Géniteurs... Quel mot affreux ! Où étaient l'amour, la tendresse, le cadre qui devait être donné à tout enfant ? Cet ensemble si sécurisant qui faisait de l'enfance ce temps merveilleux où prédominaient les rêves et les jeux... Lui avait reçu tout cela -et tellement plus !- avec pourtant toujours ce vide à ses côtés. La chaise vide en face de lui, la brosse à dent unique, les corvées à faire seul et un fantôme trop présent dans le regard de ses parents à chaque fois que celui-ci se posait sur lui. Mais si lui avait souffert de l'absence de son frère, Van avait dû elle faire avec le vide parental. Une chose tellement plus terrible... Et que pouvait-il lui répondre, lui qui avait été si heureux... "J'ai eu un frère jumeau qui n'est jamais né. Ma mère a fait un début de rupture utérine et elle nous aurait perdu tous les deux si on ne l'avait pas avorté d'un. Pourquoi lui et pas moi, je saurais sans doute jamais..." Voilà, il avait opté pour la vérité avec l'étrange impression qu'il la lui devait. Parce que lui avait une famille. "Il n'a même jamais réellement existé, ce n'était qu'un amas de cellules même pas encore viable. Tout comme moi." Mais on disait que le cœur commençait à battre dès 21 jours... Son cœur battait, ses organes étaient formés et son cerveau peut-être aussi. Au moins autant que le sien... La perte d'un enfant, même pas encore né, même seulement en amas de cellules, pouvait vous fusiller une famille. Et peut-être encore plus sûrement lorsque celle-ci restait unie dans le drame... "Tu vas me trouver idiot mais j'ai toujours eu l'impression d'avoir une dette... Vis-à-vis d'un fantôme. C'est comme si je devais vivre pour deux." Au point de devoir parfois faire le grand écart pour vivre deux vies différentes en une seule.

Et une nouvelle fois il se sentait injustement privilégié face à Van. Et ce n'était en effet pas juste. Même si l'avantage à ne pas avoir de parents étaient que vous n'en aviez pas non plus les chaînes, invisibles et pourtant bel et bien réelles. "Au moins tu n'as pas à avoir des obligations envers des géniteurs. Et tu peux choisir ta famille, t'en créer une à toi... J'ai toujours eu un chien, Junior quand j'étais petit et maintenant Pete. Je punissais Junior quand j'étais puni, je lui retirais sa gamelle parce que... Il devait tout partager avec moi, surtout les punitions ! Mais je partageais aussi mon goûter. Et maintenant, je nourris trop Pete..." Un psy aurait certainement dit qu'il avait un rapport particulier avec la nourriture. Lui trouvait que c'était plutôt avec son chien. "Tu dois bien avoir des gens qui comptent pour toi ? Qui sont importants ? Ta famille, c'est là où tu places ton cœur..." Et il lui souriait tout en affirmant ça avec simplicité parce que le reste n'avait que peu d'importance finalement.

Et ce n'était pas plus mal de démarrer la journée de travail parce qu'il avait été très loin dans les confidences. Et sans doute bien plus loin qu'il ne l'avait jamais fait. Mais il avait découvert que c'était facile de s'ouvrir à Van, peut-être parce que son histoire résonnait de façon diamétralement opposée à la sienne ?... Sauf pour ce qui concernait l'attachement à ses compagnons sur pattes ! Là, ils étaient identiques ! "Les poilus, ce sont des chiens j'imagine mais Bebert ?... Ca fait pas vraiment chat..." Et il était curieux, alors qu'il la fixait cherchant à savoir à quel animal pouvait se référer un Bebert... Avant de confirmer ses dires au sujet de sa mère ! "Je suis bien d'accord avec toi ! Mais quand elle est en colère, il faut se mettre aux abris. Elle peut être terrible..."Malgré le fait que ses paroles transpiraient tout l'amour qu'il avait pour elle. Et qu'il se bagarrait dans le même temps pour ne pas faire tomber les boites d'aiguilles qu'il avait pris en main, avant de les donner rapidement à Van. "Tiens ! Je prends les flacons de désinfectant, ce sera plus sûr... Et pour le téléphone, tu demandes si c'est pour des renseignements ou un tatouage. Et si c'est un tatouage, si le dessin est déjà choisi ou s'il faut le créer, et à partir de là tu donnes un rendez-vous au salon. Soit pour réaliser le dessin, soit pour en discuter." Rien de bien compliqué donc, mais il alla au plus simple. "Tu m'observes faire les choses et quand tu te sens prête pour les faire, tu les fais ? Et pour ce qui est de tatouer, on le fera ensemble, hors de question que je te lâche comme ça sur les clients. Je te montrerai tout de A à Z, plusieurs fois, et je resterai à côté de toi pour chaque étape." Parce qu'il avait bien l'intention d'en faire une tatoueuse à son niveau !