Il n’avait suffi que d’un message. Un petit message apparut sur le téléphone de sa fille, lu en une fraction de seconde, son regard indiscret se détournant rapidement de l’écran. Pendant un instant, elle s’était sentie coupable d’avoir franchi une limite, de s’être trop immiscée dans la sphère privée de sa fille. Ce jardin secret qu’elle défend avec tant d’ardeur depuis quelque temps, depuis qu’elle est une adolescente. Mais bien vite, la curiosité de Juliet avait pris le dessus. Son inquiétude aussi.

“T’inquiètes, j’amène tout ce qu’il faut.”

Un garçon lui avait amené ce message. Tim ? Tom ? Elle n’avait pas fait assez attention. Elle avait tenté, ensuite, de soutirer quelques informations à Jun. Elle connaît la plupart des copines de sa fille, mais les garçons… moins. Il y avait bien Justin dont elle avait intercepté le prénom, un jour. Cela faisait un moment qu’elle n’avait plus entendu parler de Billy… La blondinette se montrait évasive, secrète avec sa mère. Alors, Juliet essayait de ne pas se montrer trop curieuse, ne souhaitant pas que sa fille se braque et s’éloigne d’elle. Mais ce message. Qu’est-ce qu’il voulait dire par “tout ce qu’il faut” ? L’esprit de la mère s’était mis en route pour imaginer les pires histoires. Et s’il parlait d’alcool ? De drogue ? Des préservatifs ? Les trois ? Elle ne pouvait s’empêcher de garder un œil sur sa fille. Elle était même tentée de subtiliser le portable de sa fille pour fouiller dedans, mais l’adolescente ne le laissait plus traîner. Peut-être que Juliet avait posé trop de questions et éveillé les soupçons de sa fille… Heureusement, Jun avait dû lui demander l’autorisation de passer la nuit à l’extérieur. Chez une copine qu’elle lui a dit. Elle sait quand ça aura lieu.

Juliet a un plan. Elle ne peut imaginer rester à la maison à faire les cent pas en se rongeant les sangs. Non, il faut qu’elle découvre ce qui se cache derrière ce message. Ce qu’elle veut faire n’est pas très correct. Suivre sa fille. Elle ressent un peu de honte, Juliet. C’est pour ça qu’elle a décidé d’envoyer un message à son frère, à son jumeau. Partenaire de crime idéal. C’est ainsi qu’elle monte dans la voiture de Judson, lui adressant un regard un peu honteux, mais un sourire complice. « Ce qu’ils nous font pas faire, ces gosses, quand même… » qu’elle souffle.

   

Juliet ne peut s’empêcher de se faire du souci pour sa fille. Tout le temps. Depuis qu’elle est née. Comme si le fait de devoir l’élever toute seule, elle devait faire deux fois plus attention. Pour autant, elle n’a pas l’impression d’être une mère trop restrictive. Elle ne lui a pas interdit certaines activités parce que c’était trop dangereux par exemple. Peut-être a-t-elle été un peu control freak parfois, voulant savoir où était sa fille à chaque moment de la journée. Mais c’était normal, quand elle avait six ans. Aujourd’hui, Jun approche de ses seize ans. Une adolescente qui souhaite avoir plus de liberté et ne plus avoir sa mère sur le dos. Juliet prend de plein fouet la crise adolescente de sa fille. Encore plus quand elle découvre un message mystérieux sur son portable. Un message qui a stimulé l’imagination de Juliet, avec divers scénarios sur ce que ça voulait dire. Elle fut tentée de demander directement à Jun, mais elle se souvient de comment elle était, elle-même, adolescente. Sa fille l’aurait probablement envoyée baladée, évoquant certainement une violation de sa vie privée… Et elle se serait refermée comme une huître. Non, Juliet souhaite garder une bonne ambiance au sein de son foyer et préfère une méthode plus… discrète.

