Vous l'aviez décidé d'un coup. Enfin, l'idée était venue de toi parce qu'Alonso aurait surement tout planifié avant de t'en parler. Mais tu as eu envie de changer d'air. Tu ne sortais pas beaucoup de chez lui, de chez vous -tu te trompais encore la plupart du temps là-dessus- et quand tu sortais, c'était souvent pour honorer ton suivi médical, pour faire des courses ou promener Cha-cha. Tu ne te sentais pas encore prêt pour te sociabiliser. Même si ça te manque, parce que tu es un fichu animal sociable, il fallait que tu te ménages, c'est un conseil, presque un ordre, de ta psychiatre. Trop de nouveauté avec tous les changements récents ? Pas bon pour ta stabilité. Tu sortais d'une crise assez récente, de surcroit. Mais tu voyais les mêmes murs, les mêmes défauts sur les meubles et les mêmes horaires. Tu allais craquer. Tu as donc décidé d'en parler avec Alonso, parce que c'était nouveau, la communication sur ces choses là, sur tes angoisses, tes craintes, tes joies aussi. Et il avait accepté pour un weekend. Deux jours entiers hors de ce nouveau quotidien, ça t'allait pour le moment. Tu ne pouvais pas le blâmer de vouloir t'avoir sous surveillance, si bien que tu avais pris le pli de le prévenir à chacune de tes sorties. Un simple sms quand tu partais, puis un quand tu étais rentré. Rien de très intrusif en soi, juste de quoi le rassurer lui. Pour le moment, tu t'y tiens, mais peut être qu'avec le temps, tu changeras d'avis.

Comme il fallait tout de même préparer une telle sortie -un minimum selon toi car tu étais plus d'avis de juste prendre sa voiture et rouler, espérant trouver un logement de dernière minute- tu t'étais mis en tête de te plonger dans l'organisation. Au final, il te restait deux chalets au bord du lac Champlain, la destination avait été bouclée avec Alonso. Les deux avaient les dates de disponibles et étaient dans la même fourchette de prix. Tu as mis longtemps à de décider. L'un était bien plus authentique, d'un bois sombre, avec une décoration rustique. Moins spacieux que le second mais semblant tout aussi confortable. Le second était très blanc, sans doute récent, plus spacieux et moins personnel. Ton choix s'est finalement porté sur le premier car le second te semblait trop impersonnel et à regarder les dernière photos, vous aviez des voisins des deux côtés, comme en ville. Le premier, semblait certes beaucoup moins luxueux, mais était niché au calme dans une sorte de petit bois, personne pour vous voir et vous déranger. Il possédait aussi un ponton et des canoés, mis à dispositions des personnes qui venaient y séjourner. Tu as donc réservé celui-ci pour le week-end qui venait, avec même une petite ristourne car les personnes qui devaient venir à votre place avaient décommandé à la dernière minute. Tu te sentais fier, parce que ce n'était pas dans tes habitudes de faire des recherches, de peser autant le pour et le contre pour quelque chose d'aussi factuel. Mais tout était bouclé.

•••

Le jour J est arrivé. Le soleil commençait juste à se pointer dehors quand vous vous étiez levés. Tu as eu du mal, beaucoup de mal et Alonso a du revenir par deux fois te sortir de ton lit, car tu t'y étais glissé de nouveau à deux reprises. Question pratique, tout avait été bouclé la veille pour que ce soit plus rapide et moins contraignant, surtout pour toi. Après avoir lutté pour te maintenir debout, tu es sorti avec Cha-cha, portant un short en toile couleur bleu marine et une chemise à motif fleural discret, dans le même ton que ton short, quelques petites touches nacrés ici et là. Tu as pu installée la petite chienne à l'arrière de la voiture, dans un panier de transport pour éviter qu'elle ne se blesse. Tu es ensuite monté à l'avant en soupirant, comme si ça pouvait être la pire chose au monde d'être debout si tôt. Peut être que tu n'aurais pas du passer toute la nuit à regarder cette série niaise mais addictive, sur l'amour impossible entre une fille de bonne famille et un simple postier. Mais il y avait tant de rebondissement que tu t'es laissé emporté, alors qu'à l'accoutumé, la télévision ne te branche pas plus que cela. Quand tu as senti qu'Alonso montait à tes côtés, tu as baisser tes lunettes de soleil -alors posées sur ton crâne- sur l'arrête de ton nez et tu as grogné. Combien de temps le trajet déjà ? Vous ne changiez même pas d’État, alors ça ne devait pas être bien long. Mais pourquoi partir si tôt ? Pour profiter du weekend entier bien sûr ! Quelle idée à la con, tu viens à penser. Enfin, juste celle de se lever tôt, car tu avais attendu cette sortie, en réalité.

