Je n'ai pas besoin que tout soit parfait, j'aime le désordre d'un bonheur spontané.
«
Tu vas devoir me le donner le collier maman ? »
Assise sur les genoux de sa mère, la jeune Sophia, du haut de ses 9 ans, tenait entre ses doigts la jolie pierre rouge accrochée au pendentif qui entourait le cou de sa génitrice. Sa mère pencha sa tête sur le côté, d’un air surpris.
«
Je sais que c’était à mamie, et qu’elle te l’a donné à l’hôpital » fit la jeune enfant avec sa voix innocente.
Sophia était très intelligente pour son âge, et dotée d’un très bon esprit de déduction. Aussi, elle était déjà fortement intriguée par ce bijou lorsque sa grand-mère le portait. Elle avait senti qu’il y avait quelque chose de plus que la simple beauté de l’objet, elle avait eu l’intuition d’une espèce de force, d’une forme de pureté autour de lui. Elle voulait être comme sa maman et sa mamie, être aussi forte, élégante et intelligente qu’elles. Peut-être que tout cela était grâce à la petite pierre rouge ?
«
Mais tu perds tout ma chérie… » plaisanta sa mère en tapotant sa tête délicatement.
La jeune enfant fronça les sourcils, visiblement vexée par la remarque de sa mère.
-- -- -- --
«
Surtout on bouge pas, on reste là et ça va le faire ! »
Les deux camarades étaient terré-es dans un coin de l’entrepôt, essayant tant bien que mal de retenir leurs respirations saccadées. Sophia tenait son sac bien contre sa poitrine, fermant les yeux pour essayer de se calmer. Il fallait qu’elle fasse abstraction de tout pour revenir à un rythme cardiaque normal. Elle pouvait sentir contre elle la pointe de la pince à câbles, à la limite de perforer et le sac et sa peau. En rouvrant ses paupières, elle vit au loin des flash de lumières et des voix d’hommes. Sophia mordit sa lèvre inférieure. Si elle se faisait choper maintenant, elle pouvait dire adieu à l’école de ses rêves et ses projets professionnels. Qui assermenterait quelqu’un dont l’occupation principale de ce samedi soir est de saboter les câbles d’alimentation générale des entrepôts de grandes multinationales polluantes et non respectueuses des droits des travailleurs ? Elle échangea un regard avec saon partenaire de luttes, iels étaient safe ici. La sécurité n’allaient pas les trouver dans ce recoin poussiéreux, étroit et sombre. On aurait pas juré que deux personnes pourraient tenir là dedans.
C’était la première fois qu’elle avait failli de repérer toutes les caméras d’un lieu d’opération. Elle s’en voulait d’avoir mis en danger la personne qui l’accompagnait. La tension était palpable alors que les gars de la sécurité faisaient régulièrement des tours non loin d’elleux. Elle avait compté, ils patrouillaient toutes les 45 minutes.
Quelques heures plus tard, vers cinq heures du matin et après des calculs plus qu’imprécis, les deux camarades se dirent en silence qu’il était le moment de sortir de leur cachette. Iels empruntèrent la même petite porte par laquelle iels étaient rentré-es, probablement une sortie de secours et s’engouffrèrent par le petit bout de grillage sectionné grossièrement par les soins de Sophia.
«
Maintenant on court le plus loin possible ! » s’écria t-elle.
Et iels coururent pendant les dix minutes les plus longues de la vie de Sophia, qui n’est pas du tout une sportive ni en bonne condition physique malgré ses 21 ans. L’air lui manquait et son cerveau bourdonnait. Plus que quelques mètres et iels arrivèrent à la voiture. Iel l’ouvrit et les deux se jetèrent à l’intérieur avant de fermer à clef l’automobile.
«
Mais putain quel enfer! » s’époumona t-iel.
