Il fait trop sombre et Dorian déteste ça. Ses phares éclairent pourtant suffisamment la route et il peut même voir, au loin, quelques lumières briller sur Redwood Hills, pas encore tout à fait endormie malgré l’heure tardive. Il n’a plus que quelques kilomètres à faire, moins de cinq, avant de pouvoir retrouver le confort et la sécurité de sa maison. Et Dieu sait qu’elle lui a affreusement manqué, quand bien même il ne l’a quitté que pour trois jours et deux nuits. Rien de terrible : un petit aller-retour jusqu’à Boston, pour signer quelques livres et discuter avec une poignée de lecteurs dans une petite librairie locale. Le grand projet de son éditeur pour lui racheter une réputation après sa débâcle avec la Rose Lunaire : montrer à tous que Dorian Brooks est un homme comme les autres, simple, sans histoire, seulement désireux de comprendre. Ce grand projet passe par bien des étapes, en particulier éviter les pages des journaux et des magazines, publier quelques photos très humbles sur les réseaux sociaux et, celle que Dorian appréhendait le plus, aller au contact de ses fans en organisant de tout petits événements intimes dans de petites librairies de quartier. Loin, très loin de Redwood Hills, bien sûr, juste au cas où un voisin mécontent voudrait dire sa façon de penser. Alors pour cette première tentative : Boston. Tout s’est bien passé, jusqu’au retour, l’avion retardé plusieurs fois, l’attente interminable à l'aéroport et enfin le décollage, l’arrivée à Burlington. La nuit déjà tombée et sa voiture esseulée sur le parking.

Le trajet qui ne prend qu’une petite demi-heure au commun des mortels demande presque une heure, à l’allure où il va. Et même en faisant attention, en roulant doucement et en évitant les routes trop visitées, il faut que quelque chose tourne mal. L’écrivain ne sait pas tout à fait quoi. Il a l’impression de rouler sur quelque chose qui ne devrait pas se trouver en plein milieu d’une petite route de campagne, mais rien qu’il n’ait pu voir avant qu’il ne soit trop tard. La voiture est secouée un instant, très bref, mais quand elle avance ensuite, il y a ce bruit étrange, quelque chose qui ne va pas… Ce n’est pas avec les maigres connaissances de Dorian dans le domaine de la mécanique qu’il pourra deviner quoi, encore moins trouver en faisant l’effort d’investiguer, mais il s’arrête quand même immédiatement sur le bord de la route. Plus ou moins… Pas question qu’il bloque sa voiture dans un ravin, alors tant pis s’il prend toute la place sur le bitume, personne ne passe dans le coin à cette heure, de toute façon. Quant à trouver ce qui cloche, encore faudrait-il sortir de la voiture pour ça, chose qu’il ne paraît pas décidé à faire. Il ouvre la portière, légèrement, mais reste assis sur le siège conducteur, ses deux mains posées sur le volant, tandis qu’il prend de grandes inspirations dans l’espoir de calmer l’angoisse qui n’a fait que grandir depuis qu’il s’est retrouvé seul dans l’habitacle de sa voiture. Il aurait dû appeler quelqu’un, même si l’idée d’une conversation ne lui dit rien ce soir tant il est fatigué. Ou trouver une chambre d’hôtel pour passer la nuit à Burlington. Le plus frustrant reste encore de voir Redwood Hills juste là, à portée de mains et pourtant si loin.

Puisque rien ne semble aller aujourd’hui, les phares d’une autre voiture viennent bientôt l’éblouir. Il doit attendre que le véhicule s’arrête près de lui sur la route pour réaliser qu’il s’agit d’une voiture de patrouille de la police locale. Les mésaventures s'enchaînent bien trop pour qu’il perde du temps à espérer que William se tienne derrière le volant, alors à la place, Dorian lève les mains pour qu’elles soient bien visibles et sort enfin de son véhicule, contre lequel il s’appuie presque au même moment que la flic sort de sa propre voiture. “Bonsoir, officier.” salut-il poliment. Il a l’impression d’avoir passé sa vie au commissariat de Redwood, ces derniers mois et pourtant, la jolie rouquine qui pointe un visage mécontent vers lui en ce moment ne lui dit pas grand-chose, pour ne pas dire rien du tout. “Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?”

Sa journée avait été des plus productives, en effet Hannah avait su terminer un tableau que quelqu’un lui avait commandé et qu’elle devrait livrer dans quelques jours. De sorte que la jeune femme avec cette avance, eût pu en profiter pour poursuivre la réalisation de sa nouvelle collection de peinture dédiée au paysage du Vermont. Une façon pour elle de rendre hommage à cet État qui l’avait vu naître, grandir et où elle avait aujourd’hui des racines bien profondes. Évidemment, ce n’est pas demain la veille que la rousse pourrait présenter cette nouvelle série en galerie, parce qu’en dehors de la peinture, il y a aussi la vie quotidienne bien remplie entre son fils, ses chiens, son second travail d’officier de police et les tâches de la vie de tous les jours. Reposant son pinceau, la jeune maman jette un coup d'œil à l’horloge qui trône au-dessus de la porte de son petit atelier, bien pratique quand elle a les doigts barbouillés de peinture, évitant ainsi à son smartphone de finir taché. Les aiguilles lui révèlent ainsi qu’il va être temps pour elle de rejoindre le poste de police, elle est de nuit et va passer les prochaines heures à patrouiller en ville et dans ses alentours. Nécessaire, ne sait-on jamais, bien qu’il se passe rarement quelque chose, en dehors de certains jeunes s’amusant dehors, ou des gens ayant un petit coup dans le nez. La seule fois, où quelque chose de grave a eu lieu pendant une patrouille de nuit, c’était quand ce pauvre type s’était fait planté par un connard… Gabriel, c’est ça ! Hannah espère qu’il s’est remis moralement de cet incident.