La vie d'Alonso était bousculée, moins que celle de Jeff qui devait apprendre à évoluer dans un tout nouvel environnement, mais bousculée tout de même. Il était loin d'être aussi sociable que Jeff, il aimait son confort et ses habitudes, mais il aimait aussi le théâtre, les musées, le bruit de la vie, sortir se poser au bar, même si ce n'était avec personne, ne pas rentrer immédiatement après le travail. Or, leur vie à tous les deux était dictée par les conseils de la psychiatre de Jeff - qui, par ailleurs, avait l'air très bien - mais qui avait indiqué qu'il fallait limiter les sorties et Alonso ne voulait pas laisser Jeff tout seul à la maison le soir. Il n'était pas malheureux pour autant, il y avait quelqu'un chez lui pour l'attendre, il dessinait même un peu plus, passait du temps dans le jardin, allait courir, mangeait plus équilibré que lorsqu'il était seul. De plus, Jeff était un patient modèle, Al n'aurait pas espéré lui demander autant que ce que Jeff lui donnait pour sa sécurité : des messages réguliers, l'accès à ses médicaments, pas de plainte, pas de rébellion. Ce n'est pas pour cela qu'Alonso s'endormait dans sa surveillance, il prenait simplement la mesure des efforts de son ami pour faciliter leur vie à tous les deux. Rien de tout ceci n'était complètement naturel, pour l'un comme pour l'autre, mais les automatismes se mettaient en place peu à peu. Une vie totalement nouvelle qui s'offrait à lui. Le plus heureux était certainement Chanel qui avait le droit à un humain plus souvent à la maison et qui s'amusait régulièrement à faire peur au chien pour se faire poursuivre dans des rourous joyeux, d'ailleurs Cha-Cha ne comprennait pas toujours le mode de fonctionnement bizarre de son colocataire à quatre pattes.

Al s'était inscrit à ce groupe de parole pour les aidants comme sa soeur lui en avait parlé. Il avait décalé ses horaires du mardi d'une demi-heure plus tôt et réduit sa pause dejeuner pour pouvoir y assister avant de rentrer chez lui. Bien sûr, il en avait informé Jeff. Pour le moment, il ne parlait pas beaucoup mais il écoutait et cela le rassurait de voir qu'il n'était pas seul, que ce soit lui ou Jeff. Certains étaient à des début de prise en charge comme lui, d'autres à des moments de crises, de rechute, d'autres enfin avaient des proches qui étaient sortis des traitements médicamenteux et qui avançaient avec la maladie simplement avec la psychothérapie, ou même sans rien du tout mais qui continuaient de venir pour partager leur expérience ou échanger, car il n'y avait pas de guérison au sens propre du terme. Certains arrivaient à vivre avec la maladie comme n'importe qui ou presque d'autres n'y arrivaient jamais. Alonso apprenait à ne pas se projetter, ni dans ses craintes, ni dans ses attentes. Jeff était Jeff, tout simplement, comme l'étaient chacun des amis, conjoints, parents, frères, sœurs malades des membres du groupe de parole. Se déculpabiliser aussi était quelque chose qu'Alonso devrait apprendre, ménager aussi du temps pour soi, ménager leurs forces à tous les deux. C'était un marathon pas un 100 mètres.

