Un bordel indescriptible, un foutoir innommable. Ce n’est plus à prouver, l’
Icare de la Baltique ne se complaît que dans le chaos et le tumulte. Le ronron placide d’une vie rodée comme du papier à musique, millimétrée au cordeau et où rien ne dépasse ? Très peu pour lui. Plutôt la mort et le déshonneur, que de renoncer à ce foutoir incommensurable. Foutoir dans lequel il barbote avec toute l’allégresse d’un goret se vautrant dans sa crotte – quand il ne s’amuse pas à le semer tel un diablotin, plus facétieux que malveillant. Son conseiller d’orientation au collège était loin du compte, lorsqu’il affirmait
qu’il faisait tout à l’envers. Sans doute souffrirait-il des affres de la syncope ou de l’infarctus, en constatant que
le cas désespéré s’est obstiné à peindre son avenir aux couleurs d’un tentaculaire maelstrom de bruit et de fureur, sans queue, ni tête. Jamais de constance, pas de rigueur. Aucune ambition, réduction des contraintes et des obligations au minimum syndical – quand elles s’avèrent inévitables. Fervent adepte du
carpe diem qui n’admet que le bouillonnement et l’impétuosité de l’instant présent. La majeur ordurier brandit au nez et à la barbe de l’avenir austère et affligeant de sérieux.
Codes cassés, lois méprisées. Frontières démantelées, interdits soulevés. Tout se bouscule, tout se mélange. Tout se confond, tout se côtoie. En un entrelacs de connexions disparates et bigarrées, sans cohérence, ni harmonie d’aucune sorte. Le plaisir pour seule religion. Une confession où la vertu et la fidélité n’ont pas leur place. Et où il n’est qu’un pêché : l’ennui.
Ainsi vivait Mykolas, dernier inconditionnel de l’absurde et du burlesque. Lui qui, de tout temps, a joyeusement pourchassé ce sacro-saint grain de folie douce, grimé sous les traits d’un lapin blanc insaisissable. Tombant parfois en chute libre dans le terrier de sa psyché. Pour mieux atterrir dans un dystopique, spécieux et pernicieux pays des merveilles. D’abracadabrantes contrées que
Blondie – n’en déplaise à Alice – n’a jamais souhaité quitter. Tournent les vents, passent les ans. De pérégrinations en expéditions. A courir après les étoiles en compagnie de
it-girls sophistiquées en mal de gloriole, qui se la jouent façon Reine de Cœurs. Un peu
biatches avides d’amour, un peu influenceuses à la manque et en perdition.
"Toutes nos pensées sur la toile
Il faudra bien qu'on s'en parle
Mais en attendant on accepte
On s'abandonne et on s'embête"
A chercher la beauté cachée en ce bas monde au plus près de femmes libertaires, artistes et bohèmes, qui se substituent à la rose et aux autres fleurs du jardin. A se retrouver coincé au beau milieu d’un conclave de nantis, un peu farauds et aussi pédants que la chenille accro à son narguilé. Sans oublier ces mille-et-une bacchanales brûlées aux quatre coins du monde, à l’ombre de paumés de sa trempe. Des faunes insouciants, désinvoltes et dévoyés, n’ayant rien à envier au Lièvre de mars et au Chapelier fou. Pourtant, la terre a tremblé il y a deux ans de cela. Plus que jamais, la menace de la souillure virale plane sur ce paradis artificieux et saugrenu. Que faire pour en prévenir la perte et continuer à s’y prélasser encore un peu ? Nul autre choix que de céder aux compromis et aux concessions, longtemps abhorrés. De procéder à quelques aménagements et ajustements. Une sinécure quand on a la capacité d’adaptation d’un caméléon. Parmi cette myriade de micros résolutions, la plus significative d’entre elles reste sans conteste l’ajout d’individus, pour le moins équivoques, à son cercle de fréquentations. Ainsi que l’usage délictueux de son travail.
Nomade qui n’a rien trouvé de mieux pour combattre le désespoir, que de prendre des mesures désespérées. En scellant quelque pacte véreux avec une légion de diables aux cendres défendues. Ultime recours qui lui est apparu pour obtenir les liquidités lui permettant de se procurer
le remède. Pas la panacée, bien sûr. Juste de quoi accorder un sursis dérisoire à la vie ... à condition que la mort daigne accepter le backchich thérapeutique, pour mettre un frein à son œuvre fatidique. Désormais,
Myko’ se doit de cliver, de compartimenter. De séparer et de cloisonner les différents éléments qui, mis bout à bout, forment sa chienne de vie. Un
pensum contre-nature, auquel il s’est doucement mais sûrement fait. A force de mensonges utilitaires et d’affabulations, parfois grossières. Redwood Hills n’a donc guère connu le farfadet farfelu et la tornade truculente de jadis. Nombreuses sont les âmes de la bourgade vermontoise qui n’ont jamais rien vu d’autre, qu’un grand échassier à l’aspect maladif et au teint cireux. Un homme couleur muraille, aux sourires brumeux et aux
"bonjour" nébuleux. Un de ceux qui passent, vont, viennent et s’en repartent dans la nuit, sans joie, sans cri.
