Manuel, Alejandro ne l’est pas vraiment. Il n’est pas bricoleur, il n’aime pas particulièrement jardiner, et ne sait pas faire grand-chose de ses mains. Il sait cuisiner. Et bien en plus. C’est déjà pas mal. Sinon, il réfléchit vite et bien. C’est un intellectuel, Al’. Plus à l’aise avec les chiffres qu’avec une tondeuse. Pourtant, il ne refuse pas de s’y coller quand sa mère lui demande ce service. Elle a bien demandé à ses petits-fils, les enfants d’Alejandro, mais ils étaient tous trop occupés. Soit. Ce n’est pas bien compliqué, mais il fait chaud. L’été a pris ses quartiers à Redwood Hills. L’homme sent la sueur perlé sur son front, dans son dos. C’est un soulagement pour les oreilles quand la machine s’arrête. Pourquoi n’ont-ils pas un jardinier au fait ? Ah oui, parce que Margaret ne veut pas d’un étranger dans son jardin. Elle ne veut pas non plus quelqu’un qui la surveille 24h sur 24. Déjà, elle sent les regards inquiets de son fils, de ses petits-enfants aussi. Elle va bien. C’est ce qu’elle continue de répéter à Alejandro. Ça ne l’apaise pas pour autant. Il sait qu’il doit être vigilant. La maladie peut évoluer rapidement, et surtout, elle peut se faire discrète pendant un moment.
Après avoir rangé la tondeuse, et avoir galéré pour la remettre à sa place, Alejandro retrouve sa mère dans son potager. Elle désherbe avec méthode les carrés potagers, les mains protégées par des gants à fleurs et un chapeau de paille sur la tête. Le regard de l’homme cherche ensuite Diego, son neveu de cinq ans dont il a la garde, suite au décès de sa sœur. « Dans l’enclos des lapins. » que sa mère lui dit. Pas étonnant, connaissant le gamin. Après avoir vérifié que le gosse n’avait pas été confondu avec une carotte, Al’ choisit de rentrer à la maison pour prendre une douche et pour commencer à préparer le repas. Margaret a récolté pas mal de légumes ce matin. A lui désormais d’en faire quelque chose.
20 heures sonnent bientôt. Margaret et Diego sont encore dans le jardin, accompagnés par la jeune fille au pair. Gus et Emilio sont dans leur chambre. Miguel quant à lui… Le garçon de seize ans est sorti depuis un moment déjà. Alejandro lui a envoyé un message un peu plus tôt dans la soirée, mais pas de réponse. Il n’aime pas beaucoup ça. Il est du genre à laisser une certaine liberté à ses enfants, mais il n’aime pas ne pas avoir de nouvelles. Il s’inquiète encore plus quand il se retrouve nez à nez avec Justin qui vient de frapper à sa porte, et qui lui annonce qu’il vient récupérer sa fille, Layla. « Salut Justin ! Euh… Layla n’est pas là. Miguel non plus d’ailleurs… » Y’avait anguille sous roche, c’était sûr ! Les deux adolescents avaient certainement fomenté cette ruse pour se retrouver et échapper à la surveillance de leurs parents. Miguel était censé être chez Layla et Layla chez Miguel… Les petits malins. « J’crois qu’on s’est fait berné… Entre ! » Il se pousse alors pour laisser la place à Justin d’entrer dans la maison. Ni une ni deux, Alejandro tente d’appeler son fils. Ça sonne. Une fois. Deux fois. Répondeur. Al’ émet un petit rire tout en raccrochant. « Je crois qu’il a rejeté mon appel, le p’tit enfoiré ! » Ouais, c’était pas une très belle façon de parler de son fils, mais Alejandro était passablement agacé par son attitude.

