Une rencontre d’usage et la sensation que les choses avançaient dans le bon sens. Ce genre de sentiment était un moteur du quotidien, devenu essentiel. Quelque chose à quoi je prenais goût, ce qui expliquait le nombre grandissant de projets auxquels je m’associais. La Fondation ACT s’inscrivait toujours en priorité, une préoccupation plus intime que les autres. D’aucuns diraient que cela m’aidait à avoir bonne conscience… C’était simpliste de penser ainsi. Simpliste et limité. Il aurait fallu pour que cela soit vérité qu’il y ait une démarcation aussi aisée entre ce qui constituait le bien ou le mal. Or, nous avions précisément choisi de ne pas nous tourner uniquement vers le passé au sein des activités de la fondation. L’avenir, et plus particulièrement les jeunes gens qui composaient notre communauté, méritaient notre entière attention. Contribuer à ce qu’ils ne tombent pas dans les mêmes pièges que ceux qui les avaient précédés était un objectif non seulement louable, mais primordial. Une société qui évoluait en était une qui apprenait de ses erreurs. Informer les gens était une redoutable façon de ralentir ce mal, justement, dont tout le monde était d’accord de se méfier sans pour autant vraiment pouvoir affirmer qu’il existait même une façon de le contrôler. Grâce à Faith et ses bonnes relations avec la mairie, plus particulièrement encore avec Grace Fordham elle-même, nous avions obtenu le soutien nécessaire au projet. Pour une rare fois, une initiative d’ACT n’avait pas rencontré d’opposition notable jusqu’à présent. Les différents collaborateurs nous accueillaient avec le sourire. Un baume au cœur inattendu, si j’étais parfaitement honnête avec moi-même, puisque je m’étais en quelque sorte forgé une nécessaire carapace face à la critique. Mais sans doute m’étais-je laissé prendre au jeu, alors que je sortais d’un bref rendez-vous à la mairie durant lequel j’avais remis un dossier contenant toutes les informations nécessaires au sujet du choix de invitée principale : Erin Bukoswki, chercheuse à l'Université de Burlington spécialisée en intégrisme religieux et radicalisation. Pour si peu, il n’avait pas été nécessaire de rencontrer Grace, bien que j’avais toujours apprécié nos échanges. Son adjointe s’était occupée de récupérer les documents qu’elle lui acheminerait en temps voulu. Et mon rôle à la mairie de la ville était déjà terminé pour aujourd’hui, semblait-il.

Sauf que Redwood Hills était une très petite ville. Assez pour qu’on y croise parfois des visages peu amicaux, lequel avait néanmoins toutes les chances de se trouver à cet endroit précisément. En apercevant Jamie Whelan, ma réaction première était de détourner le regard – prétendre ne pas l’avoir vu. Il ne s’agissait pour autant pas d’une vaine tentative de l’ignorer. Au contraire, l’idée était plutôt de ne contraindre aucun de nous deux à se lancer dans une conversation dont l’autre n’avait pas envie. Malgré les mois, même les années, ces étranges tensions entre l’ancien inspecteur de police et moi-même ne s’étaient jamais apaisées. L’occasion n’y avait jamais été, ou n’avait simplement jamais été saisie, d’en changer. La véritable surprise résidait dans ce signe de la main envoyé à mon encontre, lequel me faisait spontanément tourner la tête une seconde pour vérifier – à la dérobée – si quelqu’un d’autre ne sortait pas des bureaux de la mairie derrière moi. « Bonjour Jamie… » Cette étrange impression d’inachevé, comme si ma phrase restait suspendue dans les airs sans savoir comment atterrir. Hostile, il ne semblait pas vraiment l’être, même si sa question en donnait tout l’air. « Aucun problème, non. » Répondais-je alors en lui adressant un sourire cordial qui avait sans aucun doute l’air faux. L’embarras prenait parfois toute sorte de visages. « Je n’apprécie jamais trop de voir quelqu’un que je n’aime pas entrer, ou sortir, des bureaux en face du Snow Rose café, moi non plus. » En face du Snow Rose café, ou presque, se trouvait le cabinet d’avocats où travaillait Gwenn-Aël. « Non pas qu’il y ait beaucoup de gens que je n’apprécie pas, d’ailleurs. » Mon sourire pâlissait un peu. Même un trait d’humour paraissait compliqué avec Jamie comme interlocuteur. Comme si les choses, entre nous, ne pouvaient que tomber à plat ou être sujets à mauvaise interprétation. « En l’occurrence, je parlais surtout de moi. Qui ne veut que du bien. » Précisais-je en choisissant tout de même de lui offrir à nouveau un sourire. J’hésitais un instant de plus. Était-il venu me voir pour une raison particulière ? Dans tous les cas, la gentillesse ne pouvait pas tuer. « Café ? » Il n’était pas bien difficile de deviner que le Snow Rose était justement ma destination, maintenant que ce très court rendez-vous était terminé.