Sophia peinait à reprendre son souffle. Elle avait mal aux oreilles d’avoir couru dans le froid et l’humidité de l’aube, sa tête tournait et elle avait trop chaud. Saon camarade lui serra la main, lui demandant si elle pouvait l’entendre, si elle avait besoin de quelque chose. Elle était devenue toute blanche, ne parlait plus.
«
Je suis désolée pour la caméra... » fut la seule chose que Sophia pu sortir de sa bouche après avoir semblé absente de son corps pendant dix longues minutes. Iel mis le contact et commença à rouler. Doucement, iel posa sa main sur la sienne sans que son regard ne quitte la route. Sophia fut surprise de ce geste affectueux mais ne bougea pas d’un centimètre. Elle n’avait jamais pensé que leur relation dépassait le simple stade de camarade de lutte. Peut-être que les 400 coups qu’iels faisaient ensemble avaient fait germé une amitié sans qu’iels ne s’en aperçoivent.
«
Le principal c’est qu’on l’a complètement ruiné, ça va mettre des mois à redevenir fonctionnel, on peut être fièr-es de nous Sophia. »
Iels échangèrent un regard entendu, iel retira sa main pour la remettre sur le volant.
«
Oui, et puis quand il faudra on y retournera. » fit-elle en regardant au loin le maudit entrepôt.
-- -- -- --
Sophia est une conductrice calme, qui respecte les limites de vitesse et qui n’insulte et ne klaxonne jamais les autres conducteurs, même quand ils mettent sa vie en danger. Elle qui est d’ordinaire si impulsive sait garder une composition impeccable au volant. Elle a en réalité très peur de conduire. Déjà, elle a du mal à atteindre les pédales à cause de ses petites jambes. En plus de cela, elle a eu un accident de voiture quand elle était petite avec son frère et ses parents parce que les deux terreurs chahutaient trop sur la banquette arrière. Rien de trop grave n’est arrivé mais les deux s’en sont toujours voulu. Sophia est restée traumatisée de cette expérience, si bien qu’elle n’autorise pas un bruit dans son véhicule dès qu’elle prend le volant.
Peu rassurée sur la quatre voies, dernière ligne droite qui allait l’amener à Chicago, autrement dit sa nouvelle vie, elle essayait de ne pas trop penser à ce qu’elle laissait derrière elle. Jetant un coup d’œil à l’arrière de la voiture, elle angoissait à l’idée de devoir défaire tous ces cartons, sachant pertinemment qu’ils allaient rester au moins six mois dans sa nouvelle maison sans qu’elle puisse trouver la foi de les déballer entièrement. C’était son trait de personnalité le plus impossible à vivre. Cette flemme. Ce désordre ambiant. En regardant les cartons, elle pensait à Amber. Elles avaient tellement pleuré en les faisant, de rire à cause de toutes les breloques que Sophia avait accumulé depuis 29 ans, et de tristesse de devoir se séparer bientôt…
Face à la route, elle se rappelait de leurs meilleures frasques ensemble, du plus jeune âge à la plus récente, lorsqu’elles s’étaient données rendez vous à trois heures du matin pour caillasser la voiture du dernier mec décevant en date de Sophia et qu’elles s’étaient faites presque prendre. Elles avaient quand même eu le temps d’égratigner la peinture de toute la portière droite avant, avec en prime d’y graver des petits mots bien orduriers comme elles savaient si bien faire. Justice avait été rendue…
Elle souriait en y repensant, la gorge serrée et une petite larme roula sur sa joue. Elle se dit qu’elle aurait du inviter son frère ce soir là, ça lui aurait bien plu. A ce moment, sa gorge se serra un peu plus fort. Comment allaient-ils faire séparés les uns des autres ? Est ce que ça allait le faire ? Sur qui allait-elle veiller maintenant ?
Au loin elle aperçut un petite tâche noire sur la route. Quelques voitures faisaient des petits écarts pour l’éviter. Plus elle se rapprochait, plus la tâche noire prenait des contours plus nets… De.. Un chaton ?
