Les quelques semaines qui s’étaient écoulées n’avaient pas été de tout repos. Entre la révélation de sa sœur et sa relation avec Lizzie, laquelle il ne savait pas vraiment où ils en étaient, tout était compliqué. Il ne savait pas quelle serait l’issue de sa relation, car s’il espérait que tout finisse par s’arranger - et bien qu’une courte pause dans leur querelle lui ait redonné de l’espoir - c’était se fourvoyer. Lizzie restait distante et lui, rancunier. Ils n’avaient pas vraiment reparlé de ce qu’il s’était passé, de leur dispute, des mots qu’ils avaient employés, de ce qu’elle attendait de lui désormais. Il hésitait à lui envoyer des messages, tentant parfois un bonjour hasardeux. Etre à la caserne était sans doute ce qui lui permettait de se changer les idées. Il se concentrait sur ses interventions, sur les blagues échangées dans la salle commune, sur les expériences culinaires de l’un de ses collègues. C’était comme une bulle en dehors de sa réalité actuelle, de la ferme, de la révélation de sa sœur, de sa situation avec sa petite-amie. Il mentirait s’il disait prendre plus de gardes par besoin d’argent. Cela lui permettait aussi de penser à autre chose.

Ainsi, dans la salle commune, il se servait un café, entendant la porte s’ouvrir puis se refermer. Il n’y prêta pas plus attention car entre ceux qui étaient dehors en train de s’entraîner, et ceux qui se reposaient sur leurs lits, certains s’arrêtaient parfois ici prendre quelque chose à grignoter ou se servir un café, tout comme lui. Il y avait toujours du mouvement dans la caserne. Cependant, à peine eut-il fini de se servir qu’il se figea en entendant la voix de sa petite-amie. Il ne s’attendait pas à la voir ici. De plus, son ton était sec, et il pouvait deviner que son visage était fermé. Il prit une profonde inspiration, ferma les yeux quelques secondes, redoutant ce moment. Avait-elle réellement décidé d’aborder leur relation ici et maintenant, alors qu’ils pourraient être dérangés à tout moment ? Le Fitzgerald finit par se retourner, sa tasse à la main, pour faire face à sa petite-amie. Il ne fut pas surpris de constater que ce qu’il s’était imaginé était vrai : elle était distante, fermée. « Salut, Liz. » la salua-t-il à son tour. « Est-ce que ça peut attendre ce soir, après ma garde ? Je veux dire, on peut être dérangé et ce n’est pas vraiment le lieu pour parler… de nous. » Et de son addiction, parce que c’était sans doute de cela qu’il s’agissait, encore une fois.

Son air froid et déterminé lui faisait peur. Pour lui, il n’y avait qu’une raison à cela : son addiction, qui était le principal obstacle dans leur relation. Il en venait même à douter de leur devenir, ne sachant pas comment ils arriveraient à dépasser cela. Elle restait dans la méfiance, dans la suspicion avec lui, et lui, il restait sur la défensive, préférant mentir que de dire la vérité. Il la lui avait balancée l'autre fois, sur le coup de la colère, de façon ironique, elle ne l’avait certainement pas cru, et cela l’arrangeait. Il n’était pas prêt à admettre qu’il avait un problème, car pour lui, cela n’en était pas un. Pas vraiment. Il savait qu’il n’était pas censé continuer à en prendre, mais peu importait ; ces cachets lui faisaient du bien. Ils lui permettaient de dormir, de ne pas trop réfléchir quand il se sentait envahi. Ils l’apaisaient. Qu’y avait-il de mal à cela ? Pourquoi ne pouvait-elle pas le comprendre ? Il savait que pourtant, s’il voulait sauver leur relation, ou tout du moins ce qu’il restait à sauver, il ferait mieux de tout lui dire, mais il n’y arrivait pas. Alors, il n’avait pas envie d’entamer un énième round à ce sujet, et surtout pas sur son lieu de travail. Cependant, sa réponse le prit de court, et il sentit un vent de panique le traverser. Ce sera bref, Je vais faire vite. Avait-elle l’intention de mettre un terme à leur relation ? Il n’osa même pas porter sa tasse à ses lèvres, suspendu à celles de sa petite-amie qui s’apprêtait à donner le coup de grâce à leur relation. Le silence qui régnait suite à ses mots laissait une atmosphère étrange, comme si le temps s’était suspendu l’espace d’un instant.