Jamie Whelan. Comment décrire l’ombre au tableau que représentait le garde forestier ? Ce que j’avais dit était la vérité : il était bien rare que je n’apprécie pas quelqu’un. Plus encore, ces mots étaient trop forts pour exprimer ce que j’éprouvais à l’égard de l’autre homme. Un certain embarras pour commencer. Une évidente difficulté à communiquer. Et une piqûre de rappel que nos activités ne faisaient pas l’unanimité dans cette ville. Le contraire aurait été étonnant, car il y avait toujours une donnée personnelle à tout ce qui touchait la Rose. De près ou de loin, les familles avaient été écorchées en leur cœur même, ou bien, avaient été témoins des drames ayant marqué l’histoire de la ville. La méfiance était donc au rendez-vous, rien de plus naturel. À bien des égards, il m’était impossible de nier que Jamie Whelan avait même raison. Il n’y avait pas de blanc ou noir, tout était gris, même les meilleures intentions que je lui témoignais avec l’espoir de hisser un drapeau blanc. « Ce serait présomptueux de ma part de me qualifier d’ami. Je demeure lucide à ce propos. » Nous pouvions nous entendre au moins sur ce point-là. Nous ne l’étions pas, des amis. Mais nous avions en commun des personnes qui nous étaient chères à tous les deux. Gwenn. Grace. Des compagnons qui avaient une place importante dans la vie communautaire de cette ville, surtout Grace. Si l’invitation était lancée, je ne m’étais pas vraiment attendu à ce qu’il l’accepte, ce que j'accueillais néanmoins avec un sourire. Inutile de prétendre que notre face à face était un plaisir sans nom. En revanche, il s’agissait peut-être bien d’une occasion d’assainir nos rapports, si cela se pouvait encore. « Peut-être qu’on peut laisser tomber ces formalités. » Une suggestion, plus qu’une question. Après tout, nous nous connaissions suffisamment bien pour cesser de nous adresser l’un à l’autre comme de parfaits inconnus. Si Jamais préférait continuer dans cette veine, je ne m’y opposerais pas et le suivrais en ce sens. « Je comprends. » Bien sûr, je comprenais l’effet que cela faisait de s’inquiéter pour la personne qui vous était le plus cher. Grace Fordham devait néanmoins avoir à faire avec un grand nombre de personnes dans le cadre de ses fonctions à la mairie. À mon tour de lui indiquer de prendre place d’un signe de la main, alors que nous arrivions déjà au café. Celui-ci était assez occupé, mais quelques tables étaient toujours libres. J’adressais un signe de la tête à la serveuse derrière le comptoir, mais restais aux côtés de Jamie en prenant aussitôt place face à lui à la table qu’il avait choisie.

