Au fur et à mesure de ses réflexions, Gabriela a l’impression de voir Tristan se décomposer. Il est fébrile, plus fébrile encore quand elle commence à partager ses pensées sur l’existence des fantômes et sur les raisons de leur errance sur Terre. Oh, elle est bien consciente que son meilleur ami n’est pas bien courageux et qu’au moindre grincement de dents il serait le premier à trembler et à hurler mais il l’a toujours suivi dans ses aventures, et ce, même avec la peur au ventre et elle sait que ça ne changera pas. Elle aime partager ces moments avec lui, et elle aime l’idée de pouvoir compter sur lui (même alors qu’elle était souvent celle qui protégeait l’autre, et pas l’inverse). Alors même si elle voit qu’il est plutôt mécontent par sa théorie, Gabriela acquiesce et n’a pas peur de lui partager son point de vue.  « Je sais pas trop, il faudrait qu’on en rencontre un vrai pour le savoir. Tu m’accompagnerais ? » Qu’elle demande, même si elle sait déjà que la simple idée d’une telle nouvelle aventure le fait frémir mais puisqu’ils sont ensemble ce soir et qu’ils en sont venus à parler de ça, autant y aller jusqu’au bout. Ce serait peut-être plus simple de partir avec quelqu’un de sûr de lui, qui s’y connait, et qui partage le même intérêt sur la question mais avec Tristan, Gabriela est convaincue qu’au moins, ils s’amuseront ensemble et qu’ils prendront soin l'un de l'autre.
Et si Tristan ne s’y intéresse pas autant qu’elle, Gabriela est quand même parvenue à piquer sa curiosité au sujet de ses recherches, et notamment sur un homme qui rend régulièrement visite à sa mère pour y déposer d’étranges objets. « Une fois, il a laissé une boussole cassée, avec une feuille en origami. Ca ressemblait à un oiseau. J’ai pas voulu y toucher mais quand je suis revenue quelques jours plus tard, c’était plus là et à la place, y’avait des branches qui formaient un nid et une broche en forme d’oiseau. » Elle n’a rien touché, d’abord parce qu’elle s’était dit que c’était surement pour rendre hommage à sa mère, ensuite parce qu’elle était curieuse de connaitre la suite de ces échanges. « On dirait pas un genre de langage secret ? » Mais peut-être qu’elle se fait trop de films. Peut-être que la dame avait des oiseaux, ou qu’elle les aimait simplement beaucoup et qu’il ne s’agissait rien d’autre que de vieux souvenirs. Tristan tente de la ramener à la réalité, et la raison la plus plausible serait bien la sienne, mais Gabriela a cette impression qu’il y a quand même plus qu’un fils qui tente de faire le deuil de sa mère.
Ses questions tournent toujours dans son esprit quand il est néanmoins temps pour eux d’aller se coucher. Tristan est très embarrassé quand elle cherche sa compagnie, mais elle n’y lit rien d’autre que son éternel timidité qui lui joue des tours. Pour elle, Tristan a toujours été un peu gauche et particulièrement réservé alors comment pourrait-il en être autrement ce soir ? Il est comme ça avec tout le monde, elle a appris à l’aimer comme ça. L’avantage avec lui, c’est qu’il n’est pas difficile à convaincre et en quelques petits mots, il est finalement d’accord pour partager la chambre avec elle. Evidemment, elle n’a pas fait tout ce chemin pour se retrouver de nouveau seule avec sa solitude et sa peur des fantômes, ça n’aurait pas eu grand sens et elle aurait quand même fini par se glisser près de lui pour se réconforter.
Lorsque Tristan s’échappe de la chambre pour se changer, Gabriela se déshabille et fouille dans ses bagages pour retrouver son pyjama, s’habille, puis s’assoit sagement sur le lit dans l’attente de son ami. Elle n’y reste pas bien longtemps car très vite, elle se relève pour tourner dans la chambre. Elle jette des coups d’œil sur la déco plutôt sommaire, sur quelques photos qui trainent, de sa famille, de lui, et parfois d’elle, et ça la fait sourire. Elle est nostalgique en revoyant tous les moments qu’ils ont passé ensemble, les rires échangés, et les bêtises qu’ils ont réalisées. Ses yeux glissent ensuite sur des livres rangées près de la bibliothèque et elle lit distraitement quelques titres, avant de s’arrêter sur quelques cahiers cachés sous les bouquins. Elle en attrape un, et par curiosité, décide de le feuilleter. A l’intérieur, des dessins et petits croquis, des photos et des images, des petites phrases et expressions, et très vite, plus elle tourne les pages, plus elle réalise que beaucoup de choses sont liées à leur relation. Elle devine à quoi correspondent certaines dates, des événements qu’ils ont vécus ensemble, des journées entières passées à discuter et à trainer dans les rues, chez l’un ou chez l’autre ; elle reconnait les photos qu’ils ont prises ensemble, ou qu’il a prise d’elle tout au long de leur amitié. Elle a l’impression de tomber sur leur vie, ensemble, compilée sous différentes formes, accompagnée parfois de petits cœurs, et de grosses rayures qui cachent des « Tristan Turner-Paredes » et des « Gabriela Paredes-Turner ».
