« Est-ce que je peux passer ? Je me sens seul. » Une bouteille lancée à la mer, espérant en retour recevoir une bouée. Fixant quelques instants encore son téléphone en se mordant l’intérieur de la joue, Ángel finit par laisser échapper un soupir. A peine une heure depuis son retour à Redwood Hills, déjà la sensation de ne pas savoir quoi faire de lui. Pas qu’elle lui soit tout à fait inconnue, cette sensation, mais d’ordinaire le brun parvient à l’apprivoiser suffisamment pour qu’elle se fasse petite et le laisse se concentrer sur d’autres choses. Un dessin, un bouquin. Tuer l’ennui comme il le peut, laissant les jours s’écouler dans une forme de mélancolie monotone percée à l’occasion par quelques rayons de soleil. Louise fait partie de ces rayons. Aspen aussi, Teleny. A tout bien le considérer, ce n’est pas vrai qu’Ange est
seul. En un an, il a bien réussi à se constituer un cercle d’amis protecteur, aimant ; Tellement joyeux dans chacune de ses apparitions. Justement,
trop joyeux peut-être pour le cœur meurtri d’Angie ce jour-là. Il lui semble trouver chez Louise davantage de cette douceur calme et tendre dont il a désespérément besoin, compréhension facile entre deux âmes délicates et timides, presque
fragiles. Il n’y a pas besoin de chercher longtemps ses mots, de se confondre en excuses, de tâtonner à chaque fois que les lèvres s’ouvrent pour déverser un flot nouveau d’incertitudes. Le temps passé avec Louise est confortable et réconfortant, et en rentrant lessivé de ce week-end catastrophique à New-York c’est donc son numéro à elle qu’Ange cherche dans le répertoire de son téléphone.
La bouteille est ramassée avant qu’elle ne se fracasse contre les rochers, la bouée lancée en retour.
Accrochez-vous, moussaillon. C’est stupide, n’est-ce pas ? De se laisser dévorer de cette façon par des choses sur lesquelles il n’a pourtant aucune prise. Il faudrait les balayer d’un revers de la main, les remettre à bonne distance. Mais c’est là, tout près. Peter. Marty. Son père. Trois fils totalement distincts qui se sont noués d’une manière aussi étrange que désagréable autour de la gorge d’Angie, le laissant à bout de souffle.
Stupide. Il ne sait même pas comment il parviendra à expliquer tout cela à Louise lorsqu’il la verra, y réfléchit encore au moment de sonner à sa porte. L’effort d’accrocher un sourire à ses lèvres, facilité dès lors que la petite tête blonde apparaît dans l’entrebâillement.
« Hey. » Les bras s’écartent, la bouée est là et il l’attrape sans l’ombre d’une hésitation, plongeant dans un océan bien différent ; Celui du réconfort qu’on lui offre sans qu’il ne sache tout à fait s’il le mérite réellement.
« C’est la meilleure nouvelle que j’aie entendue depuis des jours. » Les câlins illimités, plus que les sucreries. Un sourire, le nez qui remue légèrement pour se défaire de la mèche qui le chatouille. Même s’il aimerait fermer les yeux et rester immobile indéfiniment, Ange termine par se reculer.
« Ça a l’air tellement confortable » note-t-il dans un nouveau sourire attendri tout en attrapant un bout du poncho de Louise. Son propre pyjama se résume à un ensemble de jogging en coton, comme s’il s’apprêtait à aller courir alors que son intention est très clairement de se laisser fondre dans les plis du canapé et de se gaver de chocolats en attendant que ça aille mieux.
Parce que ça ira mieux, hein ? En tout cas, Louise a largement prévu de quoi manger ses sentiments ce soir.
« Tout ça rien que pour nous deux ? » Le regard du brun laisse passer l’ombre d’une surprise, suivi d’un sourire plus large avant qu’il ne dépose avec soin son sac à dos dans l’entrée.
« J’ai aussi apporté quelques petites choses… » Sait-on jamais, des fois que l’idée de se faire couler un bain de sucre ne leur vienne et que toutes les victuailles déjà présentes ne suffisent pas à réaliser ce rêve.
« Il faudrait peut-être le remettre un peu au frais. » Le tiramisu, probablement le seul dessert qu’Ange maîtrise à peu près et dont il confie le plat avec grand soin à son amie.
« Et ça, parce que j’en ai clairement besoin. » Une bouteille de vin qu’il dépose rapidement sur la table basse, entre les carottes et les cupcakes. Un bon accompagnement, sans doute.
« Et enfin… Toutes les tulipes étaient en fleurs, à New-York. Ça m’a fait penser à toi. » Forcément, il associe Louise à la douceur des fleurs, tout son appartement embaume d’ailleurs ce parfum discret mais réconfortant. Ce n’est pas tout à fait ce qu’il dessine le mieux, mais rien que pour lui faire plaisir il s’efforce malgré tout de s’entraîner, de s’améliorer. Et sans doute que
l’esquisse qu’il lui offre dans un sourire timide révèle à quel point une autre personne a hanté ces pensées tout au long de ce week-end, mais il n’y aura rien de surprenant à cela. Des rêveries innocentes, qui ne font de mal à personne après tout.