Juillet 1985

« Felicty. Faut que tu viennes, tout de suite. Ne discute pas. Pour Jackson, je t’en prie. » Elle raccroche, elle regarde son fils, cette magnifique tête blonde. Elle sent son cœur se serrer alors elle l’embrasse, l’enlace, le serre fort, le hume. Josie ne veut rien perdre de lui et pourtant, c’est inévitablement ce qui va se passer. Son petit Jackson va partir pour son bien, pour qu’il ne voit pas ça, qu’il ne subisse pas ça. Son père, Mike, est dur, le visage fermé, pas question de pleurer, ils ont choisi après tout ! Normalement, le petit est censé venir avec eux mais ils ont réussi à négocier sa liberté pour seulement vingt quatre heures, après cela, Jack devra suivre. Josie est nerveuse, ne tient pas en place. Jackson pleure de les voir s’agiter et s’engueuler, tenant son lapinou dans ses mains. Il tend les bras vers sa mère, il veut juste un câlin, son père le repousse. « Arrête, Mike. Dis lui au-revoir au moins ! » Elle prend son fils dans ses bras et le câline encore, elle croise les doigts pour que sa sœur arrive à temps. Il le faut, sinon, elle est obligée de l’emmener. Son père finit par prendre Jackson dans ses bras, le regarde et lui parle. « Ecoute, Jackson, on t’aime. Beaucoup. Mais tu ne peux pas venir avec nous, c’est trop dangereux. Tante Felicity s’occupera bien de toi, tu verras. » Les yeux de Jack fixent son père sans comprendre, seul le mot Felicity résonne dans sa tête et un sourire se dessine sur son visage poupon. « Tata Fefe. » C’est trop dur pour lui de dire Felicity alors sa tante a accepté qu’il l’appelle ainsi jusqu’à ce qu’il parle bien.
Les heures sont passées trop vite et l’angoisse est montée d’un cran en voyant le temps se terminer. Puis un miracle, une grande blonde, élancée, est arrivée dans la maison, le visage fermé à son tour. Ses yeux se sont posés sur le petit Jackson et tout de suite, son cœur a fondu, qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour lui ! Puis ensuite, des mots. « Josie, tu es complètement folle. Toi aussi Mike. Vous êtes fous. Renoncez. Partez avec moi, il est encore temps. Pensez à Jackson. » Dit-elle en les regardant tour à tour. Mais non, le choix est fait. Josie met Jack dans les bras de sa sœur, l’embrasse sur le front, caresse sa joue, le renifle et part dans sa chambre sans se retourner. Mike s’approche à son tour, le fixe, l’embrasse sur le crâne, tapote ses cuisses potelées puis se tourne vers Felicity pour lui donner une valise, un sac et le doudou de Jack. Puis il s’en va. Felicity resserre le petit contre elle, prend ses affaires et se dirige vers sa voiture. On l’attend, un homme lui ouvre la portière et s’occupe du reste. Des larmes coulent le long des joues de cette grande femme et Jackson lui enlève de ses petits pouces. Il se retourne sur la banquette, regarde sa maison s’en aller au fur et à mesure que la voiture avance. Puis sa mère, courant vers la voiture. « Maman… MAMAN ! » Il crie, il se débat, il pleure, il tape sa tante avant de ne plus voir que la poussière. Sa mère a disparu. Le jour d’après, Felicity apprit la nouvelle : suicide collectif dans la petite ville de Redwood Hill. Pas de noms mais elle savait. Jackson avait perdu définitivement ses parents à seulement quatre ans.