Sans voix, Gabriela continue de feuilleter les différentes pages, puis décide de tout refermer et de ranger le cahier à sa place, tout en faisant particulièrement attention à ce qu’il soit exactement comme il était avant qu’elle ne vienne tout chambouler. Au même moment, son meilleur ami déboule dans la chambre avec ses milles oreillers pour fabriquer un lit de fortune. Elle l’observe sans un mot, son esprit toujours pris par ce qu’elle vient de découvrir. Y’a beaucoup de choses qui bousculent ses pensées et elle a du mal à faire le point et à prendre le recul nécessaire. Elle se demande si ça signifie quelque chose ou si elle surinterprète simplement ses sentiments. Après tout, ça fait tellement longtemps qu’ils se connaissent, tellement longtemps qu’ils trainent ensemble, qu’ils vivent ensemble sans arrière-pensée alors pourquoi est-ce que ce serait différent aujourd’hui ? Qu’est ce qui aurait pu changer ? Et pourquoi est-ce qu’elle a l’impression qu’elle a raté quelque chose de si évident pour les autres ?  
Quand il relève les yeux vers elle, Gabriela le dévisage. « Euh.. non, je crois que c’est bon, ça ira, merci, » répond-t-elle subitement gênée. Elle regarde son pyjama, et elle se sent subitement ridicule – alors même qu’il l’a souvent vu dans des tenues plus embarrassantes que ce soir. C’est comme si quelque chose avait changé entre eux. Chacun finit par s’installer dans son lit, et elle rabat la couverture sur elle. Elle voudrait oublier ce qu’elle a vu, et surtout, elle se sent coupable d’avoir fouillé dans ses affaires. Elle n’aurait pas dû violer son intimité – et encore moins si c’est pour découvrir des trucs aussi intimes. Le temps passe. Un peu. Ca dure quelques minutes, avant qu’elle ne finisse par se redresser. « Tristan, tu dors ? » Elle quitte son lit, rejoint le sien.  « J’ai trouvé un cahier. » Et immédiatement, un poids disparait de ses épaules. « Je.. - j’aurais pas dû fouiller, j’suis désolée, je pensais que ce serait juste des dessins, ou des poèmes, ou je sais pas… » Quelque chose de moins significatif que des mots sur elle.  « Je savais pas quoi faire de cette information alors fallait que je le dise. » Pas sûr que cela aide à ranger correctement ses pensées mais au moins, c’est dit.

@Tristan Turner

C'est une question bête, et pour une fois, ce n'est pas lui qui l'a échappé. Une question dont la réponse est évidente, oui, mais il faut bien qu'elle la pose, même si c'est pour la forme. Parce qu'elle le sait, qu'il serait bien incapable de se refuser à l'accompagner ? Il suffit qu'elle demande après lui et il accourt, qu'importe si c'est la peur au ventre.
- Bien sûr. Mais, mais pas ce soir ? Oui, qu'elle lui accorde au moins ça, un petit délai pour se faire à l'idée (et tous un tas d'autres idées sur ce que ça implique). Car comment faire la rencontre d'un fantôme en fait ? Voilà une question à laquelle il n'aurait jamais voulu songer. Il espère que ça n'impose pas un petit détour par le cimetière – rien que d'en parler, il en frissonne. Allez Tristan, concentre-toi. Il s'efforce de repousser ces angoisses, celles qui pourraient si aisément paralyser le fil de ses pensées, lorsqu'il veut tenter d'aider Gaby, essayer d'y comprendre quelque chose, ça lui tient à cœur.
