Mai est désormais bien installé. Les températures deviennent agréables en journée, même si encore un peu fraîches la nuit. La nature est éveillée, les feuilles des arbres habillent de vert les branches nues de cet hiver. Les oiseaux chantent leur parade nuptiale annuelle, tandis que les abeilles et autres bourdons se remettent au travail. Les premières fleurs, telles les pervenches, marguerites et primevères, bordent les chemins dans la campagne de Redwood Hills. Tehaunui n’a pas de saison préféré, mais il aime cette période où tout revit, après une période froide. Le mois de mai semble être son renouveau pour lui aussi. Un an déjà que son fils est né. Un an que l’homme semble revivre. Sans qu’il ne s’y attende, sa vie avait pris un nouveau tournant, et à chaque balade en forêt en compagnie de son chien, il ne pouvait faire que le constat qu’il était heureux. Combien de temps cela faisait-il qu’il n’avait pas ressenti ça ?

Bien sûr, Moïra et Tehaunui avaient fêté comme il se doit l’anniversaire de leur fils, entourés de leurs proches. Rien d'exceptionnel, simplement de quoi marquer l’événement. Bientôt, ils se retrouveraient de nouveau, mais cette fois, pour le mariage de Grace et Jamie. Les deux hommes s’étaient d’ailleurs gardés de plaisanter de trop sur le sujet, préférant quelques private jokes. L’ambiance restait tout de même joyeuse et bon enfant. A cette occasion, ils en ont profité pour annoncer une autre bonne nouvelle. La deuxième grossesse de Moïra ! Que de réjouissances en perspective ! Et c’est peut-être tout ça qui faisait tourner la tête à Tehaunui. Il est heureux. Oui, il l’est, mais il a aussi besoin de souffler, de se poser, un instant. L’idée lui est alors venue de prévoir une escapade en amoureux. Un an qu’Elio est venu agrandir la famille, un an donc que leurs préoccupations principales sont les couches et les biberons. En vrai, il avait cette idée qui lui trottait en tête depuis un moment, mais la météo n’aurait pas été leur alliée jusque-là. Ils allaient éviter une randonnée dans la montagne en plein hiver, tout de même. Maintenant qu’ils étaient parents, il fallait être raisonnable !

Tehaunui avait étudié les sentiers de randonnée pour choisir au mieux leur itinéraire. Il ne voulait pas d’un parcours trop difficile, ni trop long. Il avait en tête que Moïra est enceinte, et pas question de partir plusieurs jours ! La brune lui en voudrait certainement s’ils devaient dormir en tête pendant une semaine ! Il avait trouvé un circuit intéressant, avec quelques haltes possibles au bord de petites rivières, et il avait même déniché un cabanon, sorte de refuge perdu au fond des bois, pour passer la nuit. Les sacs prêts, il leur avait fallu un trajet en voiture avant de pouvoir commencer à véritablement randonner.

Cela faisait maintenant un petit temps qu’ils étaient partis, seuls au milieu des arbres, injoignables car certainement en zone blanche. Ils marchaient à un rythme régulier, entre conversations et silences. A un moment, le bruit de l’eau qui ruisselle parvient à leurs oreilles, et ils finirent par trouver un endroit pour se reposer sur les bords d’une rivière. « On fait une pause ? »

