Danny était un peu hésitant en entrant dans la mairie, se demandant bien ce que la municipalité avait prévu pour divertir les habitants de Redwood Hills. S’il avait accepté de venir, c’était avant tout pour faire de nouvelles rencontres, parce qu’il était curieux et souhaitait sincèrement s’intégrer davantage. Alors il avait fait un effort vestimentaire, pour une fois, même s’il était terriblement gêné, se demandant de quoi il pourrait parler, lui qui avait des centres d’intérêt pour le moins restreints. Au pire, il laisserait la femme en face parler. Et puis, au moment de la distribution des places, il entendit le prénom Louise et son fichu cœur bondit dans sa poitrine. Louise, Louise Howell ? La dernière fois qu’il l’avait vu, c’était au Snow Rose Café, elle était venue un soir peu de temps avant la fermeture, et Danny avait passé une très bonne soirée en sa compagnie. Le cœur battant à tout rompre, il se dirigea vers sa table, mais Louise n’était pas encore arrivée. C’était à prévoir, de crainte d’être le dernier, et voulant montrer sa motivation et sa ponctualité comme s’il était à un entretien d’embauche, il était arrivé en avance. Dépité, il s’assit et en profita pour lisser un peu ses vêtements, ses cheveux, chercher en vain un miroir des yeux, puis il aperçut le biscuit chinois posé devant lui. Il se rappela alors qu’il fallait l’ouvrir, c’était dans les règles imposées, alors il s’en empara et, curieux, le brisa.

Enfin, Louise arriva, au moment même où Danny découvrait ce qui était écrit sur son biscuit chinois. Il fronça les sourcils, ne comprenant pas, il s’attendait à une maxime pleine d’optimisme et de mystère, une sorte de poème de Keats, mais au lieu de ça, il lut une expression qu’il ne connaissait pas. Etait-ce comme ça qu’on draguait, de nos jours ? Que les personnes normales draguaient ? Danny n’en savait trop rien, mais il détestait cette approche. Il n’eut pas le temps de réfléchir plus, puisque Louise était là et risquait de mal prendre son silence, si bien qu’il leva les yeux. Elle était toujours aussi belle, même au naturel, même s’il remarqua le peu de maquillage sur son visage, elle était tout aussi jolie, si ce n’est plus, et il sentit son cœur s’accélérer.  « Ouais, j’ai vu, c’est une sacrée coïncidence... Mais j’vais bien. Toi aussi ? » peut-être que ce soir, ils pourraient approfondir leur conversation de l’autre jour, dans le Snow Rose, même si le temps était compté, même si les paravents n’offraient une intimité que relative, il était heureux de pouvoir discuter à nouveau avec elle, de se servir de cette excuse pour passer un moment en sa compagnie. Il désigna les deux chaises du menton et il s’assit tandis que la jeune femme ouvrait son propre biscuit chinois. Il n’osait lever les yeux vers elle, si bien qu’il ne pouvait guetter sa réaction, mais une fois qu’elle fut assise, il fit remarquer « Je ne savais pas que tu t’étais inscrite au speed-dating, toi aussi... Tu recherches le grand amour ? » sourire ironique, qui sonnait faux. Mais cette soirée toute entière sonnait faux, alors il n’était plus à ça près.

Danny se posait beaucoup de questions au sujet de Louise, il se demandait par exemple si elle était romantique, dans le fond ? Elle assura être ici non pas pour le grand amour, qu’elle n’était pas certaine de chercher, mais au moins pour les rencontres. Prudent, Danny hocha la tête, sans trop savoir ce qu’il approuvait. Lui, s’il croyait encore à l’amour, dans toute sa naïveté, dans tout son optimisme, savait que le vrai n’existait pas. L’amour, c’était en grande partie une construction sociale, il était lucide là-dessus, mais il ne pouvait s’empêcher d’être un grand romantique, sur certains points. Sans doute était-ce à cause de la poésie. Louise parla de poser des questions un peu plus personnelles et Danny fronça les sourcils, commençant à paniquer. « Ouais, mmh… Si tu veux. T’as sûrement raison, il faut bien commencer quelque part » et puis ils se connaissaient déjà superficiellement, ils pouvaient essayer d’en apprendre davantage l’un sur l’autre, même si Danny redoutait qu’elle découvre certaines choses de son passé tumultueux. Ne sachant trop ce qu’elle sous-entendait par cette appellation, il prit les devants et lâcha « Commence, toi d’abord. Qu’est-ce que tu voudrais savoir sur moi ? » bien sûr, il appréhendait, il aurait bien voulu lui plaire, à Louise, même s’il n’avait pas vraiment confiance en lui.  Même s’il était certain de ne pas lui plaire – surtout s’il commençait à parler de Chicago, car à l’époque, il fallait bien le dire, il n’était pas un mec bien. Pas vraiment, en tout cas. Comme beaucoup, il avait commis des actes condamnables.

Louise commença donc à lui poser ses questions et fort heureusement, Danny pouvait très bien répondre aux premières puisque la jeune femme lui demandait s’il avait des frères ou des sœurs. « Non. Enfin, si. Enfin… » en réalité, c’était un peu plus compliqué que prévu. « Pendant longtemps, il n’y a toujours eu que ma mère et moi. J’ai jamais connu mon père, j’suis même pas sûr que ma mère se souvienne de qui c’était, d’ailleurs. Je suis né à Chicago » expliqua-t-il en ayant l’impression de faire d’énormes raccourcis, mais il n’y avait pas grand-chose à dire sur cette période. Il n’avait pas l’intention de parler de son enfance chaotique, opprimée, humiliée, pas envie d’expliquer pourquoi ni comment, parler d’Avi ou de Jana, non. « Et puis récemment, en septembre dernier, j’ai appris que j’avais une demi-sœur, elle s’appelle Lexie. Elle a débarqué à Redwood Hills pour me dire tout ça. Pendant trente-deux ans, ma mère m’avait caché ça. Tu imagines ? » il grimaça. Non, ce n’était pas imaginable, un secret pareil, une trahison pareille. Danny avait toujours du mal à lui pardonner, même si à ce jour, il recommençait à lui parler. « J’ai pas vraiment eu une vie conventionnelle, tu vois… Mais ça ne me dérange pas d’en parler, non » il leva les yeux vers Louise, craignant sa réaction. D’elle, il savait un peu plus de choses, car ils en avaient discuté au café, la dernière fois. Mais elle restait toujours un mystère pour lui. « Tu m’intrigues, tu sais. Enormément. Et en même temps, j’sais pas quelles questions je pourrais te poser, j’aurais bien trop peur de te blesser » avoua-t-il, penaud.