Le jeudi midi, il mangeait avec sa soeur, Amalia. Alonso avait peu à peu informé son frère Pablo et sa soeur Lucia de la présence de Jeff chez lui, dans la maison familiale. Ils connaissaient tous Jeff puisque ce dernier avait été le meilleur ami de leur frère ainé avant d'être son petit ami pendant plusieurs années. Ils s'étaient vus à Thanksgiving plus d'une fois quand Jeff et Al étaient encore ensemble. Amalia avait même rencontré Coco une fois, c'était la cadette de la famille et même si Alonso était plus proche de son frère lorsqu'il était adolescent, à l'âge adulte c'était de ses sœurs qu'il s'était rapproché. Aucun commentaire n'avait été fait en face d'Alonso mais Amalia lui avait précisé qu'ils s'étaient tourné vers elle pour avoir des réponses. Il n'en avait pas pris ombrage, c'était même plus simple pour lui de confier à Amalia les inquiétudes des deux autres membres de la fraterie. Les seules personnes qu'Alonso n'avait pas prévenus étaient ses fils. Il avait fait une visio avec eux - une cam comme ils disaient - avait parlé de tout et de rien mais n'avait pas évoqué la présence de Jeff dans sa vie. Autant sa famille savait qu'il avait vécu avec un dragqueen professionnel et avaient fini par comprendre et l'accepter, autant ses fils, encore adolescents, vivant chez leur mère dans une famille traditionnelle et hétéronormée... C'était plus compliqué. Même si les jeunes étaient bien plus ouvert à la question du genre et de la sexualité qu'à son époque, regarder dragrace à la télé n'était pas du tout la même chose que de voir leur père vivre avec un autre homme ou encore avec Coco. Mais il savait qu'il allait falloir passer par là car ils venaient tout le mois d'août chez lui et il y aurait aussi la traditionnelle semaine de fête familiale où toute la fraterie débarquait à Redwood avec conjoint et enfants, les parents d'Alonso viendraient aussi deux semaines. Bref, cette échéance allait arriver vite et Alonso se demandait bien ce qu'il allait faire de Jeff à ce moment là. Pas qu'il voulait l'évincer des festivités, mais il avait peur que tout ce monde fasse beaucoup pour lui, il récupérait des forces tous les jours mais il ignorait où il en serait psychologiquement parlant en août prochain, personne ne pouvait le prédire. Il n'en avait pas parlé à Jeff encore mais ce week-end de détente tombait bien pour aborder le sujet en douceur.

L'idée de Jeff de partir un week-end avait d'abord un peu inquiété un Alonso qui avait des journées déjà bien occupées et qui sans se rendre compte cumulait de la fatigue. Un changement d'habitude quelqu'il soit n'était jamais reposant, surtout quand il venait perturber une routine établie depuis plusieurs années. Alors quand Jeff lui avait dit qu'il s'occuperait lui-même d'organiser le week-end, le pharmacien lui avait donné carte blanche ou presque. Ils avaient tout de même défini tous les deux le lac Champlain comme point de chute. C'était proche, s'il y avait le moindre problème, ils pourraient revenir rapidement. Un week-end seulement tous les deux, sans interférence extérieur ne pouvait pas faire de mal à Jeff...