Ses chaussures de randonnée aux pieds, son sac sur le dos, Tehaunui peut parcourir des kilomètres, traçant son chemin au rythme de sa respiration. Il ne manque jamais une occasion de se rendre en forêt ou dans la campagne de Redwood Hills. Avant la naissance de son fils, il pouvait partir plusieurs jours, dormant dans des sortes de refuge, des anciens abris de chasseur, ou encore, dans une tente ou dans un hamac suspendu entre deux arbres. Des conditions de vie très simples, au moins pendant quelques jours. Quoique, Tehaunui se contente de peu, et cela depuis des années. Depuis qu’il a quitté Hawaï. Il faisait un peu de randonnée, là-bas, mais il était bien plus adepte de la plage, de la mer et du surf. Il a découvert les grands parcs nationaux après avoir posé le pied sur le continent, même si son île natale regorge aussi de merveilles de Mère Nature. La faune et la flore sont différentes, ici, et la météo aussi, surtout dans le Vermont ! Au début, il pensait ne rester ici que quelques jours, quelques semaines tout au plus. Il ne s’imaginait pas devoir s’habituer à cet endroit. Il se souvient qu’il hésitait à continuer plus au Nord, vers la Canada, ou à retourner sur ses pas, vers le Sud. Vers le soleil. Ses projets avaient été bien vite balayés.
Lors de ces balades, Tehaunui se vide la tête. Au début, il y a toujours ce moment où ses pensées se mettent à bouillir. Il réfléchit, beaucoup, et puis, le calme l’envahit et il se laisse apaiser par les bruits de la nature. Le vent dans les arbres, les branches qui craquent sous ses pieds, les oiseaux qui chantent et parfois, il se laisse surprendre par un animal sauvage qui croise son chemin. Bien souvent, il partage ses temps-là seul ou avec son chien. Bien sûr, il arrive que Moïra l’accompagne, mais aujourd’hui, c’est un peu différent car ils partent plus longtemps. Ils vont dormir dans les bois, même si la brune n’apprécie pas forcément ça. Il s’en rend compte, Tehaunui. Il sait qu’elle prend sur elle, et c’est bien pour ça qu’il a trouvé une cabane pour un minimum de confort.

Pour l’instant, ils n’étaient pas arrivés à ce refuge. Ils marchaient encore. Plusieurs fois, Tehaunui jette un coup d’oeil à la jeune femme, pour voir si elle allait bien, si le rythme lui convenait. Pas un seul instant, Moïra ne s’est plaint et plus ils avançaient, plus ses inquiétudes disparaissaient. Il se montre prévenant pour elle, mais aussi pour leur bébé. Leur deuxième enfant. Parfois, Tehaunui n’y croit pas. Il a l’impression qu’il rêve. Et puis, la réalité refait surface quand la brune lui parle de la chambre, ou du berceau, ou quand elle dit à Elio qu’il va bientôt être grand frère. Grand frère alors qu’il vient d’avoir un an.

A un moment, ils atteignent une petite rivière et Tehau propose de faire une pause, profiter de l’endroit. Ils délaissent leurs sac à dos. Moïra s’installe sur un gros rocher, et l’homme trouve un endroit pour se poser un peu derrière elle. Ainsi, il observe le paysage, tout en profitant de Moïra dans son champ de vision. Il ne lui dit pas souvent, parce qu’il n’est pas du genre à parler de ce qu’il ressent, mais qu’est-ce qu’il la trouve belle. Il arque un sourcil. « Vraiment ? » Elle dit certainement ça parce qu’ils ne sont pas arrivés au refuge. Qu’elle ne doit pas encore dormir dans son sac de couchage alors qu’elle préférerait sans doute se reposer dans son lit et sous sa couette. Il ne lui avait rien caché de cette nuit, et elle a donc accepté en connaissance de cause. De son sac à dos, il imite Mo’ et sort sa bouteille d’eau, ainsi qu’une carte. Un instant, il la regarde, buvant quelques gorgées d’eau. Et puis, il montre à la brune où ils sont et où se trouve le refuge. « On a encore un peu de marche… Ça va ? » demande-t-il, inquiet.

