Eli ne sait pas si elle arrivera à enlever ce sentiment qui l’anime. Cette colère contre l’homme d’affaires, des envies de vengeance aussi, bref, il lui est très difficile de prendre du recule et de se calmer. Prendre la maison de sa grand-mère dans l’ignorance la plus totale… Non, non, elle ne peut pas gober une telle chose. Il doit vraiment la prendre pour une idiote… Bref, les affaires reprennent et c’est tant mieux, Eli a beaucoup d’énergie, assez pour écrire ce premier d’article. Sa cible ? Elle vous laisse deviner. Le rendez-vous est donné, la journaliste va enfin rencontrer le pasteur de Redwood Hills. Elle a besoin de lui dans cette course infernale contre ses cibles. Elle sait qu’elle est très en colère et que cela risque de lui faire défaut mais qu’importe, elle a besoin d’information, besoin de soutien aussi. Elle aurait pu s’appuyer sur d’autres personnes de son entourage mais la confiance s’effrite cruellement, préférant s’isoler un peu. Et puis, on ne va pas se mentir mais la plupart de ses proches, sont aussi des amis de l’homme d’affaire, alors non. Elle ne peut plus leur faire confiance non plus.

Jouant frénétiquement avec son alliance, Eli marche dans une rue voisine, elle est en avance, elle ne veut pas attendre devant l’église. Elle se sent toujours autant surveillée, observée. Le seul avantage en ce moment, c’est Marius. Le garde du corps est aux côtés de Roman pour une affaire importante. Elle ne connaît pas l’objet de cette affaire et c’est tant mieux. Apparemment, il a besoin de lui, offrant la paix à Eli. Elle accélère son pas et finit par se diriger finalement vers l’église, l’heure approche. Elle s’arrête deux secondes devant la bâtisse et reprend une grande inspiration. Aller, on se détend, tout va ben se passer, non ? Juste avant d’entrer dans l’église, Eli attrape son téléphone et décide de l’éteindre. On ne sait jamais, elle doit prendre des précautions. Elle ouvre la grande porte et se dirige à l’intérieur pour retrouver le bureau du pasteur. Elle marche le long du couloir principal puis décide de bifurquer sur le chemin du côté, contre le mur. Eli n’a jamais aimé les églises, elle a toujours l’impression qu’elle va brûler si elle fait un pas de trop vers le centre. Eli est loin, très loin d’être croyante, elle devra feindre devant le Pasteur, facile.

Eli arrive devant la porte du bureau et frappe. Elle jette un regard à sa montre, elle est à l’heure, tout va bien. On respire et on entre. « Bonjour Pasteur. » Souffle Eli avant d’aborder un sourire d’ange. Heureusement qu’elle est au moins munie d’un visage angélique. Tout passe avec un sourire.  

La fatigue des années, le poids d’une mission qui le consume lentement. Bien qu’extrêmement entouré, le pasteur O’Neil sent comme la solitude lui pèse de plus en plus. Il rentre à peine d’une visite à Anahid – brève : hors de question de s’éloigner trop longtemps de Redwood, il n’a en outre guère envie qu’on puisse déterminer avec précision combien de temps durent ses absences. Malheureusement, celle-ci n’apporte aucun lot de joie avec elle et c’est avec une lassitude particulièrement prononcée qu’il s’installe à son bureau ce matin-là, songeant qu’il est définitivement trop vieux pour parcourir de telles distances en si peu de temps et avec si peu d’aide. Peut-être devrait-il demander à Almina de l’accompagner, la prochaine fois ?

Ouvrant son agenda, il constate avec un soulagement certain que sa journée n’est pas particulièrement chargée. Quelques rendez-vous, dans la limite du raisonnable, et quelques dossiers à traiter. Parfait. Son regard s’arrête une seconde de plus sur le nom de madame Larsen Amdahl, deux noms qu’il connait bien. Pas forcément que pour de bonnes raisons. Curieux plus qu’inquiet, le vieil homme n’a pas pour habitude de se laisser facilement gagner par l’appréhension. Une journaliste qui prétendra vouloir écrire une critique au sujet de la Rose Lunaire ; Quel mal pourrait-il y avoir à la rencontrer ? Quant à savoir ce qui la motive à s’attaquer à un tel sujet en dépit de ses liens évidents avec la secte… Mais après tout : est-elle seulement au courant ?