«
Un chaton au milieu de la route? » Sophia ouvrit grand la bouche, son sang ne fit qu’un tour. Elle se gara immédiatement sur le bas côté, en prenant soin de mettre ses warnings. Elle sortit de la voiture en panique, se rendant compte qu’elle s’était arrêtée sur le bas côté de l’autoroute. Les voitures filaient à toute allure et ne prenaient même pas le temps de ralentir en voyant sa situation.
Elle s’approcha de la petite tâche noire. C’était un si petit chaton… Il miaulait du plus fort qu’il pouvait. Dès qu’il vit qu’elle s’approchait de lui, il avança dans sa direction. Une seconde après, elle était dans la voiture avec lui. Elle l’avait posé sur le siège passager avant, entre deux cartons. Les deux se regardaient. Le chaton était visiblement rassuré d’être dans un endroit clos puisqu’il ronronnait en plissant les yeux.
Sophia secoua sa tête pour reprendre ses esprits, il fallait qu’elle reprenne la route et elle réfléchirait plus tard à ce qui venait de se passer, et à ce qu’elle allait faire du petit chaton.
Elle attendit que la route soit calme pour s’y engager à nouveau. Quelques minutes après s’être relancée, bien remise en chemin, elle sentit une petite boule toute chaude se blottir contre son ventre, sur ses genoux. Elle regarda le petit chaton tout noir, enroulé contre elle. Sa chaleur et la vibration de son ronronnement l’apaisa instantanément.
«
Petit câlin sur la route… okay. » murmura t-elle dans un sourire en reposant son regard sur la route.
-- -- -- --
Après une très longue journée de travail, avec un des dossiers les plus lourds qu’elle ait jamais eu à traiter, Sophia n’avait qu’une seule envie : rentrer se blottir contre Câlin, son joli gentil chat noir, et souffler un peu. Sortant du cabinet d’avocats, elle pressa le pas en pensant à cette idée. Elle n’habitait pas loin de son lieu de travail, ce qui était une aubaine pour elle qui était toujours en retard. Sa maison était très petite, mais avait beaucoup de charme. De toute façon, elle aimait les petits espaces. C’était plus chaleureux et ça l’aidait à lutter contre l’accumulation de bibelots.
Arrivée devant sa porte d’entrée, alors qu’elle enfonçait sa clef dans le trou de la serrure, la porte s’ouvrit sans avoir eu besoin d’être enclenchée. Sophia s’avança en fronçant les sourcils, sentant l’adrénaline monter en elle et son corps se préparer au combat.
«
Ah tu es là ! »
Elle reconnut la voix de son compagnon, puis entre-aperçut sa silhouette dans l’encadré de sa chambre. Il avait l’air un peu confus, comme un gosse qu’on avait surpris là où il n’était pas sensé être. Elle était contente que ce ne fut que lui, son partenaire depuis déjà 6 mois et pas un inconnu en train de voler ses sous-vêtements, ou pire : un inconnu venant s’en prendre à Câlin ! Elle sentit son corps se détendre, sans pour le moins être capable de calmer une petite tempête intérieure.
«
Qu’est ce que tu fais là ? » demanda la petite rousse d’un air inquisiteur.
«
J’ai perdu ma montre hier, j’en ai besoin pour mon service de cette nuit. » répondit-il l’air de rien.
Son air nonchalant rendit Sophia perplexe. Elle sentit Câlin se frotter à sa jambe, relaxant tout son corps d’un coup. Alors qu’elle se baissa pour offrir des caresses à son plus fidèle ami, elle lança à son partenaire bipède :
«
Non mais, je veux dire, comment es-tu entré ? Tu n’as pas de clef. »
Il sortit un jeu de sa poche. Elle leva un sourcil d’étonnement.
