Mona Lisas And Mad Hatters
- Mila & Tom -

L'idée que je me faisais d'un après-midi libre –chose bien rare depuis la naissance d'Aiden– était cette visite au Burlington City Arts. Après tout, on m’avait dit le plus grand bien des deux expositions en cours. Rachel Rose: Lake Valley, installation vidéo immersive explorant l'isolement et l'imagination à travers des thèmes inspirés de la littérature pour enfants​, et Essential Figure, expo d'art figuratif contemporain examinant les diverses identités et narrations en se concentrant sur l'intersection de la race, de la classe, du genre et de l'apparence. Il m'arrivait quelquefois de me demander si je n'avais pas raté ma vocation, lors que je me retrouvais devant de telles oeuvres qui allaient véritablement chercher les émotions des gens. Les miennes, en tout cas. De quoi même me faire ravaler le mot artiste qui se rattachait à mon propre travail. N'étais-je pas un simple agent du capitalisme ? Une œuvre telle que Baby Boomer Bad Ass with Patriarchal Shoulder Parrot ne pouvait que me pousser à remettre ma vie en question. Était-ce vraiment si difficile de réaliser des sculptures en céramique ? Y avait-il des cours qui se donnaient à Redwood Hills ? Mais, de toute façon, avais-je vraiment le temps de me lancer dans une nouvelle activité ? Sacha risquait de s'imaginer que je faisais une crise de la quarantaine à retardement... Ce n'était pas complètement faux, avoir des enfants et réaliser mon rêve de toujours remettait beaucoup de choses en perspective. Comme le souhait d'être un bon exemple pour eux, et de laisser quelque chose qui soit digne de mention derrière moi, le jour où je ne serais plus que poussière.
C'en était peut-être un peu trop pour un jeudi après-midi. Toujours était-il que les désagréments ne venaient jamais seuls. La silhouette qui s'approchait m'était familière. Mila. À qui je n'avais pas parlé depuis un moment, maintenant que j'y pensais. Toujours trop occupés, de part et de l'autre, et sans doute que je ne cherchais pas spécialement à entretenir le lien non plus. L'ainée des Hargreaves m'avait toujours un peu intimidé, sans que je ne puisse exactement dire pourquoi. Tout le contraire de la relation que j'avais avec Eliot et Seb, et même Leah. En la compagnie de Mila, j'avais l'impression d'être un gamin sous l'étroite surveillance de ses parents... Même si j'étais parent moi-même ! L'heure était probablement venue d'en changer et de mettre derrière moi ces appréhensions sans fondement, mais il aurait pour cela fallu ne pas compter sur ma légendaire maladresse. « Mila ! Quelle coïncidence ! » J'avais eu ce faux mouvement, entre l'envie de me fondre dans le décor –mission impossible avec ces mûrs blancs– et la volonté de me montrer parfaitement-mature-et-respectable. Faux mouvement qui avait une fâcheuse conséquence, alors que le stand sur lequel reposait la sculpture vacillait au point où celle-ci tombait à la renverse contre le mûr. « Oh my... » Coup d'oeil aux alentours. Il n'y avait bien que nous dans cette salle d'exposition. Ce qui n'arrangeait rien, pour autant, aux dégâts provoqués. « Je viens de casser le patriarcat... » En effet, le « perroquet » s'était détaché du reste de la sculpture. « Qu'est-ce qu'on fait ?! » L'air complètement affolé, je m'en remettais à la sagesse de l'avocate pour me sortir du pétrin. Oui, bien sûr, elle n'avait rien demandé, mais c'était tout de même parce qu'elle était arrivée sans prévenir, au moment où je m'y attendais le moins, que toute cette histoire s'était enclenchée ! Et puis, c'était sa spécialité, de gérer les crises, elle faisait ça tous les jours pour ses clients, elle pouvait bien le faire pour son propre cousin ?

@Mila Hargreaves