Comme prévu, la journée s’écoule dans une paisibilité relative jusqu’à l’heure prévue pour ce fameux rendez-vous. Satisfait en jetant un œil à l’horloge de son bureau, répond favorablement aux quelques frappements qui font entendre contre la porte de son bureau. « Bonjour, appelez-moi Asael. Ravi de faire votre connaissance, chère Eli. » Le sourire confiant du vieillard qui ne peut inspirer que la confiance, n’est-ce pas ? C’est un homme d’église, après tout : qui le soupçonnerait de la moindre mauvaise intention ? « Je vous en prie, installez-vous. » D’un geste preste, il désigne le fauteuil face à son bureau puis prends quelques secondes pour ranger le dossier sur lequel il travaillait précédemment tandis que la jeune femme prend place. Elle ressemble à sa mère, songe-t-il tout en relevant les yeux vers son visage aux traits parfaitement innocents. Souriant toujours, Asael croise finalement les doigts sur son bureau. « Comme vous pouvez le constater, le domaine de la paroisse est plutôt privé. » Il espère la rassurer, elle qui semblait tant craindre d’être suivie ou observée – probablement à raison.

En entrant dans l’église, Eli a hésité quelques secondes : est-ce vraiment une bonne idée ? Même Roman l’avait mise en garde sur ce qu’elle recherchait. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle a cruellement besoin d’alliés. Elle n’y arrivera pas toute seule. La preuve, elle se sent déjà affaiblie juste parce qu’on avait touché à la maison de sa grand-mère. Mais même si elle se sentait fragile, elle avait tout de même repris un peu d’énergie pour continuer son article. Il avait réveillé cette rage en elle, contre lui et contre l’organisation : difficile de l’arrêter. Eli est bien déterminée à terminer son article. Son feu ne s’éteint pas. Il brûle, impossible de s’apaiser et de se détendre véritablement. Elle se sent prête à les détruire un par un. Non, vraiment, il faut qu’elle se calme, même ce genre de pensée l’épuise. Ne fonce pas, réfléchis. Eli aimerait tellement s’apaiser, être un peu plus calme aussi mais elle ne sait pas comment faire, même le plus attirant de ses amants n’y arriverait pas. Eli devrait juste s’éloigner quelques jours peut-être… Finalement, Dorian avait raison, Redwood est un véritable poison et Eli le sent déjà dans ses veines.

Bref, elle reprend une profonde inspiration et bloque ses pensées, elle doit se concentrer pour ce rendez-vous très important pour elle. Elle frappe et entre dans le bureau d’Asael. Son portable est éteint et elle sait qu’il agit toujours contre la secte, que risque t-elle ? « Merci de me recevoir. » Souffle Eli avec un sourire poli avant de s’asseoir sur le fauteuil, passant rapidement ses mains sur sa jupe. Elle se sent tout de même nerveuse d’être devant lui, il connaît sa mère… Il connaît son visage, il connaît sa voix. Enfin peut-être qu’il ne s’en souvient plus, ça serait bien normal… Eli craint de sentir son cœur se serrer s’il évoque sa mère. Ce n'est pas le sujet. Lorsqu’il mentionne la paroisse, Eli jette un rapide coup d’œil autour d’elle, dans ce bureau qu’elle ne connait pas. « Merci. Je ne cherchais pas à vous inquiéter dans mes courriers, je prends simplement des précautions. » Explique rapidement la jeune femme. Eli s’appuie sur le fauteuil et finit par sortir sa carte de journaliste du New York Times pour lui présenter. Elle n’a pas menti à ce sujet. « Dans mes lettres, j’évoquais mon futur article sur la Rose Lunaire. Je suis toujours en recherche d’informations les concernant. J’ai commencé à l’écrire, tout en cherchant les membres de cette organisation. » Eli ne perd pas de temps et entre dans le vif du sujet. « Vous me disiez avoir des soupçons sur certaines personnes ? » Son regard bleu vient se poser sur lui, déterminée à en savoir plus.

