant les pieds par terre. Son chien, dans un coin de la chambre, a relevé la tête et les oreilles. Pour autant, il ne bouge pas. Tehau lui jette un coup d’œil avant de se lever pour ouvrir la porte. On peut lire la surprise sur son visage alors qu’il fait face à une jeune femme. Une jeune femme qu’il a déjà vu auparavant. Il met une seconde pour se souvenir. Au bar, peu après qu’il est débarqué en ville. « Vous avez dû vous tromper de chambre… » qu’il grogne plus qu’il ne parle.

Il ne connaît encore personne en ville, Tehaunui. Il avait bien discuté avec certains de ses collègues, mais pas assez pour que l'un d'eux vienne frapper à la porte de sa chambre, à l'auberge. La gérante, peut-être ? Il en doutait, vu l'heure. Quand il ouvre, il tombe nez à nez avec une jeune femme. Il met quelques secondes avant de la remettre. Son visage lui revient, au bar de la ville. Son prénom, en revanche, lui échappe, sur le coup. Elle lui avait dit, pourtant. C'était grec. Il revoit tout à coup Peter Pan. Le dessin animé de Disney. Son cœur se serre. Ça lui fait penser à sa fille. Son prénom lui revient tout à coup, chassant les souvenirs douloureux. Moïra. Elle a dû se tromper de chambre, et il lui fait remarquer. Il est sur le point de fermer la porte, légèrement agacé par cette intrusion, mais elle l'arrête. Ses sourcils se lèvent quand elle lui propose de boire un verre ensemble. Les détails de leur rencontre lui reviennent, petit à petit. Elle avait une bague de fiançailles au doigt... Elle continue de parler avant qu'il ait pu lui répondre. Elle cherche une présence. Mais pourquoi lui ? Franchement, ils se sont vus à peine dix minutes dans un bar. Elle devait bien avoir des amis pouvant jouer ce rôle auprès d'elle, non ? Franchement, il se dit qu'elle l'emmerde un peu. Et puis, il remarque. Il se fait observateur, notant les petits détails. Sa joue qui porte encore la trace d'un coup, ses yeux rougis, le regard fatigué et las. Il note aussi, bien sûr, le pack de bières qu'elle lui montre, mais il a déjà fait son choix, Tehaunui. Il se décale pour lui laisser la place d'entrer. La chambre est bien plus confortable que toutes celles où il a déjà passé la nuit. Dans un coin, le lit défait, et dans un autre, deux fauteuils et une petite table. C'est cosy, mais ce qu'on remarque tout de suite, c'est le bordel de l'hawaïen. Des fringues ici et là, sur les fauteuils ou à même le sol, ainsi que des livres qu'il avait emprunté à la bibliothèque. Son chien se lève pour aller à la rencontre de Moïra. « Poina. » dit-il, simplement, en désignant l'animal. Il semble apprécier la jeune femme. Il récupère les quelques affaires sur les fauteuils, pour les jeter dans un coin de la pièce et débarrasse la table. Il l'invite à s'asseoir, sans trop savoir quoi lui dire.

Tehaunui n'est pas du genre à aimer la présence d'autres personnes. Pas depuis qu'il a quitté son île natale. Pas depuis que sa fille est partie. Il préfère la solitude, le silence. Les gens, ils veulent parler. L'hawaïen n'aime pas trop ça. Parce qu'une conversation est faite de questions, souvent, et il ne veut pas répondre aux questions. Il ne veut pas partager ce qu'il a en tête. Alors, il se tait. Et face au silence, les gens s'en vont. Ou alors, c'est lui qui reprend la route. Il est comme ça, Tehaunui. Dès qu'on s'intéresse un peu trop à lui, il s'en va. Il continue son chemin. Il n'aime donc pas que les gens viennent l'emmerder. Encore moins dans son espace personnel. Pourtant, il laisse entrer Moïra dans son intimité. Il ne montre pas de signe de gêne, même s'il fait un peu de rangement pour que la jeune femme se sente un peu à l'aise. Son chien vient à sa rencontre, lui aussi, reniflant son odeur. Il n'est pas méfiant l'animal. Et pas méchant pour un sou. Magnifique ? « Hmm. » qu'il grogne, Tehaunui. Elle ne semble pas avoir peur des chiens, caressant la tête de Poina. Puis, elle s'installe, enlevant son manteau. Il l'observe. Elle a l'air gentille, cette fille. D'autant plus qu'elle lui offre une bière. « Ouais. » répond-il en prenant la bière qu'il décapsule rapidement. Il en boit une gorgée, ne quittant pas du regard la brune. Il fait quoi maintenant, avec elle ? Qu'est-ce qu'elle attend de lui ? Il s'enfonce un peu plus dans son fauteuil. Il décide alors de faire quelque chose qu'il ne fait que rarement. Engagé la conversation. « Ça va ? » Le plus simplement du monde. Il se doute que quelque chose ne va pas. Il ne sait pas, en revanche, si elle va lui raconter quoi que ce soit. Au fond, elle veut juste une présence, et ça, Tehaunui peut faire.

Franchement, il sait pas trop pourquoi il engage la conversation. Il n'est pas gêné par le silence, d'habitude. Que les gens lui parlent, ou pas, peu importe. Bien souvent, il n'a pas envie de dire quoi que ce soit, l'hawaïen. Mais ce soir... Laisser le silence s'installer lui semble incorrect, même si c'est elle qui vient le chercher pour une... présence. Sûr qu'il ne passe pas inaperçu, l'hawaïen. Peut-être que c'est parce qu'elle s'est montrée sympa, l'autre jour au Garnet. Cette fois-ci, Moïra semble moins... heureuse. Ça ne va pas vraiment. Mais elle n'entre pas dans les détails. Ses mots résonnent en Tehaunui. Une tournure inattendue. Ça va passer. Il ne répond rien, car il n'en sait rien. Est-ce que ça va passer ? Est-ce qu'un jour la douleur disparaît ? Pourra-t-il, un jour, penser à sa fille sans avoir son cœur qui se serre ? Sans que les larmes ne lui montent aux yeux ? Cela lui semble impossible. Si ça arrivait, il l'aurait trahi. Il l'aurait oubliée. C'est comme ça qu'il voit les choses. Il se perd dans ses pensées, dans sa propre douleur, dans son propre chaos. Renfermer sur lui-même, il oublie pendant un instant la présence de Moïra, ne sentant que la noirceur au fond de ses entrailles. Quand elle reprend la parole, il n'entend pas la moitié de ce qu'elle dit. Il hoche la tête, à l'affirmative. « On m'a filé un boulot à la scierie Howell. » Nouvelle gorgée de bière. Il peut bien lui dire ça, lui qui n'aime pas parler de lui. Il laisse retomber le silence, la regardant du coin de l'œil.