Tu es là, au milieu de la fête qui bat son plein, un verre déjà bien entamé serré au creux de ta main gauche et une cigarette à demi consumée dans la droite.
Jetant un rapide coup d'oeil à ton téléphone portable, tu constatas qu'il était minuit passé. Soupirant une longue bouffée de fumée grisâtre par la fenêtre à laquelle tu t'étais accoudé, tu te fis la réflexion que, malgré ton taux d'alcoolémie t'interdisant depuis quelques verres déjà de prendre le volant, tu n'étais pas encore assez saoul pour pleinement profiter de la soirée.
Une soirée qui avait lieu dans une ville à quelques kilomètres de Redwood Hills, nettement plus animée. Le genre de ville dans laquelle une partie de tes anciens camarades de classe avait migré une fois leurs bacs en poche et dans laquelle tu te rendais régulièrement pour des soirées ou des dates tinder.
Après tout, ce n'était pas à Redwood Hills que tu risquais de rencontrer les meilleurs coups. Pour cela, il fallait forcément te taper quelques bornes.
Plusieurs fois, tu avais hésité à déménager ici, mais pour être franc, tu aimais assez ta routine actuelle pour ne pas prendre de décision hâtive. De plus, tu avais des potes chez qui crécher dans la plupart des villes alentours lorsque tu étais trop saoul pour prendre le volant une fois la nuit tombée.
Non, décidément, tu trouvais que ton organisation actuelle n'était pas si mal.

Jetant un coup d'oeil alentour, tu écrasas finalement ton mégot contre le rebord extérieur de la fenêtre avant de le jeter d'une pichenette dans la rue en contrebas.
Tant pis pour les géraniums du voisin, avec un peu de chance, le tabac allait accélérer leur croissance.
Terminant ton Rhum-coca d'une traite, tu te levas, légèrement titubant, pour aller taper l'épaule de Justin, le pote t'ayant convié à cette soirée organisée par le frère du pote du meilleur ami de sa sœur -ou quelque chose dans ce goût là-.
Celui-ci, en pleine conversation avec une jeune-femme blonde que tu ne connaissait que de vue, esquissa un sourire à ton attention avant de reporter son attention sur sa compagne de la soirée. Ou, du moins, celle qu'il espérait devenir sa compagne le temps d'une nuit.
Un sourire légèrement narquois étirant tes lèvres pleines, tu laissas Justin à sa parade nuptiale pour aller te remplir un nouveau verre de rhum, noyant cette fois-ci l'alcool dans un peu de redbull avant d'aller t'asseoir sur l'un des canapés laissé libre par ses précédents occupants parties danser.
De là, tu fis ce que tu préférais faire : observer la foule se mouvoir et évoluer face à toi.
Tu observais les groupes d'amis, les couples, les dragues plus ou moins adroites de mecs et de meufs plus ou moins éméchés, les danseurs solitaires tellement raides que tu étais prêt à parier qu'ils n'avaient plus aucune foutue idée d'où ils se trouvaient...  
Ton verre à la main, tu te pris à observer plus attentivement encore les femmes présentent. Pour beaucoup, tu les connaissais du lycée ou d'autres soirées. Pour quelques-unes, tu les avais fréquentées de manière disons... plus intime. D'autres encore ne te disaient rien. Sans doute que tu avais dû croiser certaines d'entre-elle au cours d'autres fêtes, mais tu étais soit trop défoncé pour t'en rappeler, soit elles n'étaient tout simplement pas assez marquante pour t'être resté en mémoire.

Parmi les personnes réunies en groupe d'amis plus ou moins proche, ton regard accrochas celui d'une jeune-femme faisant partie de la troisième catégorie.
Décidant que tu avais suffisamment végété pour la soirée, tu profitas que la jeune-femme quitta son groupe d'amis -sans doute pour aller se chercher à boire- pour lever ton cul du sofa sur lequel tu te sentais doucement t'affaisser.
Depuis le début de la soirée, tu avais flirté avec deux femmes qui, au final, s'étaient avérées assez inintéressantes, même pour un plan cul. Avec un peu de chance, la troisième serait la bonne.
La jeune-femme femme était plutôt mignonne. Pas non plus un canon de beauté, mais elle était jolie. Mince, la peau légèrement halée, des lèvres pleines... Un peu petite, sans doute, mais tu avais depuis longtemps appris que les plus petites femmes n'étaient de loin pas les plus fragiles, bien au contraire.
Certaines faisaient de ces dingueries au lit...