**

Leur valise prête la veille, Alonso avait levé difficilement Jeff le samedi matin. Un week-end c'était court alors autant en profiter le plus tôt possible. Il était lui-même assez fatigué, même si se lever tôt n'avait jamais posé de problème à Alonso, c'était plus le coup de barre de 14h qui était menaçant chez lui. Depuis le temps que Jeff lui en avait parlé, il était impatient de cette parenthèse de vacances. Il avait d'ailleurs pensé un peu tard qu'il aurait pi prendre une journée de congés. Tant pis. Il avait fait de longs calins à son chat pendant le petit déjeuner, joué un peu avec lui et mis assez de ration pour les deux jours. Pendant que Jeff chargeait Cha-Cha, Al était passé embrasser sa grand-mère, toujours très tôt debout. Elle lui avait dit de faire attention à lui, comme s'il était encore tout jeune et de mettre une casquette pour le soleil. La jeunesse ça passe vite, profite ! lui disait-elle souvent. Il avait beau lui répondre qu'il n'était pas si jeune, elle le rabrouait en disant qu'à 50 ans, elle et son mari parcouraient encore tous les festivals de la région et qu'on était dans la fleur de l'âge. Pour elle, répétait-elle c'est le cap des 80 ans qui avait été le plus dur, celui des 90 aussi d'ailleurs. Elle sortait peu souvent maintenant, elle avait une femme de ménage qui passait deux fois par semaine et elle se faisait livrer ses repas du midi et ses courses, s'occupant tout de même de faire sa petite soupe du soir. Alonso se prenait souvent à imaginer comment avait été sa vie à elle, il l'imaginait guerrière solide de son époque, femme de toutes les révoltes, avant que la Rose n'emporte son mari et sa fille ainée 39 ans plus tôt. Après ce petit au revoir, il avait rejoint Jeff dans la voiture. Celui-ci avait l'air déphasé. Alonso paramètre le gps de la voiture. Eh bien, 36 min apparemment, répond-t-il joyeusement. Il met lui même ses lunettes de soleil sur les yeux. Et ils étaient partis. On y sera en un clin d'oeil, mais tu peux fermer les yeux, si tu veux. souligne-t-il à l'adresse de son ami en posant sa main sur son genou avant de prendre le volant et de démarrer. Le lac se dessine très tôt sur la route, mais le petit chalet qu'avait réservé Jeff était situé un peu plus loin sur la grande île du lac. Alonso n'était même pas allé voir à quoi il ressemblait, il avait juste pris l'adresse et avait fait confiance à Jeff. Le temps était au beau fixe, la route était bonne, le week-end était lancé.

Tu ne comptais pas faire autre chose que tu reposer dans la voiture. Et même si vous n'aviez qu'un weekend, tu pensais déjà à te mettre dans le hamac en arrivant, avec un petit plaid parce qu'il ne faisait bien chaud encore. La météo s'annonçait belle. C'était mieux parce que tu avais l'intention de faire découvrir les promenades boisées à Cha-cha. Chienne de la ville, elle était déjà assez impressionnée par la verdure de Redwood Hills et avait pris peur en voyant une vache pour la première fois, aux alentours de la petite ville. Peut être qu'elle rencontrerait au lac d'autres créatures étranges. Elle se savait petite et courte sur pattes, surement, incapable de faire le poids contre un vile raton laveur.

Tu ne vois pas le lac, tu ne vois pas le paysage qui défile. Les bras croisés sur ton torse, tu t'es légèrement affaissé sur ton siège et tu as posé ta tête sur la sangle de ta ceinture de sécurité. Rien de confortable mais on ne pouvait pas faire mieux, dans une voiture. Tu t'es assoupi quelques minutes, peut être un peu plus, pour te réveiller dans un sursaut désagréable. Heureusement, la lumière claire du jour qui se reflétait sur le lac Champlain, n'a pas pu t'aveugler grâce aux lunettes de soleil que tu portes. Tu bailles, mettant la main devant ta bouche et tu peux à présent regarder autour de toi. Tu sais pêcher ? Ça ne doit pas être bien compliqué, mais tu n'as jamais tenté. Quand bien même tu viens de Redwood et tu connais bien ce lac, surtout en tant qu'adolescent, tu n'as jamais été attiré par cette activité trop statique pour toi. Tu demandes car tu as vu le ponton et l'annonce précisait qu'il y avait tout le matériel à disposition. Tu as aussi vu les petites embarcations mais peut être que tu n'avais pas envie de te noyer lors de votre premier weekend... Entre amis qui attendent de voir s'ils peuvent s'aimer encore et devenir finalement plus que des amis ? Ça faisait long, comme titre tout de même. De toute façon, la cabane disposait de deux chambres. Du moins, tu le pensais. L'autre, celle que tu n'avais pas retenue, disposait bien de deux chambres. Mais tu t'étais concentré sur le charme rustique de celle que tu avais choisi en oubliant ce détail. Cocasse ? Très certainement. Digne d'un vaudeville.