Inévitablement, il y avait de quoi se poser la question des intentions du garde forestier. « Café noir ? » Je me faisais un devoir de me rappeler des préférences des clients, or, Jamie ne l’avait été que très peu de fois, trop peu pour me souvenir avec exactitude de ce qu’il aimait boire. Un des serveurs s’approchait de notre table et je lui adressais un sourire avant de lui dicter notre commande et de terminer par un : « Merci. Je l’offre. » À l’attention de Jamie, cette fois, que j’observais quelques secondes. « Rassure-toi, je n’essaie pas d’acheter ta sympathie. » Autant préciser tout de suite les miennes, mes intentions, pour éviter qu’il interprète mal ma sollicitude. « Je sais que tu ne serais pas venu acheter un café ici par toi-même, à moins d’un malentendu. » C’était déjà arrivé à Burlington. Je regardais par-delà la baie vitrée un moment. Ce n’était pas un hasard, cette fois, si nous étions tous les deux installés à l’une des tables du café. Inutile de prétendre que ce l’était. « Vidons la question. » Celle qu’il avait posé, même si elle avait semblé rhétorique, parce qu’il était déjà convaincu, Whelan. « Quel est ton avis sur la Fondation et nos initiatives ? Nous organisons des ateliers de prévention auprès des jeunes, c’est pour cela que nous avons sollicité le soutien de la mairie. » Cette fois, je l’observais, à l’affût du moindre indice sur ce qui pouvait bien lui traverser l’esprit. « Quant à Grace, c’est une alliée précieuse pour ce qu’on défend. Le privé a besoin du politique, surtout sur des questions aussi délicates. » L’unanimité n’existait pas, nous y étions confrontés tous les jours. Faith comme moi avions des détracteurs. Faith comme moi avions nos secrets.
Nos tasses étaient déposées sous nos yeux et je remerciais à nouveau mon employé avant de relever les yeux sur Jamie. Si différents que nous étions, je pouvais comprendre sa méfiance. « On ne cesse jamais vraiment de s’inquiéter pour ceux qu’on aime, pas vrai. » Un soupir, silencieux, pour ponctuer le tout. « Est-ce que tu as toujours contact avec eux ? » Le temps d’un battement. « Casey et Nate. » Mes voisins, qui ne l’étaient plus depuis un certain temps déjà. Ce pourquoi Jamie Whelan ne me portait pas dans son coeur et ne le ferait probablement jamais. L’un de ces secrets. Plus encore, l’un de ces regrets. « Je suis navré, pour ce qui s’est passé. » Déclarais-je alors sobrement. Je n’avais pas pensé que le sujet serait si rapidement mis sur la table. C’était l’éléphant dans la pièce.

Pouvait-on vraiment comprendre l’autre ou ne s’agissait-il toujours seulement - plutôt - que d’une habile projection que l’esprit faisait de soi-même, en quête de sens ? Sur papier, il n’y avait jamais eu que des points pour nous rapprocher. Jamie Whelan, ancien inspecteur, allié de la justice, veuf, sensible donc aux petites comme aux grandes tragédies du quotidien, capable de donner aux autres plus qu’à lui-même. Et un entourage qui se recoupait, inlassablement. D’abord, parce que cette ville rendait justice à l’expression voulant que le monde était décidément petit, mais plus encore, parce qu’il fallait bien que certaines de nos priorités trouvent leurs assises en des lieux communs. Aujourd’hui, ç’avait été la mairie et des discussions avec celle qui partageait sa vie, celle aussi qui tenait les rênes de la plupart des comités décisionnels de cette ville. Sans savoir pourquoi exactement – parce qu’il n’y avait nul besoin de vendre nos projets pour la Fondation au compagnon de Grace. L’envie me prenait tout de même de faire un pas dans sa direction. Plus qu’un café, disait-il en me tirant un sourire poli. Plus qu’une tentative aussi, me semblait-il dès lors. « Il y a donc un peu d’espoir. » Commentais-je avec humour à mon tour, sans pour autant poser la barre des mes attentes, quant à cette conversation, bien haut. Acte de foi s’il en était, voilà que je tâchais d’imiter mon interlocuteur et d’éviter de m'appesantir trop longuement sur des banalités. Jamie Whelan avait toutes les raisons du monde, au passé et présent, assurément au futur, de se soucier des projets de la Fondation. Pour autant, je l’avais vu ni de près ni de loin de nos locaux ou de nos initiatives ces derniers temps. Cela ne découlait pas d’une opposition de sa part à ces activités de sensibilisation, confirmait-il.
