« J’espère bien que tu vas me faire découvrir cet endroit. Je suis toujours avide de voir d’autres choses. »
Il ressemble à un enfant à qui on a promis un superbe cadeau. Satya est enthousiaste à l’idée de voir ce bar, mais aussi de découvrir une autre facette de son invité.
« Je ne sais pas. Disons que cela pourrait être une piste. »
En ce qui concerne la secte, il est certain que beaucoup d’autres se sont brûlés les ailes à trop vouloir s’approcher et tenter de découvrir ‘la Vérité’, s’il en existe une. Il sait, pour avoir traité certains sujets délicats qu’il y a rarement une seule solution, mais souvent tout un tas de circonstances qui font que des drames en ont découlé. Satya n’a pas de certitude, mais il sent qu’il ya quelque chose qui couve toujours. Après, sera-t-il capable de trouver quelque chose, il ne le sait pas. Les gens qu’il a croisé veulent pour la plupart obtenir des réponses, mais ne veulent pas remuer toute cette boue. Un sacré paradoxe pour un journaliste. S’arrachant à ses pensées, il adresse un grand sourire à Gabriel et levant la main droite, il déclame presque :
« Promis. Juré. Je serai prudent. » avant de rajouter, tout sourire et un brin amusé « Si je me lance dans une quelconque recherche. »
Il y a quelque chose de touchant dans les rêves de Gabriel, dans cette aspiration à une vie simple et heureuse. Satya se demande s'il n'a pas lui-même perdu de vue ces valeurs, pris dans la course effrénée d’une vie trop active parfois et son besoin constant de découvertes et de mystères. Redwood Hills est un lieu si différent, si calme, en apparence, qu'il n'est pas étonnant que des personnes comme Gabriel puissent y trouver un refuge.
« Ici ? » La surprise ondule dans le son de sa voix. Il rajoute, un peu trop vite « Je trouve cela super, ton idée d’avoir ton propre restaurant. Mais du peu que j’ai vu, ici il n’y a que de la cuisine locale. Proposer quelque chose de nouveau est une excellente idée...» un silence avant de conclure « un peu osée ? » Une petite moue plisse ses lèvres tandis qu’il se rapproche. « J’avoue que perso, j’adore ton idée, mais… est-ce que les gens d’ici sont prêts à … franchir le pas... » Il secoue la tête comme si une nuée de bestioles l’agressaient avant de rajouter  «Tu connais mieux l’endroit que moi, alors, si tu penses que c’est l’idée du siècle, fonce. »
La suite, c’est Gabriel qui bondit du canapé pour aller vérifier sa préparation, conséquence de la remarque de Satya. Forcément, c’est une fausse alerte. Le chef maîtrise la cuisson. Satya le suit et vient se poster derrière lui, se haussant sur la pointe des pieds pour inspecter lui aussi la cuisson. Son souffle fait délicatement bouger les petits cheveux du Philippin et Satya se retient de souffler un peu plus fort pour voir les mèches s’envoler. En fait, il ne regarde absolument pas ce qui se passe dans la casserole, trop concentré à jouer. Il se recule précipitamment avant de se faire bousculer par le cuisinier, très concentré et dictant ses directives à un Satya plutôt dissipé comme commis. Les boucles brunes l’intéressant beaucoup plus.
Satya observe Gabriel avec un mélange d'admiration et de fascination. Chaque mouvement de ce dernier, aussi simple soit-il, révèle une passion et une attention aux détails qui le captive. Il s'est promis de rester distant, de ne pas s'investir trop émotionnellement, mais la situation est difficile à gérer. Il ne peut ignorer l'attirance qu'il ressent pour cet homme mystérieux et délicat. Tellement à l’opposé de ce qu’il est.
Quand Gabriel lui demande où il souhaite manger, Satya jete un coup d'œil autour de la pièce, évaluant les options. Son studio n’offre pas beaucoup de possibilités. Le canapé confortable, face à la petite table basse semble une option agréable.
« Deux bols et deux cuillères, c’est tout ce qu’il te faut ? » demande-t-il en feignant l’innocence, tout en se dirigeant vers le placard.
« Je suis sûr que l’on pourrait ajouter un peu de musique pour rendre l’ambiance encore plus agréable. Qu’en penses-tu ? »
Il attrape deux verres propres dans un placard et les tend à Gabriel, en essayant de masquer son propre enthousiasme. L'idée de déguster un repas préparé par Gabriel, avec du vin pour accompagner, lui semble presque trop belle pour être vraie. Tandis que le chef s'affaire, Satya s’appuie contre le comptoir de la cuisine, prenant un moment pour contempler l'homme devant lui. Il est évident que Gabriel met un point d'honneur à ce que tout soit parfait, et cela touche Satya.