Tu jettes un oeil au GPS, qui indique que  votre destination est à deux minutes de routes. Vous êtes dans sur une route un peu plus étroite et déjà bien boisée. Effectivement, deux minutes et quelques plus tard, Alonso se gare. Tu regardes ton téléphone. 45896 le code pour ouvrir la petite boite avec les clefs. Je vais sortir Cha-cha, voir comment elle entre en communion avec la faune sauvage. Tu souris, tu sembles déjà de meilleure humeur, un peu moins fatigué. Tu t'occupes donc de Cha-cha, contente de te voir lui ouvrir sa portière et dézipper l'ouverture de son sac. Elle en sort et tu la prends pour la poser sur le sol, même si c'est quelque chose qu'elle sait faire, elle est ta fifille, tu peux bien lui accorder ce privilège. Forcément, Cha-cha renifle partout, truffe sur le sol, il n'y a pas de goudron sur le sol ici. Elle va avoir de quoi développer son flair ce weekend. Tu sais aussi qu'elle ne partira pas alors tu la laisses découvrir. Elle va te suivre, elle n'ira pas très loin et surtout pas là où elle te ne verra plus. Tu peux donc prendre un sac et le rejoindre à l'intérieur.

La route est tranquille. Cha-Cha aussi. Son passager se réveille en sursaut et lui pose une question. Mon père m'emmenait avec mon frangin quand j'étais gamin, mais à partir de l'adolescence, j'ai pu esquiver, donc il ne m'en reste pas grand chose... Mais avec toi, je veux bien re-tester. il lui jette un coup d'oeil complice. Une activité avec son père, dehors, sans qu'il ne puisse lire un livre, dessiner ou être avec Jeff n'avait pas tellement d'intérêt à l'époque pour Alonso. Son frère par contre adorait ça. De manière générale, il n'avait jamais été très proche de son père sévère et autoritaire, préférant les méthodes plus flexible de sa mère malgré une exigeance sur son premier né équivalente à celle de son conjoint. Sa relation d'adulte avec ses parents, notamment avec son père, s'était beaucoup apaisée. De manière générale, quand il était petit son adulte préféré était sa grand-mère, elle calmait ses tristesses, l'accueillait lorsqu'il voulait un coin tranquille, lui faisait des goûters rien qu'à lui.

Arrivés au chalet, Al se charge de récuperer les clés. Le code fonctionne. Il va ouvrir le chalet. L'endroit lui plaît beaucoup, c'est cosy, c'est vert, c'est discret, rien que la vue des arbres lui fait du bien. Il ne sait pas ce que Jeff a prévu, peut-être juste du repos. Ça lui conviendrait tout à fait. Il va chercher les affaires dans la voiture et les ramène dans le chalet. Il ouvre une première chambre, pose les affaires de Jeff, ouvre une seconde porte, c'est la salle de bain, une troisième les toilettes... Jeff arrive dans le chalet, Alonso se sent bête avec son sac sur l'épaule. Euh... Jeff... Y'a qu'une chambre ? demande-t-il étonné. Depuis le premier soir où Jeff était rentré, la relation entre les deux hommes était restée à une mutuelle confiance platonique. Rien de plus ne s'était passé. Jeff avait besoin de temps et Alonso aussi, mine de rien. La promesse qu'un jour, leur relation passerait peut-être à un stade supérieur avait curieusement suffit à Alonso. Il se calait sur le rythme de Jeff, rien ne pressait, ils apprenaient à s'apprivoiser de nouveau. Mais là... Son cerveau lui envoyait de nouveau des signes contradictoires. Euh... Le canapé est joli, mais ne me semble pas être convertible Jeff... Il pose son sac, s'approche pour vérifier, mais en effet, le canapé ne se déplie pas. Est-ce que c'était une erreur ou... Il se tourne vers Jeff pour savoir ce qu'il en était...

Tu regardes Cha-cha qui s'amuse à sentir le moindre arbre qu'elle trouve. Ça doit fuser dans sa tête de petit chien. Elle a déjà fait pipi trois fois aussi, alors qu'elle ne fait jamais autant quand vous êtes en ville, pas en si peu de temps. Sans doute que les odeurs sont partout ici et qu'elle a l'impression qu'elle doit indiquer à toute la faune des alentours que ce chalet lui appartient, ainsi qu'à son Papa et au monsieur qui lui donne des croquettes et des caresses. Tu prends aussi quelques affaires, comme ce n'est qu'un weekend, vous n'êtes pas bien chargés mais il fallait un peu de réserve.

