{ they say home is where the heart is }
@Grace Fordham

L’effervescence au 195, Lila Road. Si ce n’est pas la première rentrée de la famille recomposée, celle-ci a une saveur particulière. C'est une grande première pour Lucy. Alors, cette fois-ci, Jamie n’entend pas les cris, les pas qui courent, se précipitent ; ceux qui trainent et regrettent déjà les vacances. Ils sont atténués par la nostalgie qu’il ressent, qu’il vit corps et âme à voir Lucy sage, si sage, et tellement fière au milieu des garçons… qui ne le sont pas tant. « Ça va bien se passer. » Qu’il souffle à Grace, à la dérobée, courbé en bas des marches d’escaliers pour ajuster les lacets de la petite. Une promesse en l’air, bien sûr, c’est pourtant vrai. Ça va bien se passer. Ça se passe toujours bien, les autres années. Ça se passe toujours bien, pour les enfants. Pour eux, les parents qui vont laisser leur petite dernière devant sa classe, la regarder entrer dans ce nouveau monde, quitter doucement l’enfance, si vite, si tôt, déjà... Jamie regarde Grace du coin de l’œil, à de multiples reprises -s’en rend t-elle compte ? Il n’est pas sûr que ça se passe réellement bien, mais il y veille, posant un regard doux et quelques paroles tendres par-ci par-là, distribue les tapes sur l’épaule et autres accolades aux garçons. Qui rassure-t-il dans ces gestes tendres, protecteurs ? Que lui, bien sûr, que lui. Son sourire si bienveillant a un parfum de tristesse ce matin, ce n’est pas seulement Lucy, la première à être toute prête, comme le fait remarquer Grace, et il est si fier d’elle, Jamie. Il y a également Marlon qui ne cesse de grandir. Il est si grand, quand il lui passe devant que ça lui donne le vertige. Subsiste une question que Jamie refuse de se poser ailleurs qu’à l’intérieur du cœur : combien de rentrées encore où il acceptera qu’il le dépose ?

Il a eu le temps de penser à mille choses, d’en étouffer autant d’autres quand sa femme se rapproche de lui. C’est salvateur, sa simple présence calme toutes les peines. Ils partagent leurs angoisses, se devinent, et c’est facile, de taire les siennes, pour elle ; facile, de passer une main dans son dos. Ça va aller, oui, je t’aime. Ils se savent. « Ne brisons pas son enthousiasme tout de suite. » Le cœur est aux rires, à voir Lulu se dandiner sa grosse tête de licorne sur le dos. Comment ne pas au moins sourire ? Même si : « Marlon avait très bien compris, ça a été difficile. » Et il y a quelque chose d’émouvant également pour son père à le voir s’épanouir, s’affirmer aux côtés d’Elijah, aujourd'hui un peu plus. Les voilà qui descendent, tiens, Jamie s’en étonne autant que Grace même si, comme souvent, il ne dit rien. Ça a été rapide, c'est louche. Elijah plaide la maturité, Jamie se mord pour ne pas rire, « hm » arque un sourcil perplexe en lui passant devant. Il est temps de démarrer la voiture. Elijah, Marlon et Lucy qui s’impatiente derrière eux franchissent enfin la porte. Grace sonne l’heure -fatidique : cette fois ça y est. Pas de retour en arrière. Jamais, dans la vie, il n’y en a pas de possible. Jamie n’en voudrait pas. C’est un jour de joyeuse tristesse, duquel on se souvient pour le reste de sa vie, comme toutes les premières fois. Une part de lui a déjà hâte que Lucy un jour lui demande, dans deux ans, cinq ou sept, si elle avait pleuré, elle, à son premier jour d’école. Et combien il sera fier et amusé de lui répondre : non, mais ta mère... Grace s’en offusquera d’un peu plus loin, épiant la conversation. Mais pas trop, pas trop. Il ne faut pas être pressé que le temps passe, ni trop tôt ni trop vite. Il faut s’émouvoir d’abord. « On n'a rien oublié ? » Derrière le volant, le père de famille s’en assure une dernière fois, s’incluant dans l’équation. « Alors c’est parti » Ses mots sont dits avec entrain, faisant écho aux paroles de Grace en quittant la maison. C’est bien à elle qu’ils s’adressent en réalité et c’est elle que Jamie regarde une dernière fois avant de regarder le rétroviseur. Et la voiture démarre.

« Pas trop près oui, je sais. » Surtout pas devant le lycée, pour ne pas être vu avec ses parents, Jamie connaît la chanson, depuis le temps. De nombreuses fois, il est tenté de klaxonner, les menacent de le faire, mais ne le fait pas, pas le jour de la rentrée. « C’est calme. » Tout d'un coup. Il pense à voix haute, meuble sans doute, une fois les garçons descendus. Lucy n’est pourtant pas en reste. Il n'y a plus qu'un dernier stop à faire, et pas des moindres. « T’es prête ? » C’est à Grace qu’il le demande, taquin, non moins soucieux et pas sûr de l’être lui-même. Ça va bien se passer.