Quarante ans. Voilà, on y était. En fait, ça ne lui faisait pas grand-chose, moins qu’il se l’imaginait, c’était simplement un cap à passer, mais il serait exactement le même que la veille et que le lendemain. Judson ne manquait pas une occasion de célébrer quelque chose et ce jour-là, en attendant la fête en grand comité avec toute la famille, ils avaient prévu de se retrouver tous les trois, lui, Juliet et Louise. Car Louise fêtait elle aussi son anniversaire, même si ce n’était pas tout à fait le même. Plus jeune, Judson en avait ressenti un sentiment oppressant de jalousie, quand la petite dernière était née et avait donc éclipsé tout le reste, dont l’anniversaire des jumeaux au mois de mai. Maintenant, il appréciait l’idée, puisqu’ils pouvaient le fêter en même temps. Cette fois-ci, pas de rendez-vous chez l’un ou chez l’autre, mais une virée dans un restaurant proposant une cuisine italienne, et pas que des pizzas. Ça lui changerait, à Judson, de ses pizzas surgelées. Rapidement, le trio des Howell se retrouva installé à une table près d’une grande fenêtre qui offrait une vue dégagée sur un petit extérieur fleuri. Par beau temps, des tables dehors pouvaient aussi accueillir quelques clients mais ce jour-là, la météo ne le permettait pas vraiment. S’il ne pleuvait pas, le ciel était grisâtre, vaguement menaçant. Loin de l’excellente humeur de Judson, que rien ne pourrait venir ternir. Que pouvait-il espérer de mieux que de passer du temps avec ses deux sœurs préférées ? Il les voyait régulièrement, même si le temps les séparait parfois sur une période plus longue, mais rarement toutes les deux en même temps. Et ça lui faisait plaisir, à Judson, pour qui la famille avait toujours été importante. Surtout maintenant, alors que rien n’était gagné des années plus tôt.

En attendant que le serveur vienne chercher leurs commandes, et tandis que son regard parcourait la carte des apéritifs – tant de vins qu’il ne connaissait pas ! – il lança « Alors, Juliet ? Dis-nous tout, ça fait quoi d’avoir quarante ans ? » comme si lui-même n’était pas concerné. Lui, arrivé quelques minutes après sa sœur, comme il ne se privait pas de le lui faire remarquer en toute circonstance. Il n’était pas aussi vieux qu’elle. Et puis, mettant Louise dans la confidence, il rajouta « Profite de ta folle jeunesse, p’tite sœur, avant de finir comme nous… » mais non, il n’était naturellement pas question de plomber l’ambiance et Judson préférait en rire. L’humour à toute épreuve, l’humour envers et contre tout. C’était cela qui permettait, bien souvent, de déjouer les situations les plus compliquées, même s’il n’avait pas toujours eu envie de rire au cours de sa vie. « Aussi magnifiques, frais et sexy » la précision était de rigueur, même s’il était impatient d’entendre la réplique cinglante que sa sœur jumelle ne manquerait pas de lui adresser. Mais une question tout aussi sérieuse franchit bientôt le seuil de ses lèvres, une question absolument primordiale. « Qu’est-ce que vous voulez boire ? » entre les cocktails et les différents vins, ils ne manquaient pas de choix.