A ton tour d'entrer dans le chalet, tu en es encore à regarder la petite cuisine qui donne sur le petit salon, dans lequel est inséré une petite table ronde en bois. Tout semble petit ici, comme un cocon. Tu pourrais t'y plaire. Tu reportes ton attention sur Alonso qui te dit qu'il n'y a qu'une chambre. Tu fronces les sourcils, un peu décontenancé, tu as pris deux chambres, tu en es certain. T'as pas regardé cette po-... Il a regardé et ce sont les toilettes. Tu refermes et tu fais toi même le tour rapidement pendant qu'il te dit que le canapé n'est pas convertible et qu'il n'est pas confortable. Tu sors ton téléphone en revenant dans le salon. Je regarde. Tu ne vas pas commencer à pester contre le site et ses fausses annonces si l'erreur vient de toi. Tu vérifies donc et quand tu as ta réponse, tu relèves la tête vers Alonso, tu ne sais pas si tu dois en rire ou s'il va mal le prendre et t'accuser de l'avoir fait exprès. Je me suis trompé. Je l'avais mis en favori puis je l'avais retiré car il n'y a qu'une chambre. Mais je crois que je l'ai pas enlevé et je l'ai confondu avec un autre... Après, si tu sais manier ton téléphone, tu fais des erreurs, ce n'est vraiment pas voulu et tu as peur qu'il le pense. Tu déglutis. Ce qui devait être un weekend relaxant rempli de doux moments commence plutôt mal. Tu prends les devants. C'est pas grave, je vais dormir dessus, ne t'inquiète pas. Le pire serait qu'il ne veuille pas rester. Tu as eu pas mal de relations où on ne supportait pas la moindre de tes erreurs alors tu tentes de te rattraper. Tu ne sais pas si tu dois en plus t'excuser, lui dire que tu dormiras dans la voiture s'il t'en veut un peu trop pour que tu dormes dans la cabane avec lui. Tu as rangé ton téléphone après avoir vérifié, tu serres les poings. C'est de ta faute car tu as dit que tu allais tout organiser et tu n'es pas capable de lui faire plaisir.

Alonso regarde Jeff ouvrir les mêmes portes que lui, regarde son téléphone. En attendant Al s’assoit sur le canapé en attendant le verdict tranquillement. Il n’est pas vraiment inquiet, il voit bien que Jeff s’interroge autant que lui alors l’hypothèse de l’erreur se vérifie. Ce n’est pas grave, au moins, ils sont fixés, l’erreur fait sourire Alonso. Ce qui l’alerte, ce ne sont pas les mots, c’est plutôt le ton de Jeff, il n’a pas l’air de s’amuser de la situation. Alonso se redresse et contourne le canapé pour se rapprocher de Jeff, il vient prendre ses poings fermés entre ses mains, signe de stress chez son ami. Il commence à le connaître, mais ne fait pas de commentaire, il aurait trop peur qu’il change ses habitudes et qu’il ne reconnaisse pas les futurs signes. Hey, mon Jeff, y’a pas de souci, je t’assure. On s’en fiche. L’endroit que tu nous as choisi est parfait. Je l’adore. C’est beau, c’est agréable, à l’abri des regards, ça me plaît beaucoup. Puis pour le lit, on est tous les deux des adultes, on peut dormir dans le même lit pour une nuit, ça ne va pas nous tuer. Mais si tu es inquiet, Jeff, c’est moi qui prends le canapé, d’accord ? Je dors partout tu sais bien, ce n'est pas un petit canapé qui va m'empêcher de passer un bon week-end avec mon colocataire préféré ! Alonso lui sourit doucement, tranquillement.