Son atelier à peu près rangé, la rouquine prépare les affaires d'Archie pour le déposer chez ses parents, la baby-sitter à qui elle fait appel d’habitude étant malade, elle a dû trouver une autre solution. Fort heureusement, sa famille ne vit pas loin et ils sont toujours heureux de pouvoir s’occuper de son fils, enfin Winona, c’est toujours un peu plus délicat. Elle adore son neveu, mais le gérer, sa grande sœur lui avait avoué qu’elle se sentait globalement assez gauche avec les enfants, ce qu’Hannah peut parfaitement comprendre, on n’est pas tout taillé dans le même bois après tout. Cette fois en tout cas, ce sont papi et mamie qui vont avoir la joie d'accueillir la crevette le temps d’un gros dodo. Chiens sortis, enfant déposé chez les grands-parents, uniforme enfilé, la jeune femme n’a plus qu’à rejoindre le poste de police et commencé sa ronde, seule. Son coéquipier étant malade et comme personne ne pouvait le remplacer, Redwood reste une petite ville et il n’y a plus trente-six mille flics, Hannah va devoir gérer ça en solo. Ce n’est pas la première fois, cependant le temps lui semble passer bien plus vite quand ils sont deux, même si ce ne sont pas les échanges les plus philosophiques qui soient, c’est toujours mieux que plusieurs heures de monotonie.

D’ailleurs, bien plus tard dans la nuit alors qu’elle patrouille non loin de la ville, il se passe quelque chose de pour le moins inhabituel sur son chemin, avec tout simplement une voiture arrêtée en plein milieu de cette dernière. Soit le conducteur ou la conductrice à rencontrer un problème mécanique, ce qui pourrait expliquer qu’il ou elle se soit stoppé de cette manière. Soit, ces complètement autres choses. Un dealer ? Une rencontre nocturne pour x raisons ? Quelqu’un qui a confondu la route avec une place de parking ? En-tout-cas, la personne en question l'aperçoit et lève les mains, pour une raison qui échappe à Hannah dans un premier temps. Peut-être est-ce pour montrer qu’il n’a rien à se reprocher, la seconde possibilité étant au contraire qu’il a tout à se reprocher. Sourcils froncés, Hannah sort de son véhicule de patrouille au moment où celui qui s'avère être un homme, vient s’appuyer contre sa voiture.

— Bonsoir, répond la rousse avec prudence.

S’approchant avec précaution, Hannah sort sa lampe torche qu’elle braque sur la voiture dont elle commence à faire le tour, s’arrêtant cependant à la question de l’inconnu. Les sourcils de la fliquette se froncent un peu plus, est-ce qu’il se fout d’elle ?!

— Ah, je vois, nous avons à faire à un petit comique !

Paf, la lampe torche se retrouve cette fois braquée sur le visage du chauffeur, elle sait très bien qu’il ne doit plus y voir grand-chose, mais il ne fallait pas la prendre pour une idiote.

— Vous n'avez pas l’impression d’être en plein milieu de la route ? Ce n’est pas parce qu’il y a peu de passage que ça vous donne le droit de faire ce qui vous chante.

Le faisceau de la lampe dévie de nouveau vers le véhicule et Hannah reprend son inspection de ce dernier, avant de venir se planter devant l’inconnu.

— Je veux vos papiers et celui de véhicule et puis vous allez me dire ce que vous faites là au passage.

Malgré ses nombreuses récentes visites au poste de police de Redwood Hills, ce soir est bel et bien la première fois de sa vie que Dorian se fait arrêter. En fait, il était déjà arrêté avant que la voiture de patrouille ne se pointe, donc disons peut-être juste contrôler ? Alors bien sûr, il ne connaît pas le protocole par cœur, mais il est certain que sortir de sa voiture en ayant les mains en évidence est la première étape : montrer à l’officier qui veut lui parler qu’il ne cache pas une arme quelque part, qu’elle ne risque rien. C’est le genre de chose qu’on aime savoir quand on alpague un inconnu au milieu d’une route déserte en pleine nuit, non ? Franchement, Dorian n’est pas bien sûr de ce que veut la jeune femme. Probablement savoir ce qu’il fiche arrêté là et mal garé en plus, mais elle paraît avoir plus peur de lui que l’inverse, alors que c’est quand même elle qui a le flingue. Non pas qu’elle ait décidé de le pointer sur lui, mais ça reste de l’ordre du possible. En d’autres circonstances, l’écrivain aurait peut-être fait l’effort de lui offrir un sourire, rassurant ou charmeur, selon son degré de volonté à en finir rapidement avec cette histoire, mais il est beaucoup trop épuisé et un peu trop agacé ce soir pour se donner cette peine. Aussi, il laisse la jeune femme inspecter son véhicule sans dire un mot, jusqu’à ce qu’il commence à trouver le temps un peu long et qu’elle ne se soit toujours pas tournée vers lui.