La voiture de Judson à peine arrêtée devant chez elle, Juliet grimpe à l’intérieur. « Hey. » Elle le salue, tout de même, en retour. La blonde n’imaginait pas faire ça toute seule, alors elle avait envoyé un message à son jumeau. Sans doute que dans l’urgence - toute relative - elle n’avait pas réellement bien exprimé le pourquoi du comment. Elle se crispe légèrement quand Judson évoque une fuite avec un amoureux. Elle pose un regard sérieux sur son frère. « J’espère pas… » Elle se tourne vers la route, attachant sa ceinture, déterminée à découvrir ce qui se passe. « On va à Burlington. » Apparemment, c’est dans un centre commercial de la grande ville du coin que Jun, des copines, et certainement ce mystérieux garçon allaient passer l’après-midi avant leur soirée pyjama. Elle se décide enfin à expliquer ce qui se passe à Judd’. « J’ai vu un message bizarre sur le portable de Jun, l’autre jour. Un message d’un garçon. » Elle lui répète l’intitulé du message, puis lui jette un regard en coin, attendant de voir ce qu’il en pense. « Dis-moi que je me fais pas de films, et que j’ai raison de t’entraîner avec moi là-dedans pour découvrir ce que ça veut dire. » Tout à coup, elle doute légèrement de son idée.

Une fois montée dans la voiture, Juliet indique à son jumeau la direction à prendre. Burlington. Judson opine du chef, sans savoir de quoi il retourne. Il prend la direction indiquée, prêt semble-t-il à emmener sa sœur où elle veut. La preuve d’une confiance aveugle entre eux. Confiance souvent ébranlée au fil des années, mais toujours présente apparemment. La blonde en a chaud au cœur, surtout qu’elle ne lui a pas raconté toute l’histoire ! Elle profite donc du trajet en voiture pour se montrer un peu plus précise. Il n’y a pas grand-chose à dire, à part ce message capter rapidement par le regard de la mère de Jun. Un simple SMS qui voulait tout et rien dire. Il y avait des tas d’explications à ces quelques mots, mais forcément, Juliet imagine le pire. Elle lève les yeux au ciel à la remarque de son frère. « Tout de suite les grands mots… Je veux juste m’assurer que ma fille ne craint rien. Et puis, il n’est pas question que Jun soit au courant… » Elle glisse un regard malicieux à son frère. Sur le fond, il n’a pas tort, mais Juliet ne souhaite pas être vue par sa fille. L’idée est de rester discrets…

N’empêche, tout à coup, Juliet doute. Surtout qu’elle entraîne avec elle Judson. Elle ferait mieux de laisser sa fille respirer, et arrêter de s’inquiéter - comme la jeune fille lui répète tout le temps ! Son jumeau tente de la rassurer. Il la suit. D’ailleurs, il n’arrête pas la voiture. La blonde regarde le paysage défiler, se mordant la lèvre inférieure, trahissant le doute qui grandit en elle. Et si Jun les démasque ? Elle serait furieuse et en voudrait terriblement à sa mère. Probablement moins à son oncle favori en revanche… « Bien sûr que j’ai essayé de savoir ! » Elle se montre un peu trop sur la défensive, tout à coup. Elle se radoucit rapidement. « Pas de façon trop directe… mais elle ne m’a rien dit. J’imagine qu’elles vont faire une après-midi shopping entre copines… et copains… » Elle jette un coup d’œil à son frère. « Jun est de plus en plus secrète, avec l’adolescence. C’est normal, je comprends. J’essaie d’aborder certains sujets, si tu vois ce que je veux dire, mais elle refuse d’en parler avec moi… Alors forcément, je m’inquiète, je me fais des films ! » Et Jun qui ne cesse de lui dire de ne pas s’inquiéter… Mais c’est plus fort qu’elle ! Elle n’arrive pas à se raisonner. Peut-être qu’elle devrait forcer la conversation.