Alonso tente de désamorcer son ami avant qu’il ne se prenne la tête. La vitesse est son alliée dans ce cas. Il n’y avait pas raison de se prendre la tête pour un détail pareil. C’était trop bête, puis ça aurait trop dommage de partir d’un si bel endroit et le week-end était tellement le bienvenu. Combien de fois avaient-ils dormi dans le même lit sans rien faire à l’époque, des centaines de fois ! Allez, hauts les cœurs, tu veux un verre d’eau ? Alonso glisse jusqu’à la cuisine et serre deux verres d’eau du robinet. Il jette un œil à la chambre ouverte, le lit est un deux places classique, ni un queen, ni un king size, deux hommes de plus d’un mètre quatre-vingt, même si ni l'un ni l'autre n'était particulièrement gros, Jeff était même très mince, ils allaient forcément se toucher en dormant, alors il comprendrait très bien si Jeff lui demandait de prendre le canapé.

Les médicaments ne font pas tout. Ils aident, beaucoup, énormément même, mais ton comportement reste ancré et tu détestes toujours autant décevoir ceux qui comptent, penser avoir bien fait et finalement te rendre compte que rien ne va. Ce sont des émotions qui te viennent bien trop fortes et ton vase est trop vite remplie, déborde et te fait perdre les pédales, souvent ton bon sens aussi.

Alonso sait ce qu'il faut faire, il a du le voir lors de ses séances ou alors, il le savait déjà et applique juste quelques détails supplémentaires. Il est comme ta personne référente. Celle qui te rassure, que tu chercherais à appeler si il n'était pas présent à tes côtés. Tu as encore beaucoup de mal avec l'idée qu'il sacrifice une partie de sa vie pour toi, mais tu sais aussi que tu en as besoin. Alors là, maintenant, tu cherches à te calmer en écoutant sa voix, ses mots, le timbre qu'il prend et le sourire qu'il affiche. Des signaux qui t'apaisent et tu prends une grande inspiration. Il a raison, ce n'est pas très important au final tu aurais du t'en rendre compte par toi même. Je prendrai le canapé. Tu passes ta main dans ta nuque que tu masses brièvement, ce sera compliqué et tu as déjà un peu de mal à dormir parfois mais c'est ton erreur, tu dois faire avec. Parce que tu ne sais pas si l'idée de dormir avec lui est une bonne idée. Ni de ton côté, ni du sien. Tu as envie que ce weekend se passe sans encombre et surtout entièrement et c'est surement le meilleur moyen. Ah mais... Attends ! Tu souris, il semble que tu te sentes mieux à nouveau. Tu lui prends la main et l'emmène dehors, pas devant mais derrière, avec la petite terrasse, puis le jardin qui donne ensuite sur le beau et fier lac de Champlain.

Tu es resté sur la terrasse avec lui et tu observes la vue. Tu voulais lui montrer quelque chose mais elle est si belle que tu en profites quelques instants. Tu as hâte de voir le soleil se coucher ce soir et de l'admirer depuis la banquette de cette terrasse, d'admirer aussi ses reflets sur le visage du beau Alonso. Sinon, je prends quelques couvertures en plus, et je dors dans le hamac ! Tu lui montres du doigt. Tu te souvenais l'avoir vu dans l'annonce et il est là. Il te paraît plus confortable que le petit canapé et si tu t'emmitoufles comme il faut, tu devrais survivre à une nuit.

Al lève les yeux au ciel, pourquoi quand il lui propose deux solutions, Jeff en prend systématiquement une troisième ? Il est prêt à recommencer les négociation quand Jeff lui prend la main. Et les verres d’eau ? Al en attrape un juste en quittant la cuisine pour suivre Jeff. Ils passent derrière la maison et observent la vue. C’est vrai que c’est beau. Le soleil montant dans l’horizon éclaire encore d’une lumière blanche le feuillage qui s’agite légèrement et l’eau se trouble sous l’effet d’un coup de vent. Oui, il est vraiment bien cet endroit. Alonso boit son verre d’eau. C’est vrai que c’est mieux de le prendre ici qu’à l’intérieur. Mais apparemment ce n’est pas ce que Jeff veut lui montrer.