Le terme de “petit comique” n’est certainement pas celui que Dorian utiliserait pour se décrire, mais il peut voir pourquoi la flic pense l’inverse. Quant à lui, il peut seulement protéger son visage de ses deux bras dans l’espoir de s’éviter un aveuglement par lampe torche. “Je ne crois pas que la lampe dans les yeux soit nécessaire, officier… ?” Il mettrait sa main à couper qu’elle ne suit pas du tout le protocole normal dans ce genre de situation. Est-ce qu’elle ne doit pas se présenter ? Le fouiller, lui demander ses papiers, quelque chose ? Ça, au moins, elle finit par le faire. “Je vais devoir chercher mon portefeuille dans le sac sur le siège passager.” informe-t-il en pointant ledit sac d’un doigt. Qu’elle ne s’imagine pas qu’il compte faire un truc stupide. Comme elle n’a pas l’air de craindre pour sa vie de toute façon, Dorian fait le tour de la voiture et va chercher les documents demandés dans son sac. Il lui tend son permis de conduire et les papiers du véhicule quand il revient près d’elle. Il a très envie de lui faire remarquer qu’il n’arrive pas à voir son numéro d’identification dans le noir, ce qui est une très claire violation de la loi, mais se retient de justesse en se mordant la lèvre un peu plus fort que nécessaire. Ça ferait sûrement désordre, maintenant qu’il entretient une relation plus ou moins officielle avec un flic, de se faire ramener au poste avec des menottes aux poignets, pas vrai ? Ce n’est qu’un mauvais moment à passer, et il pourra enfin rentrer chez lui. Dormir. Passer à autre chose.

“Ma voiture faisait un bruit bizarre.” lâche-t-il, à la place de toutes les remarques désobligeantes qui lui brûlent les lèvres. “Je crois que j’ai peut-être un pneu crevé ? Je n’ai pas vraiment eu le temps de regarder, mais j’allais le faire avant que vous n’interveniez.” Il ne compte pas lui dire qu’il s’est simplement accordé quelques minutes pour calmer la crise d’angoisse qui menaçait d’éclater, parce qu’il est constamment terrifié de mourir au volant de sa voiture. Il est prêt à parier qu’elle ne trouverait pas en elle la force de lui accorder un peu de compassion. Et Dieu seul sait ce qu’il adviendra de cette charmante conversation quand elle aura regardé son permis et qu’elle réalisera qui il est. Les choses se sont bien tassées depuis la publication de son article, mais qu’on se le dise : il ne fait toujours pas très bon s’appeler Dorian Brooks dans cette ville. Certains habitants du coin sont particulièrement rancuniers. “Ecoutez, je suis navré de m’être stationné n’importe comment, mais si vous me laissez appeler une dépanneuse, je serais loin d’ici en un rien de temps.”

L’officier Brennan n’a jamais vraiment apprécié ce genre d'énergumène. Qui lui donne l’impression de se croire au-dessus des autres, utilisant l’humour pour tenter de détourner l’attention sur ce qu’il se passe et qui se permet de lui répondre du tac au tac. Sérieusement, c’est un contrôle de police, par une rencontre dans un bar, non pas qu’elle compte employer la force avec cet homme, sauf s'il l’oblige à partir en ce sens. Cependant, il pourrait se montrer un peu moins désobligeant…

— Il faut bien que je vois à qui j’ai à faire, répond simplement la rousse au sujet de la lampe dans la figure.

C’est en partie vrai, mais elle se voit mal lui dire que c’est aussi parti parce qu’elle n’a pas apprécié d’être prise pour une dinde. Du moins, c’est l’impression que le rouquin lui laisse pour le moment. Toujours est-il que c’est bien beau de savoir à quoi ressemble mr rigolo, mais encore faut-il qu’elle puisse connaître son identité et voir si le visage qu’elle a devant elle est bien le même que sur ses papiers. De fait, les papiers sont demandés et l’homme explique qu’il va devoir aller les chercher dans son portefeuille. Très bien, Hannah ne comprend pas vraiment pourquoi il lui précise tout ça, ce qui le rend encore plus louche à ses yeux, d’habitude quand elle demande des papiers à quelqu’un la personne en question se contente de les donner. Alors, soit cet homme a définitivement quelque chose à se reprocher, soit il a peur que l’officier ne lui reproche quelque chose et préfère lui énoncer ses faits et gestes. Ça reste quand même un drôle de loustic !

— Faites donc ça.

Avec attention, Hannah l’observe s'engouffrer dans sa voiture, puis fouiller dans le sac avant de revenir vers elle les papiers en mains. Papiers qu’elle ne regarde pas d’entrée de jeu, remarquant plutôt que l’homme se mord la lèvre, comme s'il se retenait de dire quelque chose, ou qu’un truc ne lui allait pas. Bah, elle n’est pas une représentante du service après vente de la police, s’il a quelque chose à dire, il ira faire ses réclamations directement au poste. Les yeux verts de la rouquine prennent la direction des papiers, et plus particulièrement du permis de conduire, qu’elle n’a pas bien le temps d’observer puisque l’inconnu lui explique ses déboires.

— Je vois ce sont des choses qui arrivent et je comprends mieux pourquoi vous n’avez pas pu mieux vous garer, si tenté que vous ayez bien un pneu crevé.

La jeune femme se retient de lui dire qu’en arrivant vers lui, il n’avait pourtant pas l’air spécialement pressé de s’occuper de “son probléme mécanique”.