Le regard impassible du vieil homme détaille un instant la silhouette qui pénètre dans son bureau, se demandant évidemment à qui il a affaires. Larsen, le nom ne lui effectivement pas inconnu : souvenirs lointains mais tout de même assez vifs de la mère de cette jeune femme, charmante. Amdhal, en revanche… Trop proche de DeWitt, au moins pour l’un d’entre eux. Lequel aura épousé la jeune femme ? S’il s’en tient à sa demande pour obtenir des informations susceptibles d’attaquer la Rose, Asael supposera que la jeune femme n’est pas tombée du mauvais côté du miroir ; Mais qui sait ? Le pasteur a très peu d’amis, et ce pour une simple raison : il n’accorde sa confiance à quasiment personne. « Avec plaisir » répond-il dans le même sourire poli lorsque son interlocutrice le remercie d’avoir accepté de la recevoir et s’approche, révélant un visage qui lui évoque de nouveau celui de sa mère. Il y a combien d’années ? Trop, évidemment. Elle ne serait pourtant pas si vieille aujourd’hui, de quoi a-t-elle pu mourir ?

« Je comprends, Redwood est une ville moins paisible qu’il n’y paraît. » Il est sincère : il comprend réellement qu’Eli n’ait pas eu envie de prendre le risque qu’on l’écoute ou la suive. Si elle enquête réellement sur la Rose Lunaire, aucun doute que sa vie puisse potentiellement être en danger. Le pasteur n’a donc pas pris ombrage de ses précautions, continue de sourire d’un air apaisé tandis qu’elle sort une carte et la pose sur son bureau. New York Times. Une vraie journaliste, donc. Asael esquisse une légère moue impressionnée, acquiesce avec douceur ; Pas qu’il lui fasse davantage confiance qu’auparavant, mais il est doué pour au moins faire semblant de ne pas se méfier. « Des soupçons ? Oui, bien sûr : plus ou moins fort selon les cas, d’ailleurs. » Quant à lui révéler qui et pourquoi… Le pasteur aime récolter les informations plus qu’il ne les égrène, en général. « Peut-être pourrais-je vous donner un avis sur vos premiers instincts ? Avez-vous observé, repéré quelque chose, quelqu’un ? » Une manière de jauger sa sincérité, aussi : ce ne serait pas la première fois qu'un membre de la Rose se fait passer pour innocent et cherche à prêcher le faux pour savoir le vrai.

En croisant son regard, Eli se demande quelle était la nature du lien qu'il pouvait entretenir avec sa mère. Évidemment, Eli est curieuse, bien qu'elle est un peu peur tout de même de savoir certaines vérités. Ce n'est peut-être pas pour rien qu'elle n'a aucune information concernant Claire Larsen. Eli veut savoir et en même temps, elle préfère se boucher les oreilles, préférant idéaliser l'image de sa mère. Elle finit par s'installer dans son bureau essayant de ne pas détailler davantage ce qui l'entoure. Et pourtant, ça la brûle de le faire ! Asael est un personnage particulier, elle aimerait bien le cerner un peu plus, peut-il vraiment être de son côté ? Ou se fait-elle encore avoir ? Ce ne serait pas si étonnant, elle collectionne les boulettes en ce moment... Eli acquiesce facilement à sa réflexion, Redwood est loin d'être très paisible. Elle n'est pas sûre qu'elle ait été vraiment paisible d'ailleurs mais c'est un autre débat !