Avril 1991

« Tata Fefe ! » Dit-il avec un grand sourire, se pointant à côté de sa tante assise dans son fauteuil de star. « Dis donc, jeune homme, je te l’ai déjà dit. Maintenant, c’est Felicity un point c’est tout. Redis ça encore une fois et je te fais récurer l’ensemble du plateau. » Elle sourit tout de même à ce garçon qui a maintenant une petite dizaine d’année, elle l’aime plus que tout et elle sait bien qu’il fait ça pour l’embêter et ça marche ! Jackson lui sourit à son tour, dépose un baiser sur sa joue et repart à côté du technicien pour observer les prochaines scènes. Sa tante joue pour une série télévisée qui concerne la vie de médecin et Jack adore voir la préparation des acteurs. De vrais médecins sont là pour les guider, rendre ça plus réel et il trouve ça génial ! Alors Jack s’approche souvent et écoute, regardant les gestes. Fascinant. Pas le métier d’acteur, non, celui de médecin. Les instruments, les pratiques, le langage… Il a les yeux qui brillent en voyant et écoutant tout ça. Il retourne s’asseoir sur une chaise où son nom est marqué dessus. Et oui, il est connu, lui aussi dans le milieu. En même temps, Felicity ne cesse de vanter son petit neveu préféré comme elle aime le dire. Intelligent, souriant, drôle. Bref, Jackson est parfait et attention à celui qui ose dire le contraire.
Le tournage finit, il va voir sa tante qui regarde la prise, il attend sagement avant de lui parler tout en marchant à ses côtés. « Dis moi, tu crois que je pourrais un jour aller voir comment on travaille en vrai dans un hôpital ? » Il la regarde avec ses billes marron, le visage sage. Felicity rigole et hoche la tête en ébouriffant ses cheveux. « Un jour oui. Quand tu seras en droit d’effectuer un stage. » A vrai dire, Felicity n’en savait strictement rien si c’était possible mais elle ferait en sorte que ça le soit. En attendant, elle décide de ne pas rentrer tout de suite et demande à son chauffeur de l’emmener en ville et de leur trouver une librairie. Quelques minutes plus tard, ils sont en train de fouiller les étagères « médecine ». Ils se regardent et prennent tous les livres qu’ils ont pu trouver. Certains sont de son âge, d’autres non. Mais Jackson a soif de connaissance et elle a bien vu, Felicity que le petit venait de trouver sa voie alors elle allait l’aider à réaliser son rêve. « Merci, Felicity. Plus tard, je serais médecin. Je soignerais ceux qui en ont besoin pour éviter qu’ils souffrent. » Un sourire tendre traverse les lèvres de sa tante. S’il savait… Elle n’y pense pas souvent mais des jours comme celui-ci, oui. Ses parents auraient été fiers de lui, fiers de son parcours et de ses ambitions. Au lieu de ça… Non, ne pas y penser. Jack est heureux, ça se voit et elle ne veut pas lui raconter le triste sort de ses parents. « Peut être que j’aurais pu soigner papa et maman. » Il lève les yeux vers sa tante et elle secoue la tête, se mettant à sa hauteur pour lui répondre. « Tu sais, ils étaient si malades que tu n’aurais pas pu les sauver. Toi, je t’ai sauvé de justesse. Ne l’oublie pas. » Il hoche la tête, convaincu par les paroles de sa tante. Elle ne pouvait pas lui mentir après tout… Si ?


