Bientôt un an déjà que j’habitais à Redwood Hills. Que le temps passe vite ! Le plus remarquable s’étant déroulé au cours de ces douze derniers mois n’était pas d’ordre professionnel mais bel et bien personnel. Plus que jamais, je me sentais plus léger, apaisé. La pression reposant sur mes épaules s’était grandement réduite depuis que je m’étais évadé de New York et j’apprenais à me sociabiliser pour le plaisir et non le devoir uniquement. Parmi mes relations à noter : Wilson, bien sûr, avec qui je passais une bonne partie de mon temps sans jamais chercher à poser la moindre étiquette sur notre duo et… Castiel « DeWitt ». Je ne comprenais pas complètement ce qui se jouait entre nous. Nous nous détestions profondément autant l’un que l’autre, pour des raisons multiples (et qui étaient parfois hypothétiques de ma part) mais il fallait également admettre que nous passions parfois du bon temps en la compagnie de l’autre. Incompréhensible. Il faut dire que le rendre chèvre s’était hissé au rang de l’un de mes passe-temps favori et Dieu sait qu’il était aisé de le faire ! Ainsi, lorsqu’une nouvelle opportunité de l’agacer se pointa, j’accouru. Qui mieux que moi serait placé pour jouer un Père Noël un brin trop peu décomplexé ? J’en riais d’avance en imaginant la tronche que le millionnaire tirerait en me voyant débarquer dans son bureau pour une audition. Sincèrement : je doutais qu’il m’embaucherait. Je n’étais pas sûr de vouloir qu’il le fasse, remarquez.

Posé dans la sale d’attente, je me perdis à réfléchir aux cadeaux que je devrais faire. Devrais-je envoyer un petit quelque-chose aux Black ? Après tout, ils s’étaient montrés adorables avec moi bien que le courant ne fût d’abord pas passé avec la femme de la maison ! Depuis, son revirement était tel que me marier à son fils ne paraissait plus la déranger. À moins qu’il s’agissait-là de son désespoir au sujet de son fils. Comment en être surpris ? Ce type était un sacré énergumène alors se le farcir encore quatre décennies après sa naissance… Je préférais le célibat ! Quant à Wilson… Lui acheter une édition extrêmement rare du jeu de société du Docteur Maboul était presque une évidence. Je ris intérieurement puis fuis interrompu par une voix qui m’invitait à pénétrer dans la pièce voisine. Je n’avais qu’entre-aperçu mon futur interlocuteur que je lâchai, le connaissant par cœur :

- Je savais que le bonheur de me voir te ferait sourire.

Ce gars était un automate. Il était simple d’anticiper sur ses petits rituels lui permettant de faire une bonne première impression. Je m’assis face à lui sans même attendre d’y être invité et croisait mes mains sur le bureau en le fixant d’un air solennel.

- Alors… On saute l’entretien et on passe direct à la pratique ? Je suis sûr que tu as hâte d’admirer mon show.

D’après mes souvenirs, il ne s’était pas fait prier lors de la Pride ! Sa présence lui avait même valu une récompense très inattendue mais, après tout, il ne s’était pas reculé. La première partie de 2023 avait été particulièrement chaotique entre nous alors que nous voguions de rapprochements en rapprochements.

Comme je m’y attendais, l’expression faussement joyeuse que Castiel avait placardé sur sa face flancha pendant un instant lorsque ses yeux se posèrent sur moi. Un délice. À croire que je n’avais vraiment rien d’autre à faire que de le tourmenter ! C’était faux. Juste que je trouvais toujours le temps de m’amuser un peu à ses dépens. Il devait me considérer tel son Poltergeist attitré. Je m’assis face à lui et le laisser réagir sans l’interrompre, persuadé qu’il aurait bel et bien été enchanté de me savoir à la rue. Malheureusement pour lui : j’en étais loin. Qui plus est, je n’avais aucun reproche à me faire puisque toutes mes factures étaient payées et que je ne trempais pas dans une affaire louche. Mon toit resterait au-dessus de ma tête pendant encore longtemps et ce, à Redwood Hills. Au moins une chose pour laquelle il ne possédait aucun pouvoir. Entièrement démuni. De quoi jubiler, sincèrement. Mon interlocuteur poursuivit, curieux d’en savoir plus sur mes motivations pour un show qui ne l’intriguait pas le moins du monde. Je haussai les épaules puis lâchai :

- Aucun problème d’argent. J’avais juste besoin d’un prétexte pour venir voir mon vieux pote.