- Un langage... tu crois ? Enfin, c'est vrai que c'est bizarre que tout ait disparu au bout de quelques jours... D'habitude, ce qu'on laisse sur une tombe, c'est pour toujours. Enfin, je crois. Sauf si c'est des fleurs bien sûr, des vraies fleurs, faut bien les changer... Mais bon. Il ne sait pas quoi en penser, et regrette de ne pas lui être d'un plus grand secours. Peut-être que la nuit lui portera conseil ? Sûr qu'il n'a pas fini d'y songer, mais pour l'heure, il se soucie de son amie et de son évidente fatigue. Ils feraient mieux d'en rester là pour ce soir. Il ne peut évidemment l'abandonner au confort rudimentaire de ce canapé, et lui confie plutôt le confort d'un vrai lit, son lit. Ça lui semblait la bonne chose à faire, mais maintenant, il doute et se demande si ce n'est pas bizarre. En tout cas, pour lui, ça fait bizarre, l'idée qu'elle dorme dans son lit. Ils ne sont plus les enfants qu'ils ont été, mais lui reste éperdument amoureux d'elle, alors... ça le gêne d'associer les deux. Autant ne pas rester là pour voir ça, pas si c'est pour se troubler davantage. Sauf que. Sauf que Gabriela a une autre idée en tête, et il n'en faut pas beaucoup pour le faire plier. Dans la foulée, il prend la fuite peut-être, mais juste pour quelques instants. De longs instants. Histoire de se recomposer, d'élaborer un semblant de plan, un compromis. Il peut rester avec elle, oui, mais dans la même chambre ne signifie pas forcément dans le même lit ? À croire que c'est ça le problème – il n'ose pas même y songer à vrai dire.
Alors, s'il a trouvé une solution de fortune, il compte bien s'y accrocher : de retour dans la chambre, il l'évite du regard et s'empresse de faire son lit avant qu'elle n'ait son mot à dire. Ce silence momentané l'arrange, oui, mais il ne peut pas être éternel. Maintenant qu'il n'y a plus qu'à se coucher, il la retrouve d'un regard, penaud, et joue son rôle d'hôte et d'ami jusqu'au bout. Pour ça, il est remercié, et il ne lui reste plus qu'à se réfugier sur sa pile de coussins, à bonne distance. La couverture repliée sur lui, il a tout ce qu'il faut pour faire sa nuit, pour autant, il doute de trouver le sommeil. Comment le trouver après de telles frayeurs ? Les fantômes existent, et ils en ont après Gabriela. Et puis Gaby est là, à dormir dans son lit. C'est rassurant de l'avoir à proximité, pour s'assurer que tout va bien... mais usant de refouler son trouble. C'est pas le bon genre de fatigue. Et il n'est pas au bout de ses peines. Tristan, tu dors ? Il n'aurait rien contre une conversation nocturne, mais avant qu'il n'ait son mot à dire, elle a déjà pris l'initiative de quitter son lit pour le sien. Et lui se crispe de la tête aux pieds.
Euh...
Il peut quand même continuer de respirer ? Elle a trouvé un cahier, qu'elle dit. Dans le cimetière, durant ses recherches, c'est ça ? Ils en sont encore là ? Et puis, il comprend. Ou plutôt, il redoute. Non, non, non. C'est à son tour d'avoir peur. Terriblement peur. De toute sa vie, il ne s'est jamais retrouvé aussi mortifié, et le malaise grandit encore, lui imposant son étreinte glacée. Non, non, non. Elle ne peut pas parler de ce qu'il pense qu'elle parle, non, c'est pas possible, il ne veut pas. Il fait un cauchemar, c'est ça ? Il s'est endormi comme une souche contre toute attente.
...
Les secondes filent, et elle est toujours là, à côté de lui. Et lui ne dit toujours rien. Peut-être qu'il pourrait en rester ainsi, qu'il pourrait prétendre dormir. Il oserait ? Sauf qu'elle doit bien voir qu'il ne dort pas – avec ses yeux grands ouverts, forcément. Finalement, il est le premier surpris d'entendre le son (mal assuré) de sa voix.
- Qu-quel cahier ? Non, il ne veut pas savoir ! Qu'elle ne réponde surtout pas ! Pas avant qu'il lui ait donné la bonne réponse.
- C'était sûrement un de mes herbiers, j'en ai plein ! Tu sais bien que je fais ça, y-y rassembler toutes les plantes possibles. Il n'a alors plus qu'un espoir, qu'elle lui donne raison. Sinon, c'est la fin du monde.

