C'est un froid matin de février que Kieran a vu le jour. Deuxième enfant de la famille Price, il est également leur second fils, précédé 5 années avant lui par Xander. Enfant non désiré, sa mère a appris trop tard sa grossesse pour s'en débarasser donc autant le garder. Il aurait pourtant préféré qu'ils fassent un choix plus judicieux, l'abandonner même dehors dans un coin aurait toujours été moins terrible que de lui offrir ce genre de vie. Des parents pas vraiment appréciés, pas les parents d'élève qu'on a envie d'inviter à la kermesse ou au barbecue dans le quartier, un père toujours dans des magouilles diverses et variées si bien que si vous demandiez à Kieran quel était son boulot quand il était enfant il était bien incapable de répondre. Escroc, ça compte? Voleur, menteur, manipulateur. Une mère souvent alcoolisée, malheureuse de sa vie qui pourtant de l'exterieur ne semblait pas à plaindre dans la jolie petite maison plutôt bien tenue, mère malgré elle de ce premier gamin qui pourtant avait trouvé sa place dans tout ça et qui leur ressemblait trop pour ne pas l'aimer.  Les mauvais traitement ont commencé si tôt qu'il ne se souvient même plus trop comment ni quand, il finissait par terre, un croche pied de son frère, poussé contre le mur par son père quand il lui trainait dans les pattes. Rabaissé, frappé, cogné, forcé à se placer sous l'eau glacée de la douche. Des bleus sur le corps cachés par ses vêtements, des coupures parfois comme cette fois où il avait fini sur la table basse en verre du salon. Mal nourri, enfermé dans un cagibi, rabaissé constamment, le gamin était globalement peu causant et empli d'un mélange de peur constante et de colère. S'il est capable de se souvenir d'un seul moment serré dans les bras d'un de ses parents à ressentir de l'amour? Non. Tout ce qu'il faisait était repris, critiqué, moqué, si bien qu'il ne pouvait qu'essayer desespérément de faire les choses bien. Sa chambre n'était jamais en bazar, sauf quand son frère s'amusait à balancer des trucs au sol, il se disait malgré lui que si il faisait tout comme il fallait, peut être qu'ils finiraient par l'aimer? Des résultats brillants à l'école, toujours beaucoup de facilits bien qu'il ne s'exprime que peu par manque d'habitude. Rentrer à la maison n'avait jamais été un bonheur pour lui, pas plus que les vacances d'ailleurs. Si on arrache ses racines a un arbre, comment est il supposé grandir?

Socialement ça a toujours été compliqué, un trouble certain de l'attachement, comment apprend-on à aimer quand ceux qui sont supposés être notre famille ne nous ont jamais montré ce que c'était ? Il n'a pourtant jamais été seul, c'est assez paradoxal, mais rarement parce qu'il en avait quelque chose à faire des gens qui trainaient avec lui. Il pouvait le feindre mais interieurement une part de lui se méfiait toujours. Une faible estime de soi malgré cette carapace et une stature qui inspire la confiance, l'air de toujours savoir précisément ce qu'il faisait, ce n'est pas le genre de gamin qu'on venait embêter. Jamais. Pas plus en tant qu'ado ou très rapidement il avait réussi à s'entourer. Un entourage pas vraiment mieux que sa famille, les racailles, les rebelles, ceux qui intimident et vous font raser les murs, ceux qui vous font leur donner votre argent de poche si vous ne voulez pas vous faire cogner. Il n connaissait pas d'autre langage au fond, et se retrouvait dans le rôle du bourreau plutôt que dans celui de la victime. Existait-il autre chose que ça? Entre frapper et être frappé, le choix était fait. Respecté, craint, ça pouvait être grisant quand tant de fois on s'était senti si faible et misérable. C'était ce qui l'a fait tomber dans des trafics plutôt jeune, ce sentiment d'indépendance que ça pouvait procurer, le goût de l'interdit, d'être celui qui gérait. Lui même a consommé un peu, parce que c'était simple, parce que ça faisait oublier et que ça éteignait la douleur les jours plus difficiles. Il n'a pour autant jamais été addict, ça restait ponctuel et il se permet encore ce genre d'échappatoire parfois.

C'est chez un membre de ce petit groupe qu'il s'était formé qu'il s'est barré alors qu'il avait 16 ans, ça avait été trop loin ce jour là et c'était la dernière fois qu'il voulait sentir le goût du sang dans sa bouche, ce sentiment de vulnérabilité et de trouille qui le prenait aux tripes quand de concert ses géniteurs semblaient vouloir passer leurs nerfs sur cet enfant qui semblait devoir porter le poids de leurs propres échecs. La lèvre fendue, des côtes brisées, il s'était barré avec ses affaires rapidement rangées dans un sac et n'était jamais revenu. Autant dire qu'ils n'avaient pas appelé la police pour signaler quoi que ce soit, et ce n'était pas comme si le lycée avait des réponses de leur part en temps normal. A la place il se retrouvait donc dans l'appart de ce gars de son petit groupe, un peu plus âgé que lui mais on aurait facilement pu dire l'inverse. Chétif, naïf, facile à manipuler pour le grand gaillard qu'était déjà Kieran. Il n'avait aucun scrupule à le dégager de son propre appart quand il a découvert rapidement l'amour des courbes féminines et le plaisir charnel. Une autre forme de virilité et de pouvoir, que d'avoir des femmes qui nous convoitent et sont si éprises qu'elles disent oui à tout et ne voient pas qu'elles vont se faire jeter pas longtemps après. Une gueule d'ange, une apparence qui inspire la confiance mais on peut croquer dans un fruit pourri même s'il semble bon de l'exterieur. Brisé en trop de morceaux pour se construire convenablement, il s'engage lui même dans ces schémas auto destructeurs d'une certaine façon. Faire mal avant qu'on nous fasse mal, être persuadé de ne pas mériter l'amour et donc s'y fermer. Telle était la vie qu'il a décidé de mener.