"I want to run, I want to hide
I wanna tear down the walls that hold me inside
I wanna reach out and touch the flame
Where the streets have no name"
Du moins, à quelques rares exceptions près. Des exceptions comme Lizzie. La Greta Thunberg locale. Un esprit sylvestre rencontré à la faveur d’un concours de circonstances quasi miraculeux, puisque si sa hiérarchie ne s’en était pas mêlée pour l’obliger à prendre des congés, le drôle d’oiseau aurait en principe dû traîner ses plumes du côté de Dubrovnik ce jour là. Ou plutôt ce soir là. Ce fameux soir où, en qualité de badaud, il franchit le seuil de
l’éco-Lizzie, placé sous le thème
de l’avenir et des enjeux du recyclage ici et ailleurs. Avec, on ne va pas se mentir, un intérêt considérablement plus grand pour
l’ailleurs, que pour la question du
recyclage. Tel fut la genèse, leur
il était une fois. Simple, doux. Un brin enfantin et étrangement lumineux. Tant et si bien que
le farfadet farfelu se permet parfois de furtifs retours sur le devant de la scène, lors de ces quelques moments de complicité volés et partagés avec la dénommée Myers, depuis bientôt un an. Une nymphe des bois à la main verte et au cœur d’or, prise dans la tourmente d’un gros bordel sentimental – disons le franchement et n’ayons pas peur des mots.
Une femme, deux hommes et de colossales conséquences en gestation. Quand la vie devient un vaudeville en dentelle. Une télénovela rocambolesque. Une comédie romantique avec à l’affiche Renée Zellweger, Colin Firth et Patrick Dempsey. Un drama coréen où coups de théâtre et rebondissements éclatent à tout va.
Un gros bordel que le queutard invétéré n’envie pour rien au monde. Lui qui préfère de loin et tous les jours se démener avec
son gros bordel à lui. De quoi lui faire prendre conscience que l’herbe n’est pas nécessairement plus verte ailleurs, qu’il y a foutrement pire et qu’il n’est sans doute pas le plus à plaindre ou le plus mal loti. Croulant sous le besoin de prendre de la distance et du recul pour mettre de l’ordre dans ses pensées et ses sentiments,
Clochette – comme il aime à la surnommer affectueusement – a spontanément soulevé l’idée de vacances sous forme de voyage à l’étranger mercredi dernier, à l’occasion du désormais traditionnel
plateau-télé hebdomadaire. Perspective que le servant des cieux a dans un premier temps, cela va s’en dire, chaudement encouragée.
"If you took a holiday
Took some time to celebrate
Just one day out of life
It would be, it would be so nice"
Jusqu’à ce qu’il déchante en se rencardant sur le
"où ça". Réponse de l’intéressée :
"Je ne sais pas … là où tu iras ?". Pas vraiment ce que l’on a envie d’entendre quand on s’échine à dissocier sphère professionnelle et sphère personnelle. Pris de court et le sourire figé tel un vieux fond de sauce, l’olibrius a tant bien que mal tenté de retomber sur ses pattes en se fendant d’un
"Euuuh … oui. Oui, oui, ma chérie si tu veux ; avec plaisir.". Un plaisir qui cache le secret espoir que ce projet reste à l’état théorique et n’aboutisse en rien. En grande partie entretenu par le caractère fort peu exotique et glamour de sa prochaine affectation : la Lituanie paternelle. Climat continental, été doux mais très pluvieux. Beaucoup de forêts, de lacs. De vastes plaines et peu de reliefs. Des paysages qui ne sont finalement pas sans rappeler ceux du Vermont … et qui – malheureusement pour lui – sont tout ce dont une personne versée dans l’écologie raffole. Ellipse,
travelling avant et retour à l’instant présent. En ce premier jour de juin, à quelques heures du décollage.
Au programme : embarquement à Burlington, correspondance à New-York, puis tout droit jusqu’à Vilnius depuis
JFK. Impatient et pour l’occasion fébrile de prendre ses fonctions, Mykolas peaufine sa mise dans la chambre, en face de la psyché murale jouxtant la penderie. Minutieux et appliqués, les doigts osseux font glisser le nœud Windsor de la cravate bleue marine. Poursuivant sur leur lancée, les phalanges s’attellent ensuite au boutonnage des manchettes de la chemise immaculée. Métamorphose en passe de s’achever. Bien malin celui qui pourrait deviner le mal qui ronge cet homme ainsi apprêté. L’allure, le charisme et la prestance reforment cette trinité gagnante. Exactement
comme avant. Comme s’il ne s’était rien passé. Comme s’il était encore ce freluquet fringant, fougueux et sémillant, qui officiait sur ses premiers vols. Sortie de
coulisses. Retour dans la salle à manger pour revêtir le blazer déposé sur le dossier d’une des chaises, qui coïncide avec l’arrivée plus que ponctuelle de l’estimée passagère – et de son petit clandestin caché sous le nombril.