«
Si regarde, je suis allée m’en faire une l’autre jour, tu m’avais dis que ça serait plus pratique l’autre matin avant de partir au travail. »
Elle pencha un peu la tête sur le côté en plissant les yeux. Elle se rappelait de cette pseudo-conversation. Elle n’aimait pas laisser sa maison ouverte pendant son absence, et elle partait toujours très tôt le matin en laissant Antoine dormir. Elle avait dit ça en l’embrassant rapidement avant de partir alors qu’elle le pensait toujours endormi, un peu comme lorsque l’on pense à voix haute dans l’urgence, car elle était bien sûr en retard. Mais quand est-ce qu’il avait pu aller faire ce double ? A vrai dire, elle laissait ses clefs traîner un peu partout lorsqu’elle était chez elle, peut-être avait-il…
Son train de pensées fut interrompu par un miaulement de Câlin. Elle se releva puis, alors qu’elle se dirigeait machinalement vers la cuisine, Antoine lui attrapa le bras puis l’attira vers lui pour l’embrasser.
«
Bonjour, sinon. » il chuchota entre ses lèvres. «
Tu m’as manquée comme un fou aujourd’hui... »
Elle tenta d’entourer son corps avec ses bras pour l’enlacer réciproquement, ce qui les fit rire. Sophia avait vraiment l’air toute petite contre lui, si grand, bâti comme une armoire à glace. Elle se laissa aller dans ses bras, gagnée par la fatigue. Il la serrait contre lui comme elle aimait, c’est à dire presque trop fort avec peu de place pour s’échapper. Il la berçait tout en continuant de la serrer, couvrant sa tête de petits baisers. Le moment était doux, faisant à Sophia l’effet d’une bonne dose d’endorphine.
«
Tu es contente pour les clefs ? Ca sera plus pratique maintenant. » murmura t-il dans ses cheveux, en caressant son dos.
Elle ferma les yeux, apaisée par l’emprise de son corps sur le sien. Elle aimait les espaces confinés, s’y sentait en sécurité.
«
Oui oui, très bien. » fit-elle à moitié absente. Elle était trop fatiguée pour conscientiser quoique ce soit, et leur corps réchauffés par la proximité la faisait glisser dans une douce torpeur.
«
Petite sieste avant d’aller dormir ? » lui dit-il en rigolant doucement, voyant qu’elle s’était assoupie.
«
Petite sieste avant d’aller dormir. » marmonna Sophia, se sentant transportée vers la chambre, dans un état de somnolence.
Câlin miaulait toujours, pauvre petit chat qui n’avait pas mangé depuis ce matin.
-- -- -- --
La jeune femme déambulait dans les rues adjacentes à son quartier. Elle avait passé la soirée au bar avec ses collègues du cabinet, des personnes dont elle n’était pas forcément proche mais dont elle appréciait de temps en temps la compagnie. Sortir de sa maison lui avait fait du bien. L’endroit lui était devenu un peu oppressant ces derniers temps, surtout depuis qu’Antoine avait perdu son emploi et qu’il passait beaucoup de temps chez elle. L’esprit un peu désinhibé, elle repensa à ses paroles avant qu’elle ne parte il y a quelques heures… «
Ne rentre pas trop tard, je n’aime pas rester tout seul ici dans ce bordel. »
Elle n’avait pas relevé. Elle avait eu envie de répondre encore une fois que s’il n’était pas content il pouvait rentrer chez lui, mais il se serait encore vexé et elle aurait eu droit à un silence assourdissant pendant des jours ou une crise de nerfs l’empêchant de quitter les lieux. Elle s’était juste excusée avant de partir. En y repensant, elle était frustrée de lui avoir dit cela. Sa maison n’était pas si en désordre que cela, pour une fois, et aux dernières nouvelles, il ne payait pas de loyer. Même s’il passait sa vie là bas.
Plusieurs fois ces dernières semaines elle sentait que ses sentiments pour lui diminuaient. Mais comme d’habitude, elle n’arrivait pas à avoir le courage d’en parler. De toute façon, ce n’était pas le moment. Il venait de se faire virer, il était mal dans sa peau, il était dans une mauvaise période… Mais ses comportements à son égard devenaient pesant pour Sophia. Elle était devenue à moitié étrangère dans sa propre maison, faisant attention à tous ses gestes et paroles pour ne pas le déranger.