Décembre 2020

Encore une journée à avoir couru partout. Il aime ça, Jackson, se sentir utile et surtout ne pas voir le temps passer. Sauver des vies et établir des diagnostics. Il faisait plus, toujours plus, ne pouvant laisser des patients sans réponse. Alors une fois de plus, il rentre tard. Le pire, c’est que le blond sait qu’à la minute où il va passer la porte, il va y avoir le droit… Il ferme les yeux, soupire puis appuie sur la poignée. « C’est moi. » Simple, basique. Il ne fait plus d’effort à vrai dire. Cette relation le tue à petit feu, il n’y arrive plus et ne sait pas comment lui dire. Cela fait cinq ans qu’ils sont mariés, dix ans qu’ils se connaissent. Jackson passe la tête dans la cuisine, personne, dans le salon, personne non plus. Bizarre. Alors il va à l’étage et la trouve dans leur chambre. « Ce n’est pas trop tôt, tu as vu l’heure ! Deux jours que je t’attends, Jack. » Voilà, l’éternel refrain. Il ne se justifie plus. Après tout, peut être que s’il passe autant de temps au travail c’est pour éviter ce genre de conversation. Un soupir, un seul et c’est le drame. « Puis tu oses soupirer. Sérieusement ? Tu sais que je t’attends ! Tu pourrais faire un effort, arrêté de passer autant de temps là-bas. Tu ne penses même plus à notre couple. » Il se passe une main sur le visage et s’approche d’elle avec un sourire. Cette fille est spéciale, magnifique, brune avec des yeux noisettes, un air mutin. Voilà pourquoi il a craqué sur elle il y a dix ans. Et ça continue, il la trouve belle, magnifique et il l’aime, ça oui, il l’aime. « Ecoute, Abigail, je t’aime tu le sais. Mais j’aime aussi mon métier. » Il lui caresse la joue, dépose un baiser sur son front avant de continuer. « Je ne peux pas choisir entre toi et le boulot. Je dois composer avec les deux et en ce moment, j’y passe plus de temps car il y a plus de malade. Plus de cas compliqués. Mais jamais je ne t’oublie. » Il voit une larme couler sur sa joue, il s’en veut tout de suite de la voir pleurer mais il faut qu’ils aient cette discussion. « Je ne peux plus vivre comme ça, Jack. Je crois qu’il est temps qu’on arrête. » Déchirement, son cœur saigne mais il ne le montre pas. Son visage est le même, trahissant aucune émotion, il s’y attendait. Jack hoche la tête, se lève, se recule et attend la suite. « J’ai préparé mes affaires. Je vais partir. Je rentre chez mes parents. » Il ne peut pas la retenir, il le sait. Alors il l’enlace, tendrement. Cette fille est tout pour lui, la seule qui a su pénétrer dans son cœur de glace. Même Felicity en était étonnée lorsqu’il lui a présenté la première fois. Dix ans de relation, dix ans d’amour.
La voir partir lui fend le cœur mais il se relève, il est comme ça Jackson, il ne peut pas se morfondre éternellement. Alors il reprend le chemin du travail, annonce sa rupture à sa tante qui n’est pas si étonnée que ça. Il repense à leur rencontre, à ce jour où Jackson l’a soignée d’une entorse à la cheville aux urgences. Il aurait pu reléguer ce boulot à quelqu’un d’autres mais non, il voulait le faire. En fait, il venait d’avoir un coup de foudre. Donc Jack s’est occupé d’elle, a pansé sa cheville puis lui a glissé son numéro de téléphone en même temps. Le blond avait osé ! Pendant plusieurs jours il avait attendu, fébrile, un message ou un appel. Puis un soir, en sortant du boulot, elle était là dans son trench beige, les cheveux détachés avec un sourire aux lèvres. Abigail Thompson deviendra un jour Abigail Thompson Higgins voilà ce qu’il avait pensé en la voyant ce soir-là. Jack n’est pas du genre à faire des plans, ni à s’enthousiasmer pour une relation amoureuse. En fait, cette fille est la première à être rentrée dans son cœur et sera la dernière. Chaque soir, il rentre et cherche sa présence sans la trouver. Puis un jour, quelques mois plus tard, une enveloppe… Il sait ce que c’est et là, il sait que c’est la fin. Les papiers du divorce. Alors il les signe, ne discute pas, lui renvoie et Jackson est alors divorcé à bientôt quarante ans. Joyeux noël.