« Pote. » Si bien des termes existants désignaient Castiel, celui-ci n’en était pas un. Sonder mon regard était superflu pour saisir mon ironie. Qu’importe que nous bossions parfois ensemble au profit de son entreprise ! Je marquai un silence afin d’étudier sa réaction puis laissai échapper un rire à mon tour alors que je reprenais.

- Quoi ? Tu ne penses pas que je ferai l’affaire ?

Oui, je faisais durer le suspense concernant l’identité de ma source. Il faut dire qu’il n’y avait rien d’exaltant derrière cette information mais que, en faisant traîner au maximum, l’homme penserait l’inverse. De quoi nourrir ses penchants psychopathes en somme ! Pas comme s’il avait besoin d’un coup de main de ma part pour me diaboliser pourtant… Un duo de gosses imbéciles. Je me raclai la gorge comme si je m’apprêtais à m’arrêter sur un sujet bien plus sérieux qu’il ne l’était réellement et m’enfonçai davantage dans ma chaise.

- Mais pour te répondre : des bruits de couloir. Il paraît que c’est une tradition au Valhalla de faire appel à un sexy Santa, racontai-je. Tu serais… autrement, tu aurais été parfait pour le rôle.

Tout à fait représentatif de notre relation : « cacher » une remarque derrière une flatterie. Honnêtement, je serais bien plus surpris de voir Castiel se déhancher dénudé et aguicheur sur une piste de danse que d’apprendre qu’il était coupable d’un meurtre ! Ce mec devait revoir l’ordre de ses priorités.

- Il paraît même que tu as une amoureuse ! Petit cachotier !

Rien à voir avec le supposé entretien que j’étais censé passer mais autant en rajouter une couche pendant que j’y étais ! Puis, sans transition, j’enchaînai.

- Je me branche à tes enceintes et c’est parti ?

J’étais vraiment très, très, amusé.

Je jubilais en constatant que mon interlocuteur mettait tout en œuvre afin de dissimuler son agacement et son animosité à mon égard. Lui qui était pourtant maître des apparences, cela faisait longtemps que ces tactiques ne prenaient plus sur moi. Tout se jouait dans son regard assassin et ce beau sourire aussi forcé que crispé. En outre, un petit quelque chose dénotait également dans le timbre de sa voix qui ne parvenait pas à être aussi délicate que lors de ses échanges avec les autres individus. Non : il ne me trompait plus. Et je prenais un malin plaisir à enfoncer le couteau toujours un peu plus profondément dans la plaie. Ses remarques quant à mes participations passées à des shootings en sous-vêtements ne me blessaient pas puisque je les avais justement faits pour dresser le majeur à la bourgeoisie (à ma famille de coincés en particulier). Comme quoi, j’avais réussi. Quel prude. Au moins, cette « fantaisie » de ma part me valait une place au sein du cabaret selon Castiel. Un mal pour un bien pour lui en somme ? Le gigolo adorant faire tomber sa chemise prenait sacrément son pied au cours de cet entretien !

- Je suis sûr que Sidonie aurait bien rigolé de tout ça. Elle a toujours su que j’étais un « vilain garnement » pour la citer, me rappelai-je avec amusement.

Oui, nous étions très proches elle et moi. Et, à défaut de l’aspect physique, notre relation était bien plus sincère que celle qu’elle partageait avec son époux. J’avais toujours été son chouchou et elle avait su me le faire sentir plus d’une fois. Du moins, jusqu’à ce que ce croqueur de diamants ne vienne foutre la zizanie dans notre quotidien. Quel emmerdeur. Au moins, il récoltait ce qu’il avait semé, qu’il soit bel et bien la cause de sa mort ou non. Plus le temps passait et plus je perdais l’espoir d’être en mesure de prouver quoique ce soit. Au moins, j’étais satisfait de me trouver à proximité pour garder un œil sur lui. Le reste n’était que du bonus.

- Enfin, tu te ferais une coquette somme si tu prenais un peu exemple sur moi. Prends le fils Black par exemple. Il casserait sa tirelire pour un poster de toi sans chemise.

