« Je vous en prie, pardon, installez-vous. » Légèrement embarrassé, le psychiatre qui attrape des piles de dossiers abandonnés sur le canapé de son bureau pour laisser son patient s’y installer. Pas habituel de recevoir chez lui, la proposition lancée dans un SMS rapide vingt minutes avant l’heure à laquelle il aurait dû le retrouver dans l’espace sécurisé et sécurisant du cabinet Kershaw. Panne de voiture, désolé, je n’aurais pas le temps de trouver une solution avant votre RDV. Consultation à mon domicile OK ? La bonne excuse. Vraie, certes – Andrea ne raconterait jamais ce genre de mensonges- mais qui masque pudiquement l’évidence qu’aurait probablement adoptée n’importe quel praticien dans cette situation : il aurait été plus simple d’annuler. Pourtant, Dorian Brooks se tient désormais bien dans le bureau d’Andrea après avoir traversé toute sa maison, remplie de souvenirs et des notes acidulées d’une vie de famille évanouie, être monté à l’étage, avoir aperçu une série de portes donnant sur des pièces qu’on devine autrefois pleines de vie ; Il est là, et Andrea ose à peine soutenir son regard tout en lui présentant un énième sourire navré.

« Les conditions ne sont pas idéales mais tout à fait exceptionnelles, je vous prie de bien vouloir me croire. » A son tour de s’installer, récupérant sa place habituelle : son siège de bureau, connu, acquis, territoire maîtrisé d'une pièce assez neutre pour l’homme qui ne se serait jamais pensé offrir à qui que ce soit de venir chez lui pour une consultation. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ça, Andy ? Faute du temps nécessaire pour explorer ses propres schémas de pensée, le médecin se muni d’un calepin et d’un stylo tout en croisant les jambes, affectant un air détaché et professionnel. « Je crois que nous évoquions votre relation avec votre sœur la dernière fois que nous nous sommes vus ; Vous sentez-vous à l’aise d’en parler encore aujourd’hui ? » Délicat, le regard qu’il reporte sur l’écrivain. Il n’oublie pas que s’il a formellement accepté son aide pour entreprendre des recherches au sujet de Luisa, il n’a pour autant fourni aucun début de piste à l’homme qui se propose d’enquêter. Douloureux. Peut-être n’est-il pas prêt, peut-être a-t-il besoin d’aide pour se lancer : qui sait ? « Ce que vous m’avez expliqué lors de notre dernière séance laisse penser que la perte de cette personne qui vous était très chère a laissé une blessure, se traduisant par des difficultés à vous lier à autrui désormais. Que pensez-vous de cette supposition ? Est-ce qu’elle fait écho à d’autres choses dans votre vie ? » Légère déglutition, l’homme tellement mal placé dont c’est pourtant le métier de poser ce genre de questions.