Alejandro ne travaille pas. Il a la chance d’avoir fait fortune il y a quelques années et de pouvoir vivre de ses rentes. Et pourtant, il a l’impression d’être toujours occupé. Notamment quand ses gosses commencent à faire des conneries. Avec un jeune adulte et deux adolescents sous son toit, il n’avait pas beaucoup de répit. Sa fille est plus indépendante, et certainement plus sérieuse à ses yeux que ses fils. Et Diego… Diego a cinq ans et n'est pas encore en âge de faire trop de bêtises. Enfin, pas du calibre de Miguel qui a disparu dans la nature ! Inquiet, il l’est un peu, Al’, mais il n’est pas du genre à trop s’en faire. Il est surtout gêné par rapport à Justin. Il se dit que c’est probablement son fils qui a entraîné la jeune fille, l’incitant à mentir à son père et à ne pas répondre au téléphone. Bien sûr, Alejandro ne voit rien de bien méchant là-dedans. « Des ados, voilà tout ! » répondit-il avec un petit sourire amusé. Il n'est pas du genre à prendre tout ça trop au sérieux. Il les imagine planqués dans un coin, contents d’avoir échappé à la surveillance de leurs pères. Al’ est passablement agacé de constater que son fils ne répond pas au téléphone. Ni Layla d’ailleurs. S’ils sont ensemble, ils sont désormais au courant qu’ils sont grillés. Justin se demande alors s’il n’y a pas plus que de l’amitié entre sa fille et le fils d’Al’. L’idée lui a traversé l’esprit. « Va savoir… Peut-être… » Bonne ou mauvaise chose ? « En tout cas, c’est louche. Ils étaient pas censés réviser un cours ? Ou y’avait une histoire d’exposé ? Je sais plus… » Y’avait une histoire avec l’école, il en était sûr. Si c’était ça, pas besoin de mentir ou d’aller se planquer on-ne-sait-où ! Donc forcément, les deux cachaient quelque chose. « T’as pas une idée d’où ils auraient pu aller ? » Les endroits tranquilles ne manquaient pas à Redwood Hills. Il se souvenait de ces étés passés ici, quand il était adolescent. Ils avaient vadrouillé un peu partout, leurs parents ne sachant jamais où ils étaient. « Qu’est-ce qu’on fait ? On part à leur recherche, ou on attend un peu de voir s’il rentre ? »

Alejandro ne s’inquiète pas trop de la “disparition” de son fils. Le gamin voulait certainement être tranquille avec cette fille, sans avoir son père sur le dos. Peut-être juste une façon de s’amuser, de se soustraire à la surveillance de son vieux. Ils devaient s’ennuyer, voilà tout. Al’ jette tout de même un regard légèrement inquiet vers Justin quand celui-ci espère qu’ils ne vont pas faire d’eux des grands-parents… Ils ont l’âge d’y penser désormais. Seize ans et les hormones en folie. Un accident est vite arrivé. Il baisse de nouveau les yeux vers son téléphone. Il tente de nouveau d’appeler son fils. Ça sonne tandis que le pompier indique que les deux mômes devaient répéter un cours, pour un examen. Répondeur. Encore. « Joder ! » Alejandro qui jure en espagnol, ce n’est jamais très bon. Il commence à perdre patience. S’il n’avait s’agit que de son fils, il aurait probablement laissé courir. Le môme se serait juste fait engueuler en rentrant. Seulement là, il devait faire face au père de Layla. L’homme ne rejette pas la faute sur Miguel, mais il dit bien que sa fille ne lui a jamais fait ça… « On n’a qu’à attendre un peu. Ils finiront bien par rentrer. S’ils traînent trop, on ira faire un tour en bagnole. On les apercevra peut-être… » Alejandro se dirige vers le frigo, près à en sortir une bière pour lui, et une pour Justin. « Une bière ? » Il tourne le regard vers le pompier. « Faut pas t’en faire, ils ne sont sûrement pas très loin. Miguel agit comme un idiot, mais il n’en ai pas un. Pas vraiment. Il ne fera rien de stupide. » Comme faire un gosse à une de ses camarades de classe. Al’ l’espère vraiment.