Puis, il lui demanderait de la lui dédicacer. Nos chemins ne s’étaient pas croisés une tonne de fois mais j’avais très bien saisi son attrait pour le brun aux yeux azur. Ce dernier ne pouvait pas être passé à côté de cet élément tant Peter manquait de subtilité. À moins d’être sacrément idiot. En tous cas, le tatoueur ou pas, nul doute que « DeWitt » possédait la plastique pour se faire une fortune sans effort. Il préférait juste la dissimuler sous dix épaisseurs de tissus haute-couture. Être mystérieux lui permettait de détenir le pouvoir, d’avoir l’ascendant. Du moins, tel devait être son raisonnement. Et il en était de même pour sa vie amoureuse.

- Une parisienne d’après ce que j’ai entendu. Mais oui, ce sont probablement des conneries, répondis-je avec désinvolture.

De quoi l’agacer encore un peu plus. Il n’y avait pas besoin de davantage d’éléments. Puis vint le moment de l’audition. Je saisis la boîte tendue par le millionnaire que l’on aurait dit craintif de choper une maladie à ce contact puis acquiesçais après la mention du rideau. Ma surprise devait être arrivée désormais constatai-je en jetant un coup d’œil à ma montre tandis que je la retirai une fois caché. Un message sur mon portable me le confirma alors que j’ôtai mon pantalon pour un short de noël rouge et duveteux que je serrai à l’aide d’une ceinture noire épaisse. En guise de haut : une veste révélatrice à manches courtes assortie. J’avais également l’option d’opter pour une veste longue du même genre. À discuter. La garde-robe se révélait juste à moi ! Même les bottes que j’enfilai allait avec le reste. Dingue comme cela pouvait être amusant, ridicule et sexy à la fois ! Bref, une fois que j’eus terminé de me préparer, je sortis de ma cachette et tournai sur moi-même afin d’offrir une vue intégrale au patron des lieux.

- Il y a un second costume dans ta boîte si tu veux essayer.

Je ris, parfaitement conscient que son balai était bien trop profondément enfoncé pour qu’il se prête au jeu puis parti ouvrir la porte du bureau sans avoir demandé la moindre autorisation. Sur ce, je laissai entrer deux musiciens et une chanteuse accompagnée d’un micro sur pied en guise d’accessoire scénique.

- Castiel, je te présente une troupe talentueuse que j’ai rencontré pendant mes années à New-York. Ils sont ok pour m’accompagner bénévolement lors de la représentation, à moins que tes employés ne se prêtent volontaires.

Après quoi, je fis des présentations plus poussées constituées des prénoms et de leurs rôles respectifs, précisai que nous serions plus nombreux pour le véritable numéro, puis me positionnai derrière le micro à but purement décoratif, donc. Et c’était parti ! Une version revisitée du classique de Wham! intitulé Last Christmas qui était plus groovy et appropriée à un cabaret. Oui, peu de gens étaient au courant, mais il m’arrivait de pousser la chansonnette à l’occasion. Lors de la partie instrumentale à l’approche des derniers instants du titre, nous dansâmes tout en respectant le rythme et le genre de celui-ci. Un peu suave, provocateur, tout en conservant de la classe. Quand nous eûmes terminés, nous nous inclinâmes, impatients d’entendre le verdict de notre mince public. Qu’allait-il trouver à dire à cela ? Surtout devant d’autres individus ! J’étais impatient.

- Est-ce que cela manque encore un peu de peau monsieur DeWitt ? lui demandai-je avec un rire dans la voix.

Castiel sous-estimait bien trop l’ascendant qu’il possédait sur le tatoueur. Je ne les avais pas observés bien longtemps en compagnie l’un de l’autre mais les yeux doux que lui faisait ce dernier étaient extrêmement évident. Il le boufferait s’il en avait l’autorisation. Aucun doute là-dessus. Je ne pris pas la peine d’insister, préférant lâcher un son à mi-chemin entre un rire et un grognement en réaction aux supposées photos de moi en sous-vêtements que le fils Black avait accroché aux murs de sa chambre. S’il nous entendait entrain de faire des paris de la sorte… Plutôt que de nier en bloc ce que je savais faux, je lâchai :

- Hum. Au moins, il aurait bon goût en matière d’hommes.