T'approchant de la jeune femme esseulée, un sourire voulu charmeur étirant tes lèvres légèrement tremblantes d'hébriété, tu te plaças entre elle et les boissons pour l'alpaguer d'un simple.
« Hey... »
La scrutant de ton regard iceberg, ton sourire s'étira d'autant plus alors que tu demandais d'une voix légèrement trainante. « C'est la première fois que j'te vois ici, non ?... La soirée te plait ? »
Une amorce sommes toute assez passe-partout afin de tâter le terrain. Terrain sur lequel tu ne tardas guère à glisser, poussé en partie par l'alcool serpentant dans ton sang. «T'es plutôt mignonne tu sais... »  
Tu ne remarquas pas tout de suite la lueur dans son regard, bien trop occupé à mater son décolleter plutôt que ses yeux avec une discrétion toute relative.

Observant la jeune-femme te faisant face avec un sourire voulu charmeur, tu faisais de ton mieux pour ignorer le monde qui tournait tout autour de toi à t'en filer la nausée. Une main crispée contre la table sur laquelle était posé boisson et snackings, tu te maintenais comme tu pouvais pour ne pas tanguer.
Peut-être n'aurais-tu pas du tant boire... Très certainement, même. Pourtant, cette constatation que tu te faisais chaque soir ne t'empêcha pas d'avaler une nouvelle gorgée de redbull-rhum alors que tu contemplais celle que tu peinais à reconnaître, ta vision troubler par l'alcool, les années et tous les visages que tu avais vu passé depuis ces instants fatidiques au lycée.
Était-ce une sorte de mémoire sélective ? Sans doute, car tu te rappelais mieux de tes coups d'un soir que des personnes que tu avais passé des mois voir des années à moquer.
Le regard rivé sur son décolleté, tu esquissas un sourire un peu plus grand à sa salutation, persuadé que tu étais qu'elle allait répondre positivement à tes avances. Après tout, t'étais plutôt beau gosse. Et si elle était belle, elle n'était pas non plus un canon de beauté. Un 8/10 peut-être. En règle généralement, les 8/10 célibataires répondaient toutes favorablement à tes avances et, si cette femme était là ce soir, il y avait de fortes chances pour qu'elle le soit : célibataire.
Ton sourire victorieux se mourut néanmoins sur tes lèvres aussi vite qu'il était apparu lorsqu'elle te recala en bon et du forme, t'appelant par ton nom de famille, te faisant par la même hausser un sourcil de surprise.
Comment connaissait-elle ton nom de famille ? Vous connaissiez-vous ?
Fronçant les sourcils, tu tentas de discerner les traits de son visage malgré les lumières tamisées et fluctuantes, ainsi que le voile éthylique déformant quelque peu ta vision.

Qui était donc cette meuf ? D'où la connaissais tu ? L'avais tu baisé ? Peut-être bien...
L'observant se servir un nouveau verre, tu finis par succomber à ta curiosité et, pour la deuxième fois en moins de cinq minutes, tu t'interposas entre elle et la table. « E-excuse moi mais... D'ou tu connais mon nom ? Est ce qu'on a baisé ? »
Niveau subtilité, on repassera. Tu n'étais plus vraiment en état pour ça. Puis pour l'heure, tu n'en avais que faire de mettre une quelconque forme à vos échanges. Ce que tu voulais, c'était des réponses. Plus tu étais cash dans tes questions, plus les réponses seraient précises. « Ecoute je... J'suis désolé, mais j'me rappel vraiment pas d'toi, je...  » Fronçant un peu plus les sourcils, tu tentas de te focaliser sur son visage, à défaut de ses seins. À bien y regarder, son visage ne t'était pas complètement inconnu, mais tu étais bien incapable de dire où, comment et pourquoi tu la connaissais. Encore moins de lui trouver un nom. Elle, en revanche, semblait très bien se souvenir de toi et cette constatation te mettait quelque peu mal à l'aise. Cela lui donnait une sorte d'ascendant sur toi et tu n'aimais pas du tout ça. « T'es qui ? Puis pourquoi j'aurais aucune chance ? »
Dans quel contexte aviez-vous pu vous connaître pour qu'elle te rejette de la sorte ? L'avais-tu baisé ivre mort ? Avais-tu été un coup si minable qu'elle refusait même de te laisser lui parler ?
Le cul, toujours le cul. L'idée qu'elle puisse t'en vouloir d'être impuissant à cause de la tease te semblait bien plus crédible que la réalité. Que vous vous connaissiez du lycée et que, à cette époque, la jeune-femme faisait partie de ceux que vous moquiez, encore et encore. Que, malgré le fait que tu ne l'avais jamais directement insulté, tu riais des mots durs de tes amis, jour après jour, sans te soucier le moins du monde de ce qu'elle ressentait, elle.
La loi du plus fort.
Mais aujourd'hui, de par les cartes qu'elle avait en main, c'était elle, la plus forte.