Une image lui revint en tête brusquement. C’était la fois où il était allé trop loin. Elle caressa l’endroit de son bras qu’elle avait du couvrir il y a tout juste trois semaines pour cacher un hématome de la même taille que la poignée de son compagnon. Un vendredi soir comme celui ci où elle avait décidé de sortir avec les collègues, il avait décrété qu’ils devaient passer la soirée ensemble, sous prétexte qu’ils ne s’étaient pas vus de la semaine. Elle se rappelle de la sensation alors qu’elle allait passer la porte, lui la retenant de toutes ses forces, la douleur conséquente de sa poigne, la détermination dans ses yeux : elle était restée.
Sophia inspira profondément en repensant à ce souvenir, essayant de le chasser tant bien que mal, mais son alcoolémie ne lui permettait pas de s’en échapper. C’était comme si son cerveau en profitait pour lui faire comprendre que quelque chose n’allait décidément pas. Elle sentait une agitation au plus profond d’elle même, comme si ses entrailles lui disaient de… fuir ?
Elle arriva au pied de sa maison. Elle fixa un point au hasard sur la porte en vieil acajou pour se concentrer et ne pas paraître trop alcoolisée. La porte s’ouvrit en grand fracas.
«
Putain je t’avais dis de pas rentrer trop tard ! »
Antoine l’entraîna à l’intérieur de la maison et referma aussitôt la porte. Sonnée, Sophia ne dit mot. Une odeur de whisky flottait dans l’air. Antoine était planté devant elle, ils étaient toujours dans la hall d’entrée. La tête baissée et les yeux fermés, il se tenait l’arête du nez en soupirant. Il avait l’air d’avoir ruminé pendant des heures et elle savait qu’elle allait passer une mauvaise fin de soirée. Elle restait silencieuse. Il releva la tête, se positionnant bien au dessus d’elle d’un air menaçant et pressé.
«
T’as rien à me dire? »
Elle sentit l’haleine alcoolisée de son compagnon et ne pût s’empêcher de froncer les sourcils, gênée par l’odeur. Il posa non sans brutalité ses mains sur ses épaules et la secoua un peu.
«
Eh t’es devenue débile ou quoi ? »
Sophia, désabusée de la situation regarda autour d’elle. Elle vit une bouteille de whisky sur la table, à moitié descendue. Il avait trop bu. Encore. Elle chercha des yeux Câlin, sentant monter l’angoisse de la mère qui a perdu de vue son enfant au supermarché.
«
Où est Câlin ? » demanda t-elle d’une petite voix.
Antoine prit un air outré. Il la lâcha et alla s’asseoir dans le canapé en respirant fort pour bien signifier son état de frustration. On aurait dit qu’il essayait de contenir quelque chose qui était prêt à éclater. Sophia n’y prêta pas attention, sa priorité était de trouver Câlin. Ce n’était pas normal qu’il ne réponde pas quand on l’appelle, ce que Sophia avait déjà fait plusieurs fois depuis qu’Antoine avait libéré son chemin. Son bol de croquettes n’était pas vide, c’était étrange, lui qui ne la laissait jamais remplie plus de 10 minutes. Inquiète mais rationnelle, elle se mit à chercher partout. Elle entra dans la salle de bain, fouilla les placards et regarda sous le lavabo : pas de Câlin. Elle retourna dans le salon et retourna tous les fauteuils. Elle s’approcha du canapé où Antoine était assis pour soulever le plaid en boule à côté de lui.
«
Décale toi un peu s’il te plaît je voudrais... »
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il la poussa violemment. Dans sa chute, elle heurta la table basse sur le coin de sa tête. Elle sentit une douleur sourde et ferma les yeux.