Elle lui glissa un bout de papier sur la table qu’il attrapa, le cœur battant. Lui avait-elle écrit une lettre d’au revoir ? Avait-elle une mauvaise nouvelle à lui annoncer ? Il posa la tasse sur la table, laissant son regard parcourir les mots écrits sur le papier. Des mots qui se mirent presque à danser devant lui, tant sa concentration venait de s’évanouir au profit d’un tourbillon de pensées. A peine eut-il fini que déjà elle l’avait récupérée pour la ranger. Il passa une main sur son visage, essayant d’assimiler l’information. Et, avant même qu’il ne lui pose la question, elle lui apprit que cela faisait déjà trois semaines qu’elle le savait. Il n’eut pas de mal à faire le calcul et à se rendre compte que cela correspondait à ce bref instant de répit qu’il y avait eu entre eux et qui lui avait brièvement redonné espoir et foi en leur relation. Avant que cela ne reprenne. Il s’assit sur l’une des chaises disposées autour de la table. Il releva les yeux vers elle quand elle lui expliqua ce qui l’avait conduite à faire cet examen. Sa soeur n’était également pas au courant. Il était le premier. Tout se bousculait. Ce n’était pas comme ça qu’il avait envisagé les choses. Evidemment qu'il avait toujours rêvé de faire sa vie avec Lizzie, elle avait toujours été l’amour de sa vie, et la bague qui jonchait toujours dans un tiroir de sa chambre en était bien la preuve car en dehors de Liz, il n’y avait jamais eu d’autres femmes à qui il avait porté tant d’intérêt, avec qui il s’était tant projeté. Liz, c’était celle avec qui il avait toujours voulu faire sa vie, et probablement qu’un jour la question des enfants se serait posée, mais pas dans de telles circonstances. Actuellement, leur relation prenait l’eau, et peu à peu ils s’éloignaient et le pompier paniquait. Plus il la sentait s’éloigner, et plus il mettait de distance pour se protéger, parce qu’il ne voulait pas souffrir, pas encore, pas comme la dernière fois. La dernière fois, il avait pu fuir RH, repartir, éviter les permissions, éviter tout ce qui lui rappelait Liz. Cette fois-ci, il ne le pourrait pas. Il savait que la meilleure chose à faire était de tout lui avouer, mais il ne le pouvait pas. Il avait trop honte. En d’autres circonstances, il aurait trouvé sa réplique amusante, mais ce n’était pas le cas. Cette nouvelle n’aurait effectivement pas pu attendre la fin de sa garde. Il se racla légèrement la gorge, comme s’il se réveillait tout juste d’une paralysie soudaine : « Je… Qu’est-ce que tu veux faire, Liz ? » lui demanda-t-il, encore sonné. Il posa sa main sur les siennes, toujours croisées devant elle. « Je ne sais pas où on en est tous les deux mais… quoique tu décides, je serai là. Mais… je pense qu’il est temps qu’on parle, et qu’on soit clair l’un avec l’autre, sur ce qu’on veut, parce que… cette situation ne peut pas perdurer, surtout maintenant. »

Cette nouvelle était inattendue. En la voyant débarquer ici avec son air dur, il s’était imaginé qu’elle voulait une nouvelle fois aborder le sujet qui occupait le plus clair de leur temps et qui provoquait à chaque fois la même chose : elle en colère, lui frustré de ne pas être compris, et ils se séparaient ainsi, chacun de leur côté. Cela faisait des semaines que cela durait, peut-être même presque des mois. Depuis qu’elle était tombée sur ce flacon, en fait. Ainsi, il s’était imaginé un nouveau round de leur sujet préféré du moment, mais il n’en était rien. Il fut surpris de lire ce bout de papier qui venait de bouleverser leurs deux vies. Comment reprendre une conversation normale après cela, si tenté qu’ils puissent encore en avoir une ? Sous le choc, la seule question qui lui vint à l’esprit était de lui demander ce qu’elle voulait faire. Ensuite, il aviserait en fonction de sa réponse. Que pouvait-il offrir à cet enfant ? Il était comme son père, addicte, secret, probablement dans le déni aussi. Et puis, il n’avait pas grand-chose à lui, en dehors d’une ferme dans laquelle il vivait avec sa mère et sa sœur. Il n’avait rien. Lizzie pourrait trouver mieux que lui, pour elle, pour leur enfant. Son coeur se brisa un peu plus lorsqu’elle s’écarta de sa main qu’il ramena aussitôt à lui. Les derniers gestes de tendresse qu’ils avaient eus l’un envers l’autre les avaient conduits à être dans cette situation.

Lizzie soulevait un point, ils n’avaient jamais parlé de cela ; ils n’en avaient pas eu le temps, trop occupés à se disputer au sujet d’un stupide flacon qu’il avait laissé traîner. Trop occupé à la repousser et à lui donner de multiples excuses pour qu’elle passe à autre chose. Mais il la connaissait pourtant que trop bien et il savait qu’elle ne laisserait jamais tomber… La preuve en était qu’ils ne pouvaient qu’à peine se parler désormais. Ces médicaments prenaient une place trop importante. Il restait silencieux, la main passant sur son menton, signe qu’il réfléchissait à demi-perdu dans ses pensées, tandis qu’il l’écoutait malgré tout se confier sur sa fausse couche passée. Ils n’en avaient jamais vraiment reparlé depuis son séjour à l’hôpital. Il se souvint qu’il s’était promis de toujours tout faire pour ne pas qu’elle souffre autant qu’à ce moment-là et qu’il la protègerait toujours du mieux qu’il le pourrait. Le fait était qu’il n’avait en rien respecté sa promesse, une fois de plus. Il était l’objet de ses souffrances, encore une fois. Il savait qu’elle cogitait sans cesse à son sujet, et d’autant plus maintenant qu’elle avait découvert qu’elle était enceinte. Et puis, elle devait avoir peur que l’histoire se répète, qu’elle perde cet enfant. Elle avait raison : leur relation n’était pas saine, et l’entendre dire qu’elle ne savait plus si elle pouvait toujours lui faire confiance lui brisa le coeur une nouvelle fois. Il paniquait, même s’il tentait de ne rien laisser paraître. Au fond de lui, il sentait son coeur s’émietter, se soulever difficilement à chaque respiration. « ça n’a rien avoir avec ça, Liz. Ça n'a rien avoir avec le fait que je ne te fais pas confiance… Je sens que je t’ai perdue. Même si on arrivait à tout arranger, est-ce que tu arriverais à me pardonner, à me faire de nouveau confiance ? Est-ce que tu ne te méfierais pas ? » demanda-t-il, les yeux brillants. Il devait se rendre à l’évidence : il avait perdu Liz, une nouvelle fois. Il n'arrivait pas à voir d'issue. Il était perdu, dans le brouillard, et il n'arrivait plus à penser. Il avait soudainement chaud quand pourtant cette nouvelle l'avait gelé sur place.