Gabriela lâche un sourire bienveillant et attendri à son meilleur ami. Son innocence l’aide à réaliser qu’elle peut parfois être trop dramatique ou pressée par le temps. Pour toute réponse, elle secoue négativement de la tête. Bien sûr que non, pas ce soir. Toutes ses aventures l’ont fatigué, et si son cœur a repris un rythme convenable, elle n’est pas prête à repartir à la chasse aux fantômes aussi vite. Elle aimerait pouvoir se poser calmement, retrouver le calme de la nuit et dormir un peu. Elle aimerait aussi continuer à discuter avec lui, partager ses idées et ses pensées dans les moindres détails, et lui montrer tout ce qu’elle a pu découvrir au fil de ses recherches. Ca lui fait tellement de bien de pouvoir en parler à quelqu’un, d’avoir l’impression d’être écouté, entendu et compris. Il n’y a qu’avec lui qu’elle peut se confier sans qu’il ne la prenne pour une folle à enfermer. Les autres ne comprendraient pas comme cette histoire la tient à cœur, comme elle a la sensation d’être si proche d’un secret qui changerait peut-être la face du monde. Et si Tristan est très doué pour écouter, il l’est quand même moins pour résoudre les énigmes mais c’est bien suffisant pour Gabriela. Ses quelques réflexions, et ses remarques évidentes permettent au moins de détendre l’atmosphère, et d’aider son amie à brainstormer à voix haute. C’est toujours mieux que de chercher dans son coin et de tourner en rond.
Pour l’heure, Gabriela réalise qu’elle est trop fatiguée pour réfléchir, et Tristan l’a très vite compris.

Et tandis qu’ils sont tous les deux dans la chambre, prêts à retrouver les bras de Morphée, Gabriela est incapable de s’endormir sans lui partager ses dernières pensées. Elle ne lui laisse même pas le temps de réagir et le rejoint dans son lit de fortune, prête à confesser son crime. Pardonnez-moi mon Père car j’ai pêché, j’ai fouillé dans les affaires de mon meilleur ami et j’ai découvert ce que je n’aurais jamais dû voir. Les pages continuent de hanter son esprit, et elle ne sait toujours pas comment est-ce qu’elle doit réagir. Elle ne sait même pas ce qu’elle ressent depuis qu’elle a découvert ce secret, c’est pour dire comme elle est perdue.
Le silence est revenu, et Gabriela attend. Elle attend un signe de la part de Tristan, quelque chose, un sourire, un rire, une moquerie, mais y’a rien qui vient briser la nuit. Seules deux billes brillent dans le noir, et elle les fixe avec une intensité qui lui est rare, à la recherche d’une réponse qui saurait calmer l’ouragan qui déferle dans sa tête.
Le temps est long, tellement long qu’elle aimerait attraper les épaules de son ami pour le secouer comme elle le ferait avec un pommier. Et quand il se décide à ouvrir la bouche, sa voix trahit l’incertitude et un malaise grandissant. Gabriela connait Tristan par cœur, elle n’a pas besoin de grand-chose pour savoir qu’elle a touché un point sensible. Elle devrait se rétracter, faire semblant, laisser couler et se convaincre que ça n’aura jamais d’impact sur leur relation. Elle devrait faire ça, au nom de leur amitié, de tout ce qu’ils ont vécu ensemble, de tout ce qu’ils continueront à vivre, mais elle en est incapable. « Le cahier qui parle de moi, » lâche-t-elle tout doucement. Le cahier qui parle d’eux surtout, si elle s’en réfère aux nombreuses rayures qui parsemaient les pages. « Ca fait combien de temps que tu fais ça ? » Elle a déjà une partie de sa réponse. Elle avait bien vu d’elle-même que les évènements remontaient à de nombreuses années, à tel point que certains passages avaient même permis de lui rafraichir la mémoire. Oh, il y a un sourire qui s’était dessiné inconsciemment sur ses lèvres quand elle s’était souvenue de cette fois où elle avait voulu manger une tonne de bonbons pour prouver un garçon qu’elle pouvait faire mieux que lui. Elle s’était tellement forcée, et Tristan, pour ne pas qu’elle perde, l’avait discrètement aidé à engloutir tous ces bonbons, quitte à tomber lui-même malade. Il avait gardé plusieurs emballages, dont un sur lequel elle avait marqué le nombre de confiseries qu’ils avaient mangé ensemble, comme un trophée pour ne jamais oublier. C’était y’a si longtemps, ça remontait à si loin.
« Mais… mais pourquoi tu me l’as jamais dit ? » Pourquoi a-t-il toujours voulu garder ça pour lui ? Pourquoi est-ce qu’il a continué à la regarder danser avec les autres quand lui-même a toujours voulu danser avec elle ? « Pourquoi t’as jamais… essayé ? » A moins qu’elle n’ait simplement jamais remarqué ses tentatives ? Y’a tout ce qui se mélange dans sa tête, et tous les moments passés ensemble se rejouent dans sa tête à la recherche du moindre contact, du moindre frôlement, du moindre battement de cils qu’elle aurait manqué. Et si seulement il avait essayé, est-ce que ça aurait vraiment changé quelque chose ? Pourquoi est-ce qu’elle est incapable de faire le point sur ses propres sentiments quand tout paraissait encore si clair avant ce cahier ?

@Tristan Turner