J’acquiesçais alors lentement, m’offrant ensuite une gorgée de mon thé, tout juste posé sur la table devant nous. « On ne peut pas. » Une drôle de conclusion, pourtant, la seule qu’il était raisonnable de poser. « On ne peut pas en être sûr. » Tout le monde, à moins de vivre reclus, avait encore en mémoire la façon dont s’était déroulé le grand gala de bienfaisance organisé par la Fondation lors de sa mise sur pied. La Reine des Roses en personne y avait fait une apparition et un discours remarqués. À observer mon interlocuteur quelques secondes, je me demandais. S’il avait déjà eu des doutes sur son ancien ami. Ces réflexions m’accablaient régulièrement. « Je suppose que c’est un peu comme la présomption d’innocence. Cette société préfère risquer de mettre en liberté un coupable plutôt que de condamner un innocent. » L’analogie me semblait, à moi, plus que pertinente. La Fondation visait à apporter son aide et son soutien, en plus de prévenir de nouveaux dérapages. Le risque zéro n’existait pas et n’existerait jamais. « Nous aussi. » Les victimes n’étaient pas toujours du même côté de la clôture – sans mauvais jeu de mots. « Et c’est ainsi qu’ils fonctionnent : semer la méfiance et le doute, diviser. On ne peut pas toujours les laisser gagner à ce niveau. » Même si c’était le cas pour bien des gens, ceux qui ne pouvaient plus ou ne voulaient plus prendre le moindre risque.

J’appréciais sa franchise, l’ancien inspecteur ne se perdait pas sur des chemins sinueux et préférait exprimer directement le fond de sa pensée. Il avait raison de se questionner, tout à fait raison de me confronter. Un paradoxe ne pouvait qu’en voiler un autre, malgré moi, et le sentiment de l’un me poussait à évoquer l’autre. Le premier point de divergence entre nous, l’éléphant constamment dans la pièce en ce qui nous concernait. Aux secondes chances, tout le monde n’avait pas droit. « Merci. » Même s’il n’y avait pas d’absolution, le geste en soi portait une symbolique. Il avait certainement fallu du temps pour offrir une autre perspective dans mon cas. Donner un autre sens à ces regrets. « Je crois, humblement, que la Fondation dépasse la culpabilité d’un seul homme. Je ne suis de toute façon qu’un investisseur. » En venais-je à dire, songeur. Faith était l’âme de la Fondation, celle qui pouvait se targuer d’être le véritable pont avec ceux qui avaient été touchés. Et, non, ce n’était pas la culpabilité ou le besoin de me racheter qui m’avait fait investir, de bien des façons, dans le projet. « Mais oui, si c’est ce que tu veux savoir, je regrette de ne pas pouvoir réparer. » Un instant de tension, comme un flottement, et un soupir silencieux. De la méfiance, il m’arrivait d’en éprouver. « Les deux fois, c’était des personnes que je connaissais. Qui ont agi sous ordres de la Rose. » Une confidence qu’il n’avait pas demandée, mais qu’il semblait à présent approprié de lui partager. Après l’avoir sollicité, il y avait bien longtemps et pourtant le souvenir était encore vif, à propos de mes premiers soupçons. « Un café vandalisé est bien peu de choses à côté de tout ce que la Rose a infligé à tellement de personnes au fil du temps, mais… Jamais, je ne cautionnerai le moindre de leurs actes. » Le problème se situait au niveau de toutes les nuances de gris qu’il existait dans cette affirmation. Tout était, toujours, question de perspective.