— Chaque chose en son temps, laissez-moi vérifier vos papiers et après on verra s’il est nécessaire ou non d’appeler une dépanneuse. Si c’est simplement un pneu crevé, ça sera facile à changer et ça vous évitera d’attendre longtemps que quelqu’un vienne vous aider.

Et si ce n’est pas un pneu crevé et bien, ils aviseront. Hannah se penche enfin sur ses fameux papiers et doit bien relire deux fois le nom et le prénom pour être sûr qu’elle ne se trompe pas, mais non, elle n’a pas lu de travers. Ça sonne presque comme une farce d’un seul coup.

— Dorian Brooks hein, vous êtes le fameux écrivain, spécialiste de la secte heureusement que vous êtes tombé sur moi plutôt qu’un habitant de Redwood.

Sans doute que les choses auraient pu mal tourner pour lui, certaines personnes ont encore le papier écrit par cet homme en travers de la gorge et à raison. La rouquine lui rend donc ses papiers, pas de raison de les confisquer et puis elle risquerait d’en entendre parler si elle s'amusait à ce genre de petite blague pas franchement drôle. Ah, elle sait que William n’en a pas fait exprès de tomber sous le charme de l’écrivain, mais ça rend les choses beaucoup plus délicates.

— Officier Hannah Brennan, finit-elle par se présenter. je crois que vous connaissez déjà mon frère, non ?

Si l’officier pouvait ne pas savoir à qui elle a affaire, Dorian sent qu’il ne s’en porterait pas plus mal. Ce serait encore mieux si elle pouvait regarder son permis de conduire, sa carte grise et retourner d’où elle vient. Au fond, il sait bien qu’elle ne fait que son travail, mais il est déjà suffisamment tendu comme ça et il la trouve plutôt antipathique. Et il a un peu peur que le sentiment, sans nul doute réciproque, ne pousse les choses dans la mauvaise direction quand elle comprendra qui il est. Heureusement ou non, il faut un certain temps pour qu’elle se décide à accomplir cette tâche. Suffisamment de temps pour que Dorian se sente encore un peu plus irrité.

“Je ne changerai pas de pneu ici ce soir.” dit-il, indéniablement agacé par la suggestion. Il sait changer un pneu, merci bien. C’est juste qu’il a déjà eu à le faire il y a quelque temps et… Eh bien, il n’utilise presque jamais sa propre voiture alors il n’y a plus de pneu de rechange dans son coffre. Avec la chance qu’il semble avoir ce soir, c’est sans nul doute une violation du code de la route et l’officier Sourire ne boudera certainement pas son plaisir de lui coller une contravention. Il voudrait de tout son cœur n’avoir jamais dit ça. Ce ne sera, hélas, bientôt plus que le premier d’une longue liste de regrets.

Il a quand même un peu de chance dans son malheur, puisque l’officier se décide enfin à regarder son permis. Et Dorian doit se faire violence pour ne pas lever les yeux au Ciel alors qu’elle atteste de l’évidence : oui, elle sait qui il est et à quel point sa vie pourrait être beaucoup moins agréable s’il était tombé sur quelqu’un qu’il a énervé avec son travail. Ils savent l’un comme l’autre que les volontaires seraient probablement nombreux. “Je suis sûr que mes concitoyens sont des gens raisonnables qui ne s’en prendraient pas à un autre être humain simplement parce que leurs opinions divergent sur un sujet en particulier.” répond-t-il, son ton tout à coup affable, comme s’il répondait à la question délicate d’une journaliste. Le ton est parfait, la langue de bois aussi. Il doit juste revoir un peu la posture, bien conscient que les bras croisés sur sa poitrine lui donnent l’air d’être sur la défensive. Ce qu’il est.

Jusqu’à ce qu’ils retombent le long de son corps, sous l’effet du choc. “Oh, vous vous foutez de moi.” marmonne-t-il, sa voix Dieu merci suffisamment basse pour qu’il puisse espérer qu’elle n’ait rien entendu. Les dernières dix minutes depuis que l’officier a débarqué lui repassent dans le crâne comme s’il visualisait le terrible film de sa vie juste avant de faire le grand saut et il en regrette chaque. foutue. seconde.. Il trouve pourtant la force miraculeuse de lever un sourire crispé vers la rouquine. “Votre frère ?” répète-t-il, tandis qu’il prie silencieusement pour que tout ça ne soit qu’un mauvais rêve. Il aurait dû appeler Will et lui demander de venir le chercher à l’aéroport. Il y a même pensé un peu, beaucoup, avant de décider que ce serait trop… Trop quoi ? Trop normal. Trop le genre de choses qu’ils ne font pas ensemble. Peut-être qu’ils devraient s’y mettre. Ou bien que Dorian peut trouver une façon de remonter le temps, juste dix minutes en arrière, pour que Will sorte de cette stupide voiture de patrouille, plutôt que sa soeur. Dorian le laisserait lui passer les menottes avec grand plaisir. “Oui, je connais votre frère. Je le connais même très bien. J’irais jusqu’à dire qu’il compte au nombre de mes amis les plus chers.” confirme-t-il. “Y a-t-il la moindre chance que cela joue en ma faveur ?” Compte tenu qu’elle ne lui est pas tombée dans les bras en le remerciant chaleureusement de faire le bonheur de son frère immédiatement après avoir lu son nom sur son permis de conduire, il a le pressentiment que non, mais on peut toujours rêver. Mais peut-être que Hannah ne sait tout simplement pas à quel point William et lui sont proches ? Dorian ne pourrait vraiment pas en tenir rigueur au sergent s’il n’avait pas voulu confier ce qui se passe entre eux à sa famille. Ce serait plutôt malvenu de la part de celui qui vient de désigner l’homme qu’il fréquente assidûment et exclusivement depuis presque dix mois son ami.