Tu étais complètement perdu.
Plus tu cherchais à comprendre, plus l'incompréhension gagnait du terrain en toi.
Certes, tu n'étais pas suffisament prétentieux pour penser que toutes les filles du monde voulaient coucher avec toi, mais le dégoût palpable dans la voix de la femme lorsque tu la questionna quant à une potentielle relation intime passée entre vous heurta ton égo avec force et fracas.
Comment ça « Ew » ?
Fronçant les sourcils, tu la jugeas une fois de plus du regard. Elle était mignonne, certes, mais clairement pas suffisament pour se permettre de jouer les difficile à ce point.
A moins que son dégoût ne vienne d'ailleurs ?
Mais alors, de quoi ?
Le cerveau ralentit par tes excès, tu peinais à mettre de l'ordre dans tes pensées. Plus les secondes s'égrainaient, plus la frustration montait en toi. Pour la calmer et, surtout, te donner contenance, tu avalas une nouvelle gorgée d'alcool, ignorant son commentaire acerbe.

La pas-si-inconnue connaissait ton nom, ton prénom. A tout moment, tu t'attendais à la voir citer ta date de naissance et ton groupe sanguin, partie comme elle semblait l'être.
Pourquoi diable n'arrivais-tu pas à la restituer lorsqu'il ne lui avait suffit que d'un regard pour te citer toute ta généalogie depuis le paléolithique ?
Fronçant les sourcils, tu ne la quittais pas des yeux.
A bien y regarder, la jeune-femme avait l'air d'avoir à peu près ton âge. Peut-être la connaissais-tu de l'école ? Mais même avec cette idée en tête, tu te parvenais à la restituer, ce qui te frustrait encore d'avantage, ton regard noyé d'alcool s'obscurcissant de plus en plus alors que tu cherchais la confirmation de ton angle de recherche. « Est c'que... on a été à l'école ensemble genre ? »
Et quand bien même cela était-il le cas, tu ne te souvenais pas du visage de tous ceux ayant partagé les bancs de l'école avec toi, de la maternelle jusqu'au lycée.
Pourtant, cette fille semblait se souvenir de toi avec précision et, en vue de ses réactions, par pour les meilleures raisons qui soient.
Lui avais-tu fais du mal ? Sans doute. Mais comment ? Tu n'étais certes pas le garçon le plus attentionné du monde, mais cela faisait-il pour autant de toi un monstre ? Non. Certainement pas. Tu n'avais jamais insulté ou frappé une fille ! Si ?
Moquer, peut-être, mais ce n'étaient là que des blagues adolescentes, rien de bien méchant. Pas de quoi t'en vouloir des années plus tard.
Tu n'avais jamais été un harceleur. Tu n'avais jamais insulté qui que ce soit sur les réseaux ou quoi que ce soit. Tu t'estimais bien au-dessus de ces types dont parlaient les médias.
Tu avais certes quelques potes qui le faisaient, mais pas toi. Toi, tu te contentais d'observer tout ça de loin, bien au-dessus de la plèbe.
De ton point de vue, cela ne faisait pas de toi un méchant, juste un sociologue improvisé. Ou, sans mauvaise foi aucune, un adolescent passif qui tentait de se faire des potes.
Dire que les réactions de tes potes t'avaient insurgées serait mentir, mais dire que tu les admirais le serait tout autant. La vérité, c'était que pour toi l'homme était un animal comme un autre et que les plus faible se faisaient bouffer par les plus fort. C'était dans l'ordre de choses. Si les faibles voulaient arrêter d'être harceler, ils ne devaient compter que sur eux même. Devenir plus fort pour monter dans la chaine alimentaire.
C'est ce que tu avais fait, toi. Tu n'étais pas né fort -les stigmates blanchâtre à tes poignets en témoignent-, mais tu avais tout fait pour le devenir. « Ecoute j'sais pas t'es qui ou c'que j't'ai fait pour qu'tu m'déteste, mais l'passé c'est l'passé. Si tu reste focus là dessus t'arriveras jamais à rien » Et tu savais de quoi tu parlais, faisant de ton mieux pour oublier le tien à grand renfort de vodka et de weeb.