Cette nouvelle arrivait sans doute au pire moment de leur relation, tandis qu’elle était trouble et qu’ils ne savaient plus où ils en étaient. D’ordinaire, il aurait été si heureux de tenir ce bout de papier entre ses mains, et ce, même si ce n’était pas prévu. Ils vivaient chacun de leur côté, lui toujours dans la ferme familiale, et en y réfléchissant bien, il se rendait compte qu’il n’avait pas grand-chose à lui offrir. Sa vie tournait actuellement autour de la caserne, de la ferme et des rendez-vous médicaux de sa mère quand sa sœur ne pouvait pas prendre le relai. Dans cette vie remplie et emplie de soucis, elle avait été son havre de paix, pendant un temps, son refuge. Aujourd’hui, elle faisait partie de ces soucis qui l’envahissaient, parce qu’ils n’arrivaient plus à être ensemble sans se disputer, sans qu’il ne craigne qu’elle ne lui reparle de son addiction, encore et encore, comme à chaque fois qu’ils se voyaient. Elle l’accusait toujours de lui cacher les choses, de ne pas être honnête avec elle, quand lui avait envie qu’ils passent enfin à autre chose. Alors que le pompier plantait le regard dans celui de sa petite-amie, il s’aperçut qu’elle réfléchissait à leur devenir, tout comme lui finalement avec cette nouvelle qui les bouleversait. Il était prêt à assumer son rôle, à être là pour elle, mais le voulait-elle seulement ? Et s’il faisait un pas, qu’il admettait une part de la vérité, aurait-elle de nouveau confiance en lui ? Ne prenaient-ils pas le risque qu’à la moindre dispute cet épisode ressurgisse ? Simon l’écoutait, silencieusement, soucieux. La balle était dans son camp désormais, tel était le sous-entendu qu’il y avait dans ses paroles. Il soupira, tentant de ne rien laisser paraître quant à la panique intérieure qui le bousculait.

Un ultimatum, voilà ce qu’elle lui imposait à demi-mots. Soit il parlait, soit il signait la fin de leur relation et il lui en voulut de lui imposer ce choix aussi durement, tandis qu’il venait seulement d’apprendre qu’il allait être père. Tout se bousculait. Serait-il seulement un bon père ? Qu’avait-il aussi à offrir à cet enfant ? Un père présent de temps à autre, pris la plupart de son temps par son métier qui le passionnait et par une ferme qu’il maintenait à bout de bras. Sa soeur l’aidait, mais elle avait aussi sa carrière, sa vie qu’elle tentait de reprendre en main depuis son retour à RH. Lui, il avait la douloureuse impression qu’il stagnait et ces médicaments étaient le seul échappatoire qu’il avait trouvé, à cette impression, à ces rêves qui l’envahissaient, ces angoisses qui le prenaient parfois au dépourvu, cette douleur fantôme au bras, symptôme qu’il n’allait pas bien. Parler, c’était accepter d’ouvrir une porte, prendre le risque aussi de s’effondrer et il n’était pas prêt. Pas encore, peut-être jamais. Mais il savait qu’il finirait par la perdre. « Je serai là pour l’examen, Liz. » affirma-t-il. Même s’il ne savait pas où il en était, ni même ce qu’il avait à offrir à cet enfant, il serait là, à chaque étape, parce que c’était leur enfant, et qu’à une époque il aurait été la concrétisation d’un doux rêve. « Je… vais essayer. Je ne peux pas te promettre de tout résoudre en un rien de temps, je n’ai pas de baguette magique, et crois-moi que si j’en avais une les choses seraient différentes aujourd’hui. Mais, je vais essayer. Parce que je t’aime plus que tout, Liz, et que si je te perdais une nouvelle fois, je… » Il ne s’en remettrait pas. Enfin si, sans doute, mais cela signerait la fin de sa vie amoureuse, comme avant. Il se remettrait à collectionner les histoires sans importance pour oublier le trou béant que cette histoire aura laissé dans son cœur. Il baissa les yeux, presque honteux de montrer une telle vulnérabilité en sa présence.