“Ecoutez, Hannah… Vous permettez que je vous appelle Hannah ?” Qu’elle le permette ou non, il n’a pas l’intention de l’appeler “Officier Brennan” de toute façon, alors il ne lui laisse pas l’occasion de répondre. “Vous n’avez vraiment aucune raison de perdre votre temps avec moi et cette histoire de pneu crevé. Retournez à vos affaires, je me débrouillerai.” Il dit ça comme s’il lui faisait une faveur quand, vraiment, il est celui qui rêve qu’elle le laisse tranquille.

L’échange déjà assez tendu entre cet homme et l’officier ne va pas vraiment en s’arrangeant, lorsqu’il refuse catégoriquement la possibilité de changer son pneu, qui n’est peut-être même pas crevé en définitive. C’est juste une possibilité. Si ça se trouve, sa voiture n’a même aucun problème mécanique et il est juste un peu parano dès qu’il entend un bruit ou un autre. Mais quoi ?! Il préfère attendre dix milles ans une dépanneuse qui lui fera payer un rein son déplacement, plutôt qu’un officier de police l’aide dans son problème En tout cas, Hannah ne peut s’empêcher de trouver ce rejet d’une main tendue vraiment étrange. A se demander s’il n’aurait juste pas un problème avec les flics ! La jeune femme ne répond rien et se contente de lui jeter un regard méfiant. Toujours est-il que la rouquine en vient à regarder ses papiers et découvre qu’il s’agit de cet écrivain spécialisé dans des romans sur la rose lunaire et qui a eu très mauvaise presse il y a quelque temps, avec un papier que beaucoup ont qualifié de même pas bon à se torcher avec. Donc oui, il a eu de la chance de tomber sur elle, bien qu’elle ne se montre pas forcément dés plus charmante, une autre personne n’aurait peut-être pas hésité à l’agresser verbalement, voire physiquement. La réponse de Dorian Brooks ne se fait pas attendre et autant dire qu’il ne manque pas de souffle, il a beau se montrer soudainement très aimable avec elle, Hannah n’y voit que de l'hypocrisie teinté de condescendance.

— Vos concitoyens ?! Ce n’est pas l'orgueil qui vous étouffe Mr Brooks. En tout cas, vous êtes sacrément crédule de croire qu’un autre être humain ne peut pas vous attaquer pour divergence d’opinion. D’autant plus quand le sujet particulier en question se porte sur la secte.

Et puis, quitte à continuer à bien faire les choses, Hannah se présente, le nom Brennan est lancé et elle en vient évidemment à évoquer William. Il faut dire que la relation de son aîné avec l’écrivain est un sujet phare dans la famille voir même brûlant du côté de Nate. Alors, est-ce qu’elle est contente de son petit effet, après la révélation sur son lien avec Willy ?! Complètement, c'est assez gratifiant de le voir descendre un peu de son piédestal et de ne plus montrer ce visage de parfait crétin condescendant. Croisant les bras, la jeune femme a tout de même la délicatesse de le laisser absorber la nouvelle sans en ajouter une couche. Parce que c’est sur que ça doit faire bizarre de tomber sur la petite sœur de son petit ami de cette manière, il y avait mille et une façon pour qu’ils se rencontrent un jour et c’est sur celle là que c’est tombé.

La surprise passée, Brooks semble reprendre un peu de contenance et admet connaître son frère, bien que… Hannah cligne plusieurs fois des yeux n’étant pas sûr d’avoir bien entendu… L’un de ses amis les plus chers ? Lui faire une faveur parce qu’il fréquente son aîné ?

— Ah ? J’avais pourtant cru comprendre qu’il s’agissait plus que d’une amitié, aussi chère soit-elle à vos yeux et non pas de traitement de faveur sous prétexte que vous fréquentez William. Quand je porte cet uniforme, chaque habitant se voit traité de manière égale.

Bon, c’est bien beau tout ça, mais ils ne vont pas rester éternellement sur le bord de cette route à discuter, elle doit surement pouvoir faire quelque chose pour la voiture de Dorian. Vraiment, il n’y a sûrement pas matière à appeler une dépanneuse. Cependant, elle n’a pas bien le temps de lui proposer de vérifier sa voiture qu’il reprend la parole et s’enfonce un peu plus face à l’officier Brennan.

— Pas de Hannah quand je suis en service non, c’est officier Brennan que ça vous plaise ou non, vous connaissez bien William mais ce n’est pas pour autant que ça vous donne ce genre de droit. Comme celui de me donner des ordres, vous êtes mon affaire donc jusqu’à ce que je le décide je reste là !

Ni une, ni deux, la jeune femme retourne vers sa voiture et la démarre pour illuminer la route avec ses phares en puissance maximale, puis elle retourne vers le véhicule de Dorian dont elle inspecte scrupuleusement les pneus.