Doucement, mais sûrement, certaines pièces du puzzle commencaient à s'assembler. Si tu n'avais pour l'heure toujours aucune idée de qui était la femme devant toi, ton hypothèse concernant votre lieu de rencontre -l'école- semblait être la bonne.
Pour autant, tu avais beau chercher dans les recoins de ta mémoire, son visage ne te disais pas grand chose. Du moins, si tu l'avais croisé, il ne faisait pas partie de ceux qui t'avaient marqué.
En même temps, tu n'étais qu'un homme, tu ne pouvais pas te rappeler des visages de toutes les personnes que tu avais croisées, non ?
Ce qui te surprenais, par contre, c'était la facilité avec laquelle la jeune-femme s'était souvenue de toi. Un seul regard semblait lui avoir suffit pour te resituer, nom et prénom compris.
Réfléchissant aussi rapidement que ton cerveau anesthésié te le permettais, tu finis par supposer qu'elle devait faire partie de ces filles qui te trouvaient trop ceci ou pas assez cela, au lycée. A moins qu'elle ne remonte à encore plus loin ? A une époque où tu vivais encore chez tes parents, subissant la présence de cette femme que tes copains qualifiaient de mère poule...
T'ébrouant, tu chassas cette pensée de ta mémoire, préférant partir du principe qu'elle faisait partie d'un quelconque groupe de détracteur du lycée.
Chassant son mauvais esprit de quelques mots, tu lui expliquas que le passé était le passé et qu'elle vivrait bien mieux en en laissant une partie de côté.
Si ce conseil se voulait sincère, tu n'étais pas suffisamment ivre pour ne pas remarquer le changement dans son regard à ces mots.



Essuyant son énième rejet, tu levas les yeux au ciel en réponse à son reproche concernant ton état, lâchant un « Tu sais pas c'que tu rates » entre tes dents, à peine audible au travers de tout le brouhaha ambiant. Il y avait de fortes chances pour que la femme ne l'ai même pas entendu.
Une femme qui, finalement, conssentit à te donner son nom avant de tourner des talons. Un nom que tu pris plusieurs longues secondes à retourner dans ta tête avant de finalement t'écrier d'une voix plus forte, comme pour atteindre celle qui s'était désormais éloigner de toi de quelques mètres. « Ah ! La Chicano, c'est ça ?? » T'approchant d'elle au pas de course, tu posas une main sur son épaule afin de la forcer à te faire face une fois de plus, cherchant dans son visage les traits de la geek de tes souvenirs.
Alors, soit le temps l'avait bien arrangée, soit tes souvenirs s'étaient transformés au fil des mois pour lié son physique à ce rejet que tu étais supposé ressentir pour les êtres comme elle.
En vérité, tu n'avais jamais rien eu contre elle, ni contre son groupe d'amis chelou. Ils vivaient leur vie et toi la tienne. Sauf que, dans ta vie gravitaient des types pour qui la vie de ces gens posait un problème. Et que leur manière d'y remédier était de les pourrir jusqu'à se sentir plus apaisé.
Et toi, tu les avais suivies. Prenais-tu plaisir à te moquer d'eux ? Une partie de toi jurait que non, mais une autre devait bien avouer que, parfois, regarder tes potes s'en prendre aux autres te procurait une sorte de jubilation. Comme si le monde avait une forme de justice dans son injustice.
Tu n'étais pas le seul à souffrir.
« Ouah… Tu vas pas m’dire que t’es encore fâchée pour c’qu’on dit mes potes ?? On était cons ! C’est l’passé tout ça.  »
Aujourd’hui, tu ne te moquais plus des geek, ni de quiconque, te contentant d’observer tout de loin, de bien plus loin qu’à l’époque du lycée où, tout silencieux que tu étais, te refermais le cercle des brimades de ta simple présence.