Alonso regarde le hamac d’un air perplexe. Jeff, tu es sûr qu’on a des couvertures en rab ici ? Enfin, tu me diras, je peux toujours faire l’aller-retour pour chercher des couettes à la maison… Alonso réfléchit. En moins d’une heure et demie, il serait de retour. C’est l’avantage. Je t’assure que le canapé me va bien sinon. C’est toi qui as besoin de sommeil. Il sait qu’il ne dit pas toute la vérité à Jeff, qu'il se sent vraiment fatigué, il sait aussi que si le canapé est trop petit et qu’il n’y est pas bien, il finira peut-être par dormir dans la voiture. Mais il ne va quand même pas faire dormir Jeff dehors…

Tu as toujours tes propres idées et parfois, tu n'écoutes pas les autres. Tu vas devoir sans doute travailler là dessus parce qu'il peut s'avérer frustrant pour les autres de ne pas se sentir écouter. Mais l'idée du hamac t'es venue d'un coup et tu n'as plus pensé qu'à cela. Tut e vois bien dedans, dans des couvertures. Tu ouvrirais les yeux et tu regarderais les étoiles jusqu'à que tu parviennes à t'endormir. Il ne fait pas si froid, tu songes à l'instant, comme vous êtes à l'extérieur. Tu ne pas perdre du temps et de l'essence ? C'est bête. On s'arrangera, on verra. L'idée qu'il te quitte pour un allé retour t'embête, parce que c'est inutile et que vous aviez peu de temps ici, à y réfléchir. Et puis, Alonso était celui qui devait le plus se reposer, même si lui penser le contraire.

Tu t'apaises en regardant la vue, tu te sens vraiment bien ici. Pas de pression du monde extérieur, pas de choses qui puissent te stimuler et te rendre nerveux ou angoissé, ou exalté d'un coup. Tu viens poser ta main dans le dos d'Alonso et tu lui caresses, ça te paraît juste naturel à ce moment, de le faire. Il y a même de quoi faire un feu. En tout sécurité évidemment, pas juste à même le sol. Tu commences à vraiment te sentir bien, tu songes aussi que Coco n'aimerait pas cette sortie. Elle dirait qu'elle est trop distinguée pour marcher sur les brindilles et avoir les mains sales. Dieu qu'elle te manque.

Le pharmacien capitule.  De toute façon, il ne veut pas y passer la journée. Ils verraient bien ce soir, chercheraient des couvertures dans le chalet tout à l’heure. La main de Jeff dans son dos lui fait du bien. Il hausse les épaules car cela lui provoque des petits frissons. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu ce genre de caresse et son dos noué pourrait rester comme ça des heures. Al essaie de profiter du moment présent, mais ce n’est pas évident de décrocher quand il a l’impression d’être en vigilance tous les jours de la semaine. Il ne s'en plaint pas, il l'a voulu et il sait qu'il finira par s'habituer. Il tourne la tête vers Jeff, source constante de ses inquiétudes et de ses joies, il a l’air bien, ça l'apaise. C’est vrai. Il doit y avoir du charbon pour faire des grillades. Alonso se rapproche du brasero éteint et regarde la vue, toujours son verre d’eau à la main. Il pose son esprit se perdant dans la vue du lac paisible. Il avait toujours aimé ce lac, même si son père l’obligeait à aller à la pêche, avec ses yeux d’enfants c’était juste ennuyeux, mais il comprenait mieux aujourd'hui, il y avait lui-même emmené ses enfants à l'époque où ils venaient le voir plus souvent. La plupart du temps c'était simplement pour la plage, quelques randos également. Il avait passé des souvenirs inoubliables autour de ce lac et maintenant il y venait avec Jeff.

Faut qu’on prévoie les menus d’ailleurs. J’ai vu sur la carte qu’il y avait une supérette à cinq minutes en voiture. T’as envie de quoi ? La pensée a traversé son esprit alors il l'a dite à voix haute, mais il n'y a pas d'urgence. Il prend le temps de fermer les yeux pour prendre une respiration, sentir l’odeur des arbres, de l’eau. L’atmosphère est détendue, le bruit des oiseaux, le soleil sur son visage... Il ré-ouvre les yeux. Merci pour ce week-end, Jeff. C'était une idée brillante. Il tend une main vers lui pour qu’il vienne la prendre, juste chercher un contact, même s’il est furtif, ce genre de petites attentions nourrissent le cœur fragile d’Alonso.