Eli veut qu'il lui fasse confiance alors elle lui montre sa carte du New York Times. Elle est appuyée par un grand journal, aucun doute que cela fera une grande différence quand elle publiera son article sur la Rose Lunaire. Eli plisse les yeux et penche légèrement la tête : « Plusieurs cas ? Combien de personnes ? » Elle doit bien se douter d'un nombre plus important qu'elle, elle est bien plus jeune, elle n'a pas eu tout le temps d'Asael pour enquêter. Ses lèvres se mettent à sourire face à sa proposition. Elle comprend ce qu'il fait et il a raison, il doit toujours se méfier. Eli ne craint pas d'annoncer le premier nom : « Castiel DeWitt » Tout le monde sait qu'elle le soupçonne depuis biiien longtemps. Et dernièrement, elle a bien cru qu'elle allait l'étrangler, il a simplement eu de la chance d'avoir pu bénéficier de ce magnifique bouclier... Aujourd'hui, elle veut prendre sa revanche alors pourquoi pas débuter par lui ? Évidemment, elle soupçonne Søren, bien trop proche de Castiel mais elle ne le mentionnera pas au pasteur, elle préfère le protéger d'une quelconque supposition à son encontre... Eli se reconcentre pour évoquer un peu plus son instinct contre DeWitt. « Cela fait un moment que je le soupçonne. Avec son argent, ses fondations, sa façon d'être, il doit être forcément lié à la Rose ». Ses yeux restent bloqués dans son regard : « Je n'ai jamais réussi à avoir une preuve irréfutable contre lui. » Un soupir, exprimant tout l'effort qu'elle peut fournir pour les trouver, ces preuves « Je vais être transparente avec vous mais j'ai toujours détesté cet homme. Et depuis que je l'ai accusé ouvertement d'en faire partie, il fait tout pour me surveiller et me pourrir la vie » Conclusion, elle veut lui rendre la monnaie de sa pièce. « Qu'avez-vous sur lui ?»

Un personnage bien particulier, ce pasteur. Connu de tous, connait tout le monde : on lui supposerait toutes les bonnes intentions possibles et pourtant, Asael sert toujours un intérêt particulier. Pas vraiment le sien, pas vraiment éloigné de son rôle d’homme d’église non plus mais, enfin, un intérêt tout de même : anéantir la Rose Lunaire. La haine si farouche de celui qui a essuyé échec sur échec depuis près de quarante ans se comprend probablement, au fond ; Qui à sa place ne serait pas tout bonnement excédé par cette lutte sans fin ? Il tient bon, le vieux. Increvable et toujours attentif à chaque détails, collectant silencieusement les informations qu’il n’hésite pas à réarranger selon son agenda. La présence d’Eli dans son bureau l’intrigue forcément, d’une part parce qu’il a bien connu sa famille, d’autre part parce qu’il se demande quelles sont ses intentions et s’il peut lui faire confiance. Pour le moment, la jeune femme va un peu vite en besogne. « Beaucoup. » Sourire énigmatique, bienveillant en apparence mais où l’on devine toujours une réflexion plus profonde. Le pasteur n’est pas né de la dernière pluie, il ne révèle pas ce qu’il sait aussi facilement.

En revanche, il cherche évidemment à confirmer si elle effectue réellement des recherches sur la Rose Lunaire et, le cas échéant, qui elle soupçonnerait d’en faire partie. C’est devenu tabou, nous ne sommes plus dans les années 80 : hors de question de vivre cette foi en prônant l’amour des libertés individuelles, les cafards se cachent désormais. Ce qui ne les rend pas moins dangereux, au demeurant. « Premier choix assez facile » note-t-il tout en haussant un sourcil, puisque DeWitt est probablement sur la liste de toutes les personnes qui s’intéressent à cette secte. Trop riche pour être innocent, trop puissant pour être seul : vous ne vous mouillez pas beaucoup miss Larsen, mais Asael demeure d’accord avec son analyse. « Oui. » Un air tranquille anime les traits fatigués du pasteur qui acquiesce, oui, il doit forcément en être, le contraire serait trop improbable pour être réaliste. Quant aux preuves… « C’est toujours là que le bas-blesse, au fond. Et puis lorsqu’on a enfin les preuves, encore faut-il qu’elles correspondent à un crime ou un délit permettant d’engager des poursuites. » Appartenir à une secte n’est pas un délit, après tout : chacun est libre de renoncer à sa liberté.