Dans cette forêt, ils semblent être seuls au monde. Ils n’avaient croisé aucun autre être humain sur le chemin. Sur le parking, deux trois autres voitures étaient garées, mais ils n’avaient pas vu leurs propriétaires. Parfois, il a cette impression qu’il n’y a qu’eux sur Terre, ou qu’ils sont dans un autre monde. Mais bien vite, il pense à son fils, accueilli chez ses grands-parents le temps de cette escapade. Il se souvient alors qu’ils ne sont pas dans un autre univers, qu’à l’extérieur de cette forêt il y a la vraie vie. Certains sont coincés dans les embouteillages, d’autres font leurs courses et d’autres encore s’occupent de leurs enfants. Mais là, tout ce qui compte pour lui, c’est Moïra. Un temps seulement pour eux. Que de chemin parcouru pour leur couple !S’il ne se projettait plus dans le temps depuis le décès de sa fille, il se plaît à imaginer leur avenir. Lui, la brune, Elio et leur futur enfant. Il ne parle pas forcément de ce qu’il a en tête à Moïra, par peur de briser ce qu’il a, de jeter le mauvais sort sur sa famille. Lui qui a peur d’être trop heureux et qu’on lui retire son bonheur. Il préfère donc prendre les choses comme elles viennent, au jour le jour.

Installé un peu en retrait de Moïra, il la regarde, l’admire. Il la taquine, un peu étonné d’entendre que cette randonnée est une bonne idée dans la bouche de la jeune femme, mais elle rectifie bien vite. Il rit. « J’ai hâte de savoir ! » De son côté, il est sûr que ça va bien se passer. Peut-être pas jusqu’à ce que ça plaise à Mo’, mais il ne s’agit que d’une nuit. Il avait espéré pouvoir faire ça rapidement à trois, avec leur fils, mais l’arrivée d’un autre bébé change la donne. Il pense sérieusement à se renseigner sur comment faire de la randonnée et du camping avec des enfants en bas âge… Il imagine aussi acheter un van aménagé… Tant de projets ! Ils regardent la carte, Tehaunui montrant où ils se trouvent et où est le refuge. Ils ne sont pas encore arrivés et forcément, l’hawaïen s’inquiète pour la brune. Le parcours qu’il a choisi n’est pas difficile. Pas de gros dénivelés, pas d’escalade de prévue mais quand même, il demande à Moïra comment elle va. Bien sûr, la jeune femme sait prendre soin d’elle tout de seule et n’hésitera pas à lui dire si elle doit faire une pause. Elle l’embrasse avant de venir s’asseoir plus près de lui. Il la serre contre lui, laissant son regard observer le paysage. Un instant, il reste silencieux, s’imprégnant du bruit de la rivière, de la fraîcheur et de l’odeur de l’endroit.

La pause terminée, Tehaunui et Moïra se remettent en marche. Il leur reste quelques kilomètres à parcourir avant d’arriver au refuge. Il est plutôt serein, l’hawaïen, sur le timing. Les jours rallongent, ils avaient encore plusieurs heures devant eux avant la tombée de la nuit. Ils n’étaient donc pas obligés de se presser et ils pouvaient prendre leur temps. Ils firent d’autres petites pauses dans des endroits tout aussi charmants. Tehaunui a l’impression d’être dans son élément, perdu en pleine nature. Enfin, pas si perdu que ça, vu qu’il sait où ils se trouvent. Si, à Hawaï, il avait appris à faire du surf dès son plus jeune âge, il avait aussi appris à lire une carte et une boussole. L’archipel offre de nombreux sentiers de randonnée, et Tehaunui en connaît certains par cœur !
En tout cas, le soir venu, ils arrivent bien à destination, à savoir, un petit chalet en bois, au milieu de la forêt. Abri pour les chasseurs bien souvent, il sert aussi pour les randonneurs hors saison de la chasse. Tehaunui observe la brune du coin de l’œil tandis qu’ils s’approchent de la bâtisse qui semble pratiquement à l’abandon. Un petit rire sort de sa bouche quand Moïra lui indique que c’est… rudimentaire. Elle n’a pas tort ! A l’intérieur, on y trouve simplement une table et deux chaises, la troisième semblant bien branlante, ainsi qu’un petit évier et une cheminée. Dans une autre pièce, on peut distinguer un lit et s’y trouve probablement aussi un petit lavabo. Seulement, pas d’électricité, ni d’eau courante ! L’endroit est entretenu, ça se voit. Certainement une cabane bien connue des gens du coin. Tehaunui se défait lui aussi de son sac à dos et il commence déjà à s’activer pour allumer un feu dans la cheminée. Pas d’isolation non plus, un bon feu de bois leur permettra de passer une soirée au chaud. « Celle-là, c’est la première fois que j’y viens. J’en ai vu d’autres, mais sur des sentiers moins connus… plus durs. Du coup, les cabanes sont moins entretenues. On a de la chance avec celle-ci. » Il lui fait un clin d’œil. Il sait bien qu’elle prend sur elle pour passer une nuit ici. Un instant, il met en suspens ce qu’il est en train de faire pour se rapprocher de la brune. Ses mains se posent sur ses hanches. Il se rapproche d’elle doucement, jusqu’à déposer un baiser sur ses lèvres. « Merci. D’avoir accepté de m’accompagner. » souffle-t-il. Il a bien l’intention de faire en sorte qu’elle passe une bonne nuit, afin que l’expérience ne lui déplaise pas trop, parce qu’il aimerait beaucoup réitéré la chose, plus tard, avec les gosses peut-être.