Juin 2022

Il pleut, ça ne s’arrête pas. Lui, se tient au niveau du cercueil de sa tante. Felicity Pullman, grande actrice et réalisatrice à Hollywood. Il y a du monde, beaucoup de monde mais selon le souhait de sa tante, Jack a convié à la cérémonie qu’un petit comité, ceux qui étaient le plus proche de cette grande femme. Ils sont tous partis, sauf Abigail. Elle tient sa main dans la sienne, ne craignant pas de finir trempée par la pluie. Elle est venue, il ne pensait pas. Heureusement qu’elle est là. Jackson n’arrive pas à croire qu’il n’a plus de famille, plus de parents, plus de tante, plus de femme. Seulement son boulot. Il finit par aller chez sa tante où une sorte de repas a lieu pour honorer sa mémoire. Il déteste ce genre de truc mais elle le souhaitait alors Jack respecte ses choix. Il y a du monde, trop de monde, il n’en peut plus. Il finit par aller dans la chambre de Felicity et s’appuie contre la porte en soupirant. Du calme. Il n’arrive pas à croire qu’elle ne sera plus là pour lui, l’épauler ou bien passer un repas en sa compagnie. Deux ans qu’elle se battait contre ce foutu cancer et il n’a pas pu la sauver. Il a tout fait, contacté les meilleurs médecins, chirurgiens, oncologues du monde mais personne n’a pu la sauver. La frustration est énorme. Il n’a pas pu sauver ses parents, pas pu sauver Felicity, c’est qui le prochain ? La rage est trop forte, alors il cogne contre le mur. Pas de larmes, seulement de la colère. On toque à la porte, il ouvre, Abigail. Il la laisse entrer, elle voit le trou dans le mur, sa main et ne dit rien, se contente d’aller chercher un linge mouillé pour mettre autour de son poing. Elle n’est pas médecin mais ça suffira pour l’instant. Il la remercie. Jackson et Abigail restent là, l’un contre l’autre à regarder cette chambre chargée d’histoire. Il serre la main de son ex-femme, lui demande si elle peut rester quelques jours le temps qu’il mette en ordre certaines choses. Elle accepte.
Une semaine plus tard, il ressort du notaire en étant complètement sonné. Sa tante lui lègue l’entièreté de ses biens : maison, meubles, argent. Tout. Ils ont fait le calcul, Jackson pourrait arrêter de travailler et profiter de la vie à fond. Elle est folle. Il a demandé à ce que tout soit placé sur un compte en banque. Il verrait ça plus tard. En plus de cet héritage, une lettre. Ce n’est pas l’écriture de sa tante, il ne la reconnaît pas. Mais elle s’adresse à lui, jamais ouverte. Jackson rentre chez lui, la met dans un placard et n’y touche plus. Abigail est prête à partir. Elle lui a tant manqué. Il la retient, par le bras, la regarde. Entre eux c’est encore évident, non ? Jackson meurt d’amour pour elle, l’avoir à ses côtés pendant cette semaine lui a permis de comprendre qu’il était peut être temps de faire passer ses relations avant le travail. Mais il est trop tard, il le voit dans le regard de cette brune. « Abigail… » Il parle doucement puis ils craquent. L’un et l’autre s’abandonne, s’enlacent, s’embrassent… Une fois, une nuit, un jour. Ils en ont besoin. Jackson lui murmure qu’il l’aime, qu’il aimerait la voir revenir. Elle ne peut pas. Ca lui déchire le cœur. Elle repart le lendemain, un dernier regard pour cet homme qu’elle aime éperdument. Jackson lui, ne se doute pas qu’il la reverra dans même pas six mois, lui annonçant qu’il va devenir père. Alors il retourne à sa routine : boulot, métro, dodo. Surtout boulot.