Pas que ce ne serait pas le cas s’il s’agissait bel et bien du millionnaire à ma place ! Mais l’absence de précision à cet égard laisserait planer le doute de ce que je cherchais à communiquer. Bien plus amusant. C’était à qui se tirait le plus de balles dans les pieds entre lui et moi, et ça ne changerait jamais même en tentant d’entretenir une relation cordiale voire « amicale » (avec d’énormes guillemets). D’ailleurs, je ne tardais pas à l’attiser quant à sa relation amoureuse ou allez savoir quelle formule employer. Je pouvais presque voir les rouages tourner dans son crâne tandis qu’il jouait au plus malin en faisant mine de réfléchir puis d’annoncer le secret d’une vie. Ce type… Au moins, c’était toujours un plaisir de le voir marcher dans mes combines ! Isobel, donc. C’était bien vrai. J’en avais désormais la confirmation au lieu d’aller surveiller son palace à l’aide de jumelles ! Ce prénom me ramena loin en arrière puisque je ne l’avais pas croisé depuis mon divorce malgré qu’elle fût loin d’être désagréable. Mon interlocuteur dut juger qu’il s’était suffisamment confié pour le reste de la journée car il s’empressa de détourner la conversation.

- Tu as toujours eu des goûts de luxe, lâchai-je avec un sourire hypocrite en sous-entendant qu’il n’avait pas choisi la plus hideuse (ni la moins riche). Et puis, ça nous fait des souvenirs en commun supplémentaires.

Oui, je venais réellement de sous-entendre que j’avais déjà couché avec elle. Ce qui était le cas, bien avant mon mariage. Sur ce, je me levai de ma chaise et parti me changer à la va-vite puis le numéro commença. Accompagné de musiciens et de chœurs, nous lui offrions alors une version « allégée » du résultat final. Le brun ne m’avait probablement jamais entendu chanter et le fait que je ne me débrouille pas trop mal risquait de lui faire grincer les dents. Donnez-moi encore une ou deux années à le fréquenter pour qu’il soit forcé de s’installer un dentier prématurément ! Bref, la représentation se déroula à merveille et nous fûmes accueillis par les applaudissements enthousiastes de notre unique spectateur. J’adressais une mince révérence à ce dernier lorsqu’il me fit un semblant de compliment puis le rejoignis à sa demande. Allait-il oublier son sourire de façade pour me démonter à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes ? Loupé ! Il fut étonnamment calme si ce n’est pour une accusation qui m’étira les lèvres de manière presque imperceptible. Je n’eus pas le temps de répondre qu’il enchaînait déjà avec une proposition pour le moins surprenante. Moi, directeur artistique du Valhalla ? Il m’en bouchait un coin. Très bien. Le point lui était accordé ! Gagner du temps de réflexion en me changeant était inutile.

- Je me demande où se trouve le coup fourré mais, tu me connais, j’aime les risques. C’est d’accord. Tu n’auras qu’à m’envoyer les papiers, conclus-je.

Aussi simplement que ça. Je n’allais tout de même pas lui sauter dans les bras en guise de remerciement. D’autant plus que ce poste ne me rapporterait que dalle ! Lui rendais-je réellement service ou me tendait-il un piège dans lequel je venais de sauter la tête la première ? Je saurais riposter dans ce cas. J’avais appris comment au fil des ans. Au moins, Castiel s’était révélé être un bon mentor à ce niveau-là et ce, malgré lui.

- À moins que tu tiennes à me rendre visite ? Isobel sera la bienvenue bien sûr. Je pourrais même lui montrer le numéro.

Petite provocation plus légère que mordante. Quoique. J'étais curieux de tester la véracité de ses sentiments la concernant. Celle-ci était une bonne personne et je ne tenais pas à ce que Forster-Miller la détruise à son tour. Une fois, pas deux.

- Mais sache que je suis vraiment partant pour monter sur scène. Nous avons bien bossé avec le groupe comme tu as pu le voir. Que ça t’agace ne regarde que toi. Je n’y suis pour rien.

Je me retins avec difficulté d’ajouter : « Ce n’est que bonus. » C’est que nous avions appris à cohabiter ensemble depuis qu’il m’avait offert un poste dans la compagnie DeWitt ! Comme quoi, un travail, une piscine, un massage et un baiser ça rapproche ! Notre relation n’était qu’un bordel monstre et je n’étais pas certain que l’un de nous l’assume autant qu’il le prétendait. Après quoi je me levai puis commençai à me rapprocher des coulisses jusqu’à m’arrêter brusquement, me retournant dans sa direction.

- Tu es sûr de ne pas vouloir essayer le deuxième costume ? Tu te sentirais beaucoup plus léger, crois-moi, annonçais-je avec un clin d’œil.