Certaines choses ne s’achetaient pas, celles qui comptaient vraiment surtout. Quant à la sympathie de Jamie Whelan, malgré l’ouverture que témoignait aujourd’hui l’homme, je ne me faisais aucune illusion. C’était dans l’ordre des choses, au cœur même des valeurs démocratiques d’une société. Il fallait des gens pour se méfier, d’autres pour critiquer. L’unanimité parfaite n’existait que dans les dictatures. J’acquiesçais à la nouvelle réflexion de l’ancien inspecteur. Son point de vue avait forcément une valeur ajoutée à mes yeux, car il avait côtoyé la Rose lunaire de bien plus près que la plupart des autres détracteurs. En relevant les yeux pour trouver son regard, je m’interrogeais: de quoi avait-il peur, lui ? Grace me venait évidemment à l’esprit en premier. L’avocate occupait une posture délicate qui, aurait-on pu croire, la protégeait. Depuis ce qui était arrivé à l’ex-maire de la ville, il était néanmoins permis de douter que la Rose hésiterait bien longtemps, s’ils en venaient à décider que sa compagne s’élevait en ennemi trop redoutable. C’était pourtant de mon rôle auprès de la Fondation que nous discutions, rôle que Jamie refusait de minimiser comme je l’avais fait. Mon sourire devenait amusé, inutile de sortir les discours de politiciens qu’il connaissait probablement par cœur. « Je voulais surtout dire que le cerveau, c’est elle. » Faith Buchanan. La véritable âme d’ACT. « Tu parles de l’église ? » Et probablement d’autres dons, sous couvert de charité, qu’avait fait l’organisation secrète ces dernières années, sans pour autant le revendiquer jusque dans la presse locale. « Je ne te cacherai pas que certaines personnes se manifestent ici et là, avec l’espoir d’associer leur nom à la Fondation. Sans qu’il ne soit possible de faire la lumière sur les véritables intentions qui se trouvent derrière.  » Castiel DeWitt. Il ne m’avait plus été donné de m’entretenir personnellement avec l’homme d’affaires depuis longtemps, à présent. Depuis que nous avions refusé son offre, surtout. « Contrairement à ce qui en a été dit, je crois que l’argent a une odeur. Nous sommes par conséquent plus que prudents. » Inutile de m’attarder plus longuement sur la façon dont ces « propositions » étaient gérées à l’interne. Qu’il sache au moins que nous en avions conscience et que nous avions aussi à cœur de protéger nos collaborateurs. Quant à cette histoire de réfaction de la toiture de l’église, je me gardais bien de partager davantage les sentiments que j’avais eus au moment de découvrir le don accepté par le comité paroissiale, juste après le mien. Jamie Whelan n’avait pas besoin de me voir nourrir quelques sentiments paranoïaques de nouveau – pouvait-il seulement le comprendre ? Pas quand il subsistait tout un pan de vérité que je ne pouvais lui partager, ni à lui, ni à quiconque.

La conversation avait pris une trajectoire beaucoup plus intime. Aurions-nous été des amis, n’eut été de ces doutes un jour confiés, à tort ? « Mais est-ce suffisant ? » De le reconnaître, cette fois. Le sourire qui restait accroché à mes traits, bientôt perdu derrière une gorgée de ma tasse encore fumante, demeurait énigmatique. Songeur, surtout. « Quelque chose me dit que toute la franchise du monde ne me permettra pas de gagner ta confiance. » Simple constat, preuve de résilience s’il en fallait. « Je peux le comprendre. » Les phrases étaient plus courtes, tout d’un coup, mais l’envie d’échanger était toujours bien là de mon côté. Malgré tout ce qui nous opposait, il y avait également cette sensation indescriptible que Jamie comprenait ce que je ne pouvais jamais dire tout haut, qu’il le faisait intimement. L’amour, disait-il, en mettant le doigt sur la seule raison valable de prendre autant de risques et de signer pour une vie faite de demi-vérités ou de demi-mensonges, selon la perspective. « Tu es parti pendant un temps, n’est-ce pas ? » Il y avait bien peu de choses qui ne se savaient pas à Redwood Hills. Jamie Whelan, après avoir perdu la mère de son fils, avait décidé de tourner le dos à cette ville maudite. « Mais tu es revenu. T’es toujours là. » Plus encore : il était aux côtés de l’une des figures publiques les plus exposées, par conséquent, le plus à risque. « J’ai fait des erreurs, Jamie… » L’une d’entre elles, que je ne saurais jamais lui avouer tout haut, mais qu’il pouvait deviner. « Mais j’y crois. Si on ne peut faire une différence que pour une seule famille… » Une seule vie épargnée, de près ou de loin. Un seul enfant, qui ne ferait pas les mêmes cauchemars… « Je ne crois pas qu’une bonne action rachète une erreur, ce n’est pas de cet ordre…. Je m’endors tous les soirs aux côtés d’une part de cette souffrance, j’ai besoin d’essayer de faire ce que je peux pour aider. » Que ce soit grâce à mon portefeuille ou plus que cela. « Si jamais c’est pareil pour toi, ton aide est la bienvenue. Et tu pourrais en juger par toi-même. » Peut-être, d’ailleurs, que cela le rassurerait de rester tout près, de s’assurer que quelqu’un veillait sur Grace.