Il voudrait rétorquer quelque chose, n’importe quoi. Se mettre un flic à dos dans une ville comme celle-là est probablement la plus mauvaise idée du monde, mais cette flic en particulier semble vouloir se faire un ennemi de Dorian, et qui est-il pour lui refuser une telle chose ? Pourtant, il ne dit rien. Par on ne sait quel miracle, il reste planté là, les bras croisés sur sa poitrine et le regard mauvais posé quelque part aux pieds de l’officier, et il se retient d’entrer dans son jeu. Il sait parfaitement que si quelqu’un dans cette ville voulait lui faire du mal pour le faire taire, ce serait très facile. Il a eu un stalker sur le dos pendant des mois et sans un petit miracle, Dieu seul sait combien de temps cette situation aurait pu durer. On pourrait croire le contraire, à le voir se pavaner dans Redwood Hills depuis vingt ans comme s’il n’aimait pas passer son temps libre à déterrer les sales petits secrets de la secte locale, mais Dorian ne prend aucun plaisir à se faire des ennemis partout où il passe. Il rêvait plutôt de devenir une sorte de figure emblématique, quand il s’est lancé dans cette carrière littéraire et ces temps-ci, il sent bien qu’il ne déferle pas la chronique pour les bonnes raisons.

Et quand l’officier se décide enfin à lui décliner son identité, l’écrivain est ravi d’avoir su tenir sa langue juste pour cette fois. Même si ça ne rattrape pas vraiment les autres moments où il s’est montré particulièrement désagréable au cours de cette interaction. Elle l’a cherché, d’après lui, mais ça n’a plus grande importance maintenant. Il ne peut pas revenir en arrière. Tout ce qu’il peut espérer, c’est qu’elle veuille se montrer un peu plus indulgente avec lui, au nom de cette fameuse relation que Dorian entretient avec son frère. Et qu’il fait probablement l’erreur de minimiser. “Ce n’est qu’une marque de pudeur. Je vous assure que mon affection pour votre frère va bien au-delà de la simple amitié. Je préfère néanmoins ne pas en faire étalage à tout va.” Elle peut comprendre, pas vrai ? Comprendre, surtout, qu’il ne cherche pas du tout à insinuer que ce qui le lie à son frère n’est pas important à ses yeux, et qu’elle n’a donc aucune raison de le malmener un peu pour lui apprendre à mieux apprécier leur relation. À moins que ce soit un truc de famille, cette soif de justice aveugle ? Dura lex, sed lex. Parce qu’il ne semble pas que leurs relations communes aient la moindre influence sur la façon dont Hannah compte le traîter. Et bien sûr qu’il ne peut s’empêcher de penser à son frère quand il la voit brandir ce vague concept d’égalité. Il a tout de même envie de croire que William saurait faire preuve d’un peu plus de clémence s’il se retrouvait à la place de sa sœur. “Vous aussi, vous ressentez un profond ressentiment à l’égard de Dorian Gray ?” demande-t-il, incapable de retenir complètement le sourire idiot qui veut lui échapper.

Il pense tellement à autre chose qu’il sursaute presque quand elle affirme qu’il n’a pas d’ordre à lui donner. Quand lui a-t-il donné un ordre ? Ce n’est qu’une suggestion. Une offre plus que généreuse. Et vaine, semble-t-il. “Comme vous voulez, officier.” cède-t-il en haussant les épaules. Une nouvelle grimace habille son visage quand Hannah décide qu’il est grand temps de l’éblouir, de ses phares cette fois, mais il ne dit rien et va plutôt inspecter les pneus de sa propre voiture à son tour. Il fait trois fois le tour du véhicule, utilisant même la lampe torche de son téléphone portable, avant de devoir se rendre à l’évidence : ses pneus vont très bien. Les quatre.

Il se redresse, plutôt déçu, une main frottant l’arrière de sa nuque, alors qu’il évite très clairement le regard de la rouquine. “J’ai dû rouler sur quelque chose, mais c’était moins grave que ce que j’ai cru.” propose-t-il. “Je suis un conducteur prudent. On ne peut pas vraiment me le reprocher, pas vrai ?” Il sait bien que ça ne peut pas fonctionner sur Hannah, pourtant il ne peut se retenir de lui offrir l’un de ses sourires ravageurs dont il abuse souvent. Ils s’avèrent plutôt efficaces, d’habitude, mais sur l’officier Brennan, il ne se fait aucune illusion.

À l’image de l’écrivain, Hannah reste bien droite, les bras croisés, les yeux légèrement plissés sur le visage du rouquin, attendant une nouvelle réplique de ce dernier qui ne vient juste pas. Étonnant, il lui avait pourtant semblé être le genre à avoir toujours une réplique, une réponse à tout, et ce, quelle que soit la situation. Cependant, peut-être que son uniforme et son badge de flic l’empêchent de se montrer trop virulent verbalement, sage décision, pour celles et ceux qui aiment aller un peu trop loin ça finit souvent au poste. Même s’il est vrai que Dorian Brooks lui sort par les trous de nez, la jeune femme n’a pas envie que ça se termine au commissariat de Redwood Hills, non mettre les gens derrière des barreaux ce n’est pas son pêché mignon. Qui plus est, elle ne veut pas non plus risquer l’incident fraternel avec William qui fréquente cet homme, qui fait déjà assez parler de lui dans la famille. Elle est à peu près sûre que si elle avait décidé de le ramener au poste ça aurait créé un genre de guerre entre Nate qui aurait été d’accord avec elle, Willy certainement pas ravi et Winona et leurs parents entre les deux. Triste tableau qui se dépeint dans son esprit. Bon sang, pourquoi son aîné ne sort pas avec… Elle ne sait pas, avec quelqu’un d’autre que l’écrivain, ça aurait sans doute rendu les choses tellement plus simples. Hannah retient une grimace, ce n’est pas comme s’il avait décidé un beau matin qu’il allait tomber amoureux de lui, d’une façon ou d’une autre, ils vont tous devoir s’en accommoder pour le bonheur de William.