« Eli. Ecoutez-moi. » Le pasteur se redresse, croise les doigts sur son bureau. Il revoit un instant la mère de la jeune femme dans ce joli regard bleu, en éprouve une certaine nostalgie. « Méfiez-vous de DeWitt comme de la peste, et c’est presque un pléonasme que de le formuler ainsi puisque cet homme est effectivement la pire vermine qu’on puisse imaginer. » Très sérieux dans ses avertissements, le ton qui se veut pourtant calme. Asael le pratique depuis quelques années déjà, le riche veuf : il n’a pas peur de lui. En revanche, il ne doute pas un instant que parmi les membres de la Rose Lunaire qui représentent le plus grand danger, Castiel est en tête de liste. « En dehors de votre instinct, vous ne semblez pas avoir grand-chose sous la main » remarque-t-il cependant dans l’ombre d’un sourire. Un échange bien inéquitable, lorsqu’elle lui demande de révéler ses propres dossiers alors qu’elle n’offre rien. Il le dit cependant sans méchanceté, façon détournée de lui faire comprendre qu’il ne collaborera pas sans contrepartie. Après tout, il ne sait toujours pas à qui il a affaire, quelles sont les intentions de cette jeune femme, pourquoi Amdhal est devenu son nom d’épouse. Et puis, est-ce que son père n’était pas un Jensen ? Ils remontent à loin, ces souvenirs. Pourtant le pasteur plisse progressivement des yeux tout en les déterrant. « Quoi qu’il en soit… Je vous déconseille de vous attaquer frontalement à lui » reprend-il au sujet de DeWitt après quelques instants de silence. « C’est le plus évident, le plus dangereux aussi. On risquerait de ne voir que DeWitt parce qu’il attire toute l’attention mais parfois… Souvent. Les membres de la Rose Lunaire sont bien plus proches de nous que nous le pensons. » Un arrière-goût légèrement amer en bouche à ce sujet. « Je vous laisse avancer sur vos recherches, me revenir lorsque vous en saurez plus. Parlez-moi plutôt de vous. Comment va votre famille ? » Il semblerait que le pasteur change poliment de sujet de conversation, et pourtant.

Eli ne sait rien de ce lien entre le pasteur et sa propre famille. C’est la première fois qu’elle met les pieds dans cette paroisse, ignorant totalement qu’elle est déjà venue, plusieurs fois avec sa mère quand elle était encore bébé, juste avant son accident. Evidemment, elle n’a aucun souvenir dans son esprit. Elle ne possède pas non plus d’objet souvenir ou de photo à ce sujet, Eli s’imagine simplement que sa mère venait ici pour prier ou échanger rapidement avec Asael comme il devait le faire avec l’ensemble des fidèles. Tout ce qu’elle sait, c’est que ce passeur est une véritable mine d’informations, elle ne compte pas le lâcher tout de suite. La preuve, il semble avoir beaucoup de noms en tête. Il se fait prudent avec elle et c’est normal, elle le comprend. Son expérience montre à quel point il se méfie dès que le sujet est mis sur la table. Mais Eli n’hésite pas et vient prononcer un premier prénom. Castiel DeWitt. Premier choix facile, oui. DeWitt est comme une vitrine, il s’expose, on l’accuse, dément, montre l’inverse avec son argent… Alors qu’en attendant, les autres se planquent facilement derrière lui. Eli écoute attentivement le sage devant elle, elle n’a aucune preuve face à Castiel, juste des suppositions. La journaliste reprend une grande inspiration. Elle sait tout ça. Elle sait qu’elle devrait faire plus attention aussi. Mais Eli se sent protégée par quelque chose, sait qu’il ne fera rien puisqu’elle est entourée par les mêmes amis que lui. Elle soupire légèrement et lâche : « Je sais, je n’ai pas de grande preuve le reliant à l’organisation. Mais je peux et je veux entacher son image. » Trop de déterminations parfois, portées par la rage de le détruire. Néanmoins, Eli est tout de même consciente du danger et acquiesce à ses paroles « Vous le connaissez depuis longtemps j’imagine ? » Eli aussi, aimerait voir ce qu’Asael est prêt à lui dire. A ses paroles, elle comprend qu’il se méfie beaucoup trop et qu’il ne donne pas aussi facilement les informations. Elle va devoir lâcher un peu plus d’information. Les autres membres de la Rose Lunaire sont proches, bien trop proches, elle le sait, malheureusement.