Bien vite - trop vite - ils arrivent à Burlington et au centre commercial. Et maintenant ? Bonne question. Elle a pas vraiment prévu de plan, Juliet. « Et bah… » Elle se détache et regarde Judson. « On entre et on repère la cible, sans se faire repérer bien sûr ! » Elle se la joue tout à coup Tom Cruise, dans Mission Impossible. En plus grande et en plus blonde. « Allez 007, en piste ! » Elle sort de la voiture, scrutant le parking.

Juliet tourne la tête vers son frère, le regard ému par ses mots. T’as pas à te justifier. Encore une fois, il lui montre qu’il place en elle sa confiance. Et même si ce n’est pas grand-chose - elle ne lui demande pas de cacher un corps non plus - elle est touchée. Il la suit sans poser - trop - de questions. Il ne fait pas demi-tour, même si l’idée de la blonde n’est pas la meilleure de l’année. Espionner sa fille au centre commercial. Il y avait toutes les chances que ça foire car, question discrétion, ils ne passaient pas inaperçus les jumeaux Howell. Elle imagine tout de même qu’ils auraient moyen de se planquer dans un centre commercial ! Ils verraient bien le moment venu, comme dit Judson. Elle sourit, Juliet, tandis que son jumeau tente des arguments pour lui donner raison. « Ouais, elle avait qu’à me répondre, et puis voilà ! » Justification toujours aussi bancale du côté de la blonde, même si au fond, ça la rassure d’avoir un peu raison. Parce que si Jun s’était montrée honnête avec sa mère, celle-ci n’aurait pas besoin de partir en mission secrète comme ça. Les cachotteries ont tendance à réveiller la curiosité de Juliet. Elle réfléchit un instant à la question de Judd’. « Et bien… Je ne suis pas sûre que Louise soit la personne la mieux placée pour parler de garçons… » Juliet adore sa sœur mais sur ce point… Leur petite sœur est d’un romantisme et d’une naïveté à toute épreuve. Et elle est bien loin de pouvoir comprendre ce que vit une adolescente de nos jours, tout en sachant que Jun apprend à sa tante comme se servir de Snapchat ou Tik Tok… « Et maman… Peut-être, en tout cas, elle ne m’a rien dit. » Juliet imagine que leur mère lui aurait parlé si quelque chose de grave se passait, sinon… « Elle doit plus se confier à ses copines. Typique de l’adolescente. Des fois je me demande si ça aurait été plus facile avec un garçon… »

Arrivés sur le parking du centre commercial, les deux Howell sortent de la voiture. Juliet sent déjà le stress monter. Et s’ils tombaient déjà nez à nez avec Jun et ses copines ? Mais non. La blonde scrute les alentours à la recherche de la silhouette de sa fille, et fait chou blanc. Tant mieux dans un sens. Se faire repérer avant même d’avoir élaboré un plan, ça aurait été vraiment nul et là, adieu l’agence de détectives privés. Ça la fait rire, Juliet. Elle s’imagine avec son frère portant des impers beiges et d’un chapeau à la Sherlock Holmes. A moins que Judson préfère la moustache et la chemise hawaïenne de Magnum… Mais pas le temps de rire, les voilà qui entrent dans les lieux, toujours sur leurs gardes. Elle observe autour d’elle, réfléchissant aux endroits où sa fille pourrait aller. « Il y a une boutique qui vend du matériel pour l’observation des étoiles. Je l’ai emmené des tas de fois là-bas, mais est-ce que c’est un endroit où elle irait avec ses amies ? » Ne vont-elles pas préférer les boutiques de vêtements ou de maquillage ? Ils se penchent sur un plan du centre. La première chose dont elle prend conscience c’est que l’endroit est gigantesque ! Et il y a un monde fou ! Juliet pense même à faire demi-tour et à abandonner la mission, mais Judson ne semble pas se décourager. Elle lit les noms de quelques boutiques à l’endroit proposé par Judson. « Ça c’est un magasin de chaussons. Ils vendent des supers charentaises, si ça te dit ! » qu’elle lance en rigolant. « Jun n’y mettra pas les pieds, mais les autres boutiques peuvent peut-être l’intéresser. » Et là, elle réalise un truc. Elle pointe du doigt l’un des magasins sur le plan. « De la lingerie. Si je vois Jun à l'intérieur… » Elle n’ose même pas y penser. Bien sûr, elle sait que sa fille est assez grande pour porter des soutien-gorges, mais de là à porter de la lingerie… « Ok, allons-y et on verra bien ! » lance-t-elle en quittant le plan et en fendant la foule.