« Tu as vraiment un don pour ça, tu sais, » dit-il doucement, presque pour lui-même. Il réalise qu'il n'a pas vraiment répondu aux confidences de Gabriel plus tôt. Il se sent un peu coupable de s'être laissé distraire par ses propres pensées.
« Et pour ce que ça vaut, je pense que tu ferais un excellent chef de cuisine, ou même un auteur de livres de recettes. J’espère ne pas avoir douché ton enthousiasme avec mes paroles. Pire, j’espère ne pas t’avoir froissé. Ce n’était pas mon intention. Tu es talentueux. Très talentueux. »
D’un geste rapide, il étreint Gabriel et murmure à son oreille « Tu me pardonnes ? » avant de retourner suivre les indications du cuisinier et de rajouter, un brin goguenard "Pas de souci pour la vaisselle, je te la laisse avec plaisir."
Une fois installés sur le canapé, il se met à examiner son bol, puis lève les yeux vers Gabriel, un sourire taquin aux lèvres.
« Je promets d'être indulgent, » dit-il en plaisantant, avant de goûter une première bouchée. La saveur riche et réconfortante du plat l'enveloppe instantanément. Il ne peut s'empêcher de laisser échapper un petit gémissement de plaisir.
« C'est incroyable, » déclare-t-il, et cette fois avec un sourire sincère.
« On dirait une préparation de ma grand-mère. Pour une première fois, je dirai que c’est une vraie réussite. »
Il marque une pause, appréciant encore une autre bouchée, prenant le temps de déguster son repas, puis demande, d’un ton innocent.
« Et toi, comment trouves-tu cette première fois ? »
Un sourire espiègle soulève la commissure de ses lèvres tandis qu'il coule un regard vers son invité.

Satya observe Gabriel avec une attention particulière, un sourire aux lèvres. Gabriel, avec son air détendu et ses plaisanteries, réussit à éveiller en lui une certaine admiration. Il y a dans ses remarques une lucidité que Satya ne peut ignorer. La promesse de Gabriel de le chercher dans les bois s’il vient à disparaître le fait sourire, mais au fond, il sent que Gabriel est quelqu’un de fiable, du genre à tenir parole. Cette idée lui plaît tout en le dérangeant. Lui-même, serait-il capable de venir à son aide ? Là, dans l’immédiat, la réponse est ‘oui’. En sera-t-il toujours ainsi ? Par son activité, il bouge beaucoup. Il n’a encore jamais ressenti le besoin de se poser quelque part. Cela ne signifie pas qu’il ne voudra pas le faire un jour. De plus, cette histoire de Rose Lunaire représente un danger bien réel, et il ne peut s’empêcher de se demander s’il ne se lance pas dans quelque chose qui le dépasse. Dans quelque chose qui va lui prendre beaucoup de temps. Cependant, la curiosité est plus forte que tout, et il se sent irrésistiblement attiré par l’inconnu, même si cela signifie prendre des risques. Pourtant, il ne peut s’empêcher de promettre à Gabriel qu’il fera attention, surtout maintenant qu’il sait qu’il y a quelqu’un qui ‘veille’ sur lui.
« Burlington ? Connais pas, désolé. »
Une moue pensive s’imprime sur ses traits lorsque soudain, son sourire revient tandis qu’il lève un index vers le plafond tout en se redressant un peu.
« Je sais ce qu’il faut faire. »
Il éclate de rire et rajoute rapidement « Non, pas en cuisine. En stratégie. »
Sans être un grand stratège, il a déjà aidé pas mal de groupe à Londres et pour lui, musique ou cuisine, c’est le même combat pour percer.
Avant d’exposer son idée, il léchouille sa cuillère qui va lui servir de baguette afin de rythmer ses propos. Pas question d’éclabousser son invité. Par précaution, il l’inspecte avant de se lancer.