Quand il avait décidé de rester à Redwood Hills, il y a de ça quelques années, Tehaunui avait passé pas mal de temps à découvrir la région. Il avait emprunté de nombreux sentiers, voire des chemins pas tout à fait répertoriés, car il fuyait la ville et la civilisation. L’hawaïen aimait la solitude. Il avait ce souhait de rester avec lui-même, renfermé sur sa douleur. Aujourd’hui, il aime encore avoir des moments seul, où il n’a pas besoin de faire la conversation, ni de se soucier de quelqu’un d’autre que lui-même. Alors, il continue d’emprunter des sentiers de randonnée, mais bien souvent, il est désormais accompagné. Il a l’envie que cela continue. Qu’il soit entouré de Moïra, de leur fils et de leur enfant à naître. Il cherche moins cette solitude qui l’a pourtant longtemps accompagnée. A croire qu’il l’a laissé sur le bord d’un chemin.

Cette cabane, donc, n’est pas la première qu’il voit. Il pouvait partir pendant des jours, Tehau. Dormir dans ce genre de refuge, certains moins accueillants que celui-là, et d’autres, carrément trop dangereux pour imaginer foutre les pieds à l’intérieur. Avec un risque trop grand de se prendre un truc sur le coin du nez ! L’homme s’adaptait, dormant à la belle étoile, avec un sac de couchage au coin d’un feu, ou encore, suspendu dans un hamac entre deux arbres. Pour Mo’, pas de hamac ni de sac de couchage au sol. La cabane abritait un lit. Tehaunui avait bien choisi leur itinéraire, et leur refuge ! Il sait, l’hawaïen, que la jeune femme prend sur elle, et alors, il la remercie. Oui, ça lui tenait à cœur, parce qu’il voulait passer du temps en tête-à-tête avec elle. Il voulait un moment rien que pour eux avant que leur famille s’agrandisse. Il voulait quelque chose d’original, et de romantique. Un romantisme à sa façon. Ne lui avait-il pas offert un sapin de Noël à leur premier rencard ? Il rit tandis qu’elle l’incite à allumer le feu. Il relâche alors son étreinte. « Je devrais m’y remettre ! » Il reprend alors là où il s’est arrêté. « La nuit ne va pas tarder à tomber, donc je pense qu’on pourra faire un tour dans les alentours, mais il ne faudra pas qu’on s’éloigne de trop. Il faut qu’on garde aussi un œil sur le feu. Ensuite… Et bien, on pourra reprendre des forces avec un bon repas. Après, bien sûr, il faudra qu’on trouve quelque chose pour s’occuper… » Il jette alors un coup d’œil vers elle, l’air malicieux.