D’ailleurs, elle en vient à se demander si l’écrivain sera à même de faire le bonheur de son aîné, surtout lorsqu’elle l’entend minimiser leur relation. Une amitié et une relation amoureuse ont tout de même quelques différences bien notables. Mais il dissipe bien vite le malentendu en expliquant qu’il s’agit de pudeur et qu’il ne veut pas en faire étalage comme des ados vivants leurs premiers émois. Hannah le comprend et n’a rien à redire là-dessus, elle se contente donc de hocher simplement la tête même si… Enfin, elle n’est pas sûre que William sera prêt à présenter Dorian à la famille pour le moment, surtout avec un Nathanael qui va sûrement montrer les crocs. Cependant, le jour où l'écrivain sera introduit officiellement aux autres Brennan, elle espère qu’ils se montreront un peu plus expansifs. Elle ne dit pas qu’ils doivent se rouler sur la table en s’embrassant, mais si Dorian se montre un peu pudique, sûr que ça risque de poser des questions. Bref, ils n’en sont pas encore là de toute façon.

— Ce n’est pas un personnage que j’apprécie beaucoup non, mais en dehors de votre prénom et d’un ego un peu trop volumineux, j'espère que vous n’avez pas d’autres points communs avec lui.

En tout cas, quand elle observe le visage de Dorian et les rides qui creusent son visage, il est plus que sûr qu’il ne possède pas une peinture de lui qui vieillit à sa place. Bref, de toute façon qu’il sorte ou non avec William ne changera rien et elle compte le traiter comme n’importe quel autre citoyen de Redwood Hills et elle le lui fait bien comprendre. De fait, ils ont assez palabré et il est plus que temps qu’ils s’occupent de la possible panne de la voiture de l’écrivain, ils ne vont pas rester ici ad vitam æternam à faire connaissance dans la joie et la bonne humeur. Après de multiples vérifications, Hannah en vient à la même conclusion que le propriétaire du véhicule, les pneus ne sont pas là problématiques.

— Non, en effet, ce n’est pas quelque chose que l’on peut vous reprocher, répond Hannah en ouvrant le capot de la voiture. Faites aller votre moteur, on va voir si ça vient de là et après si tout va bien, vous pourrez reprendre la route.

William lui manque.

Cette réalité le frappe de plein fouet, incongrue, inattendue, tandis que son regard plein d’espoir est posé sur la jolie rousse et qu’il jauge la réaction qu’elle voudra bien lui offrir à son petit trait d’esprit sur Dorian Gray. Ou plutôt, quand elle ne réagit pas du tout comme il l’aurait voulu. Et comment l’aurait-elle pu ? Évidemment qu’elle n’a aucune idée de la longue conversation que William et lui ont eue à ce sujet le soir de leur rencontre. Il ne peut pas lui reprocher de ne pas comprendre, de tomber complètement à côté et d’imaginer qu’il a l’audace de se comparer au célèbre personnage du roman éponyme, bien sûr. Seulement… Seulement, William lui manque terriblement. Il voudrait que le sergent soit là en ce moment, même pas pour le sauver du courroux de sa jeune sœur, mais seulement pour lui offrir un sourire complice. Et peut-être aussi, tout simplement, parce qu’ils ne se sont pas vus depuis des jours et qu’il a bêtement envie de s’asseoir près de lui, de le toucher. Au lieu de ça, il est ici tout seul, avec une autre Brennan, et pas bien loin de la crise existentielle. Parce qu’on a fait mieux comme situation, pour se surprendre à avoir des sentiments ou Dieu sait ce qui lui prend tout à coup, qu’un contrôle de police en pleine nuit au milieu d’une route de campagne. En particulier quand l’officier face à lui juge bon de l’insulter sagement en même temps qu’elle prétend vouloir faire régner l’ordre. “Ah, hélas, je dois bien admettre que ce personnage est mon modèle.” marmonne Dorian, étrangement agacé tout à coup. Pas contre Hannah, néanmoins. Il se fiche bien de ses petites piques. Il ne comprend simplement pas la brusque tempête d’émotions qui le secoue et il a horreur de ça. “Les déjeuners en famille du dimanche vont devenir cent fois plus excitants quand je serai enfin invité, vous verrez !” Il dit ça à moitié comme une plaisanterie, à moitié comme une mise en garde. Ils savent aussi bien l’un que l’autre que le jour où Dorian viendra déjeuner chez les Brennan n’est pas encore né, de toute façon. Quoiqu’ils imaginent probablement des raisons très différentes à cet état de fait.

