Les grands yeux bleus d’Emrys Heathcliff. Honnêtement, c’était surtout sa peau que j’avais toujours trouvée un peu pâle, sous ces cheveux d’un noir jais et ce visage aux airs funèbres. Ah ! Ce n’était pas le timing pour faire ce genre de plaisanterie. Je me tenais devant la photo du jeune homme surtout par curiosité, et parce que l’absence complète de souvenirs dont avait fait preuve ma mère lorsque je lui avais parlé du fils – sujet bien entendu sur toutes les lèvres et dans tous les médias locaux – m’avait laissé perplexe. Emrys et moi étions dans la même classe vers nos dix ans, nous n’avions jamais vraiment été copains, mais il était bien venu à une fête d’anniversaire, si pas deux. Ellen Hawkins avait ce don de ne pas savoir mentir, de quoi intéresser n’importe qui bien que cet évènement de commémoration donnait un peu froid dans le dos à première vue. Bon, eh bien. Je me détournais enfin de la photo, avant d’avoir les pieds ensevelis sous les fleurs que l’on venait poser en son honneur ou brûlés par les bougies ridiculement nombreuses qui s’allumaient – franchement, comment ne pas avoir l’impression d’être à des funérailles ? – et je m’éloignais sans trop savoir ce que j’allais bien pouvoir fabriquer dans les parages. Inconsciemment, je trouvais le chemin jusqu’au buffet, attrapant un muffin et… Ah ! D’autres âmes en peine. J’étais un peu surpris quand même, ces dames ne m’ayant jamais donné l’impression de se soucier autre mesure de quoi que ce soit… sinon que de leur nombril. Je toisais Blondie du regard quelques secondes à la dérobée tandis qu’elles approchaient un peu du buffet, puis aussitôt qu’elles étaient assez proches pour entendre leur conversation, je tournais la tête vers sa copine, Ji… quelque chose, qui venait d’énoncer quelque chose qui était à se tordre de rire. « Si j’étais toi, j’éviterais de lui faire confiance, surtout dans le domaine. » Confiais-je, après l'avoir entendu baratiner sur des thérapies... Mouais. Reagan était occupée à saluer un autre mec et pour ma part, je n’avais pas particulièrement d’amitié pour l’autre demoiselle, mais tout était mieux que de donner de l’attention à l’ex-mannequin. S’il fallait pour cela prétexter d’être ravi de faire copain-copain avec la colocataire... OK !

@Reagan Dewar @Jillian Hopkings

Eilin ne connaissait pas Emrys et encore moins sa famille. Elle avait toujours fui l’univers de la politique et on racontait beaucoup de choses au sujet de la famille Heathcliff, si bien qu’elle s’en tenait éloignée. Pourtant, elle était venue, sans trop savoir pourquoi. Dès qu’il y avait du monde, elle venait, car elle adorait les rassemblements divers, même si celui-ci n’était pas forcément des plus joyeux. Elle était en retard, non pas parce qu’elle s’était trompée d’heure comme cela lui arrivait parfois, mais l’un de ses chats était malade et avait vomi dans toute la cuisine, si bien qu’elle avait dû nettoyer rapidement avant qu’il ne prenne l’envie à son camarade de se rouler dedans. Et puis elle ne voulait pas venir les mains vides, elle avait entendu dire qu’un buffet serait organisé, il faudrait donc apporter quelque chose pour se donner bonne conscience. Malheureusement, Eilin était une très mauvaise cuisinière en dehors des gâteaux rigolos pour sa fille et elle ne pouvait décemment pas en confectionner un pour l’occasion. Une fois le seuil de la porte franchi, elle fut littéralement attrapée par une silhouette familière qui se jeta presque sur elle pour la saluer. Reconnaissant un visage ami, elle s’exclama « Oscar ! Oh, je suis contente de te voir » avant d’écarquiller les yeux et de rajouter « Oups, il faut peut-être parler à voix basse, dans ce genre de cérémonies » elle rentra la tête dans ses épaules, comme pour faire croire que ce n’était pas elle qui venait de crier. Mais Oscar s’intéressait déjà au plat qu’elle apportait, il souleva sans se gêner un coin du papier pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. D’autres en seraient outrés, mais pas Eilin. « Oh, ce n’est pas grand-chose, je ne sais pas vraiment cuisiner ! J’ai juste fait un pain de maïs, c’est une recette qui me vient de ma mère » expliqua-t-elle tandis que ses joues rosissaient légèrement. Elle n’avait plus grand-chose de sa mère, désormais, mais elle avait toujours gardé cette recette. Alors elle se dirigea vers le buffet pour déposer le plat et attendre la suite des événements. « Comment vas-tu ? Et Emily ? » demanda-t-elle quand même avec curiosité.