6 mars 2023

Jackson se souvient encore de la voir sur le palier de sa maison, le ventre arrondi. La suite par contre, il ne s’y attendait pas. Les mots l’ont abruti, il n’y croyait pas. Elle était enceinte, de lui. « T’es sûre que c’est moi ? » Non parce qu’on ne sait jamais. Depuis leur divorce, ni l’un, ni l’autre ne connaissait la vie sentimentale qu’ils menaient. Alors peut être qu’elle s’était trompée… « Oh oui, il n’y a eu que toi, Jack. » Ces mots sont censés le réconforter et au fond, il est terrorisé. Qu’est-ce qu’il va devenir ? Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Jackson décide alors de rattraper le temps perdu, Abigail est la femme de sa vie. Il met les petits plats dans les grands, prévoit une chambre pour le futur bébé, aménage de nouveau avec Aby même si c’est bizarre au début. Mais entre eux, c’est resté fluide, alors ils se laissent guider semaines après semaines. Jack met sa carrière un peu de côté, fait moins de garde, surveille Abigail, fait en sorte qu’elle ne fasse pas trop d’effort. « Je ne suis pas malade, Jack. Seulement enceinte. » Ne cesse-t-elle de dire en rigolant. Mais il a déjà tant perdu : ses parents, sa tante, pas question qu’il les perde, elle et le bébé. Donc il ne l’écoute pas, fait quasiment tout à sa place. A peine trois mois pour tout préparer… Et voilà qu’il se retrouve à conduire la future maman à l’hôpital. Contractions de plus en plus proches, perte des eaux. Bref, il est temps. Jackson suit son ex-femme à travers les couloirs, enfile blouse, calot et chaussons. Il est prêt à accueillir sa petite fille. L’accouchement se passe bien, tranquillement, il l’aide du mieux qu’il peut. Puis enfin, leur petite fille est là. Ce qu’il ressent à ce moment est énorme. Son cœur se remplit d’émotion, il est heureux, sent une larme perler au coin de l’œil. Abigail est la première à tenir leur fille dans les bras puis c’est au tour de Jackson. Ses yeux se perdent dans les siens, elle est belle, parfaite. « Que penses-tu de Rose ? » Non, ils n’avaient pas choisi le prénom, ils s’étaient dit que ça sonnerait comme une évidence quand elle naîtrait. Il hoche la tête, heureux. « C’est parfait. » Ils passent plusieurs heures ensemble à la regarder, la sentir, la consoler quand elle pleure. « Jackson… » Il sourit à Rose, lui tient sa petite main puis décide après quelques secondes de tourner la tête. Deux secondes de trop… Un silence. Trop long le silence. Elle le regarde sans rien dire, lui sait. Il s’avance et la secoue, il soulève le drap et voit avec horreur du sang, trop de sang. Pas de bruit, pas de pouls, pas de paroles.
Il a dû sortir avec sa fille, le bonheur laisse place au malheur. Hémorragie, ils n’ont rien pu faire, rien vu venir, examen correct, désolé monsieur. Il porte Rose dans ses bras, ça lui évite de sombrer, de perdre pied. Il hoche la tête, oui d’accord. Les heures qui suivent sont horribles : décès, papiers, testament et compagnie, déclarer la petite à leur deux noms. Alors il écrit : Rose Abigail Higgins. Voilà c’est fait. Rose est née le 6 mars 2023 d’un père et d’une mère, décédée le 6 mars 2023. Et ils rentrent, tous les deux en silence. Il n’y a pas un bruit dans la maison, pas un bruit dehors, même Rose est silencieuse, ne pleure que pour manger ou bien pour qu’on lui change sa couche. Jackson prend un congé à durée indéterminée, on sait à l’hôpital que sa femme est morte vu qu’il y bosse là-bas. Ses collègues comprennent. Le silence le rend dingue, il ne le supporte plus au bout d’une semaine. Il pourrait tout casser. Musique, télé, livres audio. Il ne faut pas qu’il reste sans bruit, ça lui rappelle trop sa femme. Si seulement il avait tourné la tête quelques secondes plus tôt, peut être que… Non, lui a-t-on dit, rien n’aurait été possible. Oui mais… Non, Jackson, impossible. Décidément comme médecin, il est nul. Il n’arrive pas à sauver sa tante et il perd l’amour de sa vie qui a donné naissance à leur petite fille. Heureusement, elle est là, Rose. Grâce à elle, il ne sombre pas, garde la tête haute.
Quelques semaines après le retour à la maison, il ouvre un tiroir et voit cette lettre avec cette écriture très féminine. Et si c’était sa mère ? S’il était passé à côté de quelque chose ? Jackson aurait aimé qu’Abigail puisse dire quelque chose à sa fille, une dernière fois… Il se dit qu’il est peut être temps d’honorer la mémoire de sa défunte mère, si c’est bien elle.