« Alors, Redwood Hills est une petite ville où les goûts culinaires sont probablement plus traditionnels, mais » il brandit sa cuillère « mais pourquoi ne pas tester tes idées ici, dans cette petite ville, avant d’aller voir ailleurs. Pourquoi ne pas proposer un menu éphémère, histoire de tâter le terrain sans prendre de risques inutiles ? Je pense que cela pourrait te donner une idée plus précise de ce qui est possible. Tu transformerais ce lieu en un véritable laboratoire culinaire. Et puis, peut-être, que tu pourrais faire de Redwood Hills non seulement ton terrain d’essai, mais aussi le tremplin vers quelque chose de plus grand. N’est-ce pas une idée remarquable ? »
Satya ne doute de rien et son ton docte en est la preuve. Faire de la ville et de ses environs le terrain de jeu de Gabriel.
« Qu’en penses-tu ? Il faut juste avoir le temps. Peut-être que ton patron te laisserait cuisiner dans ses locaux. Qui sait ? Je dessinerai des flyers et je ferai des livraisons. »
Content de lui, il reprend sa dégustation tout en émettant de petits bruits appréciateurs. Il relève les yeux, s’empare de son verre pour accompagner le toast du Philippin, mais préfère changer l’énoncé.
« Si cela ne te dérange pas, je préfère porter un toast à cette rencontre. À nous ! »
Alors qu’il va porter son verre à ses lèvres, il arrête son geste, fronce légèrement les sourcils et demande : 
« T’es célibataire, il me semble ? Comment est-ce possible ? »
Son sourcil s’arque tandis qu’une mimique intriguée se peint sur sa face.
Beau. Talentueux. Beau. Et encore beau.
« Oh »
Effectivement, il a oublié qu’il porte toujours le tablier de son invité. Il se contorsionne pour l’ôter, faisant dramatiquement remonter son t-shirt. Une fois l’opération accomplie, il replie soigneusement le tout et le dépose sur la table basse.
« Pour le moment, elle a plutôt décidé de me gaver avec ses délicieuses préparations. »
Il étouffe un petit rire. Torture qu’il accepte volontiers.
« Pas encore, non. Mais elle a eu un petit sourire entendu lorsque je lui ai dit que je recevais de la visite. Et un sourire encore plus large lorsque je lui ai dit de qui il s’agissait. »
Satya se penche vers son invité et sur un ton de conspirateur murmure :
« Je crois qu’elle croit que je suis déjà casé... »
Tout en parlant, il secoue la tête de haut en bas et rajoute, encore plus bas, comme s’il s’agissait d’un secret d’état « Casé avec toi. »
Il reprend sa place, souriant.
« On pourra toujours faire un démenti, si cela te dérange et qu’elle décide d’une date pour le mariage et du lieu de réception.»
Il regarde son bol vide. Tente de glaner encore un peu de bouillon, en vain. Il ne reste plus que le bruit de la faïence contre le métal de la cuillère.
« Elle a déjà tenté de te caser ? »
Un sourire amusé étire ses lèvres à cette idée. Gabriel hyper réservé et Martha la volubile qui tente de lui trouver l’Amour. Pour son cas, Satya se voit un peu comme une sorte de Peter. Un gars un peu trop coloré et certainement pas facile à caser. Trop voyant. Trop vagabond.
« Je suis certain que tu ferais un mari très acceptable. »
Contrairement à lui. Il ne pense plus à la musique, mais la marche nuptiale trotte dans sa tête maintenant.

Satya observe Gabriel avec une lueur de malice dans les yeux. Il a toujours été à l’aise avec ses rêves, ses ambitions, ses idées folles, la preuve, il se retrouve dans un bled paumé à tenter d’enquêter sur une secte mystérieuse dont tout le monde a peur et évoque à demi-mot, mais dont personne ne veut vraiment parler. L’idée qu’il vient de proposer à Gabriel ? Oh, elle est brillante, bien sûr, mais le problème n'est jamais l’idée, c'est toujours l’exécution.
« Si jamais tu as envie de tenter l’expérience, je t’aiderai. Pas en cuisine. » Il se met immédiatement à rire en songeant aux catastrophes qu’il pourrait générer, « mais je suis certain que je serai un super bon vendeur. J’ai du bagou. »
Il se penche légèrement vers son invité et susurre, près de son oreille « Tu as dû t’en rendre compte. Paraît que je suis une véritable pipelette. » Avant de se redresser en souriant. Le bagou, dans son métier, c’est primordial. Ne jamais être à court de mots. C’est la base.