@Oscar Kidd  

Il s'agissait, en quelque sorte, d'une promotion. Une occasion de faire ses preuves et - pourquoi pas - de se voir confier d'autres sujets, autrement plus intéressants que ceux qu'il lui avait été donné de couvrir jusqu'ici. Quelques semaines auparavant, elle se serait félicitée de cette chance qui lui était offerte : remplacer au pied levé son collègue de Burlington Free Press, responsable de la rubrique dédiée à l'actualité politique locale. Se voir offrir une tribune pour évoquer la Rose et ses agissements, toujours plus sombres, était une chance inespérée. Et qui mieux que Faith pouvait s'acquitter de cette lourde tâche ? Son statut d'enfant du pays, sa relation particulière avec la secte qui lui avait subitement arraché sa mère alors qu'elle n'était qu'une enfant et sa connaissance de tout ce qui touchait de près ou de loin à ce sujet faisait d'elle la candidate idéale - autant d'éléments qui n'avaient probablement pas échappé à sa rédaction. Seulement voilà. Ces deux derniers mois, la journaliste n'avait pas ménagé ses efforts pour combattre son obsession. Croire qu'il existait bel et bien... autre chose, pour elle. Autre chose que la Rose. Aussi, c'est le coeur battant et la gorge nouée qu'elle finit par pousser la porte de la petite salle des fêtes, accompagnée de son collègue photographe. Comme elle s'efforçait de fuir le regard bleu d'Emrys Heathcliff qui semblait la toiser depuis le mur d'en face, Faith préféra reporter son attention sur le petite groupe qui se pressait autour du petit buffet. Elle n'avait rien apporté et s'en sentit coupable - avant de se rappeler qu'elle n'était pas là en tant que qu'administrée mais bien en tant que journaliste. Armée d'un calepin et d'un stylo, elle commença à déambuler lentement parmi la foule, à la recherche de quelques visages connus - sans trop savoir si elle désirait ou redoutait les conversations personnelles. Au loin, il lui sembla apercevoir Jamie, en compagnie d'une femme dont le visage ne lui disait rien. L'espace d'un instant, elle envisagea d'aller le questionner concernant l'avancée de l'enquête avant de se raviser. L'intervention des journalistes étaient rarement la bienvenue dans ce genre de moments douloureux. Mieux valait se tenir à l'écart en attendant l'intervention du maire - qui, elle l'espérait, ne saurait tarder.

Jamie ne serait peut-être pas venu sans Grace pour l’y pousser. Oh pas directement, non. Sa proximité avec le Maire, l’évidence de sa présence pour le soutenir suffisent. Il serait bien rester chez lui avec son petit garçon, loin de tout ça, de la foule dans un lieu confiné, d’un discours qu’il appréhende, mais bien sûr il savait dès le début que Grace serait là et qu’il ne pourrait se résoudre à ne pas l’accompagner. Le voilà qui la suit en l’écoutant parler de tarte, bien content que sa rancoeur envers une vieille ménagère retraitée détourne son attention de l’anxiété qui lui tord le coeur. « Je ne crois pas que beaucoup de gens aient faim. » Oh vraiment ? C’est ce qu’il croit, espère même, dans sa bienveillance naïve qui le rattrape parfois. Comme lorsqu’une ville est tenue en haleine par le dilemme d’un père privé de son fils. « Une apple pie délicieuse qui vaut dix fois plus qu’une pauvre salade. » Qui opterait pour une salade face à un dessert ? Jamie arrive encore à se poser ce genre de questions, comme si c’était la chose la plus absurde à l’heure actuelle. De la même façon, il parvient à sourire tendrement aux pics qu’adresse Grace envers sa rivale du jour. Parce que ce pan de sa personnalité l’amuse autant qu’il le charme. Au point qu’il s’intéresse à son tour aux muffins du jeune homme qu’elle semble connaitre. Lui doute. Encore un visage que son ancienne fonction rend familier. Et il n’a pas particulièrement envie de manger. Même pas du tout. Mais quand son regard croise aux hasards deux nouveaux arrivants, Stanhope et Parsons, en parfaite synchronie, sa main attrape un des gâteaux. Il ne sait pas encore s’il arrivera à avaler quoi que ce soit, ce n’est qu’un réflex pour détourner son attention de ces deux-là. « hm hm... J’espère que tout ce monde ne sera pas trop touché par ce qui sera annoncé… » Lui le premier. Si Grace n’a pas encore remarqué les présences plus gênantes, le regard de Jamie doit le trahir. « Tu connais les Stanhope ? » D’un ton qui sous-entend qu’elle connait toute la ville, mais les lèvres trop pincées pour que la question paraisse vraiment innocente. C’est que, quitte à choisir… Oui, il ira volontiers se ridiculiser une seconde fois auprès du propriétaire du Snow Rose si ça lui permet de s’éloigner du buffet et de la quiche sur le point de le rejoindre. Jusqu’à ce qu’il aperçoive Faith, semblant attirée par le buffet avant de se rappeler ne rien avoir à y déposer. « Je te présente ? Tu pourras lui parler du Maire et moi, profiter d’un visage agréable. » Il l’entraine jusqu’à la journaliste, un peu fier de lui faire voir que lui aussi connait quelqu’un d'important. « Faith ! On ne te dérange pas ? » Le calepin et l’acolyte photographe ne lui ont pas échappés. « Je suis content que ce soit toi… C’est mal ? » Que ce soit elle qui couvre l’évènement. Il espère toujours qu’elle s’en tire mieux que lui dans leur obsession commune pour cette Rose empoisonnée, et en même temps… que ce soit elle qui tienne la plume le rassure. « Oh, je manque à tous mes devoirs. Voici Grace… Fordham. » Prononcer ce nom lui noue la gorge alors que le rose a ses joues en dit sûrement plus long sur qui elle est pour lui que tous les mots restés coincés.