Mai 2023

Jack, Jackson, mon fils.
Cette lettre ne sera pas longue, juste assez pour te dire à quel point je t’aime. Tu as été le plus beau cadeau qu’on puisse me faire. Je t’écris pour qu’un jour tu saches qui nous étions, ton père et moi. J’ai demandé à Felicity de garder cette lettre jusqu’à sa mort, elle me l’a promis. Si tu lis ces lignes, c’est que malheureusement, elle n’est plus de ce monde. Comme ton père et moi.
Je t’imagine plus grand, adulte. Tu dois être quelqu’un de fort, de droit, connaissant ta tante, elle a fait en sorte de bien t’éduquer. Bref… Sache que nous t’aimions, beaucoup. Mais tu ne pouvais pas rester avec nous, tu ne serais plus de ce monde si ça avait été le cas ou alors, tu aurais fini entre les griffes de cette secte : la Rose Lunaire. Je te laisserais faire des recherches.
Lorsque Felicity est venue te chercher, c’était nos derniers jours sur cette Terre. Nous avions vingt quatre heures pour te sauver de leur griffe, mon tout petit. Felicity est arrivée à temps, heureusement.
Nous avons rejoint avec ton père, il y a quelques années un monsieur qui avait l’air de si connaître en bien-être sur la planète… Nous étions sous le charme. Mais nous ne savions pas ce qui allait arriver. Ton père a pris cela avec beaucoup de recul, acceptant son sort. Moi… je n’avais qu’une envie : partir et t’emmener avec moi, loin. J’ai hésité, j’ai failli le faire mais ton père m’a retenue. Alors je suis restée mais je devais te sauver.
Mon tout petit, le temps presse, ma lettre ne veut rien dire. Mais si j’avais su, je serais partie bien avant. Felicity m’avait prévenu. Nous sommes condamnés. Nous allons nous sacrifier pour la bonne cause. J’ai peur mais je l’accepte, je n’ai pas le choix.
La dernière image que j’aurais sera la tienne, cette tête blonde, ce regard si adorable… J’espère que tu es devenu quelqu’un de grand et que tu as réussi.
Je ne voulais pas partir sans que tu saches que ta mère t’aimait, tellement fort. Tu vas me manquer, mon petit Jack.
Ta maman, Josie.
Redwood Hill, Juillet 1985


Le choc, il referme la lettre et secoue la tête. Qu’est ce que c’est que c’est connerie ? Tante Felicity lui avait pourtant dit que ses parents étaient morts d’une maladie, pas qu’ils s’étaient donnés la mort. Sa fille pleure, il va la voir, la prend dans ses bras et la berce. Il chantonne pour qu’elle s’endorme. Jackson lui remet son mobile, relance la musique et sort de la chambre. Il ferme les yeux. Chaque pièce lui rappelle Abigail. C’est le chaos dans sa tête. Abigail, la lettre, ses parents, Felicity, lui ? Oui, et lui dans tout ça ? Il se renseigne sur Redwood Hill, il écarquille les yeux. Ses parents sont bien morts dans un suicide collectif, la date colle. Il ne comprend pas pourquoi… il doit savoir, il veut savoir. Son choix est fait. Il va devoir aller à Redwood Hill.
Jackson s’organise, planifie. Il décide de reprendre le travail, il ne peut pas rester à rien faire. Il négocie un transfert dans une clinique proche de Redwood Hill, parfait. Ils ont une crèche et demande aussi une place pour sa fille, pas question de la laisser à des gens de cette ville après ce qu’il avait lu. Il vend sa maison à Hollywood, celle de sa tante. Plus rien ne le retient là-bas. Il achètera des affaires pour sa fille sur place. Pour dormir ? Il a vu une auberge et compte bien s’y installer un petit temps. Alors il a pris une réservation par téléphone, il arrivera début août pour une durée indéterminée. Il souhaite garder la chambre, que celle-ci soit équipée pour un bébé de cinq mois, il paiera en conséquence. Parfait. C’est fait. Génial. Maintenant, il faut y aller…