Eli entrouvre légèrement la bouche en entendant ses propos suivants, lui faisant bien comprendre qu’elle n’avait rien à lui mettre sous la dent et qu’elle pouvait donc changer de sujet. Sa famille. Un sujet plus difficile pour elle, bien plus que ses recherches. Eli reprend une autre profonde inspiration, sentant déjà sa gorgée se nouer légèrement. « Eh bien, comme je vous le disais ma mère est décédée dans un accident de voiture avec mon père. J’ai vécu avec ma grand-mère, Anna Larsen, que vous connaissez aussi, je pense, mais elle avait horreur des églises. » Précise Eli avec un sourire amusé. La maison de Satan pour elle. Non mamie, tu te trompes de maison. « Elle est aussi décédée il y a un an maintenant. » La famille d’Eli disparaît petit à petit. Eli penche un peu la tête sur le côté en pensant à la branche familiale, côté père. « Je ne connais pas mon père. Ma grand-mère ne m’a jamais parlé de lui, ni de sa famille. J’ai fait des recherches avant de découvrir son nom de famille. J’imagine que ça vous parle : Jensen ? » Question idiote pour un vieux pasteur du coin mais qu’importe, il a réussi à l’orienter vers un autre sujet que la Rose Lunaire et Eli aimerait avoir quelques réponses maintenant.

Comme Asael l’explique sur un ton tranquille, Castiel DeWitt n’est ni un membre de la Rose Lunaire difficile à repérer, ni un membre de la Rose Lunaire facile à coincer : frustration de tous les instants, mieux vaut sans doute ne pas trop se focaliser sur son cas. Bien que n’accordant qu’assez peu de confiance à la jeune femme qu’il ne connait pas personnellement, le pasteur ne lui souhaite évidemment aucun mal ; Il n’a aucune raison ou presque de lui supposer de mauvaises intentions pour le moment. Sur le fil, sur plusieurs tableaux, le vieil homme a l’habitude de composer : privilège de l’âge et de l’expérience, il ne se laisse pas facilement amadouer. « C’est un joli projet, que je soutiens évidemment. » Qui n’aime pas entacher l’image de l’homme aussi riche que crapuleux ? Le pasteur le premier est conscient du pouvoir de la réputation. Or, sans doute espérait-il qu’une journaliste soit capable d’aller plus loin ; De mener une enquête sur des bases plus solides que quelques rumeurs. Peut probablement mieux faire, ou n’est pas entièrement honnête : difficile à dire sans la connaître. Il acquiesce cependant à sa question. « Oh, oui. Sa famille fait partie du paysage depuis longtemps. Vous devriez… Chercher des choses à ce sujet. » Au cas où elle serait réellement de bonne foi – et réellement sans piste à suivre. En voici une qui vaut ce qu’elle vaut, mais après tout, ne fait-il pas commencer quelque part ?

Il n’aura finalement pas fallu très longtemps à Asael pour comprendre que ce n’est pas de la bouche d’Eli Larsen qu’il obtiendra des informations nouvelles ou précieuses – ou du moins, pas en jouant le jeu ouvert des questions très franches. Rien qui ne l’attriste trop : il y a bien d’autres façons d’amener les gens à dire ce qui nous intéresse, et le pasteur les connait désormais par cœur. « Hm. C’est bien possible. » Anna Larsen, Anna Larsen, Anna Larsen… Probable qu’Anahid pourrait facilement compléter le blanc dans la mémoire du vieil homme qui conserve un souvenir plus intact de Claire Larsen, de son époux aussi. « Je vous présente mes condoléances. » Il esquisse un sourire bienveillant, la mort n’étant évidemment qu’un passage comme un autre de la vie à ses yeux : un retour vers le Seigneur, y compris pour les âmes qui ont visiblement passé beaucoup de temps à les fuir. Ce qu’il note surtout, c’est qu’il ne reste donc plus beaucoup de famille à la personne qui lui fait face : un oncle, une tante et un cousin – si sa vision est juste. « Bien sûr, oui. La famille Jensen est originaire de la ville. » Pas si étrange que la vieille n’ait rien dit, songe-t-il silencieusement. Cela ne lui est pas revenu immédiatement, mais en considérant Eli -et en revoyant sa mère à sa place-, de vagues souvenirs d’une grosse dispute familiale lui reviennent. Pas très jolis, ces souvenirs, mais à vrai dire il se souvient surtout d’avoir vu Anahid passer des heures et des heures en compagnie de chacune des femmes de cette famille ; Puis des heures et des heures à rédiger des courriers suppliants aux hommes qui se déchiraient.

