Je suis né une nuit d'hiver dans une petite ville tranquille d'une frontière tranquille au pied de l'Himalaya. Ça devrait pas être trop difficile à deviner où, des frontières indiennes tranquilles, y'en a pas tant. Mon père faisait de la street food et on avait une petite maison tranquille. Pas le grand luxe, mais décente. J'étais le deuxième enfant, et le dernier aussi, pour le coup. Enfin, que l'on sache, en tout cas. Après tout, le jour où ma mère s'est barrée, qui sait, peut-être qu'elle était enceinte ?

Spoiler alert : non, elle ne l'était pas.

C'était donc rapidement devenu juste mon père, mon frère, le rythme des saisons et moi. Loin du tumulte des grandes villes, mais suffisamment de tourisme pour faire gagner de l'argent à mon père. Et puis mon frère est parti à l'université, alors ça n'a été plus que mon père et moi. Et puis, plus que moi. Mon père est mort. Mon frère est rentré quelques jours, et m'a confié à des voisins. Il devait terminer ses études. Je ne lui en ai pas voulu, notre père s'était battu pour qu'il puisse les faire, ces études.

Sauf que moi, j'étais encore qu'un gamin, j'avais treize ans, je ne voulais pas forcément arrêter tout de suite d'aller à l'école, mais je n'étais pas chez moi. Oh, j'étais bien traité, c'est pas le problème. Simplement, dans nos milieux, l'école s'arrête à quatorze ans, et encore, quand on y va. Alors, plutôt que de m'obliger à arrêter, ou me culpabiliser à continuer, ils ont tenté de me faire une surprise. Celle de retrouver ma mère. Tu parles d'une surprise ! Comme si une inconnue pourrait faire quoi que ce soit de mieux pour moi ?

Je crois que j'aurais pu dire non. Mais tout le monde trouvait que c'était une tellement belle opportunité pour moi... alors j'y suis allé. En Amérique. Là où elle vivait désormais. Avec son nouveau mari. Son nouveau quoi ? Techniquement, elle était pas divorcée de mon père, cette garce !

Ça aurait pu bien se passer. Ça aurait du bien se passer. Mais non. Si elle n'avait pas voulu de moi y'a quinze ans, pourquoi elle le voudrait maintenant ? Au début, ça allait. C'était juste des petites réflexions sur ma "maladresse sociale" parce que j'y connais rien, moi, à comment ça marche, ici. Mais plus je restais, plus le piège se refermait sur moi. Le piège des USA, d'abord. Vous appelez ça le pays de la liberté, vraiment ? Le rêve américain, sérieusement ? Vous avez déjà été ailleurs dans le monde, ou comment ça se passe ? Et puis le piège de la maltraitance psychique et physique.

Anyway, j'ai fugué une première fois, parce que j'en avais marre, des cris et des coups. Mais ça a été pire quand ils m'ont ramené chez eux. Alors j'ai fugué à nouveau, et à la troisième fois, quand j'ai terminé à l'hôpital, et qu'ils ont constaté mon état (qui manifestement n'était pas du uniquement au fait que je vivais à la rue depuis une semaine), ils ont enfin consenti à me placer.

Me placer, bordel. Moi ce que je voulais, c'était rentrer chez moi. Mon frère devait avoir trouvé un job et un appartement depuis le temps, non ? J'en sais rien. J'espère. J'ai perdu son contact... à cause d'elle. Qu'on n'ose plus jamais l'appeler ma "mère".

Et voilà, après deux ans de calvaire, entre ma "famille biologique" et toutes les autres saloperies, je viens de fêter mes dix-sept ans et on m'envoie dans le Vermont. Soit disant que l'air de la montagne me rapprochera de mes origines, tout ça tout ça. La montagne ? Dans le Vermont ? Sérieusement. Je suis né aux pieds de la putain de plus haute chaîne de montagnes terrestre du monde, et vous m'envoyez dans le Vermont pour que je me sente plus comme chez moi ?

Boarf, allez, O.K., envoyez-moi là bas... au pire, je suis pu très loin de la frontière Canadienne, avec un peu de chance, les yankees de là bas sont un peu moins con, et avec beaucoup de chance, j'arriverais peut-être à rejoindre le Canada.