Pas sûre que les copines de Jun soient les mieux placées pour donner des conseils sur les relations amoureuses. Après tout, il s’agit aussi d’adolescentes… Parfois, Juliet pense à elle-même au même âge… Qu’elle avait pu être idiote, naïve, et tellement maladroite à l’époque ! Elle avait eu le cœur brisé à quelques reprises, mais il ne lui était jamais rien arrivé de grave. Elle espère que sa fille passera cette période agitée de la même façon, sauf que les deux époques sont bien différentes, et c’est ça qui inquiète le plus la mère. Au moins, elle peut se rassurer quand elle constate le caractère de sa fille. Elle ne semble pas être une suiveuse, étant plutôt du genre à réfléchir avant d’agir, mais voilà, l’amour rend aveugle, et stupide !

A l’intérieur du centre commercial, Juliet balaye l’endroit du regard. Les gens se pressent, l’endroit est bruyant. Ils pourront certainement passer inaperçus, finalement. Elle tourne le regard vers son jumeau. « Refais-le avec un p’tit peu plus de conviction ? Non parce que, y’a quand même peu de chance que Jun gobe ça ! » dit-elle en rigolant. La gamine, loin d’être une idiote, se douterait fort de l’excuse bidon. En même temps, c’était soit ça, soit dire tout de suite la vérité… La blonde ne préfère pas y penser pour l’instant. L’objectif est avant tout de trouver Jun, et après… ils aviseront ! Devant le plan du centre commercial, Juliet étudie les lieux, repérant quelques boutiques qu’elle connaissait. Ce n’est pas la première fois qu’elle vient ici. Elle réfléchit un instant aux copines de Jun. Il est tout à fait possible qu’elles se rendent dans la boutique d’astronomie. « On pourra toujours y jeter un œil, histoire d’être sûrs. » Après tout, ils sont là pour ça ! Même si l’ampleur de la mission se révélait bien plus importante que prévu… « Tu as trouvé son cadeau d’anniversaire on dirait ! » dit-elle, amusée. Au moins, elle peut compter sur Judson pour détendre l’atmosphère ! « Ils rigoleraient bien je pense… C’est pour ça qu’on leur dira rien ! » Les relations dans la fratrie Howell sont le plus souvent bon enfant. Il est clair que Sean et Andrew ne se priveraient pas de rire s’ils leur racontaient cette histoire ! Mais, ça n’arrête pas Juliet, qui veut en avoir le cœur net et être sûre que sa fille n’est pas ici pour acheter de la lingerie ! Arrivés devant la boutique, modeste, la blonde inspecte les lieux du regard. Pas de Jun, ni même d’adolescentes. Elle se sent légèrement rassurée, ils peuvent continuer leur périple, sauf que Judson se fait alpaguer par la vendeuse. Elle lève les sourcils tandis qu’il tente de la faire venir à son secours en lui demandant si elle veut quelque chose. Là c’est sûr, Sean et Andrew riraient à gorges déployées ! « J’ai ce qu’il me faut, merci. Mais peut-être que tu veux ramener quelque chose à Julia ? » demande-t-elle, l’air tout à fait innocent, faisant même quelques pas dans la boutique, détaillant quelques articles.