- En parlant de ça, je vais devoir vous laisser mesdames.
Abandonnant Astrée et Saeny, Pol avisa un groupe d'hommes qui discutaient un peu plus loin. Le temps était passé vite et son cadeau pour le mystérieux inconnu attendait patiemment dans son sac et à vrai dire, Pol avait envie tout de savoir de suite qui était ladite personne à qui il devait offrir son cadeau. Il n'avait qu'un nom et une très vague idée de qui ça pouvait être, mais n'était sûr de rien. S'approchant d'eux, il adressa un sourire au groupe d'hommes, interrompant leur discussion.
- Bonsoir. Je participe à cette histoire de cadeaux, et j'ai un cadeau à offrir à Nevil Baloney.
Attendant de voir lequel des hommes réagirait, il sortit entre temps le cadeau emballé et le tendit au concerné. Il avait eu du mal à l'emballer, tellement la pochette qui couvrait un vieux disque vinyle était grande. Il haussa les épaules, ajoutant avec un petit sourire.
- C'est pas grand chose vraiment, mais ça fait toujours plaisir. Joyeux Noël.

Spoiler:

Écharpe nouée à la va-vite, bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles et emmitouflée dans un vieux manteau de l'armée, je cours. Ou plutôt, j'essaie. J'ai noué mes lacets n'importe comment et j'arrête pas de tomber. Mais j'ai pas le temps pour ça, j'dois rejoindre au marché de Noël. Qu'est-ce qu'il fout là-bas, sérieusement ? C'est pas du tout son genre, cette ambiance, cet univers. Je l'imagine deux secondes assis sur les genoux du Père-Noël et j'étouffe un rire. Vraiment pas pour lui. Comme espéré, je ne mis pas plus de quinze minutes pour rejoindre la place. Et là, l'endroit avait tout l'être d'avoir été transporté en enfer. Une énorme colonne de feu s'élevait vers le ciel, et je compris qu'il s'agissait probablement de l'imposant sapin qui avait été installé spécialement pour l'occasion. Pol ne m'avait pas du tout prévenue que la situation était critique, ici. J'hésitais entre partir tout de suite et essayer de retrouver mon ami. L'effet de panique aidant, je me jetais dans la foule qui s'efforçait de quitter la place, hurlant sans relâche le nom de Pol.
- POOOOOL !
D'ici peu, j'allais devenir muette.  

Il y a Merle qui doit venir, et le sapin qui s'enflamme d'un coup, comme une grande torche géante. Pol, planté au milieu de la foule, qui n'a rien vu venir. D'un coup c'est la panique, il y a des gens qui crient, qui hurlent, qui courent partout et Pol se fait bousculer, emporter par la cohue de personnes en panique. Et il n'a plus envie de rire. Avant cette histoire de Rose Lunaire, c'était de la blague. Des idiots qui s'amusaient à envoyer des textos et à graver des messages sur les bancs. Mais ça va trop loin. Il y a les stands qui s'enflamment, les messages scandés tels des prophéties. Et puis il y a Merle, sûrement déjà partie de chez elle pour le retrouver. Dans le doute il envoie un message, viens pas Merlin, viens pas on se retrouvera jamais avec cette foule, et puis c'est dangereux tu vas te blesser il faut pas. Mais il a pas de réponse, à coup sûr elle est déjà là, quelque part au milieu de ces tarés qui poussent tout le monde, peut-être même déjà blessée par l'effet de foule. Pol, il se hisse sur la pointe des pieds, cherche dans la masse en mouvement une petite tête blonde, refuse de partir temps qu'il sera pas sûr qu'elle est en sécurité.

Le bruit est incroyable, inimaginable. Je crois que même Zola pourrait l'entendre. Les cris de frayeur de la foule crèvent le silence de la nuit, et le son infernale du brasier qui s'élève de l'ex-sapin ne parvient pas à masquer le message qui sort des haut-parleurs installés tout autour de la place. Ici, on est littéralement envahis par la Rose Lunaire. Je vois toujours pas Pol, et la masse qui tente de sortir d'ici me ramène encore et toujours dans les ruelles adjacentes. Alors, en longeant les murs gelés, je remonte le courant jusqu'à me retrouver près d'une cabane en bois, au toit recouvert de fausse neige. Comme si la vraie suffisait pas. Dans ma poche, mon portable sonne. Pol, bien sûr.
Viens pas viens pas ça commence à chauffer par ici !
Trop tard. Et je repars pas sans toi, Polo. Je baisse les yeux et avise une chaise abandonnée à côté de la cabane. Vite, je monte dessus et surplombe ainsi la foule. J'ose pas prendre le temps d'envoyer un sms à Pol pour lui dire où je suis, de peur de le manquer. A la place, je scrute la foule à la recherche d'un polo bleu, avec en dessous un grand gamin pour qui je m'inquiète comme jamais. J'agite la main et continue de hurler le prénom de Pol. Je vais le retrouver, on va sortir d'ici et aller s'enterrer sous les couvertures de son lit, et dormir, dormir, dormir, pour oublier tout ça.

Avec tout ces gens qui bougent dans tous les sens, les pompiers qui disent de dégager, les flics qui poussent sans ménagement, Pol y voit rien. Il croit voir, à plusieurs reprises, une tête blonde, qui disparaît au moment où il cligne des paupières. Est-ce qu'elle a les cheveux attachés, ou détachés ? Est-ce qu'elle a mis sa petite veste noire, ou son grand manteau couleur crème ? Est-ce qu'elle est en talons, plus grande, plus visible, ou en baskets, toute petite, toute vulnérable ? Il y a cinq, dix, quinze, vingt têtes blondes qui passent sous ses yeux, et aucune Merle, aucune Yaël. Pol se fait emporter par la foule, vers l'extérieur, bien loin du centre et du sapin en flammes où, à coup sûr, Merle est déjà et il a beau pousser, décaler, forcer, il se fait emmener toujours plus loin.
Puis d'un coup, il lève les yeux au-dessus de la foule, c'est furtif, rapide, ça dure quelques secondes mais il l'a vue, perchée là en hauteur, l'air de dire qu'est-ce que je fous là venez me chercher. Alors Pol réfléchit pas, il court comme un dératé vers elle, il fait pas gaffe aux autres autour, tant pis les gars c'est sa pote qui est là-haut. Arrivé à sa hauteur il lui prend la main, l'attire vers lui sans lui laisser le temps, sans être soulagé de quoique ce soit. ils sont pas encore sortis de là.
- Amène toi il faut qu'on se tire !