« Jane et Robert ont fréquenté assidûment la paroisse jusqu’à très récemment – jusqu'à leur déménagement en fait. En revanche, leur fils habite toujours ici. » De quelles informations au sujet de cette branche de sa famille la jeune femme dispose-t-elle ? Sans doute dans l’envie de tâter le terrain, le pasteur poursuit : « du moins, je le crois. Son divorce récent l’a bien remué, il semblait assez confus la dernière fois qu’il est venu chercher de l’aide à l’église. » Confus au point d’en oublier son propre métier, ce serpent qu’Asael n’avait de toute façon jamais apprécié. Il n’aura guère eu besoin de mener une enquête très poussée à la suite de cette visite extrêmement désagréable pour lever le doute, savoir à quoi s’en tenir : méfiance est mère de sûreté. « Mais peut-être avez-vous déjà repris contact avec eux ? » Toujours plus intéressé par ce qu’on peut lui révéler que par l’idée d’en dévoiler, même s’il faudra reconnaître que ce qu’il sait au sujet de cette famille ne semble a priori pas avoir de lien avec la Rose Lunaire. Une famille qui se dispute un héritage, n’est-ce pas la chose la plus banale au monde ?

Plus les minutes passent et plus Eli réalise que le vieux est robuste en affaire. Et en même temps, elle s’attendait à quoi ? Qu’il lui déverse toutes les informations en échange de son beau sourire ? Eli a bien conscience qu’elle doit lâcher ce qu’elle compte faire avec la famille de Castiel, gardant bien en tête ce projet assez dangereux. Quoi qu’il en soit, il soutient son projet, c’est une bonne chose, enfin une personne contre DeWitt !! « Justement, à ce propos, j’ai un rendez-vous prochainement avec Irene Foster-Miller. » Annonce naturellement Eli avec un petit sourire satisfait, espérant titiller sa curiosité avec cette information. De son côté, elle ne baisse jamais les bras, toujours en quête d’informations cruciales concernant la rédaction de son article.

Asael détourne rapidement le sujet en évoquant sa famille. Il a raison puisque ce sujet attire toujours un peu plus Eli, ayant le besoin de combler ce vide si important en elle. Elle évoque sa grand-mère mais son nom semble rester légèrement en suspens. Eli allait ajouter quelque chose mais voilà qu’il lui présente ses condoléances. La journaliste esquisse un léger sourire, acceptant évidemment ses propos. Cela fait 1 an mais la déchirure est toujours aussi immense dans son cœur. Eli préfère se tourner vers l’avenir en lui posant quelques questions sur cette autre branche de sa famille, les Jensen. Et évidemment, ce nom lui parle au pasteur, il sait tout. Eli écoute attentivement ses propos. Le déménagement de Jane et de Robert et leur fils qui habite toujours dans le coin. Elle sait tout ça mais elle ne dit rien, elle le laisse terminer. Asael continue sa lancée et évoque le divorce de son cousin. WHAT ??? Eli se force vraiment à garder son visage totalement neutre, elle cache la surprise en entendant de tels propos. Depuis quand Leo demanderait-il de l’aide à la paroisse ? Il n’a pas une armée d’avocats près de lui ? « Et l’avez-vous aidé à aller mieux ? » Demande naturellement Eli avec un air légèrement inquiet, comme une cousine qui s’inquiète pour un membre de sa famille, voilà tout. Parallèlement, elle cherche surtout à comprendre le lien entre Leo et Asael, elle ne veut pas rebondir tout de suite face à ses propos car elle ne sait pas si elle doit le croire ou non. La journaliste finit par acquiescer à sa question. « Oui, récemment. J’ai trouvé des documents, des photos sur cette famille dans la maison de ma grand-mère. J’ai retrouvé Jane, Robert et Leo, que vous semblez aussi bien connaître… ? Décidemment, Asael, c’est bien vous que j’aurai dû rencontrer dès le départ. Votre mémoire est infaillible, vous m’impressionnez. » Eli sourit, bien consciente qu’elle a une mine d’or devant elle, le flatter aussi pourrait peut-être aider. « J'avoue que je ne sais pas vraiment pourquoi toute cette famille a explosé, il y a encore des zones d'ombre. Ma mère vous en a peut-être parlé ?  »