Son fils continue de l’ignorer. Alejandro n’aime pas beaucoup son attitude. Il n’a jamais été très doué pour montrer de l’autorité. Il ne se sent pas légitime pour ça, lui qui a passé beaucoup plus de temps au travail qu’à la maison. Mais quand même, il attend de ses enfants un minimum de respect. Et pas de mensonges. Al’ n’aurait certainement pas empêché son fils de fréquenter Layla. Mais le côté secret et mystérieux est plus séduisant, certainement. « Je tombe sur le répondeur. Ça sert à quoi d’avoir un téléphone si on n’y répond pas ! » Une bonne phrase de daron, comme diraient ses fils. Une seconde, l’idée de priver Miguel de téléphone lui vient, mais c’est certainement la meilleure chose à faire pour se le mettre à dos. Ce qu’Alejandro ne souhaite pas. Il essaie de se calmer, Álvarez. Ça se trouve, dans quelques minutes, les deux adolescents vont franchir la porte de la maison, l’air innocent. Autant attendre un peu avant de les chercher. Justin ne refuse pas une bière et Al’ en sort donc deux du réfrigérateur, en tendant une au pompier. Il ouvre la sienne et en boit une gorgée. Justin lui demande alors s’il peut compter sur son fils pour qu’il n’arrive rien à sa fille. Un instant, Alejandro le regarde, droit dans les yeux. « Tu peux. » qu’il lui répond, avec fermeté. Ses fils pouvaient se comporter comme des idiots, faire des conneries, mais ce sont de bons gars et Al’ est certain que Layla ne risquait rien avec Miguel. Il y a beaucoup de garçons, chez les Álvarez, mais les femmes de cette famille ont toutes un fort caractère. Elles ont enseigné à Gustavo, Emilio et Miguel le respect envers les femmes. Par contre, de son côté, Alejandro a-t-il bien joué son rôle de père, expliquant à son fils qu’il faut se protéger lors des rapports sexuels ? Il a un doute sur le fait d’avoir été bien clair… Il boit une nouvelle gorgée de bière. « J’ai aussi une fille. Une seule. Et je te confirme qu’on est plus inquiets pour elle que pour eux ! Peut-être parce qu’on sait de quoi les hommes sont capables… Enfin, Miguel n’est pas de ce genre-là hein ! » qu’il ajoute bien vite. Zelda est sa fille, sa princesse, et il sait bien que son comportement n’est pas du tout le même avec elle qu’avec ses garçons. Il se montre bien plus protecteur envers elle. « Et donc, Layla est pas du genre à faire le mur ? »

A seize ans, Alejandro était bien différent de l’homme qu’il est aujourd’hui. Il était un garçon timide, maladroit et pas forcément bien dans sa peau. Son père était un homme dur mais juste. Il a été éduqué avec fermeté mais aussi avec amour et bienveillance. Al’ était plutôt du genre sérieux, même s’il lui est arrivé de faire quelques conneries. Il se souvient des vacances d’été passées à Redwood Hills. Il était toujours dehors, toujours avec ses potes à trainer. Il avait déjà fait le mur, certainement, mais quand il n’y avait que sa mère pour le réprimander gentiment. Álvarez est surpris d’entendre que Justin n’était pas un ange, à seize ans. C’est peut-être cette image de pompier, de gars droit et serviable, qui lui fait penser ça. « T’as fait les 400 coups alors ? » demande-t-il, amusé et curieux. Et Alejandro apprend ensuite que la mère de Layla était du genre à faire le mur. « Pas sûr qu’ils tiennent ça de nous… » lance-t-il avant de boire une gorgée de bière. « Quoique, Ana Sofia ne devait pas être une enfant de cœur à seize ans… » Ses pensées se dirigent vers la mère de Miguel. Une femme avec du tempérament. « Enfin ! Faut se dire qu’ils ne font rien de grave ! Ils sont certainement en train de traîner dans un coin, à se plaindre des professeurs et de leurs pères ! » Il commence à se calmer, Al’, même s’il ne peut s’empêcher de jeter des coups d'œil à son téléphone. Miguel n’est pas un mauvais bougre, même si, à l’adolescence, on devient tous un peu bête. Il ne semble pas avoir de mauvaises fréquentations. Al’ a confiance en son fils. « S’ils ne sont pas là quand on a fini notre bière, on part les chercher. J’sais pas où mais on va pas rester là à les attendre ! »