"I guess you finally lost your patience
You're done with fighting without a reason
Don't need no conversations,
Need some isolation
Separate locations"
"Hey. J’t’en prie. J’suis heureux que tout ces Miles que j’ai accumulés puissent profiter à quelqu’un.". Vérité formulée dans un sourire hésitant entre franchise et retenue. L’accolade à moitié complétée à l’aide d’un bras, brièvement enroulé autour des épaules de la commerçante. Les notes épicées du
Man in black de
Bvlgari communient et s’unissent à des effluves de tubéreuses. Décidée à la dernière minute et sur un coup de tête, cette petite rectification du
plan de vol ne devrait guère avoir de répercussions sur le séjour du steward. Une chance que son agenda de l’ombre soit vide. S’il avait été seul, le mariole aurait sans doute loué une voiture pour faire la route jusqu’à Zarasai. Histoire d’embrasser et de passer quelques jours en compagnie de sa tante, ses oncles et ses cousins. Peut-être aurait-il également déposé un bouquet de callas noirs sur la tombe de ses grands-parents et pris le temps de se recueillir. Heureusement, son goût pour l’effet de surprise et sa propension à soigner ses entrées, l’ont bien gardé de prévenir les proches
restés au pays de sa venue. Inutile donc de les appeler pour décommander.
"Oui … oui, il va pas trop mal. L’art thérapie commence à porter ses fruits et lui réussit plutôt bien.". Compte rendu sélectif exposé. La risette aux lèvres qui éclipserait presque les cernes et les traits tirés par la fatigue teintée d’inquiétude. Le voile de l’omission sciemment jeté sur cet enfer que fut la journée d’hier. Journée que Rytis a en grande partie passée assis sur le rebord de son lit. A regarder la vie battre au dehors depuis la fenêtre. Le regard vitreux, fixe. Enfermé dans une tour d’ivoire qui continue inexorablement sa décrépitude. Assis à côté de son aîné, l’
Hermès corrompu s’est échiné à lui parler. A le reconnecter à la réalité. En serrant toujours plus fort sa main. Jusqu’à ce qu’il se tourne vers lui, le visage amorphe, pour lui dire d’une voix morne et désincarnée
"vous me rappelez mon frère … .". Cinq mots qui lui firent l’effet d’une salve de flèches acuminées plantées en plein palpitant. Cinq mots qui - outre l’accabler quant au déclin de
Mister Perfect – lui donnèrent l’impression d’être déjà mort. L’impression que l’avenir soit sur
avance rapide.
Cinq mots qui retentissent encore dans sa tête et vrillent ses tympans. Attisant plus que jamais les craintes de partir et de laisser
le grand seul. Gorge nouée, salive âprement ravalée, glotte qui hoquette. Bases qui vacillent, mais se reconsolident bien vite. Quelques battements soutenus des paupières, de discrètes secousses de la tête et un reniflement fugace des narines. Bien assez pour reprendre pied.
"Les Myers tiennent la forme eux aussi ?". Politesse et prévenance retournées à l’envoyeur dans un sourire enjôleur. Quoi de mieux pour sonner le glas d’un sale quart d’heure.
Mykolas, ou l’art perpétuel de la fuite et de l’esquive. Veste revêtue, l’hurluberlu à la vocation contrariée sort de la poche intérieure une espèce de broche faisant écho au logo d’
American Airlines. L’ornement promptement épinglé au revers de la boutonnière.
"T'es bien sûre que ce voyage est sans risque pour vous deux, hein ?". Question au souffle soucieux. Les yeux qui mirent le minois de la défenseuse de l’environnement, puis dégringolent vers la vie qui croît en ses entrailles. Une dextre incertaine qui s’avance vers le ventre déjà bien arrondi. Le geste qui finalement se ravise. Poing fermé, bras qui retourne précipitamment se coller contre sa carcasse à la manière d’un pestiféré. Gêne qui vrombit au fond de la gorge et gratte sur la nuque piteusement frottée. Ultime atout dissuasif défaussé et adroitement joué. Sans certitude, ni grande conviction.
"They say, "When they’re out of sight, they will be out of mind"
But that isn't true when it comes to you
'Cause you'd walk a thousand miles, fly over endless skies
To be with them there"