« Réfléchis, et sache que je suis là. Pour t’épauler, si besoin. »
Il a déjà géré des artistes, il devrait s’en sortir pour lancer un cuisinier talentueux. Si celui-ci croit assez en lui pour se lancer. Il avance la main vers la chevelure sombre et entortille négligemment son index dans l’une des boucles et conclut « J’espère que tu n’auras pas des cheveux gris lorsque tu auras pris ta décision. »
Il rit tout remettant sa main près de lui, sagement sur le canapé. La suite de la conversation est plus légère.
« Oh, des gars qui ont la bougeotte comme moi ? »
Ses sourcils s’arquent, marquant sa surprise avant qu’il ne balaie la suite des paroles de Gabriel d’un vague geste de la main.
« Je ne pense pas faire appel à ses soins. Martha est gentille, mais je ne suis pas certain qu’elle sache ce que je veux. »
Ses billes onyx se posent sur Gabriel, tandis qu’il rajoute, un brin amusé et taquin « Je crois savoir ce qui me plait. Pas besoin de Martha pour ça. Si en plus je coche certaines cases, alors que demander de plus.»
Il lève ses bras au-dessus de sa tête pour scander une victoire qu’il n’a pas encore et n’obtiendra peut-être pas ou jamais.
Satya écoute les confessions de Gabriel avec un sourire doux et attentif, savourant l'honnêteté du moment. Il est rare que les gens s’ouvrent à lui de cette manière. Il faut dire que pour ses articles, ils les abordent souvent sous de faux prétextes. Satya aime ça, cette complicité. Cette confession spontanée. Il aime surtout que Gabriel se sente à l’aise avec lui, au point de partager des bouts de sa vie qui, à d’autres moments, auraient pu paraître embarrassants.
« Tu as un avantage sur moi, tu as eu une histoire d’amour. Je dois avouer que, même en cherchant dans mes souvenirs, je suis incapable de dire à quand remonte ma dernière histoire ‘sérieuse.’ »
Il mime des guillemets pour le mot ‘sérieuse ‘. Il n’ose pas le dire, mais Satya est quasiment certain de n’avoir jamais eu de relation sérieuse. Authentique. Un truc qui lui aurait donné envie de rester. De se poser. Il n’a pas vraiment cherché à en avoir aussi. Trop occupé à courir derrière un scoop. Des rêves de gloire trop grands pour lui. Finalement, il risquerait d’avoir besoin de Martha Black s’il décide de se caser. Un sourire s’imprime sur ses lèvres à cette pensée.
Quand Gabriel mentionne l’absence de précipitation pour replonger dans une relation, Satya hausse légèrement les épaules, un sourire toujours présent sur ses lèvres. Il sait ce que c'est, cette envie de rester en retrait tout en étant, de temps à autre, attiré par la chaleur de quelqu'un d’autre.
« Je te comprends, » dit-il en posant son verre de vin. « Je suis un peu pareil. Toujours sur la route, jamais vraiment posé quelque part. Et pourtant, ça n’empêche pas que, de temps en temps, je me laisse tenter. » Il accompagne cette confession d’un regard complice, sans pour autant trop en faire. « Disons que je bouge trop pour vraiment m’engager, mais ça ne veut pas dire que je n'apprécie pas un petit détour par la tentation quand l’occasion se présente. »
Le retour à la réalité domestique lui arrache un éclat de rire. Le genre de rire qui réchauffe la pièce.
« Tu laves et j’essuie. Après tout, tu es mon invité et j’ai un peu honte à te laisser tout nettoyer. Même si j’imagine que ce doit être un automatisme pour toi. Un réflexe de cuisinier.»
Satya esquisse un sourire tout en essuyant une nouvelle assiette. L’avantage de vivre dans un endroit aussi grand qu’un mouchoir de poche, c’est que tout est à portée de main. Pas besoin de faire de grands déplacements. À la remarque du jeune homme concernant Martha et son insatiable curiosité, Satya lance un « Tu crois ? » circonspect tout en venant se placer à côté de Gabriel. L’exiguïté du lieu fait que son épaule touche celle du brun. Il se penche, tourne un peu le visage et dépose un baiser sur sa mâchoire avant de retourner à sa tâche.
« Comme ça, elle sera rassurée. »
Satya sifflote tout en vaquant à ses obligations. Lui est plutôt du genre à manger dans les emballages, histoire de ne pas avoir à laver, ni à ranger quoi que ce soit. Pas très glorieux mais hyper pratique et rapide.
Il repose l'assiette qu’il essuie depuis bien trop longtemps et son regard malicieux se pose sur Gabriel. « Tu me lances l'invitation ? Parce qu’il suffit que tu me dises quand tu es disponible et j’arrive. »