En attendant, s’il y a bien une chose qui parvient à les mettre d’accord ce soir, c’est l’envie désespérée de mettre fin à cette aimable conversation. Hélas, Hannah ne peut pas se résoudre à l’abandonner sans avoir au moins fait semblant de faire son travail avant. Alors pour cette fois - et parce qu’il a hâte de se débarrasser d’elle - Dorian se montre indulgent et va inspecter sa voiture lui aussi. Il ne trouve rien et il commence à vraiment regretter d’être venu au monde. “Vous vous y connaissez en mécanique ?” demande-t-il, sans rien cacher de ses doutes, quand il voit la jeune femme faire mine d’aller ouvrir le capot de sa voiture. Lui en tout cas, pas du tout. Il fait quand même l’effort d’aller tirer sur le levier pour la laisser inspecter les entrailles de son véhicule, puis de lancer le moteur quand elle le lui demande. Il sait déjà ce qu’elle va trouver : rien du tout. Parce qu’il a simplement paniqué pour rien, il commence à s’en rendre compte et ça le met un peu en colère. Il se penche à l’extérieur du véhicule et lui lance : “Tout va très bien avec ma voiture.” Il prend une grande inspiration, lâche un soupir mauvais et reprend. “J’ai paniqué pour rien. Ça arrive sans arrêt, c’est bien pour ça que j’évite de prendre le volant quand je peux l’éviter. Désolé de vous avoir fait perdre votre temps.” Et puis il lève un nouveau regard plein d’espoir sur elle, priant pour qu’elle ne l’oblige pas à en dire plus et pour qu’elle consente enfin à le laisser reprendre la route. Il aurait de bien meilleures chances d’y parvenir s’il pouvait se taire après ça, mais le stress de cette soirée commence à l’irriter sérieusement, alors évidemment qu’il ajoute tout à coup : “Bref. C’était un vrai plaisir de faire votre connaissance, Hannah. On se revoit à Noël ?”

L’officier Brennan roule des yeux, retenant de justesse un soupir exaspéré quand l’écrivain prétend que Dorian Grey est son modèle, ce à quoi elle aurait pu rétorquer que ça n’a rien de franchement trop étonnant. Même si, et au vu de leur délicieux échange jusque là, ironie quand tu nous tiens, la jeune femme se demande si ce n’est juste pas une autre façon de la provoquer, irritée, énervée et bien d’autres qualificatifs du même genre. Alors Hannah se contente de hausser les épaules et ne répond à l’écrivain que par le silence, n’ayant pas le désir de s’enfoncer plus que de mesure dans une conversation qui n’est pas agressive, mais pas vraiment amicale non plus. Ah ! Si seulement elle n’avait pas choisie de passer par cette portion de route, elle ne serait pas en train de se demander si elle ne devrait juste pas planter Dorian Brooks. Ce qu’elle ne fera pas, ce type à beau lui sortir un peu plus par les trous de nez, elle est flic et même si c’est pour une broutille mécanique, elle ne veut pas laisser quelqu’un dans la mouise. En revanche, la réplique suivante, Hannah ne s’y attendait pas du tout, de sorte qu’elle reste coite quelques secondes avant d’éclater de rire.

— Oh ça c’est sûr, votre existence est déjà excitante pour ma famille, alors je n’imagine pas le jour où vous allez débarquer pour un déjeuner dominical, ça va être un vrai feu d’artifices.

Bon, ce n’est sûrement pas demain la veille que l’écrivain passera la pas de porte des parents Brennan, il va y avoir encore un peu de chemin à faire avant ça et très certainement de longues discussions. Enfin, si Mr Brooks n’en remet pas une couche avec la rose lunaire d’ici là. Enfin bref, là n’est pas encore la question, celle qui presse étant de découvrir si la voiture de l’homme a un problème mécanique ou si le souci est ailleurs. Etant donné que les pneus semblent être en bon état, ne reste plus qu’à vérifier le moteur.

— Oui, j’ai une moto dont je prends soin et plus globalement, j’ai l’habitude de mettre les mains dans le cambouis. Certes, je ne suis pas mécano mais s’il y a un problème là dedans, explique Hannah en montrant vaguement ce qui se trouve sous le capot. Je devrais pouvoir faire le nécessaire pour que vous arriviez à bon port et que vous fassiez réparer.

D’un signe de tête, la rousse le remercie d’avoir ouvert le capot grâce à la super tirette qui se trouve à l’intérieur du véhicule et elle commence à inspecter minutieusement les pièces mécaniques tentant de comprendre ce qui cloche. Il se passe bien quelques minutes avant qu’elle puisse apercevoir du coin de l'œil Dorian se pencher en dehors de sa voiture pour lui dire que tout est ok. Arrêtant tout mouvement, la jeune femme se redresse pour écouter ce qu’il souhaite lui dire… Étrangement, et même si ça leur à faire perdre du temps à tous les deux, elle n’est pas fâchée, malgré sa petite aversion pour lui, l’officier peut comprendre, les peurs quels qu'elles soient peuvent avoir cette manie de vous pourrir la vie.

— Non je comprends, merci de votre franchise, ça m’aura évité de chercher trop longtemps un problème qui n'existe pas, répond la rousse avec un sourire presque amical.

Refermant le capot, avant d'essuyer ses mains sur ses cuisses, son uniforme aura sûrement besoin d’un petit passage dans la machine à laver, Hannah va lui proposer de le raccompagner en conduisant derrière lui pour le ramener à bon port. Sauf que Dorian ne peut s’empêcher d’avoir cette phrase aussi malheureuse que franchement maladroite.

— C’est quoi votre problème à la fin, vous cherchez la merde ?

Hannah grogne, elle aurait mieux fait de garder sa compréhension pour elle, abrutit !

— Montez donc dans votre voiture et passez devant, je vais vous raccompagner à Redwoods et je ne veux pas de protestation, c’est un ordre d’un officier de police.