Difficile d’entrevoir ce à quoi la personne face à lui s’attendait réellement : miss Larsen espérait-elle qu’Asael lui dévoile l’entièreté de ses secrets pour le simple plaisir de sa compagnie ? C’est mal connaître le pasteur aux mille secrets, presque aussi vieux que cette ville semble-t-il et aux oreilles qui traînent partout. Pas né de la dernière pluie, et peu enclin à se livrer sans au moins savoir à qui il a affaire. En l’occurrence, à une journaliste qui paraît ne pas avoir beaucoup avancé sur son enquête ; A peine possède-t-elle une piste qui n’en est pas réellement une – il n’y aurait qu’un aveugle ou un fou pour encore croire que Castiel DeWitt est innocent. « Ah oui ? Et comment comptez-vous l’approcher, si je peux me permettre de poser la question ? » Le ton dépourvu de mesquinerie, mais le sourcil qui se hausse laisse bien entendre qu’il faudra sans doute réfléchir à une approche plus subtile si Eli Larsen espère écrire son article un jour. Elle est jeune, songe-t-il en l’observant. Naïve. Elle ne sait pas dans quoi elle met les pieds.

Dès lors, le pasteur pourrait prendre poliment congé ; Renvoyer cette jeune femme chez elle, l’inviter à reprendre contact lorsqu’elle aura davantage avancé dans son cheminement. Or, le vieux malin ne perd jamais une occasion d’étayer ses propres dossiers – de façon probablement à peine plus détournée et discrète. De fait, il a connu la famille Jensen et maintenant qu’il y réfléchit bien, il est vrai que des bribes de souvenirs au sujet d’une profonde dispute familiale lui reviennent. Ce n’est pas qu’il tienne exactement les comptes de tout ce que vivent les paroissiens depuis plus de quarante ans, mais heureusement pour lui il ne faut jamais plus de quelques minutes pour qu’il parvienne à se remémorer. Des épisodes lointains, d’autres beaucoup plus récents. Loin de trouver un intérêt particulier à raviver ces braises, c’est bien Leo Jensen que le pasteur a dans le viseur en posant ses questions, en tâtonnant avec le prêche de mensonges dont il espère tirer une vérité. Pas de réaction. Surprenant. Cette histoire de divorce aurait-elle donc pu être sincère ? « Nous avons discuté un certain temps, largement évoqué ce que nouent les liens du mariage… Mais Leo ne fréquente plus très assidûment la paroisse, je crains que mon aide soit limitée en ces conditions. » Sourire tranquille de celui qui n’a pas menti, pas réellement du moins. Ils ont effectivement beaucoup parlé des liens sacrés du mariage lors de cette si désagréable entrevue, mais plutôt du sien au fond – et Asael sait qu’il ne faut pas prendre autrement que comme une menace directe cette incursion dans sa vie privée.

« Je vous remercie, même si je crains que ma mémoire ne soit pas aussi infaillible que vous le supposez. » D’ailleurs, la question suivante le déstabilise légèrement ; Le temps d’une seconde de réflexion, ses yeux qui s’égarent sur une bibliothèque dans le dos de la jeune femme comme à la recherche du bon dossier à ouvrir. « Je ne me rappelle pas que votre mère m’ait fait part de préoccupations particulières, mais… » Ses sourcils se froncent légèrement, tout ceci est loin et rien ne l’a marqué – du moins rien avant le drame, preuve supplémentaire qu’il n’enregistre pas à la perfection chaque petite complainte qui remonte jusqu’à ses oreilles. « Dans mes souvenirs, les deux couples Jensen semblaient plutôt heureux, jusqu’à… Je me rappelle d’un réveillon de Noël pour lequel Jane et votre mère avaient passé un temps incroyable dans les cuisines de la paroisse pour aider à la préparation du dîner solidaire. Je n’ai probablement plus jamais mangé d’aussi bon gâteaux à la cannelle depuis. » Il marque une pause, esquisse un fin sourire, comme pour laisser les senteurs de ce souvenir embaumer la pièce et recouvrir le reste de l’histoire qui ne s’achève pas là, bien sûr, mais après tout ce n’est pas ce qu’Eli lui demande. « Mon épouse les fréquentait plus que moi, je dois le reconnaître. Elle aurait sans doute pu vous apporter des précisions plus nettes quant à leurs relations, pour ma part je n’ai jamais été le confident de leurs possibles discordances à ce moment-là. »