Quelques secondes plus tard elle les rouvrit, à terre, sentant un battement dans son crâne qui partait de l’endroit où elle avait reçu le choc. La jeune femme ne se releva pas tout de suite, comme si elle était absente de son corps. Elle n’était que douleur et confusion. Peu à peu, elle réalisa. Il l’avait poussée. Elle était tombée. S’était cognée la tête. En se redressant sur son coude, elle passa sa main droite dans ses cheveux. C’était humide. Odeur cuivrée. Du sang. Ralentie par la douleur et sans doute par ses émotions contradictoires elle restait par terre, complètement sonnée.
«
Mais putain mais lève toi ! »
Elle se sentie soulevée. Il la relevait toujours par le bras droit... Elle allait encore avoir des bleus, pensa t-elle, d’un air distrait. Elle n’était devenue qu’une marionnette entre ses mains, son esprit ayant décidé d’aller autre part. Mais où était Câlin ?
Alors qu’il la secouait en criant à quel point elle le décevait, elle se demanda de quoi ils avaient l’air d’un regard extérieur. Si elle avait vu ça dans la rue, où chez des ami-es à elle, elle serait intervenue, se serait mis entre eux deux. Elle aurait même pu frapper Antoine, si seulement ça n’avait pas été elle qui avait besoin d’être secourue. Secourue…
Son corps frêle s’écrasa cette fois ci contre le mur qui séparait le salon et la chambre. Il devenait fou alors qu’elle semblait être devenue muette. La claque qu’il lui avait mise lui avait fendu la lèvre, elle pouvait le sentir au goût cuivré qui avait pris place dans sa bouche. Le coup avait été tellement lourd qu’elle avait traversé la pièce. A la vue du sang, Antoine recula, comme s’il avait regagné un semblant de lucidité. Les deux se dévisagèrent alors que Sophia se passa la main sur la bouche par réflexe, pour sentir sa blessure.
Le visage d’Antoine se radoucit immédiatement, il avait l’air inquiet.
«
Je… Sophia, je… »
Il s’approcha d’elle, l’enlaça, caressa sa tête en s’excusant. Il embrassait tantôt sa tête, tantôt ses joues, prenait le visage de la jeune femme entre ses mains, cherchant une réaction de sa part. Des larmes roulaient sur les joues de Sophia, mais ses yeux étaient vides. Il lâcha sa tête et décampa de l’appartement en un dixième de seconde.
Au moment où la porte s’était refermée, tout le corps de la jeune femme se mit à trembler violemment. Elle chercha son air, peinait à respirer convenablement, comme dans une sorte de crise d’hyperventilation. C’était comme si on l’avait sortie de l’eau après une noyade. Elle sanglotait, regardait partout autour d’elle, réalisant l’horreur de la situation dans laquelle elle s’était trouvée, se trouvait… Elle laissa tomber son corps doucement contre le mur, encore en proie à l’angoisse et à la tristesse, elle était désemparée. Elle mit sa tête entre ses genoux.
Elle sentit quelque chose la frôler doucement. Câlin était sorti de sa cachette et essayait de se glisser entre ses jambes pour atteindre son visage. Elle ne l’avait pas vu arriver. Il était sûrement caché depuis tout ce temps… Son poil était ébouriffé et collant à certains endroits. C’était du whisky. Son sang ne fit qu’un tour… S’en était-il pris à son animal ?
Elle reprit ses esprits en prenant Câlin dans ses bras. Il fallait qu’elle parte.
Après avoir pris quelques minutes pour rassurer son chat, elle prit une valise et entra en mode automatique. Il fallait prendre le nécessaire et décamper d’ici, de cette maison, de cette ville, de cette vie… De cette emprise. Elle avait vu beaucoup trop de familles venir la voir au cabinet pour des affaires similaires, et elle savait plus que bien comment l’issue de ce genre de relation ne pouvait être que tragique.
Elle devait partir cette nuit, tant qu’elle ressentait cette urgence de se sortir de là. Retourner aux sources, là où personne n’irait la chercher.
-- -- -- --