Rapidement plongé dans des magouilles comme son paternel avant lui, le genre à fouiner pour avoir des éléments pour vous faire chanter et vous faire cracher de l'argent, ou à utiliser un peu trop l'intimidation pour faire craquer, il s'est fait arrêter encore bien jeune par Desmond Oxburry mais étonnament ce dernier n'avait pas cherché à lui créer des ennuis bien au contraire. Il était devenu dès cet instant une éspèce de figure paternelle pour le jeune Price. Ce dernier lui avait présenté la police comme une bonne planque en soi, une situation stable et aussi un boulot respectable. Il avait fallu pas mal d'arguments pour que Kieran consente à s'y inscrire. On lui avait souvent dit qu'avec une telle intelligence il aurait pu faire ce qu'il voulait mais lui n'avait toujours voulu qu'être enfin en paix, ne plus manquer de rien. Il était devenu le binôme de celui qui l'avait tiré de sa vie plutôt misérable quand même de petit rebelle qui traînait trop dans les rues, lui enseignant pourtant aussi des combines sous couvert de son boulot pour gagner un peu plus, et de là Kieran s'était créé son propre code. Il n'avait aucune pitié pour les types qui malmenaient des gamins, des gars qui agressaient des femmes, ceux là il pouvait les détruire volontiers mais les autres qui commétaient des délits différents, vols, détournement d'argent il préfère les faire chanter et obtenir sa part du gâteau tant qu'ils ont plus à perdre que lui. Il aime beaucoup aussi garder en mémoire ou fouiner des informations pour avoir la main mise sur de gros poissons. Ce sentiment de pouvoir il l'aime, il ne peut pas dire le contraire. On lui reproche souvent son impulsivité dans le métier, les petites bavures et les passages à tabac mais ça reste un flic efficace, personne ne peut dire le contraire. Obstiné, presque obsessionnel, il ne compte jamais les heures et fait le nécessaire.
C'est ce qu'il a fait aussi quand Desmond a perdu son épouse dans des circonstances tragiques, mais il avait beau bosser il n'avait pas pu lui apporter la paix et il avait perdu son binôme ce jour là. Graduellement, puis plus radicalement. La compréhension avait cédé sa place à la rancoeur face à cet abandon puisque c'était ainsi qu'il le vivait, et il a la rancoeur tenace le jeune Price. Ils assuraient toujours leurs arrières, passaient derrière la connerie de l'un ou de l'autre pour arranger les choses. Depuis Kieran fait d'autant plus profil bas, globalement loup solitaire.

Une petite maison à lui sans prétention, il n'en a pas les moyens mais un lieu impeccable toutefois. Il s'est construit une forme de stabilité, mais ça reste surement bien différent des aspirations d'un quarantenaire. Parfois il a l'impression d'avoir eu le même âge toute sa vie. Si le reflet dans le miroir change dedans il se sent toujours le même. Toujours un monticule de petits fragments ici et là. Un ensemble bancal qui peut s'écrouler et vriller sans prévenir. Sa relation aux femmes est restée aussi inconstante que dans ses jeunes années, les filles de son âge ont cédé la place souvent à des femmes plus jeunes. Pas forcément par critère physique mais parce qu'elles ont ce côté innocent et naïf, moins intrusif qu'avec des femmes de son âge. Peut être une façon aussi de se rajeunir un peu et de ne pas se confronter à son échec dans le fait de construire quelque chose. C'est plus fort que lui, il préfère profiter, prendre du bon temps puis les balayer de sa vie et retrouver sa sécurité personnelle. Ne pas leur laisser le temps de voir toutes ces fêlures même si les cicatrices sur son corps sont équivoques, de même que ses petites manies et tics nerveux. Il n'a pas de scrupule à leur faire de la peine, personne n'en a jamais eu pour lui. Alors si elles doivent avoir le coeur brisé parce qu'elles ont cru à quelque chose qu'il n'avait pourtant pas promis, tant pis pour elles. Parfois il se dit juste qu'il ferait peut être un père pas si médiocre, pour se prouver peut être aussi qu'il pourrait faire tellement mieux que le sien? Ou pour se prouver qu'il était capable de faire un truc bien et qu'il n'est pas totalement cassé de l